Le religieux réinvestit le politique

La République célébrera dans quelques semaines le 105ème anniversaire de la Loi de 1905, dite de séparation des Églises et de l’État. Une belle opportunité pour rappeler l’importance de la laïcité face à la montée des communautarismes, des intolérances religieuses et de la tentation renouvelée des différents clergés à s’immiscer dans le politique.En Iran, au moment où ces lignes sont écrites, Sakineh Mohammadi Ashtiani, accusée d’adultère est menacée de lapidation au nom de la morale des « fous de Dieu ». C’est l’antique message de peur et de haine de la femme qu’on réhabilite. Imagine t-on une telle condamnation pour un homme présumé adultère ? Haine des femmes, haine des autres, haine de la liberté : leitmotiv d’une barbarie qui prétend éclairer l’avenir de l’humanité en lieu et place de l’éthique des Lumières.

Sur une échelle différente, ce sont des idées similaires qui ont conduit des Églises évangéliques et catholique à lancer une violente et indécente campagne contre Dilma Rousseff, la candidate à la présidence de la République brésilienne, au prétexte que cette femme divorcée s’était prononcée en faveur d’une évolution de la législation sur l’interruption volontaire de grossesse. La dauphine de Lula a finalement été élue et même bien élue, ce dont nous nous réjouissons. Mais à quel prix puisqu’elle a été contrainte d’abandonner une partie de son projet. Il n’est peut être pas inutile de rappeler que ce n’est qu’en 1877 que l’Inquisition a pris fin au Brésil, qui depuis a intégré la laïcité dans sa Constitution !

Le scenario n’est pas dissemblable aux Etats-Unis où la campagne électorale victorieuse des ultraconservateurs a été marquée par le retour en force d’un moralisme religieux, réactionnaire, stigmatisant pêle-mêle comme expression du diable, l’IVG, le vice, la masturbation… le « socialisme » de ce Président noir… « étranger » !

L’ingérence de l’Église romaine contre le PACS, l’IVG, la procréation assistée, l’homosexualité, la « fécondation in vitro », qualifiée de « petite sœur de l’eugénisme », en Espagne, en Argentine, au Chili, au Mexique… en Pologne, en Italie, où elle refuse de retirer les crucifix des écoles publiques, est désormais coutumière. Son omniprésence sur la scène publique et politique est telle qu’à Varsovie, un parti anticlérical vient de se créer qui veut chasser le catéchisme de l’école publique et obtenir la séparation de l’Église et de l’État !

En Espagne, l’archevêque de Madrid, président de la Conférence épiscopale, a fait descendre dans la rue des centaines de milliers de catholiques contre la libéralisation de l’avortement et la loi sur le mariage homosexuel. Et Benoît XVI en voyage officiel outre-Pyrénées a de nouveau martelé ces thèmes, s’ingérant dans la politique espagnole, tandis qu’à Barcelone, plusieurs milliers de personnes manifestaient pour la défense de la laïcité et contre l’utilisation des deniers publics pour accueillir le pape. Les Anglais avaient trouvé la même liberté de ton qui fait cruellement défaut aux Français, contraignant le gouvernement britannique à limiter le financement public du voyage pontifical à Londres et le Vatican à prendre en charge une partie du déplacement en faisant payer l’entrée aux offices !

En France, le pouvoir religieux continue de s’insinuer dans les grands choix de société et notamment les lois éthiques, jugées « trop libérales ». Le gouvernement vient ainsi de reculer en maintenant l’interdiction de principe de recherches sur l’embryon et les cellules souches, sauf dérogations très difficiles à obtenir, tandis que l’obligation de révision de la loi qui s’imposait au législateur tous les cinq ans, permettant d’intégrer les problématiques nouvelles liées aux découvertes scientifiques, est supprimée !

De la même façon, l’Église pèse pour interdire toute évolution législative en faveur du droit à mourir dans la dignité alors qu’un sondage récent atteste que près de 90 % des français sont partisans de laisser à chacun la liberté de choisir sa fin de vie.

