Après son congrès 2016, où en est la CGT ?

Nouvelle bifurcation pour la CGT. La radicalisation du discours est manifeste. L’unification de la centrale sur le retrait de la loi El Khomri en est le ciment. Le « syndicalisme rassemblé » sur les bases de la CFDT, c’est comme Capri, c’est fini. Le virage par rapport à l’ère Thibault-Le Paon est enfin pris.
Un congrès animé qui a vu suivant les scrutins une abstention d’environ 10 % et des votes contre de 25 à 30 %. La raison principale est la « neutralité » du rapport d’orientation qui n’a pris à bras-le-corps aucun sujet important, en dehors de celui du fonctionnement des structures CGT.
Mais Philippe Martinez et son équipe ont pris la mesure de ce mécontentement par un discours d’ouverture plus « punchy » que le rapport d’orientation. Ils ont tenu compte des débats du congrès, puisque le secrétaire général a appelé dans son discours de conclusion du congrès à des grèves massives le 28 avril, précisant même que la possibilité de la reconduction du mouvement serait soumise aux travailleurs comme cela fut demandé par un nombre significatif de délégués.
Les votes massifs pour la désignation de la direction confédérale montrent que le congrès fut satisfait des inflexions que nous résumons ici et que de nombreux délégués critiques ont apporté leurs mandats à la direction confédérale. Ce fut un congrès vivant, et non un congrès stalinien comme celui de la CFDT, par exemple.
Il reste que si la CGT veut reconquérir une plus grande place dans le syndicalisme, il lui faut aller vers plus de cohérence, revenir à la pratique de la « double besogne », modifier ses structures et ses pratiques pour tenir compte des évolutions que le mouvement réformateur néolibéral a fait subir au salariat, devenir un pôle de rassemblement du syndicalisme revendicatif, et renouer avec la pratique de l’éducation populaire.
A cet égard, nous avons été surpris par le manque de cohérence dans le fait que la CGT n’a que très peu porté le 70e anniversaire de la Sécurité sociale et même celui des lois d’Ambroise Croizat de 1946, alors que c’est la CGT qui a été la force vive de la création de la Sécurité sociale. Tout le monde pourra le voir lors de la sortie nationale, début novembre 2016, du film « La sociale » de Gilles Perret, film qui lancera avec ses ciné-débats, le débat sur ce morceau d’histoire et sur la protection sociale de demain.
Nous pourrions aussi pointer, entre autres, les incohérences dans les propositions des comités d’entreprise animés par la CGT dans les choix des complémentaires santé.
De même, si plusieurs interventions sont revenues, à juste titre, sur le danger, pour le monde du travail et toute la société, de la montée du Front National, la question des mêmes risques, représentés par l’extrême-droite religieuse et le communautarisme, a été très peu évoquée, alors qu’elle est une préoccupation importante pour de nombreux secteurs du syndicat.

Quant à la « double besogne, quotidienne et d’avenir » comme le stipule la Charte d’Amiens de 1906, elle est nécessaire pour articuler les revendications et les actions immédiates avec le projet d’ensemble émancipateur qui s’oppose au réel d’aujourd’hui. Le Conseil national de la Résistance (CNR), qui incluait la CGT, avait fait cette double besogne en éditant son programme le 15 mars 1944 : le plan d’action immédiate et le projet émancipateur des « Jours heureux ». Cette double besogne est aujourd’hui à repenser et à appliquer par tous les acteurs de l’émancipation, même et surtout si chaque acteur (syndicats, partis, associations) doit être indépendant des autres acteurs de nature différente. Pour cela, relisons ce qu’en disait Jean Jaurès en 1913 (1)http://www.jaures.eu/ressources/de_jaures/le-syndicalisme-et-le-socialisme-1913/. Aujourd’hui comme hier, il convient que le syndicat précise le modèle politique qui entre en cohérence avec le plan des revendications immédiates.
Quant à la prise en compte des évolutions du salariat : gentrification, suppression des grandes concentrations ouvrières et employées, augmentation du nombre de salariés travaillant dans des entreprises sans syndicats, etc., il conviendrait sans doute de réévaluer le travail des unions locales, d’en augmenter le nombre, et de faire en sorte qu’elles deviennent des lieux d’éducation populaire.
Est-il opportun que la France reste le champion du monde du nombre de structures syndicales ? Est-ce que cela ne nuit pas à l’efficacité syndicale ? La question mérite d’être débattue, non ?
Il va de soi que le moteur du syndicalisme est porté par les luttes sociales. Mais l’histoire montre que son efficacité croît lorsque ces luttes sociales sont associées à des initiatives complémentaires d’éducation populaire. Car sans éducation populaire, pas de bataille pour l’hégémonie culturelle, et sans bataille pour l’hégémonie culturelle, pas d’émancipation.
En attendant, saluons la nouvelle phase dans laquelle est entrée la CGT.