En défense du Darwinisme

Publié sur le site du Parti de Gauche

Vous pouvez trouver plus d’information sur l’ouvrage cité dans cet article en allant sur le site “Science – Religion – Société” [NDR]

Dans quelques jours, sera célébré en France et partout dans le monde, le 150ème anniversaire de la première publication de L’Origine des espèces par le moyen de la sélection naturelle, ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie (traduction littérale du titre original en anglais). En effet, le 24 novembre 1859, à Londres, les 1250 exemplaires du premier tirage du livre de Charles Darwin étaient vendus dans la journée. Il s’agissait d’un pas de géant dans l’histoire de l’Humanité, dans sa marche pour la connaissance scientifique, mais aussi pour son émancipation, permettant une compréhension scientifique – libérée des croyances et des idéologies – du mécanisme de transformation et de diversification adaptative des espèces dans leur milieu, désignée aujourd’hui comme la théorie darwinienne de l’évolution. Cette découverte, enrichie des apports ultérieurs de la génétique, constitue le seul socle scientifique d’explication de l’évolution des organismes vivants.

Cet événement est célébré aujourd’hui dans le monde entier, et « l’année Darwin » qui a été organisée en France a été marquée par un grand nombre de publications, de manifestations, de conférences, d’expositions, dont il faut se féliciter et qui soulignent toute l’importance et la modernité de l’œuvre. Cependant, il y a lieu aussi de s’inquiéter de l’offensive radicale et massive du mouvement créationniste qui avance aujourd’hui sous sa forme contemporaine du Dessein Intelligent (Intelligent Design – ID). Un ouvrage très synthétique et très documenté a été publié sur ce sujet en 2008 aux éditions Syllepse, sous le titre Les créationnismes : une menace pour la société française ?. S’il ne fallait en lire qu’un, ce serait celui là !

Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau décrivent d’abord les différentes branches du mouvement créationniste qu’il est utile d’identifier : littéralistes ; partisans de « l’inerrance » de la bible ; promoteurs des « sciences » de la Création cherchant des preuves matérielles des événements racontés par la Bible ; etc… Mais l’essentiel de l’ouvrage est consacré au dessein intelligent et à sa stratégie globale mise en œuvre depuis une quinzaine d’années.

On aurait bien tort de prendre à la légère ce mouvement, et de le considérer comme une spécificité – un peu folklorique – des États-Unis, où fleurissent comme on le sait des musées de la création faisant cohabiter sur le pont de l’arche de Noé des T-Rex et des hommes. Du reste, on peut déjà considérer avec gravité le fait que ces formes les plus grossières du créationnisme prospèrent à ce point au cœur même de la première puissance économique du monde, disposant de relais institutionnels, financiers et médiatiques très puissants, jusque dans l’entourage immédiat de la précédente présidence.

Qu’est-ce que le Dessein Intelligent ?

L’idéologie du dessein intelligent se distingue habilement de ce créationnisme primitif et caricatural. Elle ne nie pas frontalement ni le temps géologique ni le principe de l’évolution des espèces. Elle les admet même volontiers, mais l’évolution qu’elle retient n’est pas celle qui est définie dans la théorie darwinienne qui repose sur le hasard, la variation indéterminée des traits héréditaires, et la sélection naturelle par adaptation au milieu.

Au nom d’une démarche prétendument expérimentale, accréditée par des « spécialistes » de la génétique ou de la paléontologie, les idéologues de l’I.D. se concentrent sur des exemples particuliers, comme certains systèmes biologiques considérés par eux comme sont trop complexes pour être le résultat de l’évolution (thèse de la « complexité irréductible », des flagelles cellulaires et système immunitaire par exemple), afin d’insinuer le doute sur l’ensemble de la théorie darwinienne. Là se trouve l’argument central de l’I.D. : si un seul exemple de système biologique observé vient à échapper à la théorie darwinienne de l’évolution, alors c’est bien sûr l’ensemble de la théorie qui s’effondre. La brèche est alors ouverte pour d’autres explications, impliquant une intervention divine ou intelligente dans la création et l’évolution de la vie. Cette thèse, qui tient beaucoup du sophisme et repose sur beaucoup d’approximations dans les exemples décrits, est rejetée par une immense majorité du monde scientifique.

Aux États-Unis, les tentatives d’introduire l’idéologie du dessein intelligent dans les programmes de l’enseignement public comme une alternative à la théorie darwinienne se heurtent d’ailleurs – jusqu’à présent (procès de Dover en 2005) – à une résistance forte. Mais sur le terrain pseudo scientifique, des fondations et institutions privées pullulent et débordent aujourd’hui très largement les frontières des Etats-Unis.

Une stratégie politique mondiale

Car l’autre originalité de la démarche des obscurantistes contemporains de l’I.D. réside dans la stratégie politique qu’ils développent au travers de ces organismes prétendument universitaires, en cherchant notamment à créer des carrefours où se croiseraient, à égalité pour expliquer le monde et chercher un sens à la vie, des représentants de la science, des religions, des mouvements philosophiques et politiques. Il s’agit là d’une attaque frontale, niant les principes fondateurs de la méthode scientifique héritée des Lumières.

