Identité nationale : une confusion et une division du citoyen

Faut-il participer au débat sur « l’identité nationale » ? Certains mouvements ou partis politiques préfèrent ne pas rentrer dans ce sujet en pensant que cela n’est qu’une stratégie du gouvernement actuel pour faire oublier aux français les vrais problèmes de l’emploi, de la précarité, de l’éducation, du logement et d’autres problèmes que je rencontre également dans le cadre de mon travail et de citoyenne. Je les comprends, tant il ne fait de doute pour personne que l’initiative de Sarkozy est cousue de fil blanc, d’où les appels à la boycotter. En même temps, nous français « d’origines diverses » sommes nombreux à vouloir en profiter pour crier notre colère. Nous sommes tous Français dans nos différences, mais certains ne sont pas respectés, pourquoi ? C’est la seule bonne question et elle n’est pas posée.

La peur, l’ignorance et la manipulation sont des armes dangereuses qui peuvent renforcer le communautarisme. Or certains d’entre nous en sommes, à la cinquième génération issue de l’immigration d’Afrique du Nord et nous devons toujours justifier notre appartenance à une même nation. De plus tout se mélange, volontairement, bonnes et fausses questions pour former une bombe à retardement : immigration clandestine ou pas, musulman et intégriste, port du foulard et niqab, insécurité et jeunes des quartiers, violence conjugales et émancipations de la femme issues de l’immigration, etc.

Qui est Français ? Dans cette question se camoufle implicitement la question : qui n’est pas Français? Je suis moi-même marseillaise. Mon père ancien combattant de 1945 s’est battu contre les Allemands pour libérer les Calanques de Marseille. Ma mère a perdu quatre membres de sa famille des moudjahiddines durant la guerre d’Algérie. Je suis née en France et je suis une enfant qui a une mémoire de la colonisation et de la révolution algérienne. Mon père disait souvent des hommes qui ne faisaient pas le bon choix pour défendre la nation (mère patrie) : « le sale boulot est réservé au traître, une manière de le sanctionner pour se rappeler qui il est ». Je pense inévitablement à un certain ministre…

Celles et ceux qui veulent être rassurés par cette fausse question, par un faux ministère et un ministre qui a changé de couleur savent au fond d’eux que le problème est complexe.

L’identité est une notion complexe et contradictoire. Claude Levi-Strauss écrivait pour un séminaire au Collège de France en 1979 : « L’identité est une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de se référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il n’ait jamais d’existence réelle ». La notion se situe au carrefour de différents champs disciplinaires : droit, histoire, anthropologie, sociologie, culture et psychanalyse.

Les théoriciens actuels de l’identité ont intégré cette vision dynamique et dialectique en préférant évoquer des processus identitaires plutôt qu’une entité qui évoque la stabilité et la permanence. Non, l’identité n’est pas une histoire de connaissance sur nos ancêtres les gaulois que j’ai appris à l’école primaire il y a de cela 40 ans. Ce n’est pas qu’une chanson marseillaise, ou la coupe du monde, ou le port du drapeau national. Tous ces éléments matériels font partie de l’appartenance à une nation mais ne constituent pas forcément l’identité.

Dans ma ville, la Préfecture traduit « l’identité nationale » comme une somme d’actions matérialisées et donc détachées de toute réflexion, ce qui signifie que le fait d’agir suffit à lui seul ! L’exclusion des militants issus du tissu associatif et des habitants aurait pu contribuer à enrichir ce débat dans sa complexité. Ce sujet ne peut se concevoir sans la participation des citoyens sous peine de perdre tout sens. Une insulte à notre intelligence et à tout ce que nous avons appris dans cette douce France, laquelle, j’en conviens devient parfois amère.

Je suis française et pas fière de ce qui se passe. Je suis française, je rêve, je pense en français et je traduis mes pensées à ma mère en arabe avec parfois des mots français, cela n’autorise personne à suspecter mon identité ou le fait que je sois une menace pour l’identité nationale. A vouloir définir l’identité et à la matérialiser j’ai l’impression que nous faisons un bon en arrière de 60 ans. Mes ancêtres étaient des indigènes français en Algérie.

Est-il si compliqué de marquer à la fois l’appartenance à la France sans oublier notre origine qui a permis de construire notre identité singulière ?

Nous étions français depuis 1832 et puis nous sommes devenus français par la réintégration dans la nationalité française, par le droit du sol, par l’engagement dans l’armée française. Mais nous n’étions pas français quand mon père combattait l’occupation allemande et le nazisme. Il n’a jamais eu le droit de vote, n’a jamais eu une indemnité juste comme ses collègues de nationalité française. On est français quand les autres décident qu’on peut l’être, on n’est pas français quand les autres décident qu’on ne doit pas l’être.

Aujourd’hui, plus qu’hier, nous devons encore être « français par justifications », mais jusqu’où devons nous aller dans cette quête pour le montrer ? A qui et pourquoi ?

Je pense qu’il faut ainsi séparer la question de l’identité de la question de la Nation : pour éviter les confusions permettant à l’extrême droite de continuer à faire peur aux français et de développer une haine qui est propagée comme un virus des deux côtés. Je pense que ce ministère de la Confusion nationale devrait disparaître au profit du ministère de la Cohésion sociale. En effet, les problèmes que traverse notre société trouveront alors une solution politique dans une véritable politique publique dans le respect des droits des minorités visibles.