“Laisse chérie, je vais le faire” (2)

Suite de l’article, Il ne fait rien à la maison. Comment gagner le combat quotidien ?

Le tableau n’est pas si noir. Les hommes coopératifs existent. Souvent jeunes, diplômés et cadres, ils seraient les meilleurs garants de la solidité du couple. Qui sont ces mutants qui font rimer bonheur et aspirateur? Enquête chez les couples égalitaires. Et pistes pour les imiter.

Homme au ménage = couple sans orages ? C’est ce que semblent démontrer deux études étrangères (1)London School of Economics: Men’s Unpaid Work and Divorce. 2008. Et Université de Riverside en Californie: contemporaryfamilies.org. Une enquête de la London school of Eonomics, a donc radiographié les pratiques ménagères de 3500 couples britanniques restés au moins cinq ans ensemble après leur premier enfant né en 1970. Il en ressort qu’un homme qui participe aux tâches domestiques aurait moins de risques d’être quitté par sa femme. En revanche, le risque de rupture serait beaucoup plus élevé dans ces familles tradi où Madame est au foyer, et Monsieur a mieux à faire, qu’à mettre la main à la pâte. D’après les conclusions de l’étude, même la perspective de se retrouver sans ressources n’arrête plus les desperate housewives britanniques! Cette tendance va t-elle traverser la Manche? Et dans une très sérieuse étude californienne, on apprend que plus les hommes partagent les corvées ménagères, plus les femmes sont heureuses, plus les couples font l’amour (si si!), et moins ils se disputent pour des histoires de rangement ou de vaisselle. Heureux ceux qui savent faire rimer passion et Paic citron…

En France, les “perles” qui font leur part à la maison existent aussi. Leur portrait type selon les diverses études qui les ont pistés? Un jeune cadre diplômé, qui ne veut plus sacrifier ses responsabilités familiales sur l’autel de la réussite professionnelle. Mais, notent les sociologues, il est surtout flanqué d’une compagne à profil équivalent: mêmes études, même type d’entreprise, un travail à plein temps, qu’elle est bien décidée à conserver, enfants ou pas. Soit environ 15% des couples (2)Etudes et Résultats N° 570. Entre maison, enfant(s) et travail : les diverses formes d’arrangement dans les couples.. Autre facteur méconnu d’égalité, le divorce, qui réveille parfois … un potentiel ménager inexploité. Antoine, éditeur, séparé, trois filles: ” J’avais l’image d’un homme incapable de se débrouiller seul à la maison. Séparé, j’ai appris à cuisiner, à m’arrêter au marché pour acheter des légumes de saison. J’ai même publié un livre à partir de mon expérience : La cuisine du divorcé (3)Antoine Isambert. Editions Ulmer. . J’ai appris à démystifier les travaux ménagers. Je suis incollable sur le Mir Black pour mes jeans noirs, et je ne fais plus rétrécir mes pulls. Si un jour je me remets en couple, plus jamais une femme n’aura le droit de s’occuper de mon linge. Car je ne veux pas d’une relation basée sur des échanges de services.” Le divorcé auto-rééduqué serait-il l’avenir de celles qui refusent de tout assumer? Quoi qu’il en soit, nous avons rencontré des couples de partageurs pour comprendre les secrets de leur égalité ménagère…A copier sans modération!

Camille et Benjamin, 24 ans, jeunes diplômés:
On partage tout comme en coloc !

Benjamin, ex-handicapé du ménage/ fils à sa maman, a appris à se débrouiller dans une coloc d’étudiants, où il était impensable qu’un membre ne prenne pas sa part de travail.

Camille: ” Nous avons gardé les bonnes habitudes de sa bande: un tableau hebdomadaire des tâches de chacun, et surtout, des tours de ménage scotché sur le frigo. Pour les corvées les plus rebutantes, nous alternons chaque mois. Exemple: les toilettes. Il n’y a pas de raison pour que ce soit toujours le ou la même qui s’y colle. De même, pour éviter un déséquilibre dans les dépenses pour l’appart, nous avons, outre nos propres comptes bancaires, un compte commun destiné entre autres, à l’achat des produits d’entretien. Mais rien n’est écrit dans le marbre, et nous nous adaptons aux imprévus en tous genres. Ainsi, pour connaître les horaires de l’autre au jour le jour, très variables, dans nos jobs de commerciaux, pots d’entreprise inclus, nous avons aussi affiché les emplois du temps de chacun, également accessibles en temps réel sur un agenda électronique partagé. Ca n’a rien d’intrusif: pour le moment, nous nous entendons bien, et n’avons rien à cacher à l’autre” (rires).


Agnès, 29 ans, assistante maternelle, et Julien, 30 ans, agent de planification
Nous sommes interchangeables!

L’égalité ménagère, ça peut aussi se décider à deux, question de principe, tout simplement.

