Mali – Algérie – Sahel : sortir de la confusion entretenue

Des évènements sans images et sans informations crédibles ouvrent la voie à une propagande médiatique Cette propagande, largement entretenue pour raison de guerre, brouille les pistes de compréhension de la réalité matérielle. L’information est en elle-même un élément de la guerre en ce siècle. Il y a même lieu de dire, qu’en soi, la guerre de l’information devient permanente au fur et à mesure que nous avançons dans ce XXIe siècle. L’un des sujets récurrents sur lequel se concentre la propagande des pôles dominants est celui du traitement du djihadisme musulman et de sa matrice génitrice, l’islam politique. Une propagande à géométrie variable, selon les intérêts et les situations. Alliance en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye… Mésalliance, en Iran, au Sahel, en Palestine… Quand faut-il applaudir ? Lorsque l’Algérie négocie avec les terroristes afin de sceller une « concorde civile », ou lorsqu’elle frappe avec une poigne de fer pour mater un groupe djihadiste venu « exploser » un complexe gazier ?

Comme Samir Amin (1)Voir son analyse du 23 janvier. , nous pensons que la France a eu raison d’intervenir pour empêcher les djihadistes de prendre Bamako, djihadistes dont le but est de constituer le Sahélistan islamiste sur l’ensemble du Sahel et du sud saharien. Mais, nous pensons que la France et les pays occidentaux ont une grande part de responsabilité dans les évènements actuels. En fait, nous pensons que l’implantation islamiste est en grande partie due aux politiques néolibérales qui ont eu cours dans ces pays. Par exemple, la France a soutenu, pour le Mali comme pour d’autres pays, les plans d’ajustement structurel (ancêtres des politiques d’austérité mais pour les pays du Sud) de la Banque mondiale : accroissement de la pauvreté, libéralisation de la filière coton entraînant l’exode rural, destruction des systèmes de santé et d’enseignement public ouvrant la voie à des substitutions islamistes charitables. Ajoutons à cela que l’armement des djihadistes provient du conflit libyen où les occidentaux ont joué les apprentis-sorciers.

Disons clairement qu’aucune solution ne pourra voir le jour sans la victoire contre les islamistes, mais qu’une victoire contre les islamistes ne règlera rien s’il n’y a pas de rupture avec la politique néolibérale suivie dans cette région depuis la fin des années 70. Pourquoi la France a-t-elle soutenu la prise de pouvoir et la dictature de Moussa Traoré contre le Mali de Modibo Keita ? C’est ce coup d’État de la Françafrique, c’est cette dictature qui a déstabilisé le Mali. C’est cette dictature qui a engagé les plans d’ajustement structurel de la Banque mondiale. C’est à partir de là que les Touaregs et les peuples du nord du Mali ont été abandonné par le pouvoir de Bamako. Une fois libérés de la dictature, les Maliens n’ont pas pu organiser le développement autocentré et faire les réformes politiques nécessaires.

Les politiques mises en place ont toutes échoué. Échec en Algérie, où le traitement sécuritaire de la donne islamiste a débouché sur un compromis de pouvoir appuyé sur une néo-islamisation de la société. Échec en Afghanistan, où la démarche guerrière poussée à ses dernières limites aboutit à un retrait qui refait place aux talibans qu’elle était venu combattre. Échec en Irak, où le démembrement de l’entité nationale a fait régresser le pays vers des confrontations confessionnelles et ethniques éculées. Échec en Libye, où l’intervention militaire occidentale et les ingérences moyen-orientales mettent, à chaque instant, les trois régions constitutives de la Libye en situation de quasi sécession. Échec prévisible au Mali, où la réponse aux différentes crises, telle qu’elle est engagée, consolidera les faiblesses institutionnelles qui ont miné le pouvoir de Bamako, et renforcera le ressentiment légitime des populations du nord, délaissées et marginalisées depuis toujours.

Les discours néolibéraux de droite et de gauche, mais aussi certains discours de la gauche dite anti-libérale, ne sont pas susceptibles de changer la donne. De fonder une approche pertinente des questions que posent l’islam politique et son prolongement opérationnel : le djihadisme.

