L’Après et l’économie

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Caricature d'un patron expliquant à ses ouvriers qu'on fait construire les voitures ailleurs pour leur revendre plus cher ici

La crise sanitaire majeure que nous vivons et subissons est révélatrice d’une crise plus vaste, sociale, écologique, démocratique et économique. Elle est un amplificateur des problèmes bien antérieurs à celle-ci comme :

  • les délocalisations massives consubstantielles de la désindustrialisation,
  • l’agriculture intensive,
  • la détérioration dramatique des grands équilibres écologiques planétaires.

La généalogie de la crise permet de mettre en lumière la question des délocalisations et de la désindustrialisation

Dès le mois de janvier, l’OMS alerte sur la pénurie de masques. Jusqu’en 2012, il y avait, en France, un plan pour qu’une épidémie ne se transforme pas en pandémie. Sous Hollande, l’État a tout oublié des besoins de stocks stratégiques de masques. Macron opte pour cacher la vérité sur la pandémie, sur les mauvaises décisions prises en 2012, sans doute car il avait partie liée avec ce gouvernement et la commission Attali sur la « libération de la croissance » dont il était le rapporteur. M. Macron a refusé la mobilisation générale de l’industrie pour fournir les masques, les blouses, les respirateurs. Il en est résulté les mensonges en cascade : « les masques ne servent à rien », « les tests sont inutiles ». Là encore, c’est parce que ceux qui prétendent incarner le « nouveau monde » sont très liés à l’« ancien », comme Jérôme Salomon, actuel directeur général de la Santé et partie prenante de la volonté de liquider les stocks de masques considérés pourtant comme la « première arme » pour réduire la pandémie à défaut de vaccins disponibles… D’autres mensonges éhontés :

  • d’Agnès Buzyn, le 21 janvier, affirmant que « Le risque d’introduction en France de cas… est faible »,
  • de Jérôme Salomon, le 21 février, osant prétendre que « nous allons être… en mesure de répondre aux demandes… de tests-diagnostics »,
  • d’Olivier Véran, le 24 février, déclarant que « La France dispose de stocks massifs de masques chirurgicaux…  pour répondre à la totalité des demandes » et le 27 février, « Notre système de santé est prêt ».
    Sur ce dernier point, seule l’abnégation remarquable des personnels de santé a permis de pallier en partie l’impéritie gouvernementale.

Cette crise met en relief la faiblesse de notre économie comparativement avec l’Allemagne voisine et la Corée du Sud qui semblent avoir été plus réactives. Cette faiblesse trouve son origine dans la volonté affirmée, durant des décennies, à vouloir appliquer le modèle anglo-saxon privilégiant le tourisme, les services (sauf les services publics naturellement), la finance, quelques grands groupes. Ce choix est en rupture avec les « Trente Glorieuses » reposant sur le maintien et le développement d’un outil industriel performant associé à une recherche publique dynamique non soumise aux lois de marché.

Parts industrielles des différents pays

Quelques chiffres sont éloquents : en 2018, la part industrielle dans le PIB était de 37,5 % en Corée du Sud, de 27,8 % en Allemagne, de 21,4 % en Italie, de 18,2 % aux USA et de 16,9 % en France. L’importance plus grande de l’industrie dans l’économie allemande et sud-coréenne a permis à ces pays de mobiliser, grâce à une reconversion rapide, leurs entreprises pour lancer la fabrication de tests, de masques, de respirateurs, de blouses… et limiter ainsi les mesures de confinement et l’atonie économique qui en découle. L’autre différence majeure se situe dans la nature des deux capitalismes français et allemand. Le français est principalement financier, méprise les frontières, ne se soucie pas de l’intérêt général. L’allemand est plus familial, soutenu par des banques régionales et a un sens de l’intérêt général plus conséquent associé à un patriotisme économique plus développé.
Cette mise en exergue de la désindustrialisation massive que les gouvernements ultralibéraux successifs ont fait subir à notre pays doit nous inciter à penser la réindustrialisation, la relocalisation de nos activités afin de retrouver une relative souveraineté industrielle, sanitaire et alimentaire.