Si chaque famille spirituelle a toute légitimité pour participer aux débats de société et proposer des règles de comportement à ses fidèles, dès lors que ceux-ci sont libres d’adopter ou de refuser, le retour du moralisme religieux en politique et les pressions sur l’État sont inquiétants. D’autant que les ministres de ces cultes ne prêchent pas toujours par l’exemple ! Le chef de l’Église catholique belge vient ainsi d’être poursuivi pour homophobie après avoir qualifié le sida « de justice immanente consécutive à la permissivité sexuelle ». Quant aux auteurs d’actes pédophiles, l’institution catholique aurait été bien inspirée de saisir la justice plutôt que d’essayer de cacher les faits et de se satisfaire de repentances.

Aussi eussions-nous préféré que le président de la République Française, qui confondait il y a peu le rôle de l’instituteur et celui du prêtre, conserva à son déplacement en octobre dernier au Vatican et à sa participation à une messe spécifique un caractère privé. Au lieu de cela, le président a pu donner l’impression d’être venu chercher quelque soutien électoral, voire quelque pardon, après certaines déclarations concernant des populations nomades ! Offensantes pour ceux qui vivent une sincère conviction religieuse, les conditions d’une telle visite sont blessantes pour les laïques qui attendent du président qui incarne la République toute entière, un devoir de réserve. C’est le Premier ministre d’une monarchie voisine, José-Luis Zapatero, qui en a donné l’exemple. Tout en recevant le pape avec les égards dus au rang d’un chef d’État, il a décidé, par souci de laïcité, de ne pas se rendre à la messe célébrée par le souverain pontife !

A Moscou, l’église orthodoxe retrouve la voie de la grande Russie blanche aux relents xénophobes et antisémites. En Egypte, les Coptes sont menacés par des musulmans extrémistes. En Irak cinquante huit Chaldéens ont été déchiquetés par une bombe alors même qu’ils étaient occupés à prier. A Jérusalem, les « hommes en noir », profitant d’un système électoral qui surdimensionne leur poids politique, veulent imposer la loi religieuse au détriment de celle de l’État, imposer leurs dogmes à tous les habitants et empêcher que soient rendus les territoires occupés, condition d’une paix durable avec les Palestiniens.

Ces événements, à des degrés divers, constituent les stigmates d’une société en voie de mondialisation libérale, lancée dans une fuite en avant qui écrase les droits sociaux, explose les services publics, ravale l’individu à une fonction de consommateur, menace les valeurs universelles que la famille humaine s’était donné comme référence en 1948 pour bâtir un monde de justice et de paix.

Paradoxalement, alors que le progrès scientifique et technique permet des avancées considérables – ne serait-ce qu’en termes de connaissance de l’espace, de la matière, de la vie –, progrès qui doivent être conjugués avec une éthique de la responsabilité et de la liberté, l’injustice sociale et l’ignorance font des progrès remarquables ! L’intolérance et la haine de l’autre sont de retour.

L’affrontement entre communautés que prépare l’illusion d’une société multiculturelle ici et le choc des civilisations là, deviennent malheureusement des scenarii du possible.

Une nation comme la France, dont l’histoire n’est certes pas blanc-bleu mais qui a porté les Droits de l’Homme et du Citoyen, a vocation à promouvoir la liberté de conscience, l’égalité des droits, la citoyenneté et donc la laïcité. A promouvoir l’universalisme de ces principes ouverts à l’humanité toute entière, à toutes les femmes et à tous les hommes, quels que soient leur couleur, leur culture, leur sexe, leur communauté d’origine, à tous différents peut–être, libres et égaux sûrement.

L’anniversaire de la loi de 1905 pourrait offrir l’occasion de lancer un tel appel et de renouer avec l’image de la France aimée dans le monde : celle d’une République pleinement démocratique, laïque et sociale.