Les discours des néolibéraux ont, pour leur part, l’avantage de la clarté, ils protègent leurs intérêts, la France inquiète pour l’approvisionnement de sa filière électronucléaire en uranium, à partir du Niger, voit d’un mauvais œil aussi bien l’enkystement des islamistes que l’aspiration à l’autodétermination de populations locales marginalisées et délaissées par les États postcoloniaux. Les travaux de l’Autorité pour la promotion de la recherche pétrolière au Mali (AUREP) ont mis à jour des gisement au Nord du pays. Sans doute a-t-on oublié de vous le dire ! Le cas malien est un cas d’école, et illustre parfaitement la démarche. La France intervient dans ce pays à l’appel, dit-elle, des autorités de transition, tout le monde sait que celles-ci n’ont aucune emprise sur la réalité du pouvoir. L’armée malienne est aujourd’hui une armée ethnique peu efficace. L’objectif de déloger les djihadistes, retranchés dans les villes des provinces du Nord, est décliné comme étant la défense de l’intégrité territoriale du Mali. Les ethnies du Nord-Mali (Azawad pour les Touaregs) ont, de tout temps, été abandonnées tant par les occidentaux, par le pouvoir de Bamako (depuis le coup d’État de Moussa Traoré et de ce point de vue, sa chute n’a rien changé) que par celui de l’État algérien. .

Comprendre pour agir

Si nous voulons avoir une chance d’aller vers le mieux, nous pensons que la seule solution est d’aider les forces démocratiques, sociales et laïques à engager un processus d’émancipation. Pour cela, il faut d’abord comprendre les causes et notamment les plus essentielles :

• Depuis le déclenchement de la guerre d’Afghanistan en 1979, les forces néolibérales se sont engagées dans un système d’alliance avec les forces communautaristes et intégristes. Une alliance diabolique qui au-delà de son utilité pour les néolibéraux leur pose des problèmes auxquels ils ne voient que la seule option militaire pour contenir et tenter d’en éteindre les conséquences indésirables. Ce sont les alliés des néolibéraux qui arment et financent les groupes islamistes via les grandes banques du monde qu’elles soient occidentales, saoudiennes, qataries ou autres… Ce sont toujours les néolibéraux (ou leurs alliés saoudiens ou qataris) qui encouragent la participation des islamistes au pouvoir en Turquie, en Tunisie, en Égypte, en Algérie, etc., ou qui les arment en Libye et en Syrie… Et ce sont les néolibéraux qui précipitent et privilégient la « solution » militaire lorsque les choses vont trop loin, en Afghanistan, en Somalie ou au Mali. De ce point de vue, les évènements du « printemps arabe » n’ont rien changé aux rapports des gouvernements néolibéraux occidentaux avec cette aire qui s’étend de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient.

• Il faut voir la volonté des néolibéraux d’asseoir la théorie du « choc des civilisations » en faisant monter les mouvements intégristes (y compris chrétiens d’ailleurs) pour contrarier le mouvement de sécularisation à l’œuvre dans le monde entier. Il faut comprendre que les intégristes de toutes religions, y compris donc les islamistes, progressent grâce à l’alliance matérielle et financière avec les néolibéraux mais aussi parce que le capitalisme actuel augmente la pauvreté, la précarité, détruit les services publics, fait reculer la santé et la protection sociale, l’école, détruit dans les pays développés et dans les pays les plus pauvres du monde, l’économie réelle en la remplaçant par les trafics maffieux et informels, etc. Il faut donc une rupture avec ces politiques néolibérales de charité partout, y compris au Mali. Lutter contre la pauvreté et pour le développement économique et social autocentré est la meilleure politique contre les intégristes.