Reconversion vers « l’économie de la vie »

Cette réindustrialisation ne peut reposer pour des raisons sociales et écologiques sur les mêmes bases qu’avant. L’après devra donner la priorité à l’« économie de la vie ». Il faudra organiser une vaste reconversion des entreprises de l’automobile, l’aéronautique, du textile, de la mode, de la chimie, de la machine-outil, de l’énergie carbonée, du luxe, du tourisme, du spectacle vivant, de l’armement… vers les productions et énergies propres. C’est vital pour la pérennité de ces entreprises et pour l’emploi des salariés car les marchés antérieurs à la crise auront disparu. Cette reconversion ne peut se réaliser sans les salariés, sans faire appel à leurs compétences, bref sans une démocratisation de leur mode de gestion. Il n’est pas interdit d’envisager une sorte de plan quinquennal pour organiser cette reconversion indispensable, une reconversion définie du local jusqu’au national voire à l’européen, si toutefois l’Union européenne se libère des traités :

  • remettre en cause le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance,
  • ne plus appliquer la directive sur le détachement des travailleurs,
  • sortir des traités de libre-échange (dernier en date, en pleine crise, celui avec le Mexique),
  • refuser le TISA sur la libération des services.

Des pistes sont à explorer avec le savoir-faire des salariés de l’automobile, de l’aéronautique, de la SNCF, de la RATP, d’Alstom, du secteur pétrolier, du secteur nucléaire, de l’EDF et GDF (Engie) dans le cadre d’un pôle public de l’énergie, avec les artisans, les TPE et PME pour développer les filières ci-dessous :

  • l’énergie marine,
  • la construction navale utilisant des procédés et matériaux écologiques (par exemple à voile avec les ingénieurs de l’aéronautique …),
  • le numérique avec des systèmes d’exploitation et des logiciels libres,
  • l’isolation des logements,
  • le transport ferroviaire national et régional pour réduire la part du transport routier des marchandises et des personnes,
  • le transport fluvial,
  • la recherche pour le moteur à hydrogène
  •  …

Il faudra sortir des situations qui relèvent de pays émergents ou sous-développés et sont indignes de la 6e puissance mondiale qu’est la France. Un exemple haut-rhinois dans la filière textile est parlant : l’hexagone produit 110 000 tonnes de lin, 80 % sont exportés en Chine, 20% vers les pays de l’Est. Le lin, ce matériau noble, est réimporté une fois filé. Velcorex a pour projet de produire des jeans, des vestes et des chemises 100 % lin made in France. La filière forestière est un autre exemple d’aberration : le bois est exporté vers la Chine et nous revient en produits finis…

La sortie de l’agriculture intensive s’impose également pour aller vers une agriculture paysanne. Le système agricole dominant actuel engendre des méfaits bien connus :

  • responsable de 30 % des gaz à effet de serre (exemple du saumon : élevé en Écosse, nourriture venant d’Amérique, tranché en Chine, fumé en Pologne, retourné en Écosse…),
  • cause de la disparition de 70 % de la biodiversité en Europe,
  • à l’origine, en lien avec le mode de consommation qu’il induit voire impose par une publicité proche du harcèlement, de la pandémie d’obésité pour 35 % des enfants et d’un adulte sur deux, de la multiplication des maladies cardio-vasculaires, des diabètes, de nombre de dépressions et de cancers…
  • coupable de l’asphyxie de 30 % des terres arables par l’usage d’intrants trop violents et de la baisse de 60 % des valeurs nutritives des fruits et légumes en 60 ans.

Sortir du modèle agricole actuel pour favoriser une agriculture paysanne en stoppant l’implantation de fermes-usines, en instaurant des prix rémunérateurs et des circuits courts, en favorisant la vente directe, en plafonnant les marges des intermédiaires et des grandes surfaces… permettrait de créer 300 000 emplois selon certaines études.
La création d’emplois dans les services à la personne devrait se développer : assistants et assistantes maternels, accompagnants et accompagnantes d’enfants en situation de handicaps, animateurs et animatrices périscolaires, auxiliaires de vie sociale… autant de métiers, soit près de 1,5 millions de personnes, pour lesquels il faudra bâtir un statut digne et accorder des revenus suffisants.

