n°780 - 29/04/2015
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Laïcité
Laïcité ou racisme.
L’antiracisme investi par le communautarisme
Le plan de mobilisation contre le racisme et l’antisémitisme lancé par Manuel Valls répond à un besoin évident. Il prévoit de renforcer la surveillance et la répression des discours de haine. L’Éducation nationale est convoquée et les initiatives locales seront soutenues. L’enveloppe budgétaire atteindra 100 millions d’euros sur trois ans. Ce plan ambitieux rencontrera des obstacles. L’un d’eux, peu visible mais redoutable, est la confusion mentale sans précédent qui s’est installée autour du racisme. L’humanisme des droits de l’homme et les leçons qui ont été tirées de l’histoire du XXe siècle ont pourtant permis de tracer les contours philosophiques de la lutte sans fin à opposer au racisme. Le racisme réduit chaque homme à son origine, l’enfermant dans le déterminisme de « la souche » dont il provient, tandis que l’émancipation moderne considère l’individu humain comme libre et la société politique comme l’affaire des peuples. L’opposition radicale entre ces deux représentations de l’homme fut pointée par Levinas en 1934 à propos du racisme hitlérien.
Levinas observait que le racisme ne met pas seulement en cause « tel ou tel dogme de démocratie, de parlementarisme, de régime dictatorial ou de pensée religieuse », mais « l’humanité même de l’homme ». Dans une vision raciste de l’existence, « l’homme ne se trouve plus devant un monde d’idées où il peut choisir par une décision souveraine de sa libre raison » : il est lié à des idées et des valeurs « comme il est lié de par sa naissance avec toux ceux qui sont de son sang ». Le racisme enferme idéologiquement l’individu dans le passé, réel ou imaginaire, de ses ancêtres. Assurément, il n’a jamais suffi d’opposer au racisme une liberté abstraite qui nierait les déterminations biologiques et culturelles. La liberté des individus et des peuples s’exerce dans des conditions historiques déterminées ; et, comme l’indiquait Sartre, « l’essentiel n’est pas ce qu’on a fait de l’homme, mais ce qu’il fait de ce qu’on a fait de lui ». Mais, qu’il soit associé à l’esclavage, à au colonialisme, à l’antisémitisme, à la xénophobie, le racisme attaque toujours les principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité. Invariablement, il revient à fragmenter a priori l’humanité et à nier la singularité de chacun. Aussi, convient-il de lui opposer les deux principes philosophiques de l’universalité et l’individualité humaines. « Nous nous ressemblons tous, écrit Tahar Ben Jelloun, et nous sommes tous différents ; chacun est unique. »
Mais aujourd’hui, l’antiracisme est investi par l’idéologie communautariste qui ramène la politique à un terrain d’affrontements ethniques et religieux au lieu d’y voir l’affaire de l’universalité des citoyens. Le communautarisme s’attache à diviser le peuple et ferme toute perspective politique de transformation démocratique. Détournant l’antiracisme en idéologie victimaire, il réduit le racisme à une forme de domination ; ce qui le conduit à excuser le racisme du dominé ou à en dénier la réalité. Faisant de la lutte contre le racisme non l’affaire de tous mais celle d’une communauté particulière, ce prétendu antiracisme est sélectif et concurrentiel. Cependant, sa mystification la plus réussie est l’identification d’une communauté ethnique à une communauté religieuse. C’est le cas du communautarisme en « lutte contre l’islamophobie », qui part d’une réalité : la condamnation de l’islam politique cache souvent le racisme anti-Arabe. Mais loin de démasquer l’imposture, le communautarisme anti-islamophobe entre dans le mensonge raciste, faisant comme si toute personne d’origine arabe, ou supposée telle, était, « de nature », musulmane. Au lieu de combattre le racisme à l’encontre de l’Arabe et de l’étranger, les communautaristes condamnent « l’islamophobie ». Du coup, ils ne dénoncent guère le racisme anti-Arabe et sont étonnamment discrets quand il s’agit de condamner les crimes de l’islam fanatique, alors que la récusation conjointe des préjugés contre l’islam et de la violence de l’islamisme est aujourd’hui une nécessité. Les anti-islamophobes en rajoutent dans la confusion, lorsqu’ils assimilent l’intolérance religieuse au racisme. Certes, ces deux idéologies sont à combattre. Mais elles ne sont pas du même ordre, l’intolérance religieuse refusant la liberté de conscience des croyants, des athées et des agnostiques ainsi que le droit de chacun à l’examen critique, tandis que le racisme s’attaque à l’origine des personnes. L’intolérance religieuse, contre laquelle s’élève la laïcité, peut vouloir obtenir une conversion par la violence. Mais le racisme pousse plus loin encore la violence car il n’a que faire des conversions. Pour un raciste, un Arabe est un Arabe, même si celui-ci se déclare chrétien ou athée. Et depuis plus d’un siècle, la haine du Juif est pour l’essentiel indépendante de l’antijudaïsme religieux. Le communautarisme nie donc les ressorts réels du racisme, rendant ainsi impossible le combat antiraciste. Il brouille les enjeux jusque dans sa croisade contre le « racisme anti-Blanc ». Il part effectivement d’une réalité : les xénophobes nationalistes dénoncent le racisme anti-Blanc pour masquer leur haine du Noir, de l’Arabe et de l’étranger. Mais il en déduit que le racisme anti-Blanc et le « racisme anti-Français » ne seraient que des fictions. C’est oublier que les racismes sont toujours des machines à fabriquer des préjugés et des clichés. Quelle que soit sa manifestation, le racisme est une allergie à l’autre, réduit à une origine qu’il n’a pas choisie. De ce point de vue, la haine du « souchien » n’est pas moins détestable ni moins dangereuse que la haine du « bougnoule » ou du « youpin ». Il y a, à travers la multiplicité de ses expressions, un invariant du racisme que le communautarisme choisit d’ignorer et parfois même de reproduire.
