L’Alliance libre européenne ou le laboratoire des régionalismes

L’Alliance libre européenne est une alliance de divers partis politiques qui ont tous pour caractéristique de représenter une certaine région ou minorité d’un des États membres de l’Union européenne. Ses projets, toutefois, vont au-delà de la simple région UE pour inclure les États des Balkans, la Turquie, les États de l’ex-URSS. Notons également qu’elle forme avec les écologistes européens — dont Daniel Cohn-Bendit est le chef de file au sein du Parlement européen — un groupe commun. Cela implique donc une certaine convergence de leurs points de vue respectifs sur les affaires régionales, sur leur conception des États nation, et plus largement de l’Europe. Il y a comme partis membres à part entière dans l’Alliance libre européenne, en vrac : des représentants de la Galice, de la Catalogne, du Pays basque, de l’Andalousie (pour ce qui est de l’Espagne) ; de la Bretagne, de la Corse, de l’Alsace, de la Savoie, de l’« Occitanie » (pour ce qui est de la France) ; de la Flandre, de la communauté germanique de Belgique (pour ce qui est de la Belgique) ; de l’Écosse, du Pays de Galles, des Cornouailles (pour ce qui est de la Grande-Bretagne) et j’en passe et des meilleures. Ces différents représentants se réunissent régulièrement au sein d’une instance qui s’appelle le Comité des Régions, institution européenne, pour débattre des problématiques propres aux diverses collectivités territoriales des États membres, mais comme nous pouvons le constater, dans une optique de défense intransigeante des intérêts de leurs diverses régions, et ce, peu ou prou, au détriment des États-nation desquels ils sont originaires respectivement. Nous assistons donc, avec la bénédiction d’un certain nombre d’institutions européennes — notamment la Commission qui finance les projets du Comité — à l’éclosion de représentations régionales dans la « capitale » de l’Union européenne, Bruxelles, qui toutes, participent de fait, par leurs activités de lobbying, à un pouvoir parallèle, ou du moins de plus en plus concurrent, des États-nation classiques.

Pourquoi cela doit-il nous interpeller ?

Tout d’abord, parce qu’en tant que citoyens de la République française, nous sommes tous concernés par ces dérives. En effet, sans que beaucoup d’entre nous le sache, il y a déjà des représentations régionales de la Bretagne, de la Corse, du Pays de la Loire et d’autres régions encore qui font valoir leurs propres intérêts, parfois au détriment de l’intérêt national le plus légitime de la France. C’est ainsi que les eurodéputés écologistes défendent bec et ongles les écoles Diwan en Bretagne, avec, hélas, la complicité d’un bon nombre aussi d’élus socialistes. Il s’agit là, soyons bien explicites, d’une atteinte au caractère un et indivisible de l’État-nation français. En effet, que dit l’article premier de notre Constitution ? « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ». Alors certes, l’organisation de l’État français est décentralisée, mais il n’en demeure pas moins que le caractère clairement indivisible — et donc en contradiction avec l’imposition d’un modèle de type fédéraliste et régionaliste — est évoqué. Nous pouvons donc dire, a fortiori, que les élus écologistes, socialistes et autres qui se font les porte-étendards d’un tel combat sont en contradiction avec leur qualité d’élus de la République, censés être en conformité avec les principes de la Constitution. Cela, il ne faut pas hésiter à le dire et à défendre avec force ces principes qui sont aujourd’hui bafoués par ceux qui pourtant se prétendent les garants de cette Constitution. Hélas, beaucoup de ces élus de la République commirent une erreur fondamentale en intégrant un article simple dans cette même Constitution, qui à mon sens, et d’autres constitutionnalistes ne sont pas en manque à cet égard également, constitue une atteinte à l’Article Ier. Il s’agit de celui-ci : « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » (Article 75-1). Il y a là en effet, une atteinte à l’Article Ier pour la simple et bonne raison que si la République se proclame une et indivisible, et que l’État ne reconnaît qu’une seule langue, à savoir la langue française, il n’y a dès lors pas lieu d’attribuer une reconnaissance constitutionnelle à des « langues » (encore faut-il également définir ce qu’il s’agit de langue, nous pourrions parler plutôt de dialectes ou de régiolectes en prenant en compte le nombre de locuteurs notamment) qui feraient partie du patrimoine national. À cet égard, l’exemple du débat sur l’introduction de cet article au sein de la Constitution permit à beaucoup d’entre nous de remarquer qu’il y a des élus de la République qui sont prêts à défendre une conception vigoureuse et sans concession de ce qu’est l’État-nation en le refusant. Nous pouvons citer Jean-Pierre Chevènement, mais aussi Jean-Luc Mélenchon et d’autres encore.

Régionalistes, identitaires, liaisons dangereuses…

Un autre aspect devrait nous interpeller assez directement sur ces questions : une convergence toute particulière qui pourrait s’effectuer entre les partis régionalistes et des groupuscules d’extrême-droite comme celui des identitaires. En effet, M. François Alfonsi, porte-parole de la fédération « Régions et Peuples Solidaires », avait déclaré dans un entretien paru en 2010 que pour lui, « Il faudrait procéder à un redécoupage des régions non plus sur une base bureaucratique, mais identitaire ». Des propos qui auraient très bien pu être tenus par des représentants de la Mouvance identitaires, tel un Fabrice Robert. En effet, ces derniers sont aussi les pourfendeurs d’une République qu’ils estiment foncièrement jacobine et anti-régionale, et défendent, sans ambages, la solidarité entre les différents mouvements régionalistes européens, la vision d’une Europe fédérale qui donnerait davantage de place aux identités régionales, ce qui implique, peu ou prou, l’effacement, sinon la disparition pure et simple (comme objectif non avoué) des États nation. Enfin, il est important de noter aussi que l’accent est mis sur une identité intrinsèquement ethniciste, à savoir la défense d’un continent blanc et chrétien qui refoulerait, le cas échéant, les apports extra-européens, notamment provenant de l’immigration plus ou moins récente.

Conclusion

Les républicains farouches et honnêtes que nous sommes ne peuvent rester insensibles à une telle problématique. Il convient dès lors de débattre de cette problématique et de dire combien, ces mouvements ont un projet anti-républicain, et au final, anti-national. Ils ne desservent que des intérêts particuliers — à savoir ceux de telle ou telle région — au détriment des intérêts nationaux (par définition général) et permettent aussi, en accompagnant le délitement de l’autorité des États nation, de se faire, peut-être sans le savoir, les agents d’une finance mondialisée qui veut mettre au pas leurs autorités respectives au profit de multinationales, d’organismes privés et d’agences de notation. De même que nous devons être vigilants face à l’éclosion de tels mouvements régionalistes en territoire métropolitain, il faut avoir la même vigilance face aux mouvements séparatistes en outre-mer. En effet, les républicains que nous sommes ne peuvent que se vouloir les aiguillons de la pensée républicaine, de ces principes, dans l’intégralité du territoire national, tant métropolitain qu’ultra-marin, et marteler l’égalité de droit — qui faut qu’elle devienne d’ailleurs une égalité plus réelle dans la pratique — de tous les citoyens de notre Nation, quelles que soient leurs origines, leurs croyances, etc. Il faut donc, plus que jamais, que nous n’ayons point honte du vocable « jacobin », que nous le revendiquions comme étant à l’avant-garde de la défense d’une conception sincère et vigoureuse de ce que doit rester notre État nation républicain. Et à cet égard, demander une abrogation de l’Article 75-1 pourrait être un premier pas…