Pourquoi la gauche est-elle devenue majoritaire au Sénat ? Que faire de cette majorité  ?

La victoire de la gauche au Sénat est la conséquence des mutations sociologiques et politiques profondes qui travaillent la France. Elles sont les véritables causes du fait que la gauche est pour la première fois et sera sans doute pour longtemps majoritaire au Sénat.

La droite a pourtant tout fait pour façonner les institutions de manière à construire un Sénat qui ne pouvait pas lui échapper. En effet, le Sénat n’est pas représentatif des citoyens français, mais de ses territoires. Et traditionnellement, la majorité du Sénat était donnée par les zones rurales qui représentent 70 % du territoire et deux tiers des communes. Dans ces zones, la droite catholique et conservatrice régnait en maître et donc le tour était joué. De plus, la gauche de gouvernement, chaque fois qu’elle a accédée au pouvoir n’a pas remis en cause la domination de la droite : la gauche communautariste et ordo-libérale et l’extrême gauche communautariste ont préféré organiser des compromis bien connus avec la droite catholique et conservatrice. Ce n’est donc pas la gauche ou l’extrême gauche consciente et mobilisée qui sont la cause de cette majorité du Sénat. Alors, quelles en sont les causes ?

D’abord les mutations sociologiques…

Christophe Guilluy, géographe social, dans son Atlas permet d’en connaître une des causes profondes. Alors que l’imaginaire du vieux monde reposait sur l’idée que les classes populaires (ouvriers, employés) étaient situées dans les villes-centres et dans une partie des banlieues, que les classes moyennes vivaient pour beaucoup d’entre elles dans une partie des villes-centres et dans une partie de la banlieue, les zones rurales étant peuplées pour beaucoup de paysans sous emprise de la droite catholique et conservatrice, le nouveau monde qui pointe son nez devant nous appelle à un changement d’imaginaire.

Aujourd’hui, les classes populaires ont été chassées des villes-centre. Elles sont même en léger recul dans les banlieues. Ce sont les classes moyennes qui les ont remplacées. Par contre les classes populaires sont aujourd’hui largement majoritaires dans les zones périurbaines et sont 5 fois plus nombreuses que les paysans en zones rurales. Il est donc aisé de comprendre que les territoires seront de plus en plus tenus par des élus sous la pression des classes populaires.

Puis les mutations politiques conséquentes…

Comme la droite a toujours mené la lutte des classes, elle a, contrairement à la gauche, tenu compte de cette mutation sociologique. Pourquoi développer l’école en zone rurale quand ce sont de moins en moins des électeurs de droite. Fermons donc les écoles rurales (plus de 1500 ont été fermées en 2011) et périurbaines. Fermons les hôpitaux et maternités de proximité pour la même raison (et érigeons les ARS de la loi Bachelot pour faire ce sale travail au nom de la « rationalité »). Supprimons les services publics (poste, gares SNCF, lignes SNCF, etc.) en zones rurales.

Pour éviter que la gauche prenne le contrôle des territoires, il faut une réforme territoriale pour diminuer le nombre de collectivités. Et surtout, il faut supprimer la « clause de compétence générale » des collectivités locales que l’on aura de plus en plus difficilement le loisir d’administrer. Or cette clause permet à une collectivité territoriale de s’autosaisir sur tout sujet intéressant les citoyens et leurs familles. Sans cette clause, une collectivité territoriale n’aura le droit de s’occuper que des domaines décidés par le pouvoir politique national voir européen. Sur ce dossier, quelle cécité de la gauche qui a oeuvré quand elle était au pouvoir dans le même sens que la droite en soutenant l’intercommunalité sans suffrage universel direct afin de donner un pouvoir grandissant à une nomenklatura politicienne qui se « coopte » dans les intercommunalités !

Et pour finir, il fallait organiser l’assèchement des moyens financiers des communes : la suppression de la taxe professionnelle a été remplacée par la taxe économique territoriale, assise sur le foncier et sur la valeur ajoutée des entreprises, ce qui, malgré une compensation de l’État, a diminué beaucoup de moyens aux collectivités. Les villes moyennes souvent en zones périurbaines parlent d’un « manque à gagner sur 155 territoires à l’horizon 2015 serait évalué à 160 millions d’euros, soit une perte de dynamisme des ressources de 0,7 % par an ».

Pourquoi la droite a été prise à son propre piège ?

Elle pensait avoir le temps de faire l’ensemble de ces contre-réformes avec le soutien de la gauche ordolibérale et l’inconséquence d’une partie de l’extrême gauche. Malheureusement pour elle, la crise de productivité du capital et donc la crise de profitabilité du capitalisme ont accéléré les mutations. Le capitalisme, sous l’influence de l’ordolibéralisme, a tenté de résoudre ce point en accentuant l’autonomie de la sphère financière, le développement de la concurrence libre et… faussée et même aujourd’hui la « patate chaude » de la dette publique souveraine. En fait, ce sont les contradictions du capitalisme qui accélèrent le mouvement de l’histoire, prennent à contre-pied la droite française et offrent, entre autres, à la gauche de gouvernement la majorité du Sénat. La crise arrive avant que la droite ait pu mener à bien ses contre-réformes régressives. Voilà pourquoi la droite a été prise à son propre piège !

Est-ce que la vraie gauche doit s’en réjouir ?

Bien sûr, car tout ce qui précipite le mouvement historique est susceptible d’ouvrir de nouvelles marges de manoeuvre pour une gauche d’alternative. Nous pourrons mettre la gauche de gouvernement au pied du mur. Maintenant qu’ils ont la majorité au Sénat, forçons-les à ne plus accepter les compromis ordolibéraux qui ont désespéré les classes populaires. Et faisons ensemble que la gauche d’alternative soit capable de comprendre le pourquoi des choses, ce qui n’est pas totalement gagné ! Voilà pourquoi une campagne d’éducation populaire tournée vers l’action sur l’analyse de la triple crise du capitalisme et sur l’alternative du modèle laïque de la République sociale est nécessaire.

Voilà pourquoi nous devons saisir toutes les possibilités du mouvement social et politique pour intervenir sur les sujets de conflits sociaux et politiques : la protection sociale, les retraites, la santé, la dépendance-autonomie, les médicaments, l’hôpital, l’école, les services publics, l’Europe, les politiques d’immigration et de la nationalité, l’analyse du monde et de la gouvernance mondiale, la crise énergétique et écologique, la crise démocratique, la crise laïque, etc.

Que ceux qui veulent oeuvrer dans cette direction contactent votre journal électronique favori ReSPUBLICA. Nous les mettrons en contact avec le Réseau Éducation Populaire (REP) dont ReSPUBLICA fera connaître dans les semaines qui viennent son agenda de conférences publiques.