Pourtant, une partie de la gauche demeure complaisante à l’égard du communautarisme. L’anti-islamophobie a longtemps porté l’habit de la protestation contre la domination sociale, même si elle n’a jamais proposé aucune perspective politique émancipatrice. Mais son discours s’est progressivement radicalisé, glissant d’une posture victimaire à une posture identitaire. Le meeting du 6 mars 2015 de « lutte contre l’islamophobie », qui fut préparé conjointement par les Indigènes de la République, des groupements islamistes et diverses organisations de gauche, a confirmé que l’idéologie anti-islamophobe ne prétend plus seulement faire reconnaître des discriminations. Elle proclame désormais l’identité en expansion des musulmans, en voie d’être présents à tous les niveaux de la société française. Mais loin de reconnaître dans cette évolution sociologique un progrès de la République laïque et un encouragement pour renforcer l’égalité et la fraternité de tous, elle y voit l’avancée d’une religion politique en lutte contre les « islamophobes », les « colonialistes », les « impérialistes », les « souchiens », les « sionistes »… L’avenir de la France ne saurait appartenir aux islamistes ni au FN, qui alimentent deux haines identitaires en miroir. La tâche est de défaire le racisme, chaque racisme. Ce travail interminable apparaîtra comme un élément clé dans la réinvention de la laïcité républicaine du XXIe siècle. Ainsi entendue, la mobilisation politique et culturelle contre le racisme est l’affaire solidaire du peuple. Les rancœurs racistes ont ressurgi dans leur absurde violence destructrice sous l’effet d’une crise qui n’en finit pas. Il serait irresponsable de laisser les mystificateurs de « l’anti-islamophobie » détourner le combat contre le racisme et compromettre l’éducation aux valeurs de la République.
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Retrouver, à gauche, les valeurs de la laïcité
La laïcité a des objectifs ambitieux et indissociables : liberté de conscience, égalité des personnes indépendamment de toute considération de croyance, de sexe ou d’origine, construction d’un avenir commun dans un pays où l’accueil des différences se fait dans le respect des valeurs de la République. La laïcité est un instrument de cohésion sociale et un engagement contre toute forme de discrimination. Elle impose d’être plus clair que ne le sont les partis de gauche, ainsi que nombre d’intellectuels.
Refuser la discrimination n’implique pas de s’aligner sur le modèle anglo-saxon du droit à la différence, qui oppose les minorités et favorise le communautarisme. Certains dans notre pays (Indigènes de la République, Cran) voudraient pourtant le promouvoir. Pour ceux-ci, comme pour l’extrême gauche, l’ethnocentrisme parfois «racialiste», qui a servi d’idéologie à la domination coloniale, sert à la contestation de tout universalisme. Reconnaître les différentes cultures, ce n’est pas pour autant prôner un multiculturalisme porteur de survalorisation des apparences culturelles ou religieuses.
La liberté d’expression doit prévaloir, mais il est vital d’affirmer par la législation l’idéal universaliste de la laïcité face aux prétentions communautaristes des groupes de pression politico-religieux, qui souhaitent pour les uns (certains salafistes) abattre la République et pour les autres (l’UOIF) imposer une vision non laïque de l’organisation de la société. C’est le cas aussi de ceux qui veulent restreindre le débat citoyen (mariage pour tous, PMA, avortement, contraception, fin de vie). C’est aussi la position de Nicolas Sarkozy, pour qui seule la culture chrétienne est compatible avec la laïcité.
Ces rétrogrades, mais aussi tous les partisans d’une laïcité adjectivisée (ouverte, positive) veulent limiter la liberté d’expression au nom d’une prétendue tolérance envers les religions. La tolérance, c’est tout autre chose : des citoyens émancipés, qui se respectent en confrontant des idées opposées. Pour permettre, en toute sérénité, l’apprentissage citoyen par l’appropriation du savoir, et afin de préserver les élèves des pressions religieuses, il était nécessaire d’interdire les signes et tenues religieux ostensibles à l’Ecole. Certains jeunes élèves, influencés par les organisations les plus radicales, tentent de contourner la loi en portant des vêtements religieux qu’ils proclament comme culturels. Le ministère de l’Education nationale doit soutenir les chefs d’établissement avant que ce mouvement concerté prenne de l’ampleur.
A l’université, les pressions se font de plus en plus fortes empêchant certains enseignants d’assurer leurs cours. Il est urgent de pouvoir protéger leur enseignement des oukases religieux et communautaires. Les groupes religieux testent l’Etat en demandant des accommodements de plus en plus larges qu’il faut endiguer. La Cour de cassation, dans l’affaire Baby Loup, a estimé qu’une entreprise privée ou une association pouvait aussi restreindre «la liberté de ses salariés de manifester leurs convictions religieuses sur leur lieu de travail» si cela était justifié par «la nature du travail à accomplir» et si la mesure «était proportionnée au but recherché». Voilà, pour l’essentiel, les seules restrictions nécessaires : défendre la liberté de conscience ne doit pas se confondre avec l’interdiction de toute expression religieuse sur la voie publique. Vouloir, comme le Front national, réduire l’expression religieuse au domaine de la stricte intimité, confondre l’égalité avec l’uniformité, l’intégration avec l’assimilation, est contraire aux valeurs de la République. Cela n’empêche pas le combat idéologique contre les plus rétrogrades : le droit incontestable des femmes de porter le foulard sur la voie publique n’interdit pas d’affirmer que cette prescription sous-tend l’enfermement communautaire des femmes.
Pour les enfants égarés de la République, la religion est souvent l’affirmation d’une identité de substitution, fondée sur le ressentiment, le repli et parfois la radicalisation. L’enjeu est donc l’appropriation des valeurs de la République à l’Ecole. Pour cela, celle-ci doit couvrir tous les champs du savoir, du questionnement scientifique y compris l’histoire des faits religieux. L’école doit mieux prendre en compte les différents apports à notre mémoire nationale (immigration), traiter de la colonisation, évoquer les difficultés de l’intégration. Les enseignants doivent adapter leur pédagogie, car il est plus efficace de faire-valoir les apports scientifiques face aux «vérités» révélées en favorisant l’échange, la confrontation.
Mais nous ne pourrons faire vivre la promesse républicaine sans combattre toutes les fractures de la société, ethniques, culturelles et économiques. Car le discours sur la laïcité, sur l’école émancipatrice, sur l’égalité ne sera entendu, notamment par ceux influencés par la radicalisation religieuse ou par l’extrême droite, que si nous réussissons à réinvestir tous les territoires en déshérence où règnent la ghettoïsation, la relégation et un sentiment d’abandon. La gauche doit se retrouver sur ces valeurs communes : laïque, sociale, fraternelle et protectrice.
Humeur
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École : les parents n'ont surtout rien à y faire.
Et ça ne devrait pas vous faire hurler
« On n’y arrivera pas sans les parents », « Il faut faire entrer les parents dans l’école », « Ce soir, j’appelle tous les parents de 4ème2 »…
Depuis les chaises Empire du ministère jusqu’aux chaises Camif de la salle des profs, le consensus semble total : l’école se porterait mieux si les parents d’élèves en étaient. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un politique inspiré n’y voie la solution miracle grâce à laquelle l’école sera bientôt sauvée.
