Nicolas Sarkozy et la boite de Pandore

Dans la mythologie grecque, Pandore fut créée par Zeus pour se venger des hommes. Elle amena avec elle une jarre, qui renfermait tous les maux de l’humanité, dont la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie et la Passion, ainsi que l’Espérance.

Poussée par la curiosité, Pandore finit par ouvrir sa boite, libérant ainsi tous ces maux. Nicolas Sarkozy, lui, en a fait un programme politique.

Ce programme est appliqué de façon méthodique, avec entre autres exemples : la destruction de la protection sociale (la Vieillesse et la Maladie), la réintégration du Haut Commandement de l’OTAN et l’envoi de nouvelles troupes en Afghanistan (la Guerre), la mise à sac de la vertu républicaine et de l’intérêt général au profit du népotisme, des intérêts des puissants et du bling-bling (le Vice), l’aggravation des injustices sociales – bouclier fiscal, politique de l’immigration, du logement, des bas salaires – (la Famine et la Misère), la laïcité « positive » dans laquelle le prêtre aura plus de place que l’instituteur (l’Espérance), le tout mâtiné de beaux discours sur la République, la Civilisation, l’Écologie, et la régulation du capitalisme (la Tromperie). Restaient la Folie et la Passion : la création d’un ministère de l’identité nationale et le lancement d’un débat sur ce thème dans une perspective électoraliste viennent de libérer ces deux derniers maux.

La Folie et la Passion

Pure Folie, car Nicolas Sarkozy a demandé à Éric Besson de lancer ce débat à travers toute la France pour reconquérir l’électorat d’extrême-droite qui n’aurait guère apprécié l’affaire Frédéric Mitterrand et la tentative avortée de mettre Jean Sarkozy à la tête de l’EPAD. Mais cette stratégie est en train de se retourner contre lui : elle risque bien de remettre le Front National en piste pour les régionales : au petit jeu des thèses nauséabondes et des débats avec du « gros rouge qui tâche » (1) édifiante citation de Nicolas Sarkozy rapportée par le Canard Enchaîné du 9/12″, qui montre quel mépris un Président peut avoir pour le peuple , l’élève Sarkozy ne dépasse pas encore le maître Le Pen.
Pour ceux qui doutent que ce débat soit autre chose qu’une tactique électoraliste, il suffit de regarder du côté de l’éducation nationale et des universités : Luc Chatel décide de supprimer l’Histoire-Géographie en Terminale S, cependant que les Humanités et les sciences sociales continuent de disparaître des enseignements…  On voudrait un peuple ignorant de son histoire et de ses lettres, dépourvu d’esprit critique, on souhaiterait la pure et simple négation d’un peuple de citoyens, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
C’est précisément l’Histoire qui nous apprend qu’il aura fallu une révolution pour instaurer un modèle politique fondé sur des principes à la fois rationnels et universels : la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité et la démocratie. C’est l’Histoire qui nous apprend qu’un tel modèle ne peut exister ni se maintenir sans l’instruction publique qui permet de former des citoyens libres et éclairés. Que le combat laïque et le combat social doivent être menés de front pour que l’idéal républicain se réalise pleinement. Que la France a eu ses moments de grandeur quand elle a respecté les principes constitutifs du modèle républicain, et ses moments de bassesse quand elle les a niés ou dévoyés (Empire, restauration, colonisation, pétainisme, racisme et antisémitisme…). Que ce sont les luttes, les grèves et l’action politique qui ont permis aux citoyens d’arracher des droits. C’est à l’aune de cette Histoire qu’il faut juger les actes politiques d’aujourd’hui. Ignorer cet héritage revient à nous livrer pieds et poings liés aux puissants.
Au thème scabreux de l’identité nationale, nous préférons le combat en faveur des principes républicains. L’identité nationale renvoie à l’imaginaire que chacun projette, à partir de son histoire singulière et de son ressenti particulier, sur la France. C’est la raison pour laquelle un tel sujet de débat ne peut qu’alimenter les Passions et les divisions. Il ne peut conduire qu’à la discorde. Les principes républicains sont, au contraire, déductibles d’un modèle politique qu’il est possible de déployer de façon rigoureuse et cohérente. Le modèle républicain a pour visée la volonté générale, sans laquelle il n’est pas de concorde possible.
Ce débat ne peut qu’alimenter la confusion. La tribune que Nicolas Sarkozy a récemment publiée dans le Figaro est, à ce titre, éloquente.