Julien: “Je “n’aide” pas Agnès à faire le ménage : nous en faisons autant l’un que l’autre, nuance. Lessive, repassage, vaisselle, nous sommes totalement interchangeables. Tout en nous adaptant à l’emploi du temps de l’autre, ayant des horaires très différents: celui qui est en congé en fait plus que celui qui travaille. Tout vient de mon éducation. Nos parents nous ont élevés mon frère et moi ,avec deux idées fortes. Primo: les femmes et les hommes sont totalement égaux. Secundo: conséquence logique, tout le monde doit participer aux différentes tâches ménagères. Et puis, comme mes parents ont divorcé assez rapidement, je les ai observés dès l’âge de huit ans vaquant à leurs tâches ménagères chacun de leur côté. J’ai donc bien retenu qu’un homme est parfaitement capable de tenir une maison, et qu’une femme a besoin d’être aidée, pour avoir plus de temps pour elle. Et puis comme je m’ennuyais très vite, j’ai pris l’habitude de demander à ma mère si je pouvais l’aider pour m’occuper…” De son côté, aînée d’une fratrie où elle jouait le rôle d’une petite maman adjointe pour aider sa mère elle aussi divorcée, Agnès, qui a dû s’éduquer elle-même à l’égalité domestique n’en est pas revenue… “Mon souvenir le plus marquant? C’est un peu intime, mais parlant: mes rêgles venaient de débarquer, et j’ai eu la surprise de voir Julien prendre naturellement ma culotte tâchée de sang et la passer sous l’eau pour enlever le plus gros, avant de la mettre à la machine à laver…”

Gaëlle, 36 ans, cadre sup dans une agence de pub, et Pierre-Jean, 40 ans, directeur marketing dans l’édition:

Chacun son boulot à la maison !

Parce qu’on n’a pas tous les deux les mêmes goûts et compétences…

Pierre-Jean: ” Gaëlle travaille beaucoup. Pas question pour elle comme pour moi qu’elle se transforme en Bobonne. Et puis je crois que la voir torchonner, ça tuerait mes fantasmes” (rires). Une femme qui ne se tue pas au ménage est beaucoup plus disponible pour son homme et ses enfants. Issu moi-même d’une famille nombreuse, je voulais avoir beaucoup d’enfants (nous avons quatre filles!) sans que leur mère soit professionnellement pénalisée. Nous avons donc fait un deal: partager le travail, mais à chacun son boulot. Nous sommes complémentaires: à moi les sorties piscine avec la petite dernière, les courses au supermarché, les plantes vertes, les machines à laver, étendage du linge compris. Ma femme de ménage m’a même demandé mes secrets pour obtenir un tel blanc (rires). Gérer le linge de la famille, mettre les culottes sales des filles au panier, c’est une des multiples manières de m’occuper d’elles.

A Gaëlle la cuisine, le rangement des chambres de nos filles, et la gestion de leur scolarité». D’où vient cette attitude exemplaire? ” Au départ, je suis un ex étudiant très autonome, une vraie fée du logis, marié à une fille d’ambassadeur qui avait tout à apprendre côté tâches domestiques (rires). Mais il y a plus “fondateur”: ma mère, une féministe, a décidé de retravailler le jour où elle a découvert que mon père, un pater familias à l’ancienne, avait une liaison. Moi-même, je ne cesse de répéter à mes filles qu’elles ne doivent être au service de personne. ”


Caroline, enseignante, et Joël, commerçant, 50 ans tous les deux.
Bien observer l’autre avant de (re)tenter la vie à deux

Souvent partants pour dépoussiérer leurs habitudes ménagères: les couples qui recomposent…

Caroline: ” Nous sommes ensemble depuis deux ans, mais nous avons gardé chacun notre appartement: un délicieux va et vient entre deux maisons, deux lits, et… deux façons de ranger/nettoyer… Ce qui permet d’observer discrètement l’autre avec l’œil d’une anthropologue – son territoire, ses habitudes ménagères,- et d’en déduire si ça vaut le coup de tenter un jour de cohabiter, ou s’il est préférable de rester dans ce confortable entre-deux. Pour le moment, j’ai constaté de visu que Joël ne s’en sort pas trop mal chez lui, mais à tendance à se couler dans le moule traditionnel et à se conduire en invité quand il est chez moi (souvent, parce que j’ai un ado à la maison, et qu’il n’est pas question que je sorte tous les soirs pour retrouver mon chéri). Au début, il y a donc eu quelques tensions, chacun arrivant avec sa propre expérience ménagère de couple. Du coup, j’ai pris quelques mesures, pour rééquilibrer les tâches et faire à deux le ménage du week-end, “dans la joie et la bonne humeur”: par exemple laisser en plan quelques tâches ciblées, comme débarrasser la table et la nettoyer, et aussi emplir/vider le lave-vaisselle. Quand il n’y a plus une seule assiette propre, ni un coin de table disponible, en général Joël, même en râlant finit par entrer en action. La leçon vaut aussi pour mon fils. Je compte sur l’effet d’entraînement à deux… Quelques astuces perso: Joël déteste le contact de l’éponge mouillée, pire gluante. J’ai donc disposé des lingettes pré-imbibées multi-usages un peu partout. Ca marche! Et puis des accessoires de ménage sympa: gants humoristiques, balai aux couleurs psychédéliques. Très important, pour motiver les troupes, des ustensiles propres, neufs (un peu comme les fournitures scolaires de la rentrée). Et puis comme je déteste moi-même le travail domestique parce que je ressens, toutes ces corvées comme une perte de temps absolue, nous écoutons des trucs sympas tout en faisant le ménage: musique à fond ambiance concert de rock, ou bien émission intéressante, philo, économie, billets d’humeur, podcastée sur France Culture, histoire de se cultiver tout en lavant les sols.

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Pour en savoir plus sur les petits arrangements domestiques dans le couple: “L’injustice ménagère”. Sous la direction de François de Singly. Armand Colin.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 London School of Economics: Men’s Unpaid Work and Divorce. 2008. Et Université de Riverside en Californie: contemporaryfamilies.org
2 Etudes et Résultats N° 570. Entre maison, enfant(s) et travail : les diverses formes d’arrangement dans les couples.
3 Antoine Isambert. Editions Ulmer.