La règle verte, l’outil indispensable pour prendre en compte la priorité écologique Avec un commentaire de la Rédaction de ReSPUBLICA

NDLR – Chaque année, l’activité humaine consomme davantage de ressources naturelles que la Terre ne peut en fournir et produit davantage de déchets humains que l’écosystème humain ne peut en absorber. Le déséquilibre qui en résulte constitue la dette écologique. Les premières mises en garde face à une telle situation remontent en 1972 avec le rapport du Club de Rome « The limits of growth ». Vingt ans plus tard à Rio, un appel de 1 700 scientifiques dresse un état des lieux avec cette mise en garde « les être humains et le monde naturel sont sur une trajectoire de collision ». Vingt-cinq ans après, la trajectoire n’est pas déviée et ce sont 15 000 scientifiques qui adressent une mise en garde « avant qu’il ne soit trop tard » à l’ouverture de la COP23, appel dont ReSPUBLICA s’est fait l’écho dans son précédent numéro.

La dette écologique est engendrée par le capitalisme et le productivisme, en raison d’un système de production et de consommation de masse axé uniquement sur le profit. Dans un tel système, le travail ne vise pas seulement à produire des valeurs d’usage pour satisfaire les besoins humains mais à produire de la valeur et cela à l’infini quel qu’en soit les conséquences sociales et écologiques. La transformation radicale de nos modes de vie devient une exigence face à l’urgence écologique.

Martine Billard (PG, secrétaire nationale à l’écologie) présente la règle verte comme l’outil pour prendre en compte la priorité écologique. On peut y voir une réponse politique radicale d’autant plus forte si elle est insérée dans la Constitution. C’est lors d’un meeting à Clermont-Ferrand en mars 2012 que Jean-Luc Mélenchon évoque pour la première fois l’idée de la règle verte pour introduire dans le débat politique la question du temps long de la planification écologique. Depuis, aucun débat politique de fond n’est intervenu pour examiner comment la règle verte peut être l’amorce d’une transformation sociale et écologique de notre société ;

  • la règle verte est-elle compatible avec les fondamentaux de l’Union européenne ?
  • Avec quels pays peut-on envisager un coopération commune sur une telle base ?
  • Comment les organisations syndicales réagissent-elles à l’énoncé d’un tel concept qui surplombe l’ensemble des activités du pays ?

RESPUBLICA en publiant l’article de Martine Billard  ci-dessous souhaite ouvrir le débat sur cette question qui est la réponse politique à l’appel des 15 000 scientifiques pour que demain ne soit pas trop tard.

Michel Marchand

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La règle verte, l’outil indispensable pour prendre en compte la priorité écologique

Dans la course à la compétitivité, le court terme domine les choix économiques. Il faut faire le plus de profit le plus rapidement possible. Mais aujourd’hui il n’est plus possible d’ignorer la contrainte écologique. Aussi tout est repeint en vert. Mais sans vision globale. Car il n’est pas question de remettre en cause les profits financiers.

Pourtant, le réchauffement climatique avec la cohorte de dérèglements qu’il entraîne, la raréfaction d’espèces animales et le recul d’espèces végétales, les pollutions et contaminations avec leurs conséquences sur la santé, sont bien réels.

La population mondiale continue à augmenter avec ses conséquence en terme de besoin de production agricole et d’espace pour se loger.

Ces réalités provoquent beaucoup de discours mais peu d’actions, il sera toujours temps demain.

Pourtant il y a urgence à une remise en cause incontournable de notre modèle de production, d’échange et de consommation.

En France, sous la pression des luttes écologistes, la Charte de l’Environnement a été intégrée en 2005 dans le bloc de constitutionnalité. Elle affirme trois principes : prévention, précaution et pollueur-payeur. Depuis son adoption, nombreuses ont été les offensives pour la faire modifier notamment l’article 5 portant sur le principe de précaution accusé d’empêcher le progrès technique et de paralyser la recherche.

En fait le contentieux est très réduit, le conseil constitutionnel est très timoré dans ses décisions et il a refusé que la Charte puisse servir à contrôler des dispositions législatives.

Le Code de l’environnement précise le principe de précaution à l’article L 110-1. Son application est restreinte par l’introduction «à un coût économiquement acceptable ». Or nous savons que dès qu’on oppose l’économie à l’écologie, la réaction première est comme dirait Sarkzoy « l’environnement ça commence à bien faire ». Mais à toujours repousser le moment des choix douloureux, on prépare des lendemains encore plus difficiles.

Le principe de précaution est aussi limité par l’existence du principe de compensation introduit par par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et précisé par en 2016 par la loi biodiversité à l’article L. 163-1.-I Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette. Il est aussi question d’équivalence écologique.

Voici ce que dit Maxime Combes, économiste d’Attac, de ce principe de compensation : « les surfaces impactées sont sous-estimées, les zones humides sont mal caractérisées et sous-évaluées, la biodiversité présente est minorée (oubli d’espèces, etc). De nombreux travaux scientifiques internationaux soulignent également l’échec des dispositifs de compensation et l’impossibilité de récréation de milieux constitués au fil des siècles (on ne remplace pas un arbre vieux d’un siècle par dix arbres âgés de dix ans ou une prairie naturelle ancienne par un pré saturé en nitrates). «

La création de sites naturels de compensation ouvre la voie à des activités spéculatrices avec la vente d’unité de compensation. Une fois de plus après le marché carbone, échec retentissant de lutte contre les émissions de CO2, un gouvernement invente la marchandisation de la nature pour soi-disant la sauvegarder.