Le dialogue école-famille, la solution à la mode
Jeune enseignant, je n’aurais pas pensé discuter cette évidence. Elle s’imposait à moi et à tous, et permettait d’expliquer à bon compte mes plus inextricables échecs : le manque de respect, le manque de travail, le manque d’envie, c’était d’abord, c’était au fond, la faute des parents.
Chez certains, nombreux, ce diagnostic commode s’accompagne de relents zemmouriens : si l’école va mal « aujourd’hui », c’est que les parents « d’aujourd’hui » sont souvent très noirs, très arabes, complètement chinois, et pauvres, et ne remplissent plus leur rôle de parents.
Chez d’autres, les mêmes parents sont surtout des « victimes du système » et ne peuvent être de bons parents d’élèves faute d’avoir été, eux-mêmes, de bons élèves. Ils ont peur de l’école. Ils ne savent pas comment ça marche. Faut les comprendre. On est surpris quand débarque devant le conseil de discipline de son fiston une blonde pharmacienne qui « ne voit pas le problème, à la maison c’est un amour », un patron qui a « tout fait pour son fils », ou un couple de bobos qui « paye un psy depuis 3 ans ».
Mais, dans tous les cas, la solution à la mode est la même : instaurer un dialogue entre l’école et la famille, unir les forces de ces deux instances éducatives et – bonheur, alleluïa – les réconcilier.
Ecole-famille, une rencontre inconvenante
Cette vérité n’étant pas discutable, elle n’est pas discutée. On se demande chaque année comment améliorer l’inclusion des parents dans le système. On organise des réunions, un « accueil » des parents, des remises de bulletins trimestriels, des remises de bulletins mi-trimestriels, on regrette à voix haute de voir « toujours les mêmes » et à voix basse de ne pas voir ceux qui, justement, devraient venir.
Il faut les rencontrer, ces « parents des élèves réellement problématiques », pour comprendre que c’est un contresens. Il faut voir, alors, la réaction de l’élève obligé de présenter ses « responsables » (c’est le terme officiel) à ses enseignants. Il a honte. Normal, c’est un ado. Un ado qui n’a pas honte de ses parents est une anomalie. Il est furieux, aussi. Il ne voit pas à quoi ça sert. Quelque chose en lui trouve cette rencontre inconvenante. Il a peut-être bien raison.
L’école ne regarde pas les parents
Quiconque a eu un enfant scolarisé se souvient sans doute de la première fois qu’il demanda : « Tu as fait quoi à l’école aujourd’hui ? »
L’immense majorité a encore en mémoire le silence qui fut alors opposé à sa question, le « Rien », le « Je sais pas », ou le mensonge que l’enfant préféra dire, plutôt que la vérité. Certains parents en ont sans doute conclu que l’enfant ne faisait rien en classe, ou rien de mémorable. C’est qu’ils ne veulent pas admettre ce qui, pourtant, devrait leur sauter aux yeux : les enfants n’aiment pas raconter aux parents ce qu’ils vivent à l’école. Ne souriez pas. Il faut prendre au sérieux ce refus de raconter. Car il témoigne d’une fulgurante intuition : l’école ne regarde pas les parents. Elle est tout entière pour les élèves, et pour eux seuls.
C’est vrai dès la maternelle. Cela reste vrai par la suite. L’école est un lieu sans parents, une forteresse à la porte de laquelle les parents sont priés – par les enfants eux-mêmes – de rester ! Il faut qu’un dysfonctionnement grave survienne pour qu’un élève croie utile de demander leur avis à ses parents. Dans l’immense majorité des cas, il réglera le problème « en interne, en en parlant avec ses camarades, ou les enseignants eux-mêmes.
Leurs enfants peuvent grandir sans eux
Parce qu’ils aiment leurs chers bambins, parce qu’ils veulent leur bien, les parents ont du mal à envisager la dure réalité des choses : l’école a pour fonction première de montrer aux enfants qu’ils peuvent se passer de leurs parents, qu’ils peuvent leur échapper, qu’ils peuvent grandir sans eux et, par bien des aspects, si si, contre eux.
Cet autre monde, que la sphère scolaire oppose à la sphère parentale, est une formidable occasion d’échapper à la toute-puissance de la famille. Pour l’enfant et, plus tard, pour le jeune adulte, l’école est un réservoir de rencontres et de modèles, qu’il a la liberté d’aimer ou pas, de suivre ou non.
Un espace de liberté, donc, malgré les règles strictes qui en régissent le fonctionnement. Et d’une liberté gagnée sur la famille. En ce sens, la maman aurait bien raison de voir la maîtresse comme une rivale.
Si chacun aime autant critiquer l’école, les profs, les programmes, c’est peut-être aussi pour ça : un combat ontologique est à l’oeuvre entre tout parent d’élève et l’école de son enfant. Loin d’être un drame, c’est un conflit précieux, utile, un conflit qu’il serait vain de prétendre réduire, et qu’il est peut-être temps d’assumer.
La paix au prix de trois contraintes
L’école est une institution violente. Plus exactement, la paix qui doit régner dans un établissement scolaire ne peut être garantie qu’au prix de contraintes fortes. La première est l’obligation de scolarisation. Il faut être très très vieux, ou malhonnête, pour ne pas se souvenir de ce que produit sur un esprit adolescent la répétition quotidienne d’un réveil à 7h.
La seconde est le respect du règlement intérieur, qui instaure, en sus des lois ordinaires de la vie en collectivité, une série de règles parfois hautement discutables. Le port du bonnet est interdit dans mon collège, pour justifier l’interdiction de la casquette.
La troisième, moins perceptible peut-être, mais bien plus décisive, est l’uniformisation qui en est à la fois la condition et l’objectif le plus fondamental. L’école n’est pas neutre, elle neutralise. Elle n’est pas tolérante, elle pourfend l’intolérance. Elle n’est pas semblable pour tous, elle fabrique des semblables. Mêmes programmes, mêmes diplômes, mais surtout mêmes idéaux, mêmes principes, même vision de la République, de la démocratie, des rapports hommes-femmes, de la réussite, et de l’échec.