« La France, tu l’aimes chrétienne ou tu la quittes »

Passons sur le fait qu’il estime avoir pris en compte le vote « Non » au référendum de 2005 en plaçant la France à « la tête du combat pour changer d’Europe ». On lui fera remarquer que pour quelqu’un qui se targue de ne pas avoir peur du peuple, il n’a pas osé faire un second référendum… Mais ce n’est pas le sujet.
Ce qui, en revanche, nous amène au coeur du sujet, c’est la série d’amalgames qu’il fait dans cette tribune.
Pour légitimer le débat sur l’identité nationale, Nicolas Sarkozy commence par établir un bien étrange lien entre la votation sur les minarets en Suisse et le supposé besoin d’identité en Europe. Avec tant d’amis qui ont choisi de résider en Suisse, Nicolas Sarkozy devrait pourtant savoir que ce pays n’est ni républicain, ni laïque. Le préambule de la constitution de la confédération helvétique commence ainsi : « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! Le peuple et les cantons suisses, Conscients de leur responsabilité envers la Création, […] » Quoi de commun avec la France où un tel référendum serait tout simplement non constitutionnel et dont l’État garantit la liberté de conscience et de culte pourvu qu’elles s’exercent dans les limites du droit commun ? Ce n’est pas la présence de minarets en tant que telle qui pourrait poser problème en France : la seule question qui, dans un État laïque, est susceptible de se poser est celle du financement des édifices religieux (qui ne saurait se faire sur des fonds publics) et du respect des règles de l’urbanisme.
On relèvera cet autre passage, qui ne peut qu’introduire la confusion dans les esprits : « Mais je veux leur dire aussi [aux musulmans, NDLR] que, dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l’échec l’instauration si nécessaire d’un islam de France […] » Les musulmans doivent-ils comprendre que « la France, tu l’aimes chrétienne ou tu la quittes » ? Que la civilisation chrétienne est constitutive de la République ? Qu’il y a continuité entre les valeurs chrétiennes et les valeurs républicaines ? Ce serait oublier que la République s’est construite en rupture avec la France chrétienne, que cette rupture a été violente, qu’il aura fallu qu’un sang impur abreuve nos sillons (que le sang bleu des forces monarchistes et cléricales soit versé) (2)Sur ce point, on peut reconnaître à Christine Boutin une certaine cohérence avec les idées qu’elle défend lorsqu’elle demande à changer les paroles de la Marseillaise. Il aura fallu plus d’un siècle de combat laïque pour que la séparation entre l’État et les églises soit réalisée en 1905. Et là encore, le moins que l’on puisse dire, c’est que cela ne s’est pas fait sans violence.
Par ailleurs, laisser penser que l’immigration (c’est-à-dire les musulmans ou l’islam, termes qui, sous la plume de Nicolas Sarkozy deviennent des synonymes) pose, en elle-même, un problème d’identité nationale revient à nier notre histoire politique : c’est oublier en effet que la France révolutionnaire a instauré le droit du sol et qu’à cette époque toute personne qui se reconnaissait dans le projet politique républicain pouvait devenir française. Mais c’est aussi s’aveugler sur le véritable problème, qui n’est pas l’immigration elle-même, mais les raisons et les conditions de cette immigration : populations fuyant la misère engendrée par le néolibéralisme, la guerre et les dictatures, filières maffieuses d’immigration clandestine qui se renforcent à la faveur du durcissement des règles d’immigration, xénophobie et discriminations, tout cela produit une main-d’œuvre corvéable à merci et sous-payée, que certains patrons n’hésitent pas à utiliser pour casser les acquis des salariés.

Refuser de participer au débat sur l’identité nationale est une décision légitime, mais insuffisante. Il faut aussi dénoncer cette stratégie de dupe qui consiste à inviter les citoyens à débattre sur l’identité nationale alors même qu’on en sape les fondements. Il faut dénoncer cette dérive dangereuse qui consiste à substituer à la conception républicaine du peuple une représentation ethnique ancrée dans des particularismes religieux et culturels. Il faut, enfin, lutter contre cette politique néolibérale qui nie le principe de laïcité et qui substitue la charité au principe de solidarité.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 édifiante citation de Nicolas Sarkozy rapportée par le Canard Enchaîné du 9/12″, qui montre quel mépris un Président peut avoir pour le peuple
2 Sur ce point, on peut reconnaître à Christine Boutin une certaine cohérence avec les idées qu’elle défend lorsqu’elle demande à changer les paroles de la Marseillaise