Laïcité et concordat : l’exception doit-elle être érigée en règle ?

La rédaction du numéro 46 des 60 propositions de François Hollande donne des signes de précipitation et de confusion dont on espère que la campagne qui va se poursuivre les éclaircira ou les abolira – en attendant un mandat présidentiel que beaucoup souhaitent et qu’il faudra le cas échéant, et comme toujours, « avoir à l’œil » (1)L’Observatoire international de la laïcité contre les dérives communautaires a rédigé un second communiqué après avoir pris connaissance du détail de la proposition 46.A télécharger ici. Voir également sur le site du Monde l’article de Caroline Fourest daté du 27 janvier. !

Pleine de bonnes intentions, elle propose en effet de constitutionnaliser certains principes de la loi de 1905 portant séparation des églises et de l’Etat, mais le rédacteur ajoute aussitôt  « sous réserve du statut particulier d’Alsace-Moselle ».

En voici le texte, repris sur le site Projet présidentiel François Hollande :

Je proposerai d’inscrire les principes fondamentaux de la loi de 1905 sur la laïcité dans la Constitution en insérant, à l’article 1, un  deuxième alinéa ainsi rédigé :  «  La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l’État, conformément au titre premier de la loi de 1905, sous réserve des règles particulières applicables en Alsace et Moselle. »

D’abord que doit-on entendre par l’expression  « règles particulières applicables en Alsace et Moselle » ? S’agit-il du statut local de protection sociale qu’il serait effectivement opportun de préserver ? ou bien du régime concordataire dérogatoire à la loi de 1905, régime qui est contraire aussi bien à la liberté de conscience qu’à la liberté  des cultes, ainsi qu’au principe de non-reconnaissance et de non financement public des cultes (2)Voir dans cet article pourquoi les dispositions concordataires sont contraires à la liberté de conscience et à la liberté des cultes. ? Car s’il s’agit de réaffirmer ce régime, on ne peut qu’admirer le tour de passe-passe qui graverait dans le marbre constitutionnel ce qui n’est que dérogatoire et ferait dire à un texte constitutionnel « J’énonce un principe et je dis aussitôt qu’il ne s’appliquera pas ici et là ; je dis que la République est une, mais je dis aussi qu’elle ne l’est pas » ! Dans ce cas, on souhaite bien du plaisir aux constitutionnalistes chargés de rédiger un texte sérieux pour le soumettre à un Congrès.

Pendant qu’on y est, on pourrait aussi faire la longue liste des détournements, dévoiements et dérogations par lesquels maints élus, maintes collectivités territoriales, ont contourné la loi de 1905, particulièrement son article 2, et s’autoriser de toutes ces exceptions pour réclamer qu’elles deviennent la règle ? C’est sur ce type de manoeuvre que s’appuient de nombreuses tentatives de toilettage de la loi de 1905.

Mais les politiques de tous bords nous ont habitués à ces manœuvres : confier à quelques obscurs rédacteurs (je devrais plutôt dire : à quelques petits malins) le soin de donner les petits coups de cuillère qui dénaturent une proposition en proclamant les principes pour mieux les piétiner. On en a vu naguère un exemple avec la commission Gerin qui, reprenant le rapport Machelon, proposait ingénument un financement public des lieux de culte.

On a donc l’habitude. Mais de même que, au rugby, les matches ne se gagnent pas avec des petites entourloupettes du genre des « cuillères », mais avec une bonne grosse mêlée où s’engage un pack solide, de même les combats politiques supposent qu’on mette autre chose dans la mêlée que quelques petits malins qui rédigent des textes faits d’une dentelle cousue de fil blanc.

On se doute que François Hollande a d’autres chats à fouetter en ce moment et qu’il recouvrira d’un édredon salutaire de telles mesquineries. A présent il importe avant tout de faire obstacle à l’actuel locataire de l’Elysée. La question, si elle réapparaît ultérieurement, fera forcément l’objet d’un débat : ce n’est pas rien que de réunir un Congrès. Alors, patientons – chaque chose en son temps.
On vous a à l’œil, et on vous retourne la proposition : peut-être bien que « la République vous rattrapera » !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 L’Observatoire international de la laïcité contre les dérives communautaires a rédigé un second communiqué après avoir pris connaissance du détail de la proposition 46.A télécharger ici. Voir également sur le site du Monde l’article de Caroline Fourest daté du 27 janvier.
2 Voir dans cet article pourquoi les dispositions concordataires sont contraires à la liberté de conscience et à la liberté des cultes.