La retraite expliquée aux nuls

Pour imposer aux Français une réforme de la retraite qu’ils ne veulent pas, Nicolas Sarkozy utilise des arguments discutables, pour ne pas dire mensongers.
Tout d’abord, il faut évacuer rapidement les lieux communs du genre : « l’augmentation de la durée de cotisation va combler le déficit ». Si on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’un français rentre dans le monde du travail à l’âge de 27 ans en moyenne. Or en 2008, ce même français sort de l’emploi salarié à l’âge de 59 ans en moyenne. Sur ces bases, ils ne seront donc qu’une minorité à pouvoir cotiser pendant 42 ans. lien

Autre bêtise remarquable : « l’allongement de la durée de la vie rend nécessaire l’allongement de la durée de cotisation ». La cause du déficit et du fait qu’il va continuer à se creuser n’est pas l’allongement de la durée de vie, mais l’augmentation du chômage. Pourquoi ne pas empêcher les délocalisations, et interdire les licenciements dans les entreprises non déficitaires ? En effet, les cotisations retraite sont prélevées uniquement sur les salaires, d’où le problème. Si elles étaient prélevées sur les richesses, il n’y aurait plus de problème.

En 1950 il fallait 4 travailleurs pour payer la retraite d’un seul individu, et en 2010, il suffit d’1,75 cotisant pour le même résultat. lien Franck Lepage et Gaël Tanguy le démontrent avec humour dans cette vidéo.

Contrairement à une idée reçue, les profits sont peu imposés en France. C’est Christine Lagarde qui le dit : « il existe en France un écart significatif entre le taux d’imposition facial des bénéfice des entreprises, qui est de 33,3, et le taux réel qui est de 22%. La première raison à cela est l’existence en France de nombreuses exonérations ou taux réduits dont les grands groupes savent tirer parti »

Le déficit des retraites se monte en 2010 à 39 Milliards, or l’ensemble des exonérations de charges sociales pour les entreprises se monte à 40 milliards. La fraude dans ce domaine s’élève à 30 milliards d’euros. lien Cherchez l’erreur ?

Un autre argument est avancé par le gouvernement : « dans les autres pays, l’âge de la retraite a été repoussé ». Même si tous les autres pays faisaient çà (ce qui n’est pas le cas) ça ne signifierait pas pour autant qu’ils aient raison. On nous affirme que l’âge de la retraite en Allemagne serait de 67 ans ?! Totalement faux, ce sera 67 ans (peut-être) en 2030, et d’ici là beaucoup de choses peuvent changer. Il faut ajouter qu’en Allemagne, le nombre d’annuités à cotiser n’est pas de 40 ans (ce qui est le cas en France) mais de 35. Avant de prendre une telle décision, il y a eu en Allemagne de réels débats, jamais de passage en force, comme en France. En Suède, l’arbitrage a duré 10 ans.

Ce power-point résume bien la situation tout comme cette vidéo

Les députés que nous avons élus avaient-ils le droit de voter contre ceux qui les ont élus ? Espérons que les citoyens s’en souviendront en 2012, lors des législatives. Mais qu’en est-il de la retraite de ces mêmes députés ? Connaissez-vous l’histoire de l’amendement n° 249 ? Quelques députés verts audacieux (Annie Poursinoff, Yves Cochet, Noel Mamère, et François De Rugy) avaient proposé de reconsidérer les avantages considérables qu’ils ont en matière de retraite : ils ne cotisent qu’à hauteur de 12%, le reste (52 millions d’euros annuels pour tous les députés) est payé par l’Etat, c’est-à-dire par nous. Pour 1 € cotisé, ils reçoivent à leur retraite 6 euros, alors que nous ne recevons dans le meilleur des cas qu’1,50 € pour 1 € cotisé. Le 9 septembre 2010, l’amendement a été rejeté. Regardez cette vidéo du débat.

Comme le dit Gérard Filoche, inspecteur du travail, 57% de nos concitoyens pensent qu’il ne faut pas toucher la retraite à 60 ans. Libre à chacun de travailler jusqu’à la mort, mais on n’a pas le droit d’obliger une personne à travailler plus qu’il ne veut, ou qu’il ne peut. Gérard Filoche, fait sur cette vidéo en deux parties de 20 petites minutes un très bon résumé de la situation.

