Et les femmes dans la liaison du combat laïque et du combat social  ?

“Emilie” est la signature de membres de la rédaction de ReSPUBLICA qui souhaitent animer dans le journal une rubrique plus régulière où il sera traité des questions féministes : c’est donc aussi un appel à contributions auprès des camarades qui se retrouveront dans la ligne énoncée ci-dessous (nous contacter).

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L’appel « Combat laïque Combat social »  récemment lancé, et que nous avons signé, nous conduit à réinterroger dans la période, la place de notre engagement en tant que militantes féministes… mais pas que. Et à affirmer qu’à notre sens le combat laïque et le combat social, pas plus séparément qu’ensemble, ne sauraient être complets sans l’émancipation féminine.

Alors même que les intégrismes religieux pèsent tout particulièrement sur les femmes (et les enfants), « Fédérer le peuple », comme l’indique le sous-titre de l’appel en question, c’est ne pas faire abstraction du combat féministe dans la question laïque ; c’est reconnaître au combat féministe une dimension universaliste, humaniste, une vision émancipatrice de la société.

Le combat « pour les droits des femmes » nous semble indispensable mais il ne contient toujours pas l’embryon d’une transformation sociale. Si nous ne discutons pas ou si nous ne remettons pas en cause la société patriarcale, la question des droits sera toujours dans une perspective de demande d’égalité des droits, qui reste théorique et ne permet pas de changer en profondeur la société.
Mais comme il faudra toujours aller des droits théoriques aux droits effectifs, il reste un bon marqueur des luttes à mener.

La recherche de « l’égalité entre les femmes et les hommes » (objet de notre actuel secrétariat d’État, ce qui est un signe) se distancie des notions de parité ou de discrimination positive et semble dire qu’il y a là un objectif atteignable par paliers dans le cadre de la société telle qu’elle est. Ce que nous récusons.

Que signifie en effet l’égalité entre les sexes dans une société capitaliste fondée sur les inégalités économiques, qui se nourrit par ailleurs de multiples discriminations, brutales, et qui accroît les différences entre les individus et les classes sociales ? Être les égales des hommes dans l’exploitation économique ? Être les égales de dominants eux-mêmes dominés voire opprimés par ailleurs… ? Non, il faut regarder au-delà de l’existant vers une égalité qui résulterait de la disparition des raisons d’être du patriarcat et du capitalisme.

L’émancipation des femmes reste une notion qui fait sens si l’on veut bien admettre que les femmes ne sont pas les seules à devoir être émancipées du fait de quelque retard congénital ! Au sens premier qui est celui de l’autonomie juridique par rapport à un maître, l’émancipation semble acquise dans nos pays. Reste l’émancipation des esprits et des comportements qui a des racines multiples : les hommes comme les femmes doivent s’émanciper des représentations et des rôles stéréotypés qui les contraignent les uns et les autres, mais rares sont celles/ceux qui y parviennent contre leur milieu social et, bien entendu, les femmes sont dans des positions qui les entravent dans la voie de l’émancipation, que ce soit sur le plan du couple, de la famille, de la vie professionnelle. C’est pourquoi le combat laïque, le combat social et le combat féministe doivent aujourd’hui être simultanés, trouver des lieux d’expression et des formes d’action conjointes.

S’agissant de la lutte idéologique/culturelle, beaucoup reste à inventer (comme l’éducation populaire féministe) pour résister au rouleau compresseur de la société du spectacle, de la consommation et des violences qui conditionne les femmes et les hommes dès leur jeune âge. Les femmes ont été assignées à être les gardiennes “symboliques” des traditions patriarcales. A cet égard, la tribune « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » (Le Monde du 9 janvier 2018) est un exemple saisissant de la persistance de cette aliénation.

Si l’affaire Weinstein a déclenché une lame de fond qui a mis en lumière les violences sexuelles subies par les femmes, les choses sont bien plus profondes. Les violences sont nombreuses, en fait il ne s’agit pas seulement des violences physiques, des meurtres, des viols, des mutilations, des agressions, des sévices physiques, moraux et psychologiques. La violence structure la vie des femmes dans une société façonnée par la domination patriarcale et, atteignant les femmes dans leurs droits à la vie, à la santé et à l’intégrité physique, constitue l’une des principales formes de violation des droits humains.

