Analyse du discours présidentiel, ses présupposés et les leçons à en tirer pour l’action

En ce début de printemps, nous pouvons décrypter le mouvement « réformateur » de la communication hollandaise dont la dernière allocution télévisée du jeudi 28 mars est un morceau d’anthologie.

Première caractéristique : le néolibéralisme est la fin de l’histoire

De ce point de vue, il perpétue cette absence de perspective nouvelle qui est le point commun des politiques de ces dernières décennies. Pour la campagne présidentielle, le futur président de la République appliqua le théorème de Pasqua : « les promesses n’engagent que ceux qui y croient et non ceux qui les présentent au peuple ».

Le fond de l’argumentaire « made in Medef » est flagrant : la crise ne serait due qu’à des « indélicats », il faut donc moraliser et sécuriser le dispositif néolibéral. La dette est légitime, elle est due à un montant excessif des dépenses publiques et sa diminution est la priorité. Pour sortir de la crise, il faut « baisser les charges des entreprises » et tout sera réglé ensuite selon le théorème de Gerhard Schröder : « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et le plein emploi après-demain ». Il faut tuer la démocratie et la remplacer par le gouvernement représentatif selon la formule de Siéyès pendant la Révolution française : « un peuple n’existe que représenté ».

Il importe peu que tout cela soit faux ou que cela défende les seuls intérêts de l’oligarchie.

Deuxième caractéristique : le néolibéralisme de gauche diffère du néolibéralisme de droite par la stratégie

Alors que la droite néolibérale présente au peuple un compromis direct entre les intérêts des néolibéraux et des néocléricaux, les néolibéraux de gauche organisent des avancées sociétales (le PACS, le mariage pour tous, etc.) comme seule perspective politique positive pour les citoyens et les salariés. Par contre, il gère comme ses prédécesseurs la régression économique et sociale : augmentation du chômage et de la précarité, dépassements d’honoraires, augmentation des inégalités sociales de santé, de logement, scolaires, de transport, culturelles, territoriales, etc.

Troisième caractéristique : alors que Sarkozy engageait le « mouvement réformateur » contre l’ensemble des syndicats de salariés, son successeur préfère faire « des efforts » pour que la régression économique et sociale puisse être avalisée par le syndicalisme d’accompagnement du système.

On voit bien là une différence de stratégie du pouvoir entre la période 2009-2010 et l’année 2013. Mais la communication hollandaise apporte un nouveau pan stratégique.

Quatrième caractéristique : les reculs sociaux, c’est pour tout de suite, les avantages éventuels sont renvoyés en délibération aux calendes grecques.

Ainsi est programmé ledit accord interprofessionnel du 11 janvier dont les éventuels bienfaits pour l’humanité doivent être discutés dans les années qui viennent dans des discussions de branche ou d’entreprise. Ainsi est organisé le discours sur le chômage : « il va augmenter jusqu’à la fin de 2013 et ensuite, la répartition des bénéfices sera pour le peuple et l’attente populaire sera grassement récompensée ».

Conséquence immédiate : une nouvelle étape pour le mécontentement du peuple.
Comme l’a montrée l’élection législative partielle de l’Oise de mars 2013, le gouvernement produit la désespérance. Alors que la candidate socialiste a presque fait jeu égal en juin 2012 en perdant que de 63 voix au deuxième tour, elle a subi le syndrome jospinien de 2002 : elle est éliminée dès le premier tour au profit du Front national. Mais cette fois-ci ce dernier fait presque jeu égal avec la droite au deuxième tour malgré le soutien du PS au candidat UMP. Le candidat du Front de Gauche perd des voix tout en augmentant légèrement en pourcentage (+1,4 % pour finir à 6,4 %).
Comme dans les années 30, comme dans les années Jospin, la ligne de plus grande pente est que le mécontentement vis-à-vis de la gauche gouvernementale renforce, sans changement de stratégie du Front de Gauche, la droite et l’extrême droite.

Que faire ?

Nous proposons l’ouverture d’un grand débat autour de dix propositions :

1) Soutenir le mouvement syndical revendicatif qui est aujourd’hui en première ligne de la lutte des classes dans notre pays (CGT, FSU, FO, Solidaires, Confédération paysanne)

2) Soutenir la ligne CGT du syndicalisme rassemblé pour travailler à la Convergence salariale, afin de ne pas « naturaliser » la division syndicale voulue par le Medef et le gouvernement.