Opposer une autorité à l’autorité des familles
Mais, là encore, les parents ne sauraient être ses auxiliaires. Dans les limites qu’impose la loi, les parents d’élèves sont maîtres chez eux. Ils peuvent prier le dieu qu’ils veulent, installer une télévision dans chaque chambre, se balader torse nu, ou considérer que la flûte est l’instrument du diable…
Mais leurs enfants ne doivent pas être obligés de croire, aimer Drucker, prendre froid, ou fuir au premier son de flûte. L’école sert à ça : opposer une autorité à l’autorité des familles, faire entendre un autre son de cloche, mettre dans un même chaudron toutes les histoires de tous les élèves, toutes les singularités de toutes ces histoires, et les réduire. Bon gré. Mal gré. L’école instaure entre les élèves et futurs citoyens une « communauté », quelles que soient leurs origines, et donc quels que soient leurs parents.
Les parents ne sont pas membres de l’équipe éducative
Ainsi, les catholiques trouveront que les enseignants ne sont qu’un ramassis de bouffe-curés, les bourgeois qu’ils sont prolétaires, les prolétaires qu’ils sont bourgeois, les anarchistes qu’ils sont « comme des flics » et les flics qu’ils sont d’infâmes libertaires. Les élèves entendront à l’école des mots inimaginables, impossibles, inconnus chez eux. Ils seront choqués, parfois. Et choqués que d’autres ne soient pas choqués. Et c’est très bien comme ça.
Prétendre que les parents sont « membres à part entière de l’équipe éducative », n’est donc pas seulement une exagération, c’est un mensonge. Et fort heureusement. Car ils doivent ne pas en faire partie.
On accuse souvent le système éducatif de creuser les inégalités sociales. Qu’en serait-il si les parents d’élèves continuaient d’être « intégrés » au système ? On le voit déjà, seuls les « bons » parents sont élus représentants, membres du conseil d’administration ou du conseil du discipline.
Demander « l’assistance » des parents, c’est importer au sein de l’école les inégalités que l’école doit combattre. Les parents capables d’aider aident, bien sûr. Mais ceux qui n’ont pas le savoir, pas le temps, pas les moyens, ne peuvent que regarder d’autres enfants passer devant les leurs. Et ils s’en veulent d’être de mauvais parents alors qu’ils ne sont le plus souvent que de mauvais parents d’élèves, ce qui ne devrait porter préjudice à personne
Je n’appelle plus les parents
Les enseignants sont régulièrement incités à mêler les parents d’élèves à la vie des établissements. Certains profs, dès le début de l’année, appellent un à un tous les parents pour leur expliquer leurs attentes et leur mode de fonctionnement. Ils espèrent ainsi gagner leur soutien, et s’assurer que de sévères rappels à l’ordre parentaux accompagneront les leurs en cas de manquements. Je l’ai fait longtemps. Je ne le fais plus.
Je le faisais quand, encore novice, vulnérable, je pensais qu’un élève qui perturbait gravement mon cours m’en voulait personnellement, ou qu’il en voulait au système, mais qu’il me fallait trouver ailleurs un indispensable soutien. L’élève revenait le lendemain furieux, parfois marqué des coups reçus, mais recommençait, toujours.
C’est qu’il œuvrait en secret contre la sage séparation de l’école et de la famille.
L’école, comme une caisse de résonance
Dans l’immense majorité des cas, un élève pénible choisit d’être pénible. Il pourrait être sage. Il préfère être insupportable. Pour autant, il n’a aucune raison d’en vouloir à son professeur. Fût il médiocre, cinglé, idiot, il n’aura à le supporter que quelques heures par semaine et sera débarrassé de lui sitôt sa scolarité terminée. Pour le dire vite, l’élève, au fond, se fout de son prof. Le prof ne fait pas partie de l’univers affectif et psychique de l’élève.
Ce n’est pas à lui qu’il parle quand il est pénible. S’il cherche la sanction, c’est le plus souvent pour faire passer un message indicible : je suis malheureux, j’aimerais qu’on s’occupe de moi. Or, ce « on » ne désigne que provisoirement l’enseignant. Les vrais destinataires du message sont dehors, à la maison.
Inconsciemment, l’élève perturbateur utilise l’école comme une caisse de résonance, et comme un moyen de toucher ses parents, furibards de devoir répondre, se déplacer, assumer, et tristes de voir leur enfant « dans les problèmes ». Il n’est pas rare de les voir alors se retourner contre l’enseignant qui les a alertés, jouant malgré lui le porteur de valises.
Je pense que mes élèves ne se portent pas plus mal
Loin de moi l’idée de minimiser les difficultés. De nombreux élèves sont aujourd’hui gravement malades au sein du système éducatif. On croise chaque année en primaire, au collège, des phobiques, des hyperactifs, des narcoleptiques, des violents. Mais faire appel aux parents pour faire entrer dans le rang un élève dysfonctionnant, c’est oublier que la famille, même modèle, même favorisée, est LE lieu de la névrose, son creuset, son origine. C’est confondre le remède et la maladie.
Ne plus avoir aucun lien avec les parents, prévenir les élèves, dès le début d’année, que leurs parents ne seront jamais appelés, c’est couper le lien pervers que certains élèves établissent à l’école entre eux et leurs familles. Jouer « les parents dans l’école », ce n’est pas additionner deux forces, c’est donner le pouvoir aux enfants de pervertir la fonction et le fonctionnement d’un établissement scolaire.
Aujourd’hui, je me passe des parents. Je m’en porte mieux. J’ose penser que mes élèves – et les plus difficiles d’entre eux surtout – ne s’en portent pas plus mal.
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De qui se moque-t-on ?
Il y a en France des millions de femmes et d’hommes qui luttent chaque jour tout simplement pour faire face aux besoins élémentaires de la vie. La pauvreté, l’exclusion, le chômage, la précarité frappent durement des victimes toujours plus nombreuses d’un système capitaliste qui ne connaît plus aucune entrave.
Et pendant ce temps-là, que voit-on ? Toutes les préoccupations, tous les efforts au plus haut niveau de l’Etat, au gouvernement et à la direction du PS sont tendus vers quoi ? Réunir une majorité sur une motion pour le congrès d’un parti. Et bien entendu, c’est cela qui préoccupe le plus la majorité des média. Et on nous présente comme un événement de première importance, digne de faire la une des journaux parlés et télévisés et les gros titres des quotidiens, le ralliement d’Aubry à la motion signée par Valls et Cambadélis !
La comédie qui se joue à l’Elysée, à Matignon et rue de Solférino est le révélateur, un de plus et c’est loin d’être le premier, d’un système politique au bout de sa décadence. Car, qui peut être dupe quand on sait que Hollande comme Aubry, comme tant d’autres dirigeants du PS, sont tous deux membres d’un même cercle dont les objectifs sont ceux de tous les libéraux qu’ils soient de droite ou qu’ils prétendent être de gauche : le groupe de Bilderberg.
