Le travail du dimanche au forceps

Un seul accord de branche, des salariés qui refusent de sacrifier leur vie personnelle, une intersyndicale combative, une possible scission à la CFDT : alors que de nouvelles mobilisations se préparent, l’application de la loi Macron provoque des remous et patine.

L’extension du travail dominical, la mesure emblématique de la loi Macron, adoptée le 7 août 2015, a du plomb dans l’aile. Bien sûr, quelques accords ont depuis été signés : un seul au niveau d’une branche, celle de la bijouterie, par la CFDT et FO de la métallurgie, avec une majoration de salaire pour le travail dominical égale à 50 %, un montant décevant au regard des moyens du secteur en question. Au niveau des entreprises, on compte Etam, le groupe Inditex (Bershka, Oysho, Zara, etc.), Marks & Spencer et Nature et Découvertes, le plus souvent avec l’aval de la CFDT et de la CFTC. Le cas de Darty, qui a communiqué dès octobre 2015 sur un tel accord, mérite qu’on s’y attarde : l’enseigne prétend appliquer les dispositions issues de l’accord de la négociation annuelle obligatoire de 2010 pour ses sept magasins parisiens ouverts chaque dimanche, dont deux ne sont même pas situés en zone touristique internationale (ZTI)…

L’Inspection du travail s’est depuis saisie de cette situation. Les accords en question prévoient le plus souvent le doublement du salaire par dimanche travaillé, mais tendent à entériner deux catégories de salariés : ceux déjà en place, qui verraient le travail dominical comme une opportunité, et les nouveaux embauchés, pour lesquels il ferait partie des clauses inscrites dans le contrat de travail, au risque d’avoir bien du mal à revenir en arrière en cas d’évolution de leur situation, alors que c’est bien le volontariat qui est censé prévaloir quel que soit le type d’ouverture.

Sur le travail en soirée, mis en place par exemple chez Marionnaud et Sephora, les accords signés à ce jour sont le plus souvent une pâle photocopie de la loi : le salaire est doublé, guère plus, pour la période de travail qui va de 21 heures à minuit. Plus encore, l’employeur met à disposition un taxi pour raccompagner le salarié à son domicile pour les plus chanceux dès 21 heures et, pour les autres, à partir de 23 heures, la loi ne précisant pas d’heure limite. L’ouverture dominicale annuelle des commerces, portée elle de cinq à douze dimanches, ce qui constitue déjà un sacré recul social, se met lentement mais sûrement en place ; or, selon le journal très libéral L’Opinion, les maires à l’origine de ces décisions seraient dans l’illégalité dans 25 % des cas

Des accords en trompe-l’œil

Le « non » victorieux, même d’une courte tête, à l’accord sur le travail dominical au BHV en novembre 2015, avait résonné comme un coup de tonnerre : preuve était faite que contourner les syndicats hostiles à cette ouverture n’était pas une chose aisée. La négociation lancée au niveau des grands magasins patine également, à tel point que les Galeries Lafayette ont décidé de lancer leur propre négociation d’entreprise le 4 février prochain.

La réplique n’a pas tardé : suite à la signature, le 19 janvier dernier, d’un accord de groupe sur le travail dominical et nocturne à la Fnac par la CFDT, la CFTC et la CGC, les syndicats CGT, FO et SUD, majoritaires sur l’enseigne, ont fait part de leur volonté de mettre en œuvre leur droit d’opposition. Bien sûr, les médias dominants ont glosé sur le caractère mirifique de cet accord mort-né : pensez-vous, il était question de tripler la rémunération douze dimanches par an ! Or, à y regarder de plus près, la Fnac ne faisait que monétiser le jour de récupération, prévu par la loi pour les ouvertures dominicales exceptionnelles, en sus du doublement de la rémunération. Il était aussi question d’embaucher 2,6 % de salariés supplémentaires pour faire face à l’extension des horaires d’ouverture, un chiffre qui aurait été absorbé dans les six mois qui suivent au rythme des suppressions régulières d’effectif du groupe.

Du rififi à la CFDT

Il n’en fallait pas plus à Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État en charge des relations avec le Parlement, pour étaler sa haine : interviewé récemment, il a déclaré qu’il y avait trop de syndicats en France – comprendre qu’il y a encore des syndicats qui osent dire non, comme à la Fnac. Ce petit monsieur, qui suggérait de baisser les allocations des chômeurs, va jusqu’à menacer les syndicats en expliquant que, de toute manière, « il y aura des élections ». Un argument qui ne manque pas de sel de la part d’un membre du gouvernement qui les a toutes perdues depuis son accession au pouvoir en 2012 !

À la Fnac même, la signature de l’accord par la CFDT de l’enseigne passe mal : ainsi, ce sont tout de même 8 sections sur 17 qui se sont prononcées contre ce dernier. Le 18 janvier dernier, c’est au tour du SCID (Syndicat du Commerce Interdépartemental) CFDT, fort de ses 4 000 adhérents et membre du CLIC-P1, de se désaffilier de la centrale du boulevard de la Villette suite au désaccord persistant sur la question du travail dominical. Pourtant, Laurent Berger n’avait pas ménagé sa peine pour faire revenir ses moutons (noirs) au bercail, n’hésitant pas à modifier le règlement intérieur de la confédération pour prolonger à sa guise la tutelle exercée depuis deux ans sur le syndicat !

Vers de nouvelles actions plus offensives

La situation est loin d’être figée. Chez Apple, la signature d’un accord au rabais par la seule CFTC, avec seulement 65 % de majoration par dimanche travaillé, a été repoussée sine die suite à sa médiatisation. Plus encore, la ministre du Travail Myriam El Khomri a annoncé vouloir étendre le recours au référendum après avoir juré le contraire il y a trois mois. Il suffirait donc qu’un accord collectif soit entériné par au moins 30 % des syndicats puis recueille l’approbation majoritaire du personnel de l’entreprise concernée pour s’appliquer et ainsi faire litière du droit d’opposition des syndicats majoritaires. Bref, il faut sauver le soldat Fnac !

Le CLIC-P (1)Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris (CGT, CFDT, SUD, Unsa), fer de lance de la contestation, rejoint par les fédérations CGT et FO du commerce ainsi que par la CFTC Paris, a déposé en novembre dernier des recours contre le décret instituant les ZTI ainsi que plusieurs arrêtés les délimitant dans Paris. Le Conseil d’État se prononcera dans quelques mois, que le tribunal administratif, saisi quant à lui à l’encontre de l’arrêté du préfet de Paris relatif aux dimanches d’ouverture exceptionnelle en 2016. Enfin, une assemblée générale est prévue en mars prochain où la mise sur pied d’actions revendicatives inter-entreprises pour l’augmentation des salaires et la lutte contre le temps partiel imposé seront débattus. Après le temps de la résistance, voici venu celui de la contre-offensive !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris (CGT, CFDT, SUD, Unsa