Décès de Didar Fawzy Rossano, révolutionnaire et internationaliste des XXème et XXIème siècles

Hélène Cuenat, dans ses Mémoires, la Porte verte (1)éditions Bouchène, Paris, 2001., cite Didar Fawzi Rossano, parmi les six résistantes pour l’indépendance de l’Algérie, qui s’étaient évadées, en février 1961, de la vieille prison pour femmes de la Roquette (aujourd’hui rasée, et située alors entre le cimetière Père-Lachaise et la Mairie du 11e à Paris.
D’après l’auteur de cet ouvrage, le nom de jeune fille de la résistante égyptienne est Diane Rossano, son prénom est Didar, Fawzi c’est celui de son premier mari, colonel parmi les officiers libres égyptiens, avec Nasser, puis diplomate.

Ces militantes y étaient emprisonnées, ainsi que plusieurs autres résistantes algériennes et françaises, parce qu’elles appartenaient soit au Front de libération nationale algérien, comme les deux Algériennes de naissance, Zina Harraïgue et Fatima, soit au réseau Jeanson, comme les trois militantes françaises, condamnées à 10 ans de prison chacune : Micheline Pouteau, Jacqueline Carré et Hélène Cuenat, militant du PCF, soit au Réseau de Henri Curiel (communiste juif égyptien), comme Didar Fawzi Rossano. (NDLR).

À l’automne 1980, dans le bateau qui reliait le port italien d’Ancône à celui d’Haïfa par les routes méditerranéennes, Didar Fawzy Rossano accomplissait son premier voyage vers Israël. Elle avait 70 ans et elle affichait une curiosité de jeune femme pour ce pays déjà si présent dans sa vie, en négatif ou positif. À mi chemin, l’île de Rhodes, et ses petites figues noires si savoureuses, dépassée, les douaniers israéliens l’appelèrent (comme les autres passagers) pour contrôler son identité. Le jeune officier tentait de comprendre : « vous vivez à Genève, vous êtes de nationalité britannique, vous êtes née au Caire, votre assurance sociale est italienne, et votre permis de conduire est algérien. Et vous vous appelez Diane ou Didar ?… ». De son accent chantant et rauque qui roulait les r, Didar remonta le fil du temps, et le douanier lui remis son passeport avec un léger sourire admiratif et presque tendre. Didar pouvait poursuivre son chemin et ses combats, parmi lesquels, lorsqu’elle faisait route vers Haïfa, la volonté de rapprocher Israéliens et Palestiniens.

Elle était née, en août 1921 au Caire, dans le confort d’une famille de la bourgeoisie juive de la capitale égyptienne alors cosmopolite, bruyante et joyeuse. Pour montrer que l’antisémitisme y était alors inconnu, elle racontait que ses camarades d’école, musulmanes ou chrétiennes, prétendaient toutes être juives. Son désir de s’ouvrir au monde fut précoce : à 12 ans, elle fuguait en compagnie d’un cousin, en route pour l’Amérique fantasmée. Ils furent rattrapés avant d’embarquer. La seconde guerre mondiale éclata alors qu’elle fêtait ses 18 ans. Les mouvements antifascistes, communistes ou nationalistes prenaient de l’ampleur en Égypte, sous l’impulsion des diverses communautés, britanniques, françaises ou juives. Une figure émergea, celle d’Henri Curiel, lointain cousin, issu de l’une des familles les plus prospères du Caire, qui passa de la vie d’oisif à celle de militant indéfectible du communisme international, du soutien aux luttes anticolonialistes, et de la paix israélo-arabe. Elle mis ses pas dans les siens, imbriquant avec cohérence sa vie privée et combattante, révolutionnaire aussi bien dans le public que dans le privé.

Le premier homme à l’éblouir fut un officier libre, engagé dans le coup d’État mené par Nasser en 1952 contre une monarchie en déliquescence. Ce ne fut peut-être pas toujours facile pour Névine et Maïra, leurs deux filles qu’elle aimait tant, parfois à distance, et se voulait attentive à leurs propres parcours, sans jamais chercher à les influencer. Elle pouvait aussi être entêtée, sans être butée… Un jour je la croisais avec sa petite fille Gwénaëlle, alors âgée de 10 ans, dans le métro parisien. La veille et l’avant veille, elles avaient vu Le livre de la jungle, puis Blanche neige et les sept nains. Didar refusait d ‘aller plus loin dans cette concession au capitalisme américain triomphant en allant à la séance des 101 dalmatiens. Gwenaël insistait en souriant joyeusement, sûre d’emporter le morceau. Je sus qu’elle n’avait pas échappé au film honni…

Elle fut de tous les combats d’Henri Curiel, : à la fin des années 40 en Egypte avec la fondation du Parti communiste ; en France avec l’aide aux Algériens du Front de libération nationale, dans les années 50, jusqu’à ce qu’ils conquièrent leur indépendance (elle « portait leurs valises », en fut emprisonnée et s’évada spectaculairement de la prison pour femmes de la Roquette en 1961) ; en Algérie, dans les années 60, pour participer à l’expérience socialiste algérienne où elle excella dans la mise en place des chantiers de jeunesse ; au Proche Orient, pour aider les uns et les autres à se parler ; en Afrique du Sud, avec les militants antiapartheid ; etc, etc. L’assassinat d’Henri Curiel, le 4 mai 1978 à Paris, par un commando de mercenaires, ralentit ses activités. Cela ne signifiait nullement un renoncement. Elle se déplaça sur le terrain de l’écriture et de la recherche, publia sa thèse sur le Soudan contemporain, puis ses mémoires. Et continua à nous faire part de ses réflexions sur le monde agité de l’après 11 septembre. Elle s’enthousiasmait ces dernières semaines à l’écoute des échos révolutionnaires en provenance de son Égypte bien aimée, mais aussi de Tunisie et d’ailleurs.

Voilà deux ans, elle avait annoncé avec une certaine timidité que le combat le plus pertinent aujourd’hui était sans doute celui des femmes pour leurs droits et leur émancipation.

Elle marchait vite et toujours droit devant elle, ceux qui suivaient devaient parfois courir pour ne pas être tenus à distance. Une voiture aura eu raison de sa force, à Genève, un après-midi de mai 2011.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 éditions Bouchène, Paris, 2001.