« Liberté – Égalité – Laïcité », par Jean-Paul Brighelli

Le titre du livre de Jean-Paul Brighelli : Liberté – Égalité – Laïcité (Hugo Doc, 2015) annonce le message de son auteur: la fraternité peut attendre car l’urgence est la défense de la laïcité. Passé de la gauche à la droite, Brighelli n’a pas oublié les brillants Fragments d’un discours amoureux de Barthes, dont il se sert pour personnaliser sa conception de la laïcité. « Il en est de la laïcité comme du ‘je t’aime’ », écrit Brighelli, « toute adjonction restreint le sens du mot ».

L’essai de Brighelli ne se résume cependant pas à une déclaration d’amour à l’adresse de dame laïcité. Brighelli veut une laïcité « pure et dure ». Pour ce faire, il  dénonce le fanatisme islamique, sa barbarie, sa rouerie, sa bêtise, son terrorisme, sa force invasive. Mais il a pire ennemi. Citant le regretté Charb qui avait « moins peur des intégristes religieux que des laïques qui se taisent », Brighelli croise le fer avec ceux qui ferment les yeux quand des jeunes filles non voilées sont agressées. Il fustige tous ceux qui, par lâcheté, intérêt ou  aveuglement, préfèrent le déni de réalité aux principes universalistes de liberté et d’égalité. Il condamne une gauche convertie au social libéralisme qui ne se contente plus de miner le projet d’instruction pour tous. Aujourd’hui incapable de tracer un nouvel horizon politique, cette gauche, désertée par les travailleurs les plus exploités, prétend avoir trouvé un idéal de remplacement dans des idéologies victimaires et revanchardes, anti-égalitaires, autoritaires et anti-rationalistes. Tétanisée par la rhétorique intimidante des Indigènes de la République et de leurs émules, parfois gangrenée par des communautaristes ultra-réactionnaires, cette gauche a oublié que le fanatisme religieux menait à l’oppression et à la guerre. Elle creuse sa tombe à  force de renoncements, d’errements et de trahisons. Il y a hélas du vrai dans cette dénonciation d’une partie de la gauche et de l’extrême gauche.

Brighelli est un polémiste de droite qui se revendique antiraciste et condamne la bêtise des « extrêmes-droitiers qui imposent le cochon » dans les cantines scolaires, au lieu de proposer plusieurs menus. Mais si l’on s’accorde sur la nécessité de séparer « ce qu’on doit à César et ce qu’on croit devoir à Dieu », cette séparation ne suffit pas aux démocrates, pour qui une dictature est inacceptable même si elle ne s’appuie pas sur la religion. De même, une approche simpliste de la distinction du domaine privé et du domaine public fait omettre que la laïcité garantit l’exercice collectif et public des cultes, sous réserve de l’ordre public. Brighelli ignore que les fondateurs de la laïcité scolaire n’ont jamais séparé l’instruction et l’éducation, pas plus qu’ils n’ont imaginé que la République laisserait aux seules familles l’éducation des enfants. Il ne voit pas davantage qu’au cours de l’histoire, la laïcité a permis d’associer la liberté et l’égalité des droits aux formes sociales concrètes de solidarité, d’entraide, de justice et de coopération : de fraternité, donc.

Ce sont là des objections ordinaires que la gauche laïque peut opposer à la droite républicaine, dans le cadre de débats démocratiques. Mais des formules outrancières en cascade rendent ce livre contreproductif et, à certains égards, rédhibitoire. Prétendre que l’enjeu est aujourd’hui la défrancisation de la France, qu’il est temps de refermer les  portes de l’école et celles l’Europe, qu’il n’y a guère de différence entre une burqa et un voile, etc., c’est opposer au langage haineux des Indigènes de la République un extrémisme verbal, incompatible avec l’universalisme de la laïcité. La rhétorique colérique de Brighelli s’affranchit souvent de la réalité empirique. Sa plume provocatrice dérape quand elle lui fait écrire qu’« une fille voilée, c’est une djihadiste en puissance et même, pour bien des gens, une djihadiste de l’intérieur ». Ainsi, les efforts louables du républicain de droite pour résister à l’extrême droite sont parfois pris en défaut.

Le meilleur du livre se trouve à la fin, dans deux textes que Brighelli a eu l’heureuse idée d’annexer à sa prose excessive : la Lettre au monde musulman d’Abdennour Bidar et un discours de Jaurès pour qui la tâche est de « réconcilier l’Europe avec elle-même, l’humanité avec elle-même » et de « préparer la fraternelle justice sociale, émanciper et organiser le travail ».