3) Éviter deux écueils mortifères pour le salariat : le néolibéralisme et son avatar le social-libéralisme d’une part et le gauchisme d’autre part. Contre le premier, nous devons travailler à l’autonomie du salariat sur une base alternative au néolibéralisme. Contre le second, nous devons lutter contre le sectarisme, et la quiétude dans la marginalisation sans influence vis-à-vis de la majorité des salariés et des citoyens. Par exemple, il faut rompre avec les montées nationales décrétées par des collectifs de lutte qui ne mobilisent que quelques centaines de militants.

4) Développer les actions de résistance aux politiques néolibérales y compris par des associations et des collectifs de lutte, mais qui doivent amplifier les actions syndicales par une liaison plus forte entre usagers et travailleurs (exemple : les collectifs locaux d’hôpitaux ou des maternités de proximité, les collectifs locaux de la Convergence Services publics, les collectifs pour un audit citoyen de la dette, etc.)

5) Développer une campagne de masse des actions locales d’éducation populaire liées aux luttes sociales avec toute la diversité des formes : conférence interactive, conférence gesticulée, théâtre-forum, conférence populaire, ciné-débat, théâtre engagé, ateliers de lecture, etc., et des outils : diaporamas, vidéo, etc. À noter que cela n’a rien à voir avec les meetings entre militants convaincus avec une multitude d’intervenants qui disent avec plus ou moins de talents les mêmes généralités qui ne rassurent que les militants convaincus.

6) Travailler tous les sujets de l’éducation populaire avec l’état des lieux et l’histoire, les enjeux et les alternatives. Refuser toute prééminence surplombante (une idée qui résout tous les problèmes !) et globaliser tous les combats qu’ils soient démocratiques, laïques, sociaux, écologiques ou féministes. Travailler à la cohérence des discours autour d’un modèle politique (qui n’est pas un programme politique !). Nous suggérons celui de la République sociale comme actualisation de la pensée de Jean Jaurès au 21e siècle avec des principes constitutifs, des exigences indispensables, des ruptures nécessaires et la stratégie de l’évolution révolutionnaire.

7) Les partis politiques de la gauche de gauche (et non de la gauche de la gauche) doivent prendre la mesure du fait qu’aucune transformation sociale et politique d’importance ne peut se faire sans le soutien actif des couches populaires ouvriers et employés (53 % de la population) et les couches moyennes intermédiaires (24 %). Pour cela, il convient de changer la pratique militante traditionnelle tant dans la communication, que dans les contacts, dans les initiatives, etc., mais aussi développer les discours à partir des préoccupations des couches populaires : santé et protection sociale (retraites, santé, médico-social, perte d’autonomie, politique familiale, etc.), chômage, précarité et droit du travail, école, logement, services publics, immigration et nationalité, etc. Vérifier par exemple si, dans votre dernière motion de congrès, on parle de protection sociale c’est-à-dire de plus de 30 % du PIB !

8) Les partis politiques de la gauche de gauche doivent mieux tenir compte des phénomènes sociologiques et urbanistiques qui se sont la « gentrification » qui organise la ghettoïsation sociologique et rejette de plus en plus les couches populaires dans les zones périurbaines et rurales, l’éloignement inexorable et les temps de transport pour aller travailler, la montée des inégalités sociales de santé, de logement…

9) L’ensemble des organisations politiques, syndicales, associatives, mutualistes doivent porter un regard critique sur la démocratie dans leurs organisations. Pourquoi ? Parce que proposer plus de démocratie (avec au moins les quatre conditions de Condorcet) dans le pays en se complaisant dans son organisation à une absence de démocratie par l’application du principe de représentation (1)Si pour Siéyès « un peuple n’existe que représenté », beaucoup d’organisations « n’existent que par leurs dirigeants » ! devient peu crédible pour les salariés et les citoyens et favorise le fossé entre les représentants et les représentés.

10) Corollaire du point précédent, n’y aurait-il pas nécessité de revendiquer un droit à l’enseignement, à l’éducation populaire et à l’information aux fins de rendre possible une alternative en terme de médias ?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Si pour Siéyès « un peuple n’existe que représenté », beaucoup d’organisations « n’existent que par leurs dirigeants » !