L’hyperpuissance états-unienne minée par ses contradictions

Nous avons connu les États-Unis plus conséquents : arrivée victorieuse pour la première guerre mondiale, débarquement pendant la Deuxième guerre mondiale en Afrique du Nord et en Normandie dans la stratégie du double front avec l’Union soviétique contre le nazisme, plan Marshall, etc.

Après la guerre du Vietnam, les évolutions en Amérique du Sud, en Europe de l’Est (ex-Yougoslavie, Géorgie, Ukraine, Moldavie, etc.), au Machrek et aujourd’hui au Moyen-Orient sont en train d’affaiblir la prédominance américaine.
Après avoir éliminé la dictature militaire libyenne de Kadhafi avec le soutien des néolibéraux de droite et de gauche français, les Etats-Unis ont donné le pouvoir à leurs alliés de l’extrême droite religieuse djihadiste sunnite eux-mêmes passant des accords de coopération avec les multinationales pétrolières occidentales et principalement américaines. A noter que la conséquence directe et indirecte de cette opération libyenne a été le renforcement de l’extrême droite djihadiste sunnite en Afrique de l’Ouest et la formation des cadres actuels de Da’esh (nom arabe de l’Etat Islamique en Irak et au Levant, EIIL, dont de nombreux cadres ont été formés aux côtés des Occidentaux en Libye).

En Egypte et en Tunisie, les États-Unis ont vite réagi après le “printemps arabe” pour agir en faveur de leurs alliés néolibéraux, les Frères musulmans, largement soutenus financièrement par le Qatar. Dans ces deux pays, des forces populaires, chacune de façon singulière, s’opposent à ce dessein selon la stratégie du double front anti-impérialisme et anti-intégrisme politico-religieux.

En Irak, les États-Unis ont détruit la dictature militaire de Saddam Hussein pour mettre au pouvoir une oligarchie chiite tout en sanctuarisant la partie kurde. Là, la volonté US  de ne s’intéresser qu’aux puits de pétrole (du Nord-Mossoul et du Sud-chiite) a laissé l’oligarchie chiite, dirigée par Nouri Al Maliki soutenu par l’Iran, humilier les sunnites. Aujourd’hui, une partie de l’ossature du parti Baas de feu Saddam Hussein soutient l’armée de Da’esh qui contrôle aujourd’hui l’Ouest de l’Irak (Falloudja est entre leurs mains depuis janvier 2014), les puits de pétrole de Mossoul ainsi que le trafic maffieux de l’énergie entre l’Irak et de nombreux pays arabes dont la Jordanie. Le tout, bien sûr, soutenu financièrement par l’Arabie saoudite, toujours allié des États-Unis. À noter que l’Arabie saoudite intégriste soutient aussi financièrement l’extrême droite djihadiste sunnite contre la dictature militaire d’Assad en Syrie. En fait, la doctrine du Baas irakien a toujours été de faire des alliances de circonstances avec les amis de l’Arabie saoudite pour arriver à ses fins, comme dans les années 60 contre le parti communiste irakien ou contre l’Iran dans une guerre meurtrière. Il a fallu l’attrait du pétrole koweïtien au début des années 90 pour que le Baas rompe cette alliance.
Aujourd’hui, la frontière irako-syrienne tracée à partir d’un accord franco-anglais Sykes-Picot, confirmée par la Conférence de San Remo, n’existe plus. Un nouveau conflit géopolitique régional prend le dessus : l’Iran versus l’alliance Turquie-Arabie saoudite. En fait, l’hyperpuissance états-unienne n’arrive plus à contrôler l’ensemble de la région comme elle le faisait jusqu’ici. Pire, elle pratique des alliances contradictoires, en Libye et en Syrie d’une part et en Irak d’autre part. C’est une preuve de faiblesse qui ne trompe personne sur place.

Il ne serait donc pas impossible qu’une nouvelle tension envenime le Proche-Orient, cette fois-ci dans la mesure où l’extrême droite israëlienne pourrait être tentée de profiter de ce nouveau chaos et où l’influence de l’extrême droite djihadiste sunnite risque de se renforcer en Palestine et en Jordanie.
Là, comme ailleurs, seule la stratégie du double front contre les impérialismes et contre les extrêmes droites intégristes permet de garder une cohérence d’ensemble. Alors que la diplomatie française, que ce soit sous le règne de Sarkozy ou de Hollande-Fabius, s’est alignée comme jamais derrière l’étendard états-unien. Comme quoi là aussi, l’alternance n’est pas une alternative.

Gardons quand même à l’idée que le plus grand défi des États-Unis dans l’avenir restera son affrontement avec la Chine en Asie, la prochaine étape étant le redémarrage en 2015 de la négociation sur le Partenariat transpacifique sur le commerce et l’investissement dit PTP ou TPP), actuellement bloquéepar les agriculteurs japonais. Au fait, en matière de « grand marché » transatlantique, quelles couches sociales sauront en Europe s’opposer au TAFTA (Traité de libre-échange transatlantique) d’une part, de l’autre au TISA (Trade in Services Agreement, portant sur le commerce des services, clandestinement concocté depuis l’échec de Doha, voir aussi l’article de Z. Ramdane dans ce numéro) ?