La République doit-elle promouvoir le mariage ?

La secrétaire d’État chargée de la famille, Claude Greff, en présentant sa politique de soutien à la parentalité vient d’affirmer : « Le mariage est un acte républicain porteur des valeurs de ”liberté, égalité et fraternité”… Pour la République, la création d’une union entre deux personnes soucieuses de fonder une famille est une démarche fondamentale. »  Notons d’abord que si cette définition du mariage civil, orienté vers la procréation légitime et les avantages et obligations en découlant, correspond bien à l’état de la société française napoléonienne, celle du code civil et de l’obsession de la transmission patrimoniale et patriarcale, elle n’est plus – sauf en partie dans la jurisprudence – celle des textes et moins encore celle de la majorité des citoyens, qui refuse comme le montre l’évolution des pratiques le caractère sacralisé de la famille : nous ne reviendrons pas sur les chiffres du divorce (un mariage sur deux) ni sur ceux du pacs (deux dissolutions sur trois si l’on considère les années 2005-2009 par rapport à 2000-2004), ni sur les relents d’homophobie que dégage cette insistance en faveur du mariage civil (1).
Si nous combattons la fiction, appuyée par les cléricalismes, de la famille comme « cellule de base de la société », nous ne pouvons que défendre l’idée d’une égale reconnaissance des différentes formes d’union hétéro- ou homosexuelle (mariage civil, pacs, union libre) et d’un traitement identique des enfants qui en naissent ou sont adoptés. Mais il s’agit avant tout d’admettre que le citoyen, la citoyenne, priment à cet égard sur tout modèle culturellement ou historiquement établi, dans des choix librement fixés par des adultes entre les formes d’union, et sans laisser planer l’idée qu’ils seraient moins responsables à l’égard de leur conjoint ou de leur descendance du fait de ne pas être passés devant M. le Maire. Et sans poser par principe que les unions doivent durer alors qu’elles génèrent des situations de souffrance.
Mme Greff conclut à la production d’un livret destiné à rappeler les droits et obligations des futurs mariés, bien. Mais pourquoi ne pas ouvrir l’information à l’ensemble des formes d’union en termes de filiation, d’adoption et d’héritage, de façon à comparer objectivement et – à terme peut-être –  remettre à plat l’ensemble des solutions existantes ?
La question de la célébration du mariage est également abordée. Il est légitime que certains souhaitent donner à leur union une forme festive et ouverte, et il est vrai que dans les métropoles les mariages « à la chaîne » du samedi ont parfois un caractère frustrant. Si l’on ne peut demander aux mairies de s’adapter à toutes les convivialités ethniques ou religieuses, il reste que des rituels républicains existent et peuvent apporter un  « supplément d’âme » laïque pour ceux qui le souhaitent ; et que déjà certaines municipalités acceptent  la reconnaissance des pacs dans les murs de la mairie, ne se bornant pas à être de simples bureaux d’enregistrement de l’état-civil.

Des familles durables pour se substituer à la solidarité nationale ?
Partant de la notion de famille « durable », et en passant par un rapport de députés UMP menés par Hervé Mariton, le ministère de Roselyne Bachelot accouche donc de la souris Greff : promouvoir le mariage civil. Mais au-delà de ce qui relève de l’ordre moral, il faut décrypter des objectifs en phase avec la politique néolibérale : une stratégie pour que soit assumé dans le champ de la solidarité et des transferts familiaux ce que l’on s’apprête à détruire dans le champ de la politique sociale et des transferts de l’État providence. Les annonces en 2010/2011 concernant le rôle des aidants familiaux à l’égard des personnes âgées en perte d’autonomie (la solidarité intergénérationnelle) en ont été un signe. Le projet de fiscalisation des prestations familiales va dans le même sens.

Allons, Madame Greff, laissez-nous apprécier la forme et la durée de nos unions et parlez-nous des questions qui relèvent de la république sociale : l’attribution des allocations familiales dès premier enfant, une politique socio-fiscale plus juste, l’amélioration de la situation des familles monoparentales… par exemple.

(1)  Mme Claude Greff préside le comité de patronage de la récente Fondation de la Famille dont les liens avec le mouvement familialiste le plus conservateur sont évidents.