Très implantée aux États-Unis, cette entreprise trouve partout dans le monde des relais financiers et institutionnels très influents. En Europe, des théologiens des trois religions monothéistes – juive, chrétienne et musulmane – la relaient ouvertement en trouvant dans l’I.D. un argument redoutable pour imposer la réintroduction des religions dans le domaine public. Sous l’impulsion de Benoît XVI, le Vatican s’implique de plus en plus dans les débats concernant la science. Des responsables politiques et des personnalités célèbres de la communauté scientifique y apportent leur caution. Au sein même des institutions de l’UE, ses promoteurs ont déjà provoqué des incidents multiples, notamment sur la place de la thèse créationniste et de la théorie darwinienne de l’évolution à égalité dans l’enseignement. Des ministres européens en fonction ont pris position dans ce sens. Berlusconi a tenté un passage en force pour modifier les programmes scolaires. La liste que dresse l’ouvrage de Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau des exemples révélant l’influence en Europe du dessein intelligent dans le monde est impressionnante.

En France aussi, ce mouvement s’est implanté, avec notamment l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP), principale officine de l’I.D. à la française, largement financée par la Fondation Templeton « pour le progrès de la Religion », et dont l’objet clairement affiché est de favoriser les convergences entre science et religion. Il existe bien d’autres structures comme le Cercle scientifique et historique (CESHE) ou et le Centre d’étude et de prospective sur la science (CEP).

On découvrira dans l’essai Les créationnismes : une menace pour la société française ? un inventaire assez exhaustif du réseau créationniste dans notre pays. On aura la grande surprise de découvrir le nom de certaines personnalités connues, qui s’expriment régulièrement sur l’actualité de la science sur les grands médias nationaux, qui publient des ouvrages très largement diffusés, cohabitant dans les organismes liés à l’I.D. aux côtés d’acteurs bien connus de mouvements religieux traditionalistes, intégristes et bien souvent liés à l’extrême droite.

Mais au-delà de cette enquête très documentée sur une entreprise idéologique redoutablement structurée et déterminée, ce livre révèle aussi la grande fragilité des remparts qui existent dans notre pays, avec une école publique de plus en plus fragilisée, une recherche publique démantelée, et, de plus en plus ouvertement, la remise en cause de la loi de la séparation des Eglises et de l’Etat (discours de Latran du président de la République Nicolas Sarkozy).

Une idéologie au service du capitalisme

A partir de la lecture de ce livre, qui invite à de passionnantes réflexions, un lien évident apparaît entre la diffusion actuelle de l’idéologie de l’Intelligent Design et la nature actuelle du capitalisme financier. Comme on le sait, ce dernier a modifié en quelques décennies la totalité des rapports humains, imposant ses normes productivistes et mercantiles jusque dans les relations les plus intimes de l’homme au monde. Cette sorte d’hyper-matérialisme mercantile, dont le caractère parfaitement amoral est apparu à l’occasion de la crise mondiale du système, a besoin d’une idéologie renouvelée pour se justifier et se maintenir. Il faut observer pour s’en convaincre l’agitation des derniers G8 prétendant « moraliser » le capitalisme. Dans ce cadre, les fondements matérialistes de la théorie darwinienne de l’évolution apparaissent comme un danger mortel, puisqu’ils contribuent depuis 150 ans à désacraliser l’homme et son évolution. Voici ce qu’on peut lire dans le Wedge Document, publié par la puissante institution créationniste américaine Discovery Institute : « Discréditant les conceptions traditionnelles de Dieu comme de l’Homme, des penseurs comme Charles Darwin, Karl Marx et Sigmund Freud ont dépeint les humains non comme des êtres moraux et spirituels, mais comme des animaux ou des machines évoluant dans un univers régi par des influences purement impersonnelles, dont le comportement et même les pensées sont dictés par les forces inébranlables de la biologie, de la chimie et de l’environnement. Cette conception matérialiste de la réalité a fini par contaminer quasiment tous les domaines de notre culture – de la politique et de l’économie à la littérature et à l’art. » L’Intelligent Design propose donc une « théorie » globalisante, indispensable au maintien du modèle de société capitaliste, qui promet de « renverser la vision matérialiste du monde et de la remplacer par une science conforme aux convictions chrétiennes et théistes ».

Si le Parti de Gauche n’a pas vocation à se mêler du contenu de la recherche scientifique, il est en revanche directement impliqué lorsque sont remises en causes les conditions politiques et matérielles qui garantissent l’indépendance de l’école et de la recherche scientifique. C’est exactement ce qui est en train de s’accomplir avec l’offensive actuelle des créationnistes de l’Intelligent Design. S’attaquant aux fondements même de la science, cette entreprise n’a rien de scientifique et il serait irresponsable de laisser la communauté scientifique se défendre seule. L’Intelligent Design est une entreprise clairement politique qu’il s’agit de combattre politiquement.

Les créationnismes. Une menace pour la société française ?
Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau,
Editions Syllepse, mai 2008, 138 p., 7€