La crise, matrice de l’avenir

La crise ouverte à l’été 2007 et qui a entraîné, suite à la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008, le krach bancaire et financier de l’automne 2008, suscite bien des commentaires et des propositions de solutions, de la part, tant des économistes que des partis politiques. Les programmes d’action dépendent directement des analyses et il y a beaucoup à dire sur ce que l’on peut lire ou entendre, car la compréhension de la situation de crise que nous connaissons est généralement indigente, chez les libéraux, certes, mais aussi chez les tenants d’approches plus ou moins hétérodoxes, dont la radicalité apparente n’est souvent que vent et fumée.
Moins de trois ans après la faillite de Lehman Brothers, le deuxième trimestre 2011 est économiquement catastrophique et le mur de la dette devient très préoccupant. Le premier plan de sauvetage de la Grèce n’arrive pas à éviter la montée des rendements des prêts à ce pays (contrairement aux prévisions néolibérales, les taux de la dette grecque, au lieu de baisser, sont passés de 7 % à 11 % à l’automne 2010 à 16 % au printemps 2011 d’où le deuxième plan de sauvetage grec). Il faut un deuxième plan portant déjà à plus de 200 milliards d’euros « l’aide » nécessaire. Rien n’y fait ! Dès le mois d’août, les taux à dix ans dépassent 17 %. Pour une économie en récession de 6,9 % du PIB, inutile de dire qu’il n’y a pas besoin d’être un grand intellectuel pour « douter » des capacités de remboursements dans ces conditions. Et, il faut voir que le PIB de la Grèce ne compte que pour moins de 3 % du PIB de la zone euro. Mais déjà des économies plus importantes comme le Portugal, l’Espagne et l’Italie sont dans la tourmente.
Si tôt le Fonds européen de stabilité financière (FESF) annoncé avec un grand sens de la propagande, et avant qu’il soit constitué, la spéculation reprend de plus belle montrant bien l’incapacité du moteur Merkel – Sarkozy de résoudre l’équation. Dans la panique la plus totale, la Banque centrale européenne a dû accepter de mettre les règles du traité de Lisbonne entre parenthèses et de soutenir les obligations espagnoles et italiennes. Mais l’heure de vérité approche. Quand le premier ministre français annonce en août 2011 la participation française à 21 milliards pour les plans grecs, pourquoi ne pas comparer avec le raisonnement néolibéral sur les retraites où pour 40 milliards à l’horizon 2020, les caisses étaient déclarées vides ? Le deux poids, deux mesures, va finir par se voir !
Par ailleurs, en plus de l’amplification des dettes souveraines, plusieurs bombes à retardement existent encore :

  • les spéculateurs se sont protégés d’un défaut de paiement d’un État par les CDS (credit default swaps). Un effet domino pourrait avoir lieu si un défaut partiel de paiement survenait.
  • si l’Allemagne et la France restent les plus gros contributeurs du FESF avec respectivement 27,1 % et 20,3 %, on peut se poser la question des contributions de l’Italie et de l’Espagne qui doivent concourir pour respectivement 17,9 % et 11,9 %. Qu’en sera-t-il s’ils ne peuvent résister à la spéculation sur leurs dettes souveraines ?
  • malgré des transferts publics massifs, les États unis sont aussi en crise grave avec un recul inquiétant sur 2008 et 2009 de leur PIB et du revenu des ménages.

Contrairement à la propagande officielle, il n’y a pas seulement une crise financière, mais bien aussi une crise économique systémique. D’ailleurs, l’Insee nous fournit, en euros courants, pour les sociétés non financières et comptes de patrimoine l’évolution du taux de profit (Excédent brut d’exploitation rapporté au stock de capital fixe). On voit bien la baisse de ce taux depuis le début du 21e siècle. Toujours le même INSEE nous montre sur un autre diagramme que la courbe de la valeur ajoutée brute rapportée au stock de capital fixe diminue fortement dans la même période. Nous sommes donc bien en crise économique doublée d’un effet levier organisé par la spéculation financière. Il ne suffit donc pas de « réguler » le système pour s’en sortir.
Il ne suffit pas plus de conserver les structures et les règles existantes (mondialisation, Union européenne, zone euro, libre-échange, etc.) et d’espérer que seule la mobilisation sociale par le bas suffirait à « obliger les élites à changer de politique ».
Il ne suffit pas plus de décréter de façon idéaliste qu’il faille « sortir à froid » de ces structures et de ces règles (sortie unilatérale de l’Euro et/ou de l’Union européenne). Ce genre de politique implique une récession forte avant de pouvoir relancer la machine :

  • le retour à froid à une monnaie nationale dévaluée alors que la dette est toujours libellée en euros pèsera lourdement
  • une restructuration des dettes ou le fait du refus de payer certaines dettes déclarées non légitimes suite à un audit citoyen demande un rapport des forces sociales, économiques et politiques que nous n’avons pas pour l’heure.

Il ne suffit pas de décréter le retour en arrière du type « sortie de crise nationaliste dans un seul pays » ce qui n’a aujourd’hui plus de sens. L’avenir est à la constitution d’espaces larges, mais démocratiquement constitués et non imposés par un processus non démocratique comme celui de l’Union européenne.
Quant au dernier débat à la mode surréaliste « altermondialisation et démondialisation », disons-le tout net, pour altermondialiser,il faudra bien passer par une phase préalable de démondialisation pour redéfinir les fondamentaux : nouvelles alliances solidaires dans un espace large, monnaie unique uniquement avec des économies et des politiques au départ convergentes, monnaie commune avec les autres avec un dispositif de mise en convergence dans le temps, néo-protectionnisme écologique et social entre les espaces économiquement, socialement et écologiquement divergents, etc.
En fait, c’est la crise elle-même qui fera exploser ou non la mondialisation néolibérale, l’Euro, ou l’Union européenne. Tout ce que l’on peut dire aujourd’hui est que la probabilité de cette explosion augmente. De fait, il faut être prêt, dans tous les cas : d’abord à protéger, dans le temps court, par la résistance populaire et par des politiques institutionnelles, économiques et sociales les acquis sociaux et la sphère de constitution des libertés (protection sociale, école, services publics notamment). Mais il faudra aussi être prêt au dépassement du turbocapitalisme et à l’avènement d’une nouvelle République sociale si le système s’effondre. Dans les deux cas, il est nécessaire d’articuler le mouvement d’en bas (mobilisations sociales et politiques) avec le mouvement d’en haut (institutions) en modifiant les institutions et la constitution en travaillant en même temps dans le temps court que dans le temps long.

Mais l’acteur principal du changement ne peut-être que le peuple lui-même et non ses « élites ». Il faut donc qu’il soit en état de comprendre la réalité matérielle, les enjeux, les alternatives possibles, pour qu’il puisse sortir du sentiment de fatalité, d’impuissance ou de soumission aux « élites ». Il faut donc développer sur une intensité bien plus forte qu’aujourd’hui, sur tous les territoires, l’éducation populaire tournée vers l’action. ReSPUBLICA aidera tous ceux qui iront dans ce sens.