À propos du Rojava kurde syrien Retour sur le n°863 de ReSPUBLICA

Reçu de Leslie O’Cankly


J’ai lu avec grand intérêt votre dernier éditorial : Comprendre le Rojava kurde syrien et je vous propose la critique suivante :

Un autre futur pour le Kurdistan ? : Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique par Pierre Bance
Dans la presse, chez les militants de gauche ou les politologues, on parle beaucoup des exploits des combattants et combattantes kurdes. Pourquoi réussissent-ils, là où les autres échouent ? Parce qu’au-delà de la défense de leur identité, une idée nouvelle leur fait espérer un autre futur : le confédéralisme démocratique. Et de cela, on n’en parle pas.
Au début des années 2000, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) abandonne le marxisme-léninisme et son ambition de construire un État-nation kurde. Il adopte alors l’idée et la stratégie du confédéralisme démocratique pensé par son leader, Abdullah Öcalan, lui-même fortement influencé par le municipalisme libertaire du philosophe américain anarchiste Murray Bookchin qui place l’écologie sociale comme moteur de la révolution. Les organisations de la société civile (associations, syndicats, coopératives, communautés ethniques et religieuses, partis…) se mettent en réseau sans que leur stratégie n’exclue la conquête de municipalités et l’élection de parlementaires. Le but est de marginaliser l’État et finir par le rendre inutile, tout comme le capitalisme. Le confédéralisme démocratique ne se limite pas au Kurdistan, il a une vocation universelle.
En Turquie, le PKK souhaitait abandonner la lutte armée pour se consacrer à la fédération, déjà bien engagée, des communautés kurdes dans le cadre d’une nouvelle constitution turque. Le processus de paix ayant été rompu en 2015 par le gouvernement turc, une lutte acharnée se poursuit sur les terrains militaire, social et politique.
Au Nord de la Syrie, le Rojava, sous contrôle du Parti de l’union démocratique (PYD), s’organise selon l’autonomie démocratique, phase préalable au confédéralisme démocratique. Un « gouvernement » appelé auto-administration démocratique assure la gestion de la région. Ce pouvoir se dissoudra-t-il dans la société civile confédérée ou maintiendra-t-il un État ? Dit autrement, le fédéralisme libertaire sera-t-il assez fort pour vaincre le fédéralisme politique mis en place et justifié par la conduite d’une guerre incertaine ?
Tout n’est pas parfait au Rojava, l’État n’a pas disparu, la démocratie directe est loin d’être générale, et le fédéralisme libertaire des communes auto-administrées balbutie. Cependant, trouve-t-on ailleurs une telle volonté radicale de changement dans un contexte politique, culturel et militaire si peu propice ? La révolution ne se fait pas en un jour, alors pourquoi douter que les Kurdes parviennent à construire un autre futur d’émancipation ? Leur expérience est un exemple, non un modèle, pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le mouvement social.

Pierre Bance, docteur d’État en droit, a été directeur des éditions Droit et Société de 1985 à 2008. Anarchiste et syndicaliste, ses derniers travaux sont publiés sur  le site Autre Futur.
Un autre futur pour le Kurdistan ? : municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique par Pierre Bance. Noir et rouge, 2017. 399 pages. 20 euros.

Je vous salue avec amour au nom de l’anarchie.