La violence contre les femmes prend une forme spécifique car elle a une dimension domestique/privée ; c’est au sein même de la famille où elles pourraient se croire protégées que cette violence est la plus répandue. En 2017, 126 femmes en France ont été tuées par un mari, un amant, un compagnon, un “amoureux”. Cette violence est dans la majorité des cas camouflée, ou tout simplement niée par la société. Le traitement médiatique des féminicides en donne un exemple éclairant : ” crime passionnel”, “drame conjugal”… quand il ne s’agit pas de faire porter la faute à la victime. Dans les affaires de viol, de même, c’est souvent à la victime de prouver qu’elle n’était pas consentante ou provocante. “Elle était habillée comment”? “pourquoi elle a été à son hôtel ? “…. A travers les affaires qui défrayent la chronique médiatique en France, on se rend compte du travail de conscientisation, de formation, de déconstruction des stéréotypes qui reste à faire tout particulièrement auprès des juges, des avocats, des policiers, des institutions, pour sortir du déni du viol et féminicide qui garantit l’impunité des agresseurs.

Pour la première fois au niveau international (en 2011), la violence contre les femmes est considérée comme une violation des droits humains, avec la convention d’Istanbul qui définit un cadre de prévention et de lutte. Emmanuel Macron a fixé comme grande cause du quinquennat l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Les conventions et les déclarations sont-elles suffisantes pour un changement réel de la situation ? Il nous est permis d’en douter si les textes ne sont pas accompagnés par des moyens financiers et des mesures contraignantes.

L’éducation et le combat culturel en faveur de l’égalité sont-ils alors l’outil pertinent – et suffisant – pour faire évoluer profondément notre société, pour effacer les violences structurelle et institutionnelle ?

Si nous ne comprenons pas les relations de pouvoir qui régissent les relations hommes-femmes, si nous ne remettons pas en cause ce système de pouvoir basé sur la subordination des femmes, aucune solution efficace ne pourra être trouvée.

Avec la crise du capitalisme actuel, structurante, nous vivons dans une société où les inégalités économiques augmentent, les écarts de salaire entre les hommes et les femmes – en moyenne de 26 % – demeurent : 60 % des entreprises de plus de 300 salariés et 70 % des entreprises de 50 à 300 salariés n’ont pas signé d’accord sur l’égalité professionnelle. Peu ou pas de sanctions à ce jour…

Les lois qui régissent le travail depuis 2013 (loi de sécurisation de l’emploi, Rebsamen 2015, loi travail 2016, ordonnances d’août 2017 précarisent les salari-e-és et desservent du fait même la cause des femmes, rendue moins audible.

Si le combat pour l’égalité est aussi économique, nous savons que dans une société capitaliste le combat féministe n’est pas résolu par la seule demande d’égalité salariale. Les choses sont beaucoup plus complexes entre les rapports de genre, les rapports de classe et les différents rapports de pouvoir de domination et d’exploitation.

Comment les États pourraient-ils s’exonérer de leurs responsabilités face au poids des mentalités qui pèsent sur l’évolution du rôle des femmes et sa place au sein de la famille et de la société ?

A l’heure où le rôle et la place des femmes sont des sujets sensibles, nous nous interrogeons toujours : pourquoi l’absence dans le débat du lien entre laïcité et justice sociale, aussi bien pour l’égalité entre les femmes et les hommes que dans la lutte contre toutes les formes de discrimination ?

Les femmes sont confrontées aux archaïsmes de la société patriarcale en dépit de leur participation active à la construction de la société, elles sont toujours renvoyées à leur rôle traditionnel d’épouse et de mère. Parler de la laïcité sans son rapport avec les droits de femmes consisterait à faire abstraction du combat des femmes contre l’intégrisme et les pouvoirs politico-religieux pour l’émancipation des femmes et des jeunes filles.

Même si, dans nos sociétés occidentales et sécularisées, le lien entre le politique et le religieux semble s’être atténué, les femmes redeviennent l’enjeu idéologique sous la pression d’organisations politico-religieuses, obscurantistes, rétrogrades, en faveur du retour à l’ordre social communautaire et religieux qui mènent une bataille féroce contre les laïques et les progressistes. Les femmes sont ainsi assignées à être les gardiennes “symboliques” de la valeur suprême de la famille, des spécificités culturelles et des identités.

Sans se limiter à défendre la laïcité uniquement sur la base de la séparation entre les domaines de la religion et de l’autorité publique, du respect des croyances, de la liberté de conscience, il est nécessaire, en inscrivant le combat féministe aux côtés du combat laïque et du combat social, de donner à cette liaison sa pleine dimension politique.

La laïcité est fondatrice de la citoyenneté. Elle contribue à la mise en place de l’égalité des droits des individus dans l’intérêt général. Elle est un acquis social majeur pour l’expression du principe d’égalité entre les femmes et les hommes et l’émancipation des citoyens et des citoyennes.

Le féminisme que nous défendons ici, parce qu’il veut lutter de façon théorique et de façon concrète contre les formes du patriarcat correspondant au capitalisme actuel, apportera sa pierre aux forces progressistes.