Démocratie bafouée, vers une démocrature ?

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Caricature proposant à un électeur de glisser son bulletin de vote dans une urne funéraire

Les dernières manifestations pour réclamer que la justice et la vérité soient enfin faites sur les violences commises par certains, la crise sanitaire, le mouvement des « Gilets jaunes » auparavant… révèlent un gouvernement macronien qui passe allègrement au-dessus des grands principes qui font qu’un régime peut être qualifié de démocratique ou non.

Assurer et promouvoir l’équilibre des pouvoirs

L’un de ces grands principes est la séparation des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, principe cher à Montesquieu qui dans « De l’esprit des lois » constatait que c’est « une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. (…) Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». De ce fait, il fallait assurer l’équilibre des pouvoirs et, dans le même temps leur indépendance, entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

Remise en cause flagrante de ce principe par le pouvoir macronien

  • Or, plusieurs faits montrent qu’avec Emmanuel Macron, ce n’est plus tout à fait le cas :
    Création par l’exécutif d’une « commission qui portera un regard indépendant et collégial sur la crise ». Cela sous-entend que la commission parlementaire prévue ne le serait pas. Si tel était le cas, il y aurait urgence à modifier le mode d’élection pour que tous les courants de pensées politiques qui traversent notre société soit équitablement représentés. Quand une fraction politique qui représente, à l’élection présidentielle, à peine 17 % du corps électoral, obtient 80 % des députés, il y a un problème de démocratie et de représentativité du corps électoral et donc de sincérité du scrutin.
  • Examen du dossier de Adama Traoré par la ministre de la justice. C’est une atteinte au principe qui veut que le judiciaire soit indépendant. Si ce n’était pas le cas et le temps mis pour juger de cette affaire dramatique le montrerait, il y aurait donc urgence à conduire les réformes judiciaires pour que la justice soit réellement rendue « au nom du peuple français » : sortir de la « clochardisation » des tribunaux, donner les moyens humains et financiers pour assurer des délais raisonnables dans les traitements des dossiers et, plus fondamentalement, d’autres réformes de fond développées plus loin…
  • Eliane Houlette, l’ancienne chef du Parquet national financier en charge du dossier Fillon en 2017, fait état de pressions qu’elles auraient subies de la part de sa hiérarchie. Elle dénonce le fait que le pouvoir exécutif ayant à sa main “les carrières” des procureurs, ces derniers sont enclins à la docilité. « La magistrature a chevillé au corps la culture de la soumission au politique, qui fait et défait les carrières. » Cela valide les doutes légitimes que tous les citoyens peuvent avoir sur l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle formulait “le vœu que les travaux” de la commission parlementaire “permettent d’identifier certaines voies d’amélioration”.
    Il y a donc urgence à, comme le souhaite cette magistrate, « identifier certaines voies d’améliorations ».

Méfiance du système Macron à l’égard de toute exigence démocratique

Ces faits montrent la nature du macronisme qui manifeste une méfiance viscérale à l’égard des corps intermédiaires comme les syndicats, notamment ceux qui contestent l’oligarchie, à considérer la démocratie comme un principe incapable de « mettre le pays sur les rails de l’efficacité et de la compétitivité ». Il faudrait donc pour le bien de toutes et tous prendre des décisions majoritairement contestées et contestables comme le détricotage du code du travail, la réforme régressive des retraites. Cela correspond aux propos de Junker : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens… »

Quelles voies d’amélioration pour éviter une dérive vers la « démocrature » ?

Pour restaurer la démocratie et donc la séparation des pouvoirs, des réformes sont à débattre et à mettre en œuvre telles que celles-ci-dessous citées pour assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire et législatif.
Il serait indispensable sur le plan judiciaire :

  • de créer un Conseil supérieur de la justice désigné par les magistrats et le Parlement en lieu et place de l’actuel Conseil supérieur de la magistrature.
  • d’interdire les instructions ministérielles au Parquet et de définir des lois d’orientation de politique pénale, débattues et votées par le Parlement.
  • de dépasser le dualisme juridictionnel (Conseil d’Etat pour l’ordre administratif et Cour de cassation pour l’ordre judiciaire) en supprimant le Conseil d’Etat et en créant une juridiction suprême commune. La Cour de cassation est, dans l’ordre judiciaire français, la juridiction la plus élevée. Sa finalité est d’unifier la jurisprudence, de faire en sorte que l’interprétation des textes soit la même sur tout le territoire. Elle est appelée, pour l’essentiel, non à trancher le fond, mais à dire si, en fonction des faits, les règles de droit ont été correctement appliquées. Elle est en réalité le juge des décisions des juges : son rôle est de dire s’ils ont fait une exacte application de la loi au regard des données de fait. Le Conseil d’Etat, dont le rôle est de conseiller le gouvernement et en réalité de protéger le pouvoir exécutif, aboutit à des divergences qui nuisent à la cohérence du droit et à la garantie de sécurité juridique. Par ailleurs, l’indépendance et l’impartialité du Conseil d’État sont remises en cause par la cour de Strasbourg. La fusion de ces deux ordres seraient une des voies pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Une pratique dangereuse pour la démocratie : le Lawfare 