Les objectifs de ce groupe ont été clairement définis par son fondateur, David Rockefeller : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. » C’est que mettent en œuvre les accords de l’OMC ; c’est l’ambition des traités comme celui entre l’UE et le Canada, celui entre l’UE et les USA, celui sur les services ; c’est le sens de toutes les décisions de l’UE et c’est ce que fait Hollande depuis 2012.
Alors, cessons d’accorder le moindre crédit aux gesticulations du PS et du gouvernement Hollande-Valls. Et aux médias qui en font un événement.
11 avril 2015
International
Cuba, Iran : y a-t-il une doctrine Obama ?
Les annonces médiatiques suite au rapprochement entre Cuba et les États-Unis puis à l’annonce d’un accord possible à Lausanne entre l’Iran et le groupe dit 5 + 1 sur le nucléaire iranien ont, à juste titre, conduit beaucoup d’observateurs à faire des commentaires positifs sur la nouvelle orientation de la politique étrangère américaine. Tout le monde n’est pas d’accord avec cette appréhension, les Républicains américains les plus réactionnaires et les plus conservateurs dans la classe politique iranienne ne voient pas l’annonce d’un accord d’un très bon œil. Israël veut le faire capoter mais la réaction médiatique et politique dominante a quand même été positive. De la gauche radicale aux libéraux américains, tout le monde note avec satisfaction que la diplomatie a pris la place de la guerre ou d’un conflit larvé. Il faut donc saluer ce choix de l’Administration Obama qui a su se départir des préférences guerrières affichées sur sa droite et, apparemment, mettre fin à cinquante ans de « guerre froide tropicale » à Cuba et de conflits stériles et dangereux avec Téhéran.
Une nouvelle doctrine ? …
Peu de temps après ces décisions, le 5 avril 2015, Obama a donné un entretien au journaliste vedette du New York Times, Thomas Friedman, qui émet l’hypothèse qu’Obama a maintenant défini sa doctrine. Il y aurait donc une « doctrine Obama » comme il y avait eu dans le passé une doctrine Truman ou une doctrine Nixon et une doctrine Bush. Chaque président aurait ainsi sa doctrine, qui dans certains cas serait définie surtout par d’autres. La doctrine Truman était surtout celle de Kennan et celle de George W Bush fut composée, en partie, par les néo-conservateurs et Richard Cheney le vice-président activiste. L’utilisation du mot doctrine masque cependant les lignes de continuité entre les présidences et les adaptations conjoncturelles qui ne représentent pas de changement d’orientation fondamental.
Sur Cuba, Obama a déclaré au New York Times que ce tout petit pays ne représentait aucune menace pour les États-Unis qui, de toute façon, gardaient leur puissance d’intervention dans les cas de conflit. L’Iran, a déclaré le Président, bien que plus grand ne dépense que 30 milliards de dollars pour sa défense alors que les États-Unis ont un budget militaire de 600 milliards de dollars. Donc l’Iran sait bien qu’il ne peut attaquer les États-Unis. Ces considérations réalistes sont fort justes et le budget de la défense américain dépasse du reste la somme indiquée par Obama car il est en partie disséminé dans des postes autres que militaires.
On pourrait donc se dire qu’il était grand temps pour les États-Unis de se rendre compte que de petits pays peu impressionnants sur le plan militaire ne menaçaient pas les intérêts fondamentaux des États-Unis. Obama n’abandonne pas tout à fait la rhétorique de la lutte anti-terroriste puisqu’il indique que l’Iran a soutenu des activités terroristes qui ont conduit à la mort de citoyens américains. Il ne mentionne pas, bien évidemment, les activités terroristes en Iran (sabotage informatique par le virus stuxnet, par exemple et assassinats de scientifiques iraniens probablement exécutés par le groupe MEK, Mujaheddin-e-Khalq et commandités par Israël avec coopération américaine). Il n’évoque pas non plus les années de terrorisme anti-Cuba avec tentatives d’assassinat de Fidel Castro pendant de très nombreuses années.
Dans les deux cas de Cuba et de l’Iran, le président américain évoque le terrorisme et les violations des droits humains en laissant entendre que les États-Unis seraient exempts d’activités terroristes et irréprochables sur ce plan. S’il est indéniable que la liberté d’expression n’est pas assurée pleinement à Cuba et en Iran et que les opposants politiques risquent l’emprisonnement, il n’en reste pas moins que les États-Unis ne sont pas un modèle de respect des droits humains, tant sur le plan intérieur (assassinats par la police d’hommes noirs sans sanctions judiciaire, par exemple) que sur le plan international (utilisation de drones pour tuer sans jugement, interventions militaires hors cadre légal comme en Irak ou au Kosovo, soutien aux pays comme l’Arabie saoudite ou Israël qui interviennent militairement sans passer par l’ONU).
… ou une inflexion adaptative ?
La nouvelle orientation américaine ne rompt pas avec la rhétorique passée mais Obama a pris la mesure de la faiblesse des deux pays avec lesquels il veut rétablir des relations normales entre États. En effet, contrairement à ce qu’affirment dans la plus totale mauvaise foi ses contradicteurs réactionnaires aux États-Unis, la nouvelle approche américaine ne fait que traduire un rapport de forces. Cuba qui n’a jamais été un danger militaire représentait ce que l’historien américain Arthur Schlesinger avait appelé le « danger d’un bon exemple », c’est à dire que Cuba pourrait donner des idées subversives à tout le reste de l’Amérique latine en matière de redistribution des terres. Cuba n’a plus cette fonction de modèle et ne jouit plus d’un grand prestige en Amérique latine ; sa valeur d’exemple a disparu, en partie à cause des violations des droits humains et en partie à cause de ses échecs économiques. La réconciliation est donc pensable et le monde des affaires américains y est favorable car Cuba représente un marché potentiel. La fin du régime des frères Castro conduira probablement à un retour de Cuba dans l’orbite américaine. Du reste, les anti-castristes de Floride ne sont plus majoritaires chez les Cubano-Américains de Floride.
Alors que les États-Unis se rapprochent de Cuba, ils se font de plus en plus critiques du Venezuela. Là encore l’argument des droits humains est central mais évidemment problématique car si la situation à Caracas n’est pas satisfaisante, elle n’est probablement pas plus grave qu’à Ryad ; cependant les États-Unis ne songent pas à mettre des dirigeants saoudiens sur une liste noire pour leur interdire de voyager à l’étranger. Les États-Unis de Bush avaient soutenu le coup d’État contre le Venezuela en 2002 mais font aujourd’hui la leçon à un régime qui est certes loin d’être parfait. L’argument des droits humains, recevable en lui-même s’il est utilisé pour tous les violateurs du droit, devient problématique et idéologique, si son utilisation est à géométrie variable ou s’il est utilisé par un violateur du droit.