• On ne peut vaincre les islamistes par la seule voie militaire. Pas plus que la police et l’armée ne sont venues à bout d’Al Capone, qui est tombé suite à l’action du fisc américain et non de sa police. Dans notre sujet, il faut couper les sources de financement et d’aide des groupes islamistes et djihadistes. Notamment venant des « amis » des néolibéraux et arrêter d’encenser ces pays qui viennent « investir » en France

• Les forces intégristes se soutiennent entre elles. Faire comme l’Algérie de considérer qu’il faut discuter avec Ansar Dine mais pas avec Aqmi ou le Mujao, ou comme la France qui soutient les djihadistes en Syrie et les combat au Mali, est une faute, en tout cas si on veut améliorer les choses. En fait, toutes les forces intégristes se mettent d’accord et croire aux divisions entre Mokhtar Bel Mokhtar et Aqmi ou Ansar Dine est une impasse. Ils sont tous d’accord entre eux, agissent dans le cadre d’une répartition de tâches et ne diffèrent que par des éléments secondaires tels les moyens de se financer, les uns par le trafic les autres par les pays du Golfe. Quant à l’Algérie, contrairement à ce que racontent tous les jours les grands médias français, elle n’a eu de cesse, au moins depuis Chadli Bendjedid (en dehors de l’intermède Boudiaf, liquidé parce qu’il n’était pas d’accord avec le compromis avec les islamistes), de chercher le compromis avec les islamistes qui se sont renforcés politiquement, militairement et financièrement jusqu’à devenir une force dominante aujourd’hui.
La direction politique algérienne agit comme les néolibéraux occidentaux, elle favorise les islamistes en son sein et agit militairement sur les conséquences de cette politique. Car le renforcement des islamistes même modérés nourrit in fine les groupes djihadistes. Il n’y a pas de barrière entre eux. Il cesser d’être naïfs, de croire que l’on peut jouer des divisions entre les islamistes modérés, les islamistes faucons et les djihadistes. Il y a entre eux un continuum et un projet commun, une unité stratégique ! La seule barrière qui vaille d’être recherchée et encouragée est entre d’une part l’islam et les musulmans qui intègrent et défendent les principes républicains et d’autre part les islamistes (modérés ou pas, djihadistes ou pas) qui se vouent à l’instauration d’une théocratie.

• C’est bien parce que la France est engluée dans la Françafrique qu’elle n’a toujours pas, avec ses alliés occidentaux, engagé un véritable soutien à une politique contre la pauvreté, pour la santé, pour l’école et pour le développement économique et social autocentré, qu’elle a dû intervenir militairement au Mali. La France, qui a eu raison d’intervenir pour empêcher la prise de Bamako par les islamistes, doit changer de politique dans les faits et pas seulement en parole.

• L’action contre-productive des USA en Afrique est manifeste. Comme ils avaient formé et financé Ben Laden et ses djihadistes pour combattre l’Union soviétique, voilà qu’on apprend que les islamistes ont eu le renfort de bataillons de l’armée malienne formés par les étasuniens.

• Le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), aujourd’hui affaibli du fait de l’absence de tout soutien international et qui a vu ses unités combattantes diminuer en faveur d’Ansar Dine propulsé par les financements moyen-orientaux, vient de réaffirmer sa disponibilité à combattre Ansar Dine et les islamistes. Le MNLA est l’interlocuteur qui n’aurait jamais dû être négligé.

Pour finir, un mot sur la Syrie

Samir Amin (2)Idem. nous montre l’étendue de la désinformation des médias : « Les médias français donnent crédit aux communiqués du prétendu Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, une officine connue pour être celle des Frères Musulmans, fondée par Ryad El Maleh, soutenue par la CIA et les services britanniques. Autant faire crédit aux communiqués d’Ansar Eddine ! La France tolère que la soit disant « Coalition Nationale des Forces de l’Opposition et de la Révolution » soit présidée par le Cheikh Ahmad El Khatib choisi par Washington, Frère Musulman et auteur de l’incendie du quartier de Douma à Damas. » Sans commentaires.
La militarisation de la contestation du régime de Bechar Al Assad, recherchée à la fois par le régime et par l’alliance néolibérale et des monarchies ultra-conservatrices, a contrarié le potentiel démocratique de la contestation populaire de masse qui s’était puissamment exprimée au début du mouvement. Ce mouvement démocratique populaire contrarié actuellement par la militarisation de la confrontation, pâtira à coup sûr du pouvoir qui sera issu de la confrontation actuelle entre les extrêmes.

Il serait temps que le changement, ce soit maintenant !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir son analyse du 23 janvier.
2 Idem.