Les lois spécifiques à la lutte, comme la privation de liberté, contre le terrorisme et le grand banditisme sont appliquées, dans 95 % des cas, à des militants politiques ou syndicaux.
Le Lawfare – instrumentalisation de la justice et de la police à des fins politiques – est la résultante d’une volonté délibérée de détourner l’arsenal judiciaire pour lutter contre le terrorisme et le grand banditisme contre les opposants politiques et syndicaux actifs contre l’oligarchie. Pour y parvenir, le pouvoir s’appuie sur des procureurs, des policiers dont on a vu que leur indépendance est sujette à caution, déroulement de carrière oblige. Cela s’accompagne d’échanges de bons procédés avec certains médias dont 90 % sont aux mains de quelques milliardaires. Pour ces médias, il s’agit de dévoiler des « fuites » et sous-entendre sans démontrer tout en ne diffusant que la version des enquêteurs à charge. Le Lawfare est assorti du déni des droits de la défense : pas d’accès aux pièces du dossier (hormis pour certains médias grâce à des « fuites »).
Le cheminement qui caractérise un Lawfare est souvent celui-ci :
– dénonciations sans preuves d’acteurs politiques et syndicaux opposés au système oligarchique en place,
campagne de presse hostile et à charge,
– ouverture de procédures judiciaires longues où les droits de l’accusé sont bafoués comme l’accès aux pièces du dossier…

Assortir la démocratie dite représentative en panne de principes de démocratie directe

Il s’agit de revivifier les pratiques démocratiques et redonner sens à la notion de « souveraineté populaire ». Le manque d’appétence d’un nombre de plus en plus important de citoyens pour ce qui est considéré comme un devoir « déposer un bulletin de vote » doit nous interpeller sur la démocratie représentative quand bien même les principes définis par Montesquieu seraient appliqués. Cette abstention, en partie la conséquence du constat légitime que, quel que soit le vote, le système oligarchique se maintient et n’est modifié que sur la forme, cette abstention nous impose de réfléchir à une nouvelle constitution donnant une place suffisante à la démocratie directe pour assurer une authentique souveraineté du Peuple et appliquer le principe « Le gouvernement du peuple par le peuple. »
Des propositions élaborées lors de la campagne présidentielle de 2017 et lors du mouvement des « Gilets jaunes » sont à débattre telles que :

  • accorder le droit de révoquer un élu en cours de mandat par référendum selon des modalités à définir,
  • donner la possibilité aux citoyens de proposer des lois par un référendum d’initiative citoyenne,
  • instaurer la proportionnelle et la séparation des pouvoirs à tous les échelons,
  • imposer le recours au référendum pour la ratification de tous nouveaux traités ou de toute modification de la Constitution,
  • remplacer le Conseil économique, social et environnemental par un organisme composé de citoyens dont la finalité serait de donner un avis sur les conséquences écologiques et sociales des lois, organisme dont le mode de désignation de ses membres est à définir : tirage au sort, nominations par des instances diverses…

Ne pas oublier la nécessaire citoyenneté dans tous les lieux de travail

Cette démocratie dans la cité, dans la République, très imparfaite comme on l’a vue, qui a instauré la citoyenneté doit pénétrer dans les entreprises en renforçant les droits et moyens des Comités d’entreprise concernant notamment les plans et stratégies à long terme, en favorisant les pouvoirs d’intervention des salariés, en facilitant l’émergence de Sociétés coopératives de production, en imposant une présence suffisante des représentants de salariés dans les conseils d’administration…

L’aboutissement d’une démocratie « complète » est la République

La démocratie qui peut être considérée comme la somme d’intérêts particuliers, surtout dans sa forme anglo-saxonne, est une idée générale en laquelle tout le monde peut s’entendre. Son aboutissement auquel nous devons œuvrer est la République telle qu’elle a été théorisée sous la Révolution française au travers de la Déclaration des droits de l’homme et également dans les premiers temps de l’indépendance des Etats-Unis. Cette République, vision radicale de la démocratie, est le souci de l’intérêt général, souci considéré comme la vertu cardinale d’un régime républicain digne de ce nom ainsi que l’affirmait Montesquieu dans son ouvrage « De l’esprit des lois ».