Développement et banalisation de l’extrême droite en Europe

Aux élections européennes de juin 2009, l’extrême droite a réalisé un score à deux chiffres dans sept États membres (Pays-Bas, Belgique, Danemark, Hongrie, Autriche, Bulgarie et Italie), et une performance entre 5 et 10 % dans six autres États (Finlande, Roumanie, Grèce, France, Royaume-Uni et Slovaquie). On peut rajouter la dernière percée de l’extrême droite suédoise (5,7 %) en 2010. Après la poussée de l’extrême droite dans quelques pays, dont la France avec le FN dans les années 80, la dernière période est marquée par une généralisation de l’implantation de l’extrême droite en Europe. Cette généralisation s’accompagne d’une banalisation dommageable de l’extrême droite :

  • dans plusieurs pays, elle est au gouvernement ce qui lui permet de s’implanter dans l’appareil d’État. Ce n’est pas encore le cas en France heureusement.
  • dans plusieurs pays, cet état de fait organise une pression sur les droites dont une partie semble réceptive aux sirènes de cette extrême droite. C’est le cas de la France malheureusement.
  • dans plusieurs pays dont la France, des militants de la gauche et de l’extrême gauche font le virage vers l’extrême droite comme dans les années 30 avec les dérives de Doriot, Déat et de leurs séides.

Bien évidemment, tout cela est dû à la crise du capitalisme et à l’incapacité des gauches de fournir une alternative radicale, mais crédible alors qu’elles se sont vautrées dans l’acceptation d’une alternance conduite avec le même paradigme que les politiques néo-libérales. Il va de soi par exemple en France que l’incapacité des gauches y compris certaines qui sont anti-libérales de faire leur autocritique sur la période passée et notamment de la période Jospin risque d’être lourde de conséquences.
Qu’on se le dise, la montée de l’extrême droite n’est que la conséquence de l’inconséquence des gauches dans un état donné de la crise du capitalisme. Pour combattre les extrêmes droites, il faut d’abord les combattre pied à pied sans indulgence, développer des stratégies à front large, mais aussi proposer une alternative radicale aux politiques jusqu’ici employées. Il faut donc changer de paradigme.
Sans ce changement de paradigme, les couches populaires (ouvriers, employés, majoritaires dans le pays) ne s’allieront pas avec les couches moyennes (minoritaires dans ce pays, mais très influentes) et dans ce cas, la situation continuera de développer la tendance notée ci-dessus.
Mais comment construire une alternative sans faire son deuil de la sinistre CMU anti-populaire mais charitable (avec son effet de seuil) pour lui préférer la solidarité et donc l’accès à la prévention et aux soins de qualité partout et pour tous sans effet de seuil ?
Mais comment construire une alternative sans dire que plus jamais la gauche ne devra diminuer le temps de travail en baissant le salaire des ouvriers et des employés comme elle l’a fait sous le gouvernement Jospin lors de la deuxième loi sur les 35 heures alors qu’elle ne l’avait pas faite en 1936 et en 1981 ?
Mais comment construire une alternative sans remettre en cause l’ensemble des politiques menées par les gouvernements de gauche au pouvoir y compris lorsque ces gouvernements avaient comme ministres des dirigeants aujourd’hui à la tête de partis sociaux-libéraux ou anti-libéraux ! Car leurs politiques n’avaient pas rompu alors avec la logique néolibérale sur de nombreux sujets importants ( la protection sociale, les services publics, l’école dans tous ses secteurs, l’Union européenne, la laïcité, la politique, recherche et innovation industrielles, l’économie républicaine de gauche, répartition des richesses, etc.) ?
Mais comment construire une alternative crédible en défendant aujourd’hui sur les retraites, la répartition par le revenu différé avec neutralité actuarielle qui entraîne un écart hommes-femmes abyssal de 38 % alors que le dépassement du capitalisme appelle à lui préférer la répartition par le salaire socialisé lié à la qualification ?
Mais comment construire une alternative sans organiser une éducation populaire de grande ampleur pour tous y compris chez les ouvriers et les employés pour mettre en débat non seulement la nécessaire résistance aux politiques néolibérales, mais aussi la politique alternative nécessaire ? Ce ne sont pas les programmes des partis de gauche et d’extrême gauche réalisés par un petit cénacle dans chacun des partis sans aucun débat démocratique d’ampleur qui sont à la hauteur des enjeux. Les congrès-grands-messes qui font « écho aux applaudissements imbéciles » (alors que Jean Jaurès dans son discours à la jeunesse à Albi disait : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. ») ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Faudra-t-il vivre sous une autre forme ce que l’humanité a déjà vécu ?
Aujourd’hui, même en France, nous avons cette politique anti-républicaine contre les Roms. Comment est-ce possible ? La réponse est ci-dessus.
Est-il possible de vivre un sursaut des gauches ou sommes nous condamner à revivre le passé si bien décrit par ce texte de Martin Niemöller, pasteur protestant, arrêté en 1937 et envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen puis transféré en 1941 au camp de concentration de Dachau, où il écrivit ces lignes :
« Quand ils sont venus chercher les communistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait personne pour protester.
»