Les États-Unis ont soutenu l’intervention saoudienne à Bahreïn en 2011 qui a mis fin à une manifestation du « printemps arabe » dans un pays chiite et soutiennent l’intervention actuelle au Yémen qui n’est pas plus légale que la précédente. Lorsqu’une intervention américaine n’est pas légale les médias occidentaux la qualifient de « légitime » comme au Kosovo. Lorsqu’un pays comme la Russie intervient de façon illégale comme en Crimée, l’illégalité n’est pas redéfinie en légitimité, au contraire elle est comparée aux interventions illégales et meurtrières d’Hitler. Les États, tous les États, sont des « monstres froids » (De Gaulle) donc les violations de l’autre servent ma propagande tandis que mes violations sont passées sous silence ou redéfinies.
Obama négocie avec l’Iran, ce dont il faut se féliciter et espérer qu’Israël ne réussira pas à faire dérailler le processus pacificateur actuel, mais il s’oppose à ce pays sur certains terrains. Lorsque les États-Unis soutenaient Saddam Hussein l’agresseur dans la guerre contre l’Iran, le Président Reagan avait quand même livré des armes à Téhéran pour financer les contras au Nicaragua (scandale dit Iran-contra, 1986). Nixon en guerre au Viêt-Nam s’était rapproché de Pékin qui était l’allié d’Hanoi. C’est là l’ordinaire des relations internationales. La France vend des armes à l’Arabie saoudite qui finance des groupes en lutte contre elle ou qui sont opposés à la liberté d’expression tant vantée en France depuis les terribles attentats de janvier.
La doctrine Obama n’est donc que la poursuite du réalisme cynique théorisé par George Kennan dans les années 1940. Les principes n’ont pas beaucoup évolué même si les pays concernés sont différents. Kennan était prêt à laisser le communisme gagner en Chine et en Inde si les États-Unis contrôlaient le Japon et les Philippines. Obama peut se rapprocher d’un Cuba en perte de vitesse et promis à une américanisation par le commerce et s’entendre avec l’Iran pour que ce pays renonce à l’arme nucléaire sans pour autant changer fondamentalement son système d’alliances dans la région.
Dans son interview du 5 avril Obama s’emploie d’ailleurs surtout à rassurer Israël, mentionné 43 fois, soit une fois par minute, et à garantir le soutien total des États-Unis. La bisbille entre lui et Netanyahou ne change rien aux lignes de force de la politique étrangère américaine. Obama réaffirme aussi son soutien aux alliés sunnites des États-Unis. Il assume, de façon plus brillante et intelligente que d’autres, le pragmatisme cynique qui structure la politique étrangère américaine comme celle des autres « monstres froids ». Avec Obama, les États-Unis gèrent leur hégémonie avec les cartes qu’ils ont en main dans un contexte de compétition avec la Chine et de relance du conflit avec la Russie.
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Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
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La guerre du Vietnam n'est pas finie.
Séquelles de l'Agent Orange
16 avril 2015 : début en France du procès de Mme Nga contre ceux qui ont épandu l’Agent Orange sur le Vietnam : Monsanto, Dow chemical, etc.
30 avril 2015 : 40e anniversaire de la fin de la guerre du Vietnam
Il y a 40 ans, l’armée des États-Unis était chassée du Vietnam. Pourquoi y était-elle allée faire la guerre ? Et quelles sont les séquelles actuelles de celle-ci sur la population vietnamienne ?
En 1954, après 100 ans de colonisation, la France doit quitter le Vietnam après la défaite de Diên Bien Phu. Les accords de Genève qui mettent fin à « la guerre d’Indochine » contiennent trois dispositions principales. 1) Le Vietnam est provisoirement divisé en deux régions situées de part et d’autre du 17e parallèle ; 2) Le Vietnam doit être réunifié en 1956 ; des élections générales doivent se tenir cette année-là pour élire les dirigeants politiques du pays ; 3) En attendant, la région nord est placée sous l’autorité de Ho Chi Minh ; la région sud, sous celle de l’ex-empereur Bao Dai, avec Ngo Dinh Diem comme premier ministre.
Dans un contexte international marqué par la Guerre Froide, les États-Unis demandent à Diem de refuser la réunification du pays et l’organisation des élections. Ce non-respect des accords de Genève entraîne la formation d’une opposition politique grandissante qui finira par se transformer en lutte armée pour la réunification du pays.
La guerre, qui au départ est une guerre civile, va rapidement se transformer en une guerre par procuration opposant le bloc de l’ouest au bloc de l’est. Dès 1961, John Kennedy signe avec le gouvernement du Sud un traité d’aide économique et militaire et les troupes états-uniennes s’installent au Vietnam. C’est le début de la « guerre du Vietnam ».
Pourquoi les États-Unis vont-ils s’y engager de plus en plus massivement ? Parce que Washington est persuadé que si le Vietnam passe sous le contrôle de Hanoï, alors, tous les pays de la péninsule indochinoise « tomberont », comme une rangée de dominos, dans le « camp communiste ». C’est la théorie dite des dominos.
En 1965 débutent les bombardements aériens sur le Nord du pays et l’envoi des premiers conscrits états-uniens au Vietnam. En 1968, il y a 500 000 soldats états-uniens auxquels s’ajoutent des engagés sud-coréens, thaïlandais, australiens… et 700 000 soldats sud vietnamiens. C’est la « guerre totale ».
Pour ravitailler en nourriture et en matériels les résistants de la zone sud, un réseau de 2 000 km de sentiers est créé, reliant le Nord Vietnam à la zone sud, en passant par le Laos et le Cambodge. C’est la fameuse « piste Ho Chi Minh ». Elle traverse les montagnes, la jungle. Pour tenter de couper ce cordon ombilical, affamer les résistants et détruire leurs cachettes, l’aviation états-unienne va déverser 80 millions de litres de défoliants sur les forêts et les cultures. Tout est détruit. Le Nord est sous les bombes. À la fin des années 1960, les États-Unis pensent que la guerre est entrée dans le « dernier quart d’heure » et qu’elle va s’achever par l’anéantissement de la résistance vietnamienne.
Grossière erreur ! En 1968, l’ « offensive du Têt » est lancée. Les soldats nord-vietnamiens et les maquisards du Front National de Libération attaquent simultanément plus de 100 villes et arrivent jusqu’à l’ambassade et au QG états-unien de Saïgon. Ils sont finalement repoussés.