Des services publics accessibles à tous dégagés du marché

Les secteurs concernés par « l’économie de la vie » sont – sans être exhaustifs : la santé, la prévention, l’hygiène, la gestion des déchets, la distribution d’eau, le sport, l’alimentation, l’agriculture, la protection des territoires, la distribution, le commerce, l’éducation, la recherche, l’innovation, l’énergie propre, le numérique, le logement, les transports de marchandises, les transports publics, les infrastructures urbaines, l’information, la culture, le fonctionnement de la démocratie, la sécurité, l’assurance, l’épargne et le crédit. Tous ces domaines, il est essentiel qu’ils soient gérés par des services publics pensés comme autant de “biens communs” accessibles à tous, en dehors du cadre de l’économie de marché et du profit. Ces services doivent échapper à la fois à un management dicté par le privé et à l’étatisation. Pour cela leur gestion devrait relever des usagers, des salariés et des dirigeants.

L’usage de mots comme “prélèvements obligatoires” ou “charges”, mots qui cherchent à discréditer les secteurs orientés vers l’économie de la vie, ne devrait plus être l’alpha et l’oméga des orientations économiques.

L’Après ? Les liens plutôt que les biens

Cette crise nous invite à interroger pour le remettre en cause le cercle vicieux du « travailler plus pour consommer plus pour travailler plus » comme un hamster dans sa cage. La recherche absolue de la croissance à tout prix ne peut être la base d’un projet de société humaniste. Au-delà d’un certain niveau du PIB, ce dernier n’est plus corrélé avec une élévation du niveau de vie du plus grand nombre, du sentiment de bonheur ou des indices de bien-être. A partir d’un certain seuil, la croissance engendre des besoins non essentiels et artificiels. Il faudra bien chercher le bonheur, qui est une affaire principalement individuelle, ailleurs : dans les liens plutôt que dans les biens. L’expérience montre que, souvent, en cas de maladie ceux qui s’en sortent le mieux et le plus rapidement sont ceux qui ont pu tisser les plus forts liens d’amitié, liens qui renforcent l’efficacité des soins et médicaments.

Des revirements qui incitent à la vigilance citoyenne

De nombreux eurobéats et ultralibéraux convaincus remettent en cause, suite aux conséquences de cette crise sanitaire, leur logiciel passé et devenu obsolète et ne considèrent plus la nation, un certain protectionnisme, la prise en compte du local, la recherche d’une souveraineté industrielle, sanitaire et alimentaire comme des gros mots. Il en est ainsi du Président qui ne parlait, il y a peu, que de « Gaulois réfractaires », de modèle social désuet et inadapté, de la dette considérable, de nation start-up, de la santé qui coûte « un pognon de dingue ». Il a bien dû reconnaître que c’est au « vieux monde » des services publics qu’il a contribué à affaiblir, aux premiers de corvées, que nous devons de limiter les dégâts.
Sont-ce là des postures politiciennes ou des revirements sincères ?
Par le passé, nous avons été échaudés par la gauche en 1981 qui avait promis « de changer la vie » avant de changer d’avis, par Jacques Chirac qui avait dénoncé la fracture sociale avant de l’aggraver, par Nicolas Sarkozy qui avait déclaré la guerre au capitalisme spéculatif avant de le servir, par François Hollande qui avait vilipendé la finance et les très grandes fortunes avant de les bénir.

Bâtir une hégémonie culturelle pour un monde plus juste
où l’intérêt général humain prime

Peu importe. Si nous voulons avoir une chance que « l’Après » ne retombe pas dans les ornières de l’ultralibéralisme, du libre-échange sans contrainte, de la globalisation dérégulée, une lutte culturelle s’impose pour influencer la superstructure politique avec ses dogmes, ses croyances et ses pratiques à l’origine de la crise que nous subissons que la crise sanitaire n’a pas créé mais révélé et amplifié. L’hégémonie culturelle chère à Antonio Gramsci doit changer de camp sans cela tous les discours sur le « plus jamais ça » se transformeront en lettres mortes.

Un nouvel horizon

Toutes ces pistes ci-dessus évoquées ne sont pas exhaustives. Il ne s’agit pas de proposer un programme tout ficelé mais d’avancer un nouvel horizon qui offre une alternative au modèle économique actuel, une alternative à une société ultralibérale, de plus en plus inégalitaire, ploutocrate, oligarchique.
Il s’agit de proposer de bâtir une République qui permette l’intervention directe du peuple entre les élections avec le référendum d’initiative populaire ou citoyenne, une République qui favorise l’émancipation des individus, une République qui donne toute sa place à la transition écologique avec une économie bas carbone. Notre pays dispose des compétences humaines – ouvriers, employés, techniciens, ingénieurs, scientifiques, paysans et ingénieurs agronomes… – pour tourner la page de l’ancien monde.