Le retour d’Ulysse

TGP THEATRE GERARD PHILIPE, CDN DE SAINT-DENIS

En ce moment est présenté dans la nouvelle salle fraîchement rénovée du Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis Le retour d’Ulysse dans sa patrie, de Monteverdi. Une fois de plus, saluons le travail d’éducation populaire qu’a entrepris Christophe Rauck depuis qu’il dirige ce Centre dramatique national. Cette fois-ci, il s’attaque à un genre réputé élitiste non seulement parce qu’on croit, à tort, et ce spectacle le montre, qu’il faut en maîtriser les codes pour le comprendre, mais surtout parce que les places sont généralement hors de prix : l’opéra. Ses amateurs ont tendance à justifier le prix des places prohibitif pratiqué en général par le coût de tels spectacles. Argument fallacieux. Le retour d’Ulysse dans sa patrie comporte onze interprètes, douze musiciens, des costumes et des décors grandioses et pourtant la même politique tarifaire que d’habitude est proposée avec des places allant de 6 à 26 euros.

Quant au lieu commun qui considère qu’un opéra ne peut être apprécié que si on en connaît les clés, là aussi il est battu en brèche par le metteur en scène, qui explique, au sujet du Couronnement de Poppée monté en 2010 : « Il y a eu à Saint-Denis une rencontre très riche entre les spectateurs et l’opéra de Monteverdi. Une reconnaissance. De façon surprenante, une évidence. L’opéra est bien tout d’abord un art populaire, vivant, bouleversant, et donc accessible. » Si Christophe Rauck réussit son pari de faire de l’opéra un art populaire, cela s’explique, avant tout, par trois choix essentiels. D’abord, celui de l’oeuvre : Le Retour d’Ulysse dans sa patrie présente des thèmes intemporels, le destin, l’errance, la fidélité, la solitude, la liberté, dans lesquels tout spectateur d’aujourd’hui peut se retrouver. Autre choix judicieux : la collaboration artistique du metteur en scène avec Jérôme Correas, à la direction musicale. Avec les Paladins, ses musiciens, ce dernier poursuit son exploration du style parlé-chanté baroque. Ainsi on est forcément touché par la solitude et le désespoir de Pénélope quand on la découvre au début du spectacle ; on rit aux interventions de la servante, de la nourrice et du berger ; on est emporté par le chant virtuose des Dieux. Ces variations expressives rendent plus faciles l’écoute et la compréhension de l’ensemble. Enfin, ce n’est pas parce qu’il « s’attaque » à un opéra que Christophe Rauck en oublie le théâtre. On retrouve dans sa mise en scène son goût pour le théâtre à machines avec des trouvailles qui suscitent un plaisir esthétique mais sans jamais être gratuites. Ainsi on sourit quand Minerve déguisée en berger arrive chevauchant une sorte de mouton à bascule ; on sursaute quand les Dieux mettent en garde les courtisans de Pénélope qui veulent s’en prendre à Télémaque. Chaque détail fait sens et chaque tableau éblouit. Si la combinaison entre l’opéra et le théâtre fonctionne aussi bien, c’est également grâce au talent des interprètes, doublement remarquables par leur chant et leur jeu. Génial et parfaitement maîtrisé ce ballet des prétendants qui s’apprêtent à séduire Pénélope. Ridicules et drôle ces mêmes personnages incapables de se servir de l’arc d’Ulysse.

On l’aura compris cet opéra n’est que plaisir des sens. Seul regret, il ne se joue que jusqu’au 6 avril. Quelques dates sont aussi prévues à l’opéra de Nice. Espérons qu’il sera repris la saison prochaine, un tel pari de culture populaire est si rare…

OPÉRA DE CLAUDIO MONTEVERDI

LIVRET DE GIACOMO BADOARO

DIRECTION MUSICALE : JÉRÔME CORREAS

MISE EN SCÈNE : CHRISTOPHE RAUCK avec BLANDINE FOLIO PERES, ANOUSCHKA LARA, DOROTHÉE LORTHIOIS, FRANÇOISE MASSET, DAGMAR SASKOVA, HADHOUM TUNC, VIRGILE ANCELY, JÉRÔME BILLY, MATTHIEU CHAPUIS, CARL GHAZAROSSIAN, JEAN-FRANÇOIS LOMBARD –

LES PALADINS : DIRECTION et CLAVECIN – JÉRÔME CORREAS / LAMBERT COLSON, ADRIEN MABIRE (CORNETS, FLÛTES) / JULIETTE ROUMAILHAC, MARION KORKMAZ (VIOLONS) / EMMANUELLE GUIGUES, RONALD MARTIN ALONSO (VIOLES DE GAMBE) / NICOLAS CRNJANSKI (VIOLONCELLE) / RÉMI CASSAIGNE (THÉORBE, GUITARE) / NANJA BREEDIJK (HARPE) / FRANCK RATAJCZYK (CONTREBASSE) / BRICE SAILLY (CLAVECIN, CHEF DE CHANT) / 

DRAMATURGIE – LESLIE SIX / SCÉNOGRAPHIE – AURÉLIE THOMAS / LUMIÈRE – OLIVIER OUDIOU / COSTUMES – CORALIE SANVOISIN / COLLABORATION CHORÉGRAPHIQUE – CLAIRE RICHARD / MAQUILLAGES ET COIFFURES – FRANÇOISE CHAUMEYRAC

Photo : Anne Nordmann