Le principe de précaution tel qu’affirmé par la Charte de l’environnement et défini par le code de l’environnement est donc largement insuffisant. On le voit d’ailleurs à l’usage puisque ni la Charte ni le code ni la loi biodiversité n’ont été considérés par les tribunaux comme opposables au projet de Notre-Dame des Landes.

Il est donc indispensable de réaffirmer la nécessité d’une pensée globale et de la gestion du temps long des ressources de notre planète. Car une fois des espèces disparues on peut toujours se lamenter mais c’est trop tard. Si on continue à déforester et à bétonner les sols, à faire disparaître les zones humides qui servent à absorber les pluies excédentaires, il ne faut pas ensuite s’étonner des inondations.

C’est pourquoi il faut affirmer la priorité écologique sur l’intérêt économique. Il est urgent de diminuer nos émissions de CO2 sous peine de se retrouver sur une planète difficile à vivre et en proie à des conflits armés pour l’accès aux ressources indispensables : eau, terre, air non pollué.

La règle verte, que nous voulons inscrire dans la constitution, c’est l’obligation de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer ni de produire plus que ce qu’elle peut supporter.

Elle sera ainsi opposable à tout projet d’aménagement. Sa concrétisation dans la loi passerait par l’obligation de bilan écologique global comprenant les conséquences en matière d’émission de gaz à effets de serre, d’empreinte écologique et de pollutions.

Cela permettra d’interdire les projets de bétonisation de zones humides ou de terres agricoles ou de destruction de zones de biodiversité remarquable ou de zones agricoles. Est-ce que cela peut avoir comme conséquence d’empêcher toute construction de logements, équipements publics ou entreprises ? Non car de fait il reste en France de nombreuses friches ou emprises non construites qui peuvent être mobilisées, ainsi que des zones déjà construites qui peuvent être réaménagées. Cela par contre aurait pu être opposé au projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes sur une zone humide puisqu’il existe déjà un aéroport à Nantes, et peut être opposé aux nombreux projets de méga centres commerciaux. Ils ne sont pas indispensables et sont en général prévus sur des terres agricoles (Europacity, Val Tolosa…)

Si les humains ont longtemps cru que les ressources de la terre et ses capacités d’absorption des déchets étaient inépuisables, on sait maintenant qu’il n’en est rien. Nous sommes rattrapés par nos déchets ménagers tout comme par les déchets des plastiques (qui se retrouvent dans les océans et pour finir dans les estomacs des poissons et des oiseaux de mer qu’ils rendent malades) et de nos appareils divers et variés (ordinateurs, téléphones portables, télés, électro-ménagers, voitures ..) que nous exportons vers les pays pauvres. Notre planète ne peut plus les supporter. Face à cette situation, la réaction consiste en général à expliquer qu’on finira bien par trouver des solutions pour leur traitement. C’est ainsi que la France a développé de nombreux incinérateurs pour traiter nos déchets ménagers provoquant l’émission de polluants comme la dioxine. Et pour que les incinérateurs reste rentables il faut continuer à les alimenter d’où un cercle vicieux qui ne favorise pas la politique du tri sélectif et du recyclage.

La meilleure solution est donc d’aller vers zéro déchet. Cela suppose de revoir intégralement la conception de nos produits dans une démarche de récupérer, réparer, recycler.

La règle verte permet ainsi de s’opposer au suremballage et au tout jetable puisque ce n’est pas supportable par la planète : tout produit doit avoir une durée de vie la plus longue possible (allongement des durées de garantie) et en fin de vie doit pouvoir être démonté, récupéré, réutilisé ou recyclé.

Elle a pour conséquence d’inciter les branches industrielles à fabriquer des produits éco-conçus : utilisation au maximum de matière première recyclée pour économiser les matériaux et minerais non renouvelables et le minimum de matière première non renouvelable, priorité aux mono-matériaux plutôt qu’aux multi-matériaux et composites plus difficiles à récupérer, conception du produit prévoyant sa réparation et son recyclage.

Au niveau chimique la règle verte implique que les molécules utilisées ne mettent pas la planète en danger.

En résumé, elle est donc opposable aux OGM comme aux pesticides synthétiques et autres produits phytosanitaires dangereux tout comme aux entreprises qui organisent l’obsolescence programmée de leurs produits.

Ses conséquences en terme d’approche du développement, de réorientation des branches industrielles, impliquent un effort important de recherche et donc l’embauche de chercheurs mais créé aussi de l’emploi dans la production tout comme dans la réparation et le recyclage.

L’impossibilité d’employer des produits phytosanitaires dangereux implique le passage d’une agriculture agro-industrielle à une agriculture bio et donc suppose plus de main d’œuvre.

La règle verte nécessite en conséquence de modifier les modalités de débat public prévues par la loi et de traduire dans la loi les règlements et règles à respecter.

La règle verte nécessite aussi de nouveaux indicateurs de progrès humain car le PIB est le pire indicateur qui soit pour la prise en compte de l’impératif écologique. Elle va de pair avec une planification écologique afin de gérer les ressources et les besoins.

Enfin il ne suffit pas de bifurquer en France dans une économie écologiquement soutenable et socialement juste. Il est nécessaire de mettre en place un protectionnisme solidaire pour éviter que des produits ne répondant pas aux normes fixées par la loi puissent être importés.