Mais aux États-Unis, l’effet politique et psychologique de l’offensive du Têt est dévastateur : le gouvernement états-unien pensait que les résistants vietnamiens étaient à bout de souffle. L’offensive du Têt démontre qu’ils sont encore plus forts qu’avant.
Dès lors, les États-Unis veulent se retirer du Vietnam, mais sans perdre la face, avant une défaite militaire finale. C’est pourquoi ils signent en 1973, avec le Nord-Vietnam et le Front National de Libération, l’accord de Paris. Celui-ci prévoit le retrait de leurs troupes et la fin des bombardements sur le Nord-Vietnam.
Après le retrait des forces états-uniennes vers le Cambodge, l’armée sud-vietnamienne ne peut résister face à la poussée des troupes nordistes et des maquisards. Saïgon tombe le 30 avril 1975.
Quel est le bilan ? Pendant la guerre, les États-Unis ont déversé sur le Vietnam 80 millions de litres de défoliants et largué 7 millions de tonnes de bombes, chiffre à comparer avec les 2,5 millions de tonnes larguées par les Alliés sur l’Europe pendant la Seconde Guerre Mondiale. Près de 9 millions de militaires états-uniens ont participé à la guerre dont 2,7 millions ont été envoyés au Vietnam. Le coût financier s’élève à 533 milliards de dollars, soit 9 % du PNB de 1970. Du côté vietnamien, la guerre a fait au Nord 1 million de morts, 4 millions de blessés et mutilés, 13 millions de réfugiés. Au sud, il y a eu 685 000 morts, des réfugiés par millions, et les méfaits persistants de l’Agent Orange.
Certes, la guerre du Vietnam s’est terminée il y a 40 ans. Mais elle continue à tuer aujourd’hui. Selon la Croix Rouge, 3 à 4 millions de Vietnamiens sont actuellement handicapés ou présentent de graves maladies liées à l’Agent Orange.
En 2004, la VAVA (Association Vietnamienne des Victimes de l’Agent Orange), a déposé une plainte devant le tribunal fédéral de Brooklyn contre les fabricants de l’Agent Orange (Monsanto, Dow Chemical..). Cette plainte a été rejetée en 2005, 2008, puis définitivement en 2009 par la Cour Suprême de Justice des États-Unis. Tout semble alors perdu pour les victimes vietnamiennes.
Mais une fenêtre s’ouvre en 2013 quand le Parlement français vote une loi qui restaure la compétence de la juridiction nationale en matière de droit international et autorise une victime française d’un tort commis à l’étranger par un étranger, de porter plainte devant les tribunaux français. Cette loi permet aujourd’hui à Mme Tran To Nga, victime Franco-vietnamienne de l’Agent Orange, de porter plainte contre une vingtaine de sociétés chimiques américaines (Monsanto, Dow Chemical…) qui ont fourni l’Agent Orange à l’armée des États-Unis. Ces sociétés savaient pourtant que ce produit contenait de la dioxine de Seveso, le plus violent et le plus difficilement destructible de tous les poisons. Le 16 avril 2015, le procès s’est ouvert devant le tribunal d’Evry. Ce procès sera long, difficile et très coûteux.
Pour soutenir l’action de Mme Nga, mais aussi financer des opérations chirurgicales au Vietnam, acheter des prothèses, des chaises roulantes… pour les victimes de l’Agent Orange, un concert se tiendra le jeudi 7 mai au Théâtre Sous les Arbres (Le Port ; La Réunion). Il est organisé par Orange DiHoxyn, une association humanitaire née à La Réunion en 2008, et dont la représentante au Vietnam, entre 2009 et 2011, était… Mme Nga !
Site : http://www.orange-dioxin.com/
Economie
A propos de l'affaiblissement du syndicalisme
Retour sur le n° 778 de ReSPUBLICA
Reçu de Denis Billon
J’ai lu avec intérêt l’article « Eloge des syndicats » du dernier numéro. Le souci constant des capitalistes est de diminuer l’influence possible des syndicats.
Une première méthode est la division syndicale. Elle a lieu nationalement. Les USA ont financé FO pour contrebalancer l’influence de la CGT.L’Eglise catholique n’a pas procédé autrement en créant la CFTC. Et en voyant qu’ils ne touchaient pas les couches de population déchristianisées, ils ont créé la CFDT. Celle-ci est devenue un suppôt du social libéralisme actuel.
L’autre méthode fut la création de classes différentes pour mieux diviser. Et on a vu apparaître des syndicats spécifiques et confidentiels parfois.
Dans un collège, il y a un syndicat pour le personnel de service, un syndicat pour les enseignants, parfois plusieurs en fonction de leurs diplômes, un syndicat pour le chef d’établissement, un syndicat pour le psychologue scolaire, un pour l’infirmière, j’en passe et des meilleures.
Cela permet de jalouser celui qui a un statut réputé plus avantageux.
Enfin, il existe une autre méthode, c’est l’achat. On a acheté les syndicats. Le Medef subventionne, paie les salaires des délégués du personnel, mais aussi des différents représentants syndicaux dans les organisme comme la Sécurité sociale, les différentes caisses de retraite, etc.
Et ces « syndicalistes » sont bien payés, et donc aptes à tous les compromis. Ils sont nommés à vie, selon un critère de répartition entre les syndicats. Je te donne ça et donne-moi ça. On fait disparaître toute forme d’élection et de démocratie.
J’ai connu l’époque où on votait pour les représentants à la Sécu. On a fait de ces représentants des fonctionnaires zélés.
J’ai connu l’époque où le représentant départemental de la CGT faisait deux meetings par jour. Maintenant il fait les conseils d’administration.
J’ai connu l’époque où le délégué syndical ne faisait pas plus de deux mandats. Après il retournait au boulot. Ce n’était pas simple car le patron refusait de réembaucher un ouvrier si bien au courant des droits syndicaux.
C’est aux ouvriers (et à leurs représentants) qu’incombe l’action syndicale ; les évolutions du capitalisme analysées de façon savante par les économistes ne les exonèrent pas de cette responsabilité. Mais comme les évolutions qu’on vient de décrire sont le reflet d’une stratégie délibérée, il sera bien difficile de revenir en arrière.
