Société de défiance… ou analyse de complaisance ?

Les éditions Rue d’Ulm ont publié en 2008 un essai de MM. Yann Algan et Pierre Cahuc, La société de défiance (ou : Comment le modèle social français s’autodétruit).
La lecture de la 4ème de couverture éclaire sur le projet politique dont peuvent être porteurs des universitaires que leurs engagements personnels n’ont pourtant jamais conduits précisément dans le débat politique qu’appellent leurs analyses.
« Depuis plus de vingt ans, des enquêtes menées dans tous les pays développées révèlent qu’ici plus qu’ailleurs, on se méfie de ses concitoyens, des pouvoirs publics et du marché (…). Or la défiance et l’incivisme (…) sont alimentés par le corporatisme et l’étatisme du modèle social français… »
Et voilà pourquoi votre fille est muette et Sarkozy ou Kessler de grands hommes…
Exagéré ? Il n’est pas certain que la crise que nous connaissons amènerait nos deux experts à modérer leur enthousiasme, réel ou feint, pour une société de confiance dont les dirigeants du cac 40, ceux de Wall street ou de la City, voire ceux du G20, ont montré à quelle aune on pouvait l’apprécier.

Les Français se méfient…

L’une des « thèses » de nos deux économistes est que la confiance héritée des Français s’est dégradée au cours du XX ème siècle « et surtout après la deuxième guerre mondiale ».
Ils se fondent, en partie, pour affirmer cela, sur une étude américaine (General Social Survey) laissant penser que « les Américains de la quatrième génération d’origine française (…) font beaucoup plus confiance à leurs concitoyens que les Américains de la quatrième génération d’origine suédoise » et donc que la confiance mutuelle était plus développée en France au début du XX ème siècle.
Nous n’allons pas nous risquer à affirmer qu’il existe de par le monde des enquêtes bizarres et des critères d’analyse parfois surprenants, ni à évoquer pour ce type de questionnement l’impact possible de conséquences discriminatoires.
Mais un historien lambda a de quoi être, au moins, étonné et d’abord qu’on puisse tirer des conclusions sur les mentalités françaises telles qu’elles sont aujourd’hui, à partir d’enquêtes menées auprès d’Américains d’aujourd’hui…
On pourrait se souvenir que le triomphe de la social-démocratie en Suède est postérieur à l’émigration des ancêtres d’Américains de la quatrième génération, qu’il est douteux que les relations sociales en France n’aient en rien bénéficié, y compris en termes de confiance entre concitoyens, par exemple, du Front Populaire ; que le planisme est un mouvement général en Europe avant la deuxième guerre mondiale et qu’il n’était pas tout à fait inconnu des boys de Roosevelt, que les écarts sociaux au Royaume-Uni, réputé peu étatiste, sont plus grands qu’en France, que la situation des orphelins dans divers pays aurait mérité une analyse utile pour parler d’une société de confiance…
Mais laissons cela.

Y a-t-il un système politique en France ?

La mode en France est certes de nier l’histoire de France, voire de confondre l’histoire de France et les agissements des Français ou de certains d’entre eux; l’épidémie de pardons demandés ici et là participe de cette incongruité historique, qui oublie que les politiques conduites au nom de la France, sur pratiquement tous les sujets, y compris ceux pour lesquels s’excusent quelques démagogues en mal de publicité, ont connu des adversaires déterminés et des détracteurs efficaces, et cela depuis des siècles.
Le degré de confiance de nos concitoyens envers leurs institutions serait donc parmi les plus faibles des pays riches…
Ce qui est surprenant, c’est précisément que les conditions de fonctionnement de nos institutions soient réputées neutres pour évaluer le degré de confiance qu’elles pourraient ou non susciter.
On se méfie de l’institution judiciaire ? N’est–ce pas fondé sur une lecture critique de ses décisions ? Du mode de sélection de ses hiérarques ? Des doutes des juristes européens sur la séparation des pouvoirs, l’indépendance du parquet ? Sur la faiblesse numérique de la magistrature ? Sur les conditions de sa formation ? Sur l’état des prisons françaises qui nous met au ban des nations civilisées de richesse comparable?
La corruption perçue est corrélée avec la défiance envers la justice.
« Le même type de corrélation apparaît entre la corruption perçue et la défiance envers le parlement ou les syndicats ».

En quoi les Français seraient–ils comptables de cela ?

Ils votent Non en 2005, on leur fourgue par le parlement, ce qu’ils avaient disqualifié, à quelques nuances secondaires près.
Huit organisations de salariés ont une implantation nationale, la loi Perben qui n’a pas été abrogée, continue d’empêcher que cette représentativité soit fondée réellement sur les voix obtenues aux élections professionnelles, puisqu’elle empêche des organisations plus importantes que des confédérations bénéficiant encore du principe d’une représentativité irréfragable, d’être présentes dès le premier tour de l’élection ! Avec des tribunaux qui suivent les recours desdites confédérations…
Autrement dit, les Français savent, ou peuvent savoir, que le gouvernement et le patronat préfèrent choisir leurs interlocuteurs que de laisser les salariés assurer à ceux-ci une légitimité incontestable.
Comment parler d’une société de défiance sans évoquer la classe dirigeante française, politiciens, patrons du cac 40, orfèvres experts des media alignés ? Les élus qui refusent de mettre fin au cumul des mandats ?
Dira-t-on que les Français ont les maîtres qu’ils méritent quand on sait comment fonctionne un parti en France et ailleurs ?
Et si les Français étaient simplement lucides ?
L’étatisme et le corporatisme seraient la cause de tous nos maux ? La démonstration de cette assertion est loin d’être faite.