André Gomar : « la population d’origine maghrébine est victime d’amalgames au faciès, par ceux-là mêmes, qui parlent de laïcité « ouverte », « positive » ou « tolérante

André Gomar est Président de l’Observatoire de la laïcité de Saint-Denis, une ville de la région parisienne, où il réside depuis une dizaine d’années. Il est retraité de la SNCF, et a un long passé militant politique, syndical et associatif, notamment sur les questions culturelles au sein du Comité d’entreprise de la gare de Saint-Lazare, à Paris. Il est, depuis dix-huit ans, président de l’association des cheminots cinéphiles, présente chaque année au Festival de Cannes. L’intéressé se fait un point d’honneur de préciser que, sans même de concertation entre sa composante, l’Observatoire se retrouve avec une quasi-parité entre les femmes et les hommes. Ses membres sont issus de divers horizons de la gauche et de pays.


Hakim Arabdiou : la laïcité est-elle à ce point mise à mal à Saint-Denis au point de susciter la création d’un Observatoire de la laïcité, spécifique à votre ville ?

André Gomar : L’Observatoire de la laïcité de Saint-Denis a été créé sur l’initiative d’un groupe de militants laïques qui en avaient ressenti la nécessité. Il faudrait toutefois préciser que Saint-Denis n’est pas la seule à disposer d’un Observatoire de la laïcité. Il en existe dans d’autres communes et départements, en France. Si notre Observatoire est spécifique à notre ville, ce dernier ne s’interdit pas, le cas échéant, de prendre position contre les atteintes à la laïcité ou d’impulser activement cette dernière dans d’autres villes, département et dans le monde.

Il a par exemple cosigné avec l’Initiative Féministe Européenne (IFE) un texte contre les attaques que subissait Alicja TYSIAC, jeune femme polonaise, de la part de l’Église et des médias catholiques fondamentalistes, parce qu’elle avait esté en justice l’État polonais, qui lui avait refusé de recourir à l’IVG, pourtant légale, ayant mis sa santé et sa vie en danger. Il en a été de même pour la comédienne algérienne, Rayhanna, qui avait été agressée, près de la Maison des Métallos, rue J.P. Timbaud, à Paris. Nous avons relevé à Saint-Denis, comme dans les villes environnantes, un certain nombre d’atteintes à la laïcité, en particulier dans les services publics. Par exemple, les enseignantes et les enseignants sont désemparés face à la contestation, pour des considérations religieuses ou politico-religieuses, de certains de leurs enseignements littéraire, scientifique ou philosophique, par certains élèves, sous influences. Il est également porté atteintes aux principes fondamentaux de la laïcité : liberté de conscience, égalité des droits et autonomie du politique, la création d’un parti politique chrétien intégriste, et opposé au droit à l’avortement… Par conséquent, les objectifs de notre Observatoire sont tout à la fois de défendre la laïcité et de faire œuvre de pédagogie, quant à l’histoire et aux fondements de la laïcité, de la distinction entre le culturel, le religieux et le politique, entre l’intérêt général et l’intérêt particulier, etc. Toutes ces notions ou questions sont ignorés par beaucoup d’habitants de notre commune.

H.A. : A quel type de contraintes par rapport à son environnement, votre
association est-elle confrontée ?

A. G. : Notre association est confrontée à une méconnaissance de la laïcité. Il est également primordial de redire que la laïcité n’est pas synonyme d’athéisme. La laïcité a aussi été galvaudée et instrumentalisée. C’est pourquoi, dès que des militants laïques entreprennent une initiative en faveur du respect de la laïcité, aussi bien cette action qu’eux-mêmes sont immédiatement l’objet de suspicion. Ils sont alors calomniés, en se voyant qualifiés de sectaires, d’intolérants, de laïcards, d’intégristes, voire de racistes. Cela montre l’existence un véritable blocage de la critique et du débat libre, que nous ne pouvons pas faire semblant de ne pas le voir. Tout l’enjeu est de concilier la liberté d’expression et respect des opinions.

H. A. : Quelles sont les réactions des pouvoirs publics, notamment des élus, face aux atteintes à la laïcité ?

A. G. : Notre observatoire existe depuis plus d’une année. Il y a quelques semaines, nous avons été reçus par le maire, communiste, de la gauche pluriel) et son chef de cabinet, dans un contexte politique tendu, en raison des élections cantonales. Cette réunion a constitué une prise de contact et permis un échange d’informations, avec la promesse de se revoir, afin de discuter de l’élaboration d’une Charte de la laïcité, dans les services publics à Saint-Denis. Il n’est pas simple de débattre de laïcité sur la place publique, de crainte justement de «stigmatiser» selon le mot détourné de son sens. Des desseins de clientélisme électoral en vue des municipales sont aussi derrière les non-dits du débat. À mon avis, la population d’origine maghrébine est victime d’amalgames au faciès, par ceux-là mêmes, qui parlent de laïcité « ouverte », « positive » ou « tolérante ».


H. A. : Quelle est la position de votre Observatoire par rapport à l’initiative récente de l’UMP de débattre de la laïcité et de la place de l’islam en France ?

A. G. : La laïcité est mise à mal partout sur le territoire. La loi de 1905 a été rognée, depuis un siècle, par et sous différents gouvernements. Les derniers soubresauts de l’UMP et de l’extrême droite se sont réclamé de la laïcité, pour ouvrir un débat, ne peut être qu’inacceptable, car il risque d’aboutir à des amalgames dangereux, et de constituer surtout un prétexte pour remettre en cause l’un des principes de la loi de 1905, sur le non-financement des cultes par l’argent public. Les représentants des six religions monothéistes ne s’y sont pas trompés. Ils ont, dans un texte récent, refusé à juste titre ce débat, mais ils ont tout de même souligné la nécessité de relancer le rapport Machelon, lequel préconise le financement des cultes par des fonds publics. Ceci en violation de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, instituant la séparation entre les Églises et l’État. Ce qui est assourdissant dans ce contexte, où les principes fondamentaux de la laïcité sont visés, c’est le silence de la gauche française, qui s’est contentée de rejeter ce débat. Elle a préféré ni voir, ni débattre sur ce qui se trame derrière ces manœuvres.

Propos recueillis par Hakim Arabdiou, pour ReSPUBLICA