Pour sortir de l’impasse, réconcilions la gauche avec la laïcité et la nation

Toutes les gauches en Europe ont été traumatisées par les nationalismes de droite et d’extrême droite du XXe siècle. Sauf le communisme soviétique. Après son écroulement fin des années 80, le néolibéralisme, devenu l’idéologie dominante, s’installe partout. Même les gauches anti-néolibérales sont influencées par l’idéologie libérale. Nous y reviendrons plus loin.

Sur d’autres continents, il en va autrement. En Amérique latine, le patriotisme est très marqué à gauche depuis la résurgence de la « Révolution bolivarienne » à la fin du siècle dernier. Même en Grèce, on ne peut pas comprendre la victoire de Syriza sans la dimension patriotique. Allons au bout du raisonnement, dans le monde actuel, nous disons pas de transformation sociale sans dimension patriotique. C’est déjà ce que disait le grand Jean Jaurès. Il développait l’idée que la transformation sociale et politique en France et en Europe devait lier les ruptures sociales de grande ampleur (y compris, disait-il, de l’entrée de la démocratie dans l’entreprise, ce qu’ont oublié toutes les gauches françaises) avec le patriotisme de gauche contre le nationalisme de droite et d’extrême droite, aujourd’hui alliés au néolibéralisme et que la bourgeoisie utilisera quand bon lui semblera.

Même la majorité de l’Autre gauche qui fustige le néolibéralisme est aujourd’hui fortement influencée par l’idéologie libérale, ce qui explique son penchant, malgré ses dénégations, pour le communautarisme de la démocratie anglo-saxonne et sa propension à chercher des alliances avec l’organisation internationale des Frères musulmans, ouvertement néolibérale. C’est cela qui a poussé les directions du PCF, d’Ensemble, d’Attac et de Solidaires à faire meeting commun le 6 mars dernier avec l’Union des organisations islamistes de France (organisation issue de l’organisation internationale des Frères musulmans) et ses succédanés. C’est cette imprégnation de idéologie libérale qui amène à développer des idées antirépublicaines, anti-laïques, antipatriotiques.

C’est ce qui conduit cette majorité de l’Autre gauche à une impasse, surtout en France, dont le peuple appelle à une forme républicaine, laïque et patriotique. Elle refuse de comprendre que la réaction populaire postérieure aux des 7, 8 et 9 janvier n’a que peu à voir avec la triste manipulation politico-médiatique élyséenne décidée quand François Hollande a compris qu’un mouvement partait sans la direction politique du pays. Mais elle refuse de regarder la réalité en face, pourtant bien visible, que les millions de manifestants ne provenaient pas que des « beaux » quartiers.

Répétons-le de nombreuses fois : aucune transformation sociale n’est possible, que ce soit en Amérique latine, en Grèce, en Espagne, au Portugal et bien sûr en France, sans un projet de rupture sociale, républicaine et patriotique souhaité par le peuple. Et il n’y a pas de peuple sans sa majorité ouvrière et employée. Et pour la France, parce que la France est, et de loin, le plus important pays d’immigration d’Europe depuis le XIIIe siècle, il faut y rajouter obligatoirement la dimension laïque.

L’Autre gauche a également jeté dans le caniveau le mot « républicain », ramassé aujourd’hui par l’ex-UMP pour faire croire à ce qu’ils ne sont pas. Nous nous serons fait voler le mot « socialisme » par les néolibéraux du gouvernement actuel, le mot « républicain » par les néolibéraux du gouvernement Sarkozy et le mot « patriotisme » par la nouvelle direction mariniste du FN. Tout cela parce que l’Autre gauche n’a pas été capable de porter haut et fort les concepts façonnés par les révolutions françaises, le Front populaire, la Résistance…

Dans cette impasse libérale et communautariste, la majorité de l’Autre gauche s’appuie sur une alliance très minoritaire du nouveau lumpenprolétariat produit par le néolibéralisme et des couches intellectuelles  « radicalisées ». Et ce développement mouvementiste, qui « pense » la généralisation de l’idéologie présente dans les « mouvements sociaux » de cette nouvelle alliance de classe, ne peut ainsi que se fourvoyer en tournant le dos à la transformation sociale et politique. Idéaliser ces « mouvements sociaux » en les survolant de très haut via des sociologues approximatifs (choyés par la nouvelle université néolibérale) ne suffit pas à construire un chemin émancipateur. De plus, leurs leaders, depuis leurs impasses, donnent des leçons au monde entier, même à ceux qui réussissent à rassembler leur peuple. Et sans jamais se poser la question du pourquoi, eux, n’y réussissent pas. Conscients de cela, ils ont décidé fin janvier 2015 de soutenir Syriza en parole, mais en fermant les yeux sur le pourquoi en Grèce du rassemblement du peuple, et en continuant, ici, à tourner le dos au peuple.

Voilà pourquoi l’éducation populaire est une nécessité non seulement dans le peuple mais aussi pour les quelques dizaines de milliers de responsables locaux associatifs, syndicaux et politiques. Voilà pourquoi, l’« après-Charlie », sauf à se complaire dans des impasses, ne peut-être en France que sur les principes de la République sociale, avec ses dimensions laïque, féministe, patriotique et écologique.

Voilà pourquoi toute analyse qui ne débouche pas sur des propositions concrètes ont de moins en moins d’intérêt pour le prolétariat ouvrier et employé, dont la majorité s’abstient aux élections. C’est à cette partie majoritaire du prolétariat qu’il faut parler, il ne sert à rien de pleurer sur la petite partie du prolétariat ouvrier et employé qui vote FN.

Voilà pourquoi les postures critiques sans projection dans le réel ne peuvent au mieux qu’interpréter le monde alors que la 11e thèse de Marx sur Feuerbach précisait déjà notre but, à savoir la transformation matérialiste du monde. Toute idée, même juste, ne peut devenir force matérielle que si, et seulement si, elle pénètre dans le peuple.