Reçu de Martine Verlhac
Je suis d’accord pour dire comme vous le faites dans votre texte, Michel Zerbato, que l’article de S. Halimi n’analyse guère les causes de l’effacement syndical. Mais il me semble qu’il faut que vous fassiez encore un effort pour en comprendre certaines causes parmi d’autres (je ne prétend pas pas à une analyse définitive). La gauche et les syndicat ont eu hélas en commun tout au long du XXe siècle l’abandon de la problématique du travail au profit des seules problématiques de l’emploi et de la redistribution. Je ne nierai pas l’importance de ces problématiques, mais si vous aviez lu La Cité du travail de B. Trentin (livre sur lequel j’ai quant à moi écrit un article dans la Quinzaine Littéraire (version courte) et dans la revue Travailler (version longue), vous auriez pu saisir que la question du travail vivant forclose tout au long du XXe siècle a éclaté sous une forme tragique depuis les années 1990. Les nouvelles formes de domination liées au tournant gestionnaire imposé par la finance ont produit des conséquences délétère d’une haute toxicité. D’ailleurs je pense que vous deviez cesser de jouer la concurrence « anti/ou/altercapitaliste » , cesser sans doute aussi de vous contenter de la lutte des classes pour penser en termes de domination, ce qui aurait l’intérêt de dépasser des luttes de concepts inessentielles pour vous tourner vers ce qui fait problème. Ce qui fait problème c’est le travail et sa disqualification, hélas commune à des camps supposés antagonistes.
Il serait temps de relire l’appel de Philadelphie et de comprendre ce que nous disent des auteurs comme C. Dejours ou Alain Supiot par ailleurs engagés pratiquement dans la défense du travail. Après avoir été longtemps syndicaliste (ce qui veut dire aussi que j’ai passé au moins vingt ans à défendre mes collègues) et avoir quitté tout syndicat pour cause de non défense de mon travail (j’étais dans l’enseignement secondaire puis supérieur), je ne suis pas loin de penser que l’absurde division entre le politique et le syndical est cause de bien des maux et laisse le champ libre aux politiques pour s’investir dans la défense de la finance au nom du « TINA », mais permet aussi au syndicalisme de jouer le jeu convenu que cette division entraîne en ne posant jamais le problème hautement politique du travail . On ne dit jamais assez que la charte d’Amiens eut comme détermination le soupçon légitime que les partis se réclamant de la gauche allaient trahir sur la question de la guerre. Or … à la guerre comme à la guerre, la dépolitisation de la question du travail qui a pu être supportée à l’époque où les travailleurs pouvaient espérer des retombées du système économique, est aujourd’hui un facteur de la désaffection des syndicats qui ont récusé les problèmes que le travail ultra-libéral posait pour la subjectivité humaine, et les syndicats ont eu beau jeu (?) de négliger ces questions. Il le payent aussi du fait de leur non engagement sr la question du travail.
La gauche doit sans doute aujourd’hui opérer un tournant, tournant que n’opérera jamais le FN , même « dédiabolisé » parce que le FN est un parti qui est du côté de la domination malgré des discours populistes. A vous de voir…
Réponse de Michel Zerbato à Marine Verlhac
Merci de réagir à mon texte, votre commentaire est stimulant.
Je suis d’accord avec vous pour dire que la question de l’emploi et de la redistribution l’a emporté sur celle des conditions de travail. J’ai suivi les débats engagés par C. Dejours ou A. Supiot sur la « souffrance au travail » ou la « subordination », qui sont des questions vitales, au sens propre, mais je n’oppose pas question du travail et question de l’emploi, elles sont toutes deux posées concomitamment par la crise structurelle du capitalisme. Et toutes deux, celle de l’emploi et de la redistribution comme celle du travail vivant et de la domination, renvoient au travail vivant : sans emploi ou redistribution, pas de travail vivant, dominé ou pas. Ce que j’ai alors voulu expliquer, c’est que c’est la place des syndicats dans la lutte des classes dans un capitalisme « intégré » par la consommation, via la redistribution, qui a « naturellement » fait qu’ils ont « priorisé » la défense de l’emploi et des salaires.
C’est selon cette logique que j’oppose alter et anti, car la question du travail vivant, comme vous l’appelez, est posée le rapport capitaliste et durcie par la crise du capital qui impose la baisse des coûts salariaux, soit par la casse des salaires, soit par l’obtention de gains de productivité (cadences, harcèlement, etc.). Dès lors, il n’y a pas de solution dans un alter-capitalisme, qui suppose résolue la crise et la question de l’emploi. C’est le rapport capitaliste qui donne au propriétaire des moyens de production, c’est-à-dire du travail mort, le pouvoir de dominer
le travail vivant, et la lutte des classes n’est que la lutte entre le dominant, que les lois économiques contraignent à toujours obtenir plus du dominé, et le dominé, qui, lui, résiste pour vivre, plus ou moins décemment.
La Déclaration de Philadelphie est pétrie de bons sentiments, mais ses principes n’auront pas plus de réalité que ceux de la Déclaration de 1789 si on ne les situe pas dans une perspective anti-capitaliste, car les lois du capital nient les principes de ces deux déclarations et un alter-capitalisme ne vise pas à les annuler.
Enseignant-chercheur en économie, j’ai été responsable syndical de la section Snésup de mon université pendant la lutte des assistants, dont j’étais, pour l’obtention d’un statut de titulaires. En arrière plan de ce combat, il y avait les conditions d’exercice de notre activité, qui s’opposaient déjà au pluralisme des idées. Très vite, avec les difficultés économiques des années 80, la dérive dont nous parlons a commencé, et je me suis quelque peu écarté du syndicalisme, jusqu’à ne plus payer ma cotisation dans mes dernières années « actives ». Cette dérive était la conséquence du tour technicien pris par le syndicalisme, avec, j’en conviens sans peine, l’abandon de la question des conditions de travail, ou plutôt l’assimilation de cette question à celle des moyens. Contrairement à ce que vous semblez penser, je ne nie pas « le problème hautement politique du travail », bien au contraire, mais le marxiste matérialiste que je suis, critique de l’économie politique, le renvoie à la nature capitaliste des rapports sociaux de production, pas à quelque anthropologie sociale, aussi méritoire soit-elle. Car, je le répète, la domination n’est pas un fait politique, social ou juridique, ce ne sont là que mises en musique d’une partition écrite par l’histoire des rapports de production.
Pour conclure, votre souci du travail vivant est totalement légitime, et je constate avec vous qu’il n’est pas celui des syndicats, mais je maintiens que ce n’est pas la cause principale de la désaffection qu’ils subissent. Parce que, quand il s’agit de sauver les meubles, la conscience du travail, dont vous déplorez à juste raison la perte, est noyée dans la recherche des conditions matérielles de la vie et a bien du mal à remonter à la surface.
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