Il épingle brillamment Sarközy, lequel prétend que nous avons gagné 40 ans d’espérance de vie. Filoche évoque des évidences : à 55 ans, 2 maladies sur 5 sont liées au travail, et à 60 ans, 3 maladies sur 5 sont liées au travail. L’ouvrier qui a passé sa vie derrière un marteau piqueur n’a pas la même espérance de vie que celle d’un fonctionnaire. Allons-nous voir des infirmières de 62 ans continuer à s’occuper de leurs patients alors même qu’elles auraient besoin de souffler ? Devront-elles le faire en déambulateur ? Mais au delà des pénibilités physiques, il évoque aussi les pénibilités mentales : un instituteur qui a passé 35 ans de sa vie à gérer des classes surchargées, et des enfants turbulents ne voit pas d’un œil très réjoui arriver l’obligation de travailler toujours plus tard. Il y a en France 180 000 accidents cardio-vasculaires annuels dont la moitié est liée à l’activité professionnelle. Gérard Filoche raconte le décès d’un homme, qui après 15 heures de travail, sortant de son bureau, est mort brutalement sur le trottoir. Cet accident cardio-vasculaire n’a pas été comptabilisé comme « accident du travail », puisqu’il s’est produit dans la rue…

Et que dire des cancers liés au travail : ils ne sont pas comptabilisés, mais ils existent malgré tout. Et Filoche de faire un constat cruel : travaillez plus longtemps, vous mourrez plus tôt. Il se base pour justifier cette affirmation sur une information indéniable : Les assurances sur la vie, pour lesquelles nous sommes régulièrement sollicités, se basent pour leurs calculs sur une « table de mortalité ». Or, ces tables disent que si nous travaillons 2 ans de plus, nous vivrons 1 an de moins. Gérard Filoche se bat aussi pour la terminologie des mots : « Il n’y a pas de charges sociales en France, il n’y a que des cotisations, qui sont prélevées sur nos salaires, mise dans un pot commun et qui sont redistribuées à chacun suivant ses besoins. Ce ne sont pas des prélèvements obligatoires, ce sont des prélèvements volontaires, et nos ainés se sont battus pour ça ».

Il épingle aussi Christine Lagarde, critiquée pour avoir obligé les chômeurs de 57 ans à continuer d’aller « pointer au chômage ». lien Elle a commis une bourde terrible en lâchant : « Quand on a 57 ans, on n’est pas fichu », mais alors, répond Gérard Filoche : « c’est quand on est fichus qu’on a droit à la retraite ? ». L’INSEE calcule l’espérance de vie en bonne santé : 63 ans pour les hommes et 64 ans pour les femmes, et 59 ans pour les ouvriers. Il conclut par cette évidence : Les plus belles années de la retraite, c’est entre 60 et 65 ans, et les plus dures années de vie au travail, c’est entre 60 et 65 ans.

Les 500 premières familles les plus riches de France pèsent 194 milliards d’euros. Il y a 378 000 millionnaires en euros en France. Face aux 8 millions de français qui vivent dans la pauvreté (moins de 950 € par mois), la France arrive en troisième place au nombre des millionnaires. lien

La France n’est pas pauvre, les richesses sont seulement moins bien partagées.

Le gouvernement a exonéré (charges sociales) les entreprises à hauteur de 45 milliards, après avoir affirmé qu’ils avaient de la peine à trouver 400 millions d’euros pour les chômeurs en fin de droit, qu’ils qualifient aimablement d’assistés.

Mais, comme le dit Gérard Filoche, les assistés, ce sont les patrons. Les niches fiscales les plus importantes, celles consenties aux plus nantis, représentent 72 milliards d’euros. Si on additionne tous ces milliards, on voit qu’il y a donc largement de quoi payer les retraites. Il y a donc aujourd’hui l’évidente volonté de l’état de casser le système actuel, afin de favoriser les sociétés d’assurances, lesquelles vont bientôt pouvoir nous proposer des « retraites à la carte ».

Médiapart l’affirme le 14 octobre 2010 : « La réforme va conduire à l’asphyxie financière des grands régimes par répartition et sera donc propice à l’éclosion de ces grands fonds de pension qui n’étaient pas encore parvenus à s’acclimater en France ».

(Ceux-ci sont responsables aux USA des faillites que l’on sait, alors que le peuple américain était globalement hostile à la retraite par répartition. Bernard Madoff qui s’occupait des placements en bourse de ces fonds de pension, est l’un des principaux artisans de cette faillite).

Parmi les opérateurs privés qui vont opérer en France, on trouve le groupe Malakoff Médéric, dont le délégué général n’est autre que le frère du Président : Guillaume Sarkozy. lien

La boucle est donc bouclée, car comme dit mon vieil ami africain : « Un acacias ne tombe pas à la volonté d’une chèvre maigre qui convoite ses fruits ».