Révolution !

Voilà un mot qui avait une signification précise pendant deux siècles : celle d’un changement radical de système politique. Aujourd’hui, c’est le titre du dernier livre d’Emmanuel Macron qui propose des changements pour que rien ne change. Pourquoi cette transformation radicale du sens d’un mot ? Y-a-t-il d’autres mots qui ont subi cette mutation ? Peut-on mener une transformation sociale et politique conséquente sans réfléchir sur les causes de ces changements de signification ? N’y-a-t-il pas un lien entre ces changements de signification des mots et la succession d’indignations sélectives sans suite qui traverse l’opinion publique aujourd’hui ?

Que sont devenus les mots forgés par le mouvement ouvrier et par la dynamique républicaine ?

Remarquons que tous les mots tels que révolution, république, démocratie, laïcité, solidarité, liberté, etc., ont subi ces mêmes changements sémantiques.

Ce qu’on appelle aujourd’hui démocratie est ce qu’on appelait pendant la Révolution française le gouvernement représentatif anti-démocratique. Sieyès, Mounier, les chantres de cette dernière définition s’opposaient alors à Condorcet qui lui définissait la démocratie sous ses quatre conditions révolutionnaires. Des élections, sans les trois autres conditions, ne constituaient pas pour lui la démocratie. Eh bien aujourd’hui, c’est la définition de Sieyès et Mounier qui devient la norme de la démocratie. Ce qui a permis à Charles Pasqua de dire en substance que les promesses des « politiques » pour se faire élire n’engagent que ceux qui y croient. Et les croyants sont aujourd’hui légion !

Idem avec « la solidarité » que beaucoup ne différencient plus de la charité des doctrines sociales des églises.

Idem avec l’acceptation du mot « république » tout en laissant bafouer tous ses principes constitutifs.

Idem avec la laïcité, dont aujourd’hui chacun peut construire sa propre définition,  même antagonique de celle du voisin. Alors qu’au moment du combat pour la loi de 1905, Jaurès et le pape avaient la même définition du mot, le premier étant pour et le second contre. Aujourd’hui de l’extrême gauche à l’extrême droite, tout le monde se dit laïque mais il n’y a plus de définition commune. (1)Ce qui fait que ceux qui restent attachés à la définition historique du mot se voient obligés de combattre les trois dérives de ce mot : l’ultra-laïcisme anti-laïque fortement représenté à droite et à l’extrême droite, la laïcité d’imposture fortement représentée à gauche et à l’extrême gauche et la laïcité néo-concordataire des gouvernements néolibéraux de droite et de gauche!

Les mots forgés pour la lutte et les ruptures sociales et politiques ont donc été retournés contre leurs auteurs. Voilà ce qu’est une victoire de l’hégémonie culturelle néolibérale !

L’indignation promue comme valeur suprême

La perte de substance des mots forgés par le mouvement ouvrier, par la révolution, par la dynamique républicaine s’accompagne d’un autre phénomène complémentaire. Aujourd’hui, combien de fans se bousculent pour apprécier les conférenciers qui s’indignent pour que rien ne change ? Tous courent de l’une à l’autre mais refusent d’en chercher les causes et de répondre à la question du «  Que faire ? » pour changer les choses. Voilà une des raisons qui maintient un système en crise systémique.

Plusieurs centaines de milliers de ventes pour le livre de Stéphane Hessel « Indignez-vous ? » alors que ce livre ne délivre aucune piste sur les causes des injustices et ne propose aucune réponse à la question « Que faire ? ». Combien d’interventions stigmatisant le recul des droits des femmes et le maintien du patriarcat sans en chercher les causes qui les produisent et reproduisent ? Combien de discours sur la perte de substance de notre droit face au droit anglo-saxon sans en déterminer les causes et les actions nécessaires pour le combattre ? Combien de discours nostalgiques sur les combattants d’hier sans montrer leurs analyses et les actions qu’ils ont conduites ? Combien de discours contre la pauvreté, contre la misère, contre les assassinats, contre les injustices, contre ceci et contre cela ?

Rechercher les causes réelles ultimes et répondre à la question du « Que faire ? » devient un impératif catégorique !

Serait-ce lié à un recul de l’esprit scientifique que de ne jamais se poser la question des causes et du « Que faire » ? Doit-on abandonner aux simplistes, aux simples volontaristes, aux obscurantistes de tout poil, aux graines de fascisme le soin de remplacer les vraies causes réelles ultimes par des boucs émissaires et de répondre à la question du « Que faire ? » par des prééminences surplombantes simplistes et inefficaces !

Il faut aujourd’hui sortir du paradoxe d’un monde de plus en plus injuste qui se maintient parce que beaucoup de ceux qui s’indignent continuent à soutenir ceux qui sont les gérants du système dominant.

En rester à l’indignation en refusant de débattre sur les lois tendancielles du capitalisme qui influent de plus en plus sur nos vies est une impasse.une simple indignation tout en se gaussant de la recherche des causes réelles ultimes ne veuillent pas le changement mais juste un supplément d’âme pour se dédouaner d’être les idiots utiles du système !

Une simple indignation est totalement inefficace, car le relativisme culturel qui a permis le décervelage et l’oubli des mots forgés par les luttes passées n’a pu devenir culturellement hégémonique que parce que c’était l’intérêt du mouvement réformateur néolibéral.

A moins que ceux qui en restent à une simple indignation tout en se gaussant de la recherche des causes réelles ultimes ne veuillent pas le changement mais juste un supplément d’âme pour se dédouaner d’être les idiots utiles du système !

Agir efficacement est plus facile à dire qu’à faire mais il faut bien commencer par là

D’abord, il convient de ne pas se laisser bercer et se satisfaire de la floraison des indignations sans suite. Ensuite, il s’agit bien sûr de se poser la question des causes réelles et ultimes par des analyses concrètes de situations concrètes, de la société que nous voulons (le modèle politique), de la ligne économique, sociale et politique à suivre, de la stratégie à mettre en place, et bien sûr du sujet révolutionnaire autour duquel la marche vers l’émancipation peut s’ordonner.

Mais là aussi, il faut dégager le bon grain de l’ivraie sinon les mêmes causes produiront les mêmes effets. Nous avons déjà effectué à plusieurs reprises la critique des positions que nous estimons erronées : à savoir les lignes altermondialiste, néo-keynésienne, volontaristes, etc. ou encore les stratégies de connivence électorale avec les néolibéraux de gauche. Le dernier article en date des altermondialistes néo-keynésiens maintient la confusion (2)Article de Pierre Khalfa paru dans le numéro hors série de Politis (n° 65 décembre 2016) « Révolution(s) ». Cet article persiste à minimiser la nécessité de la prise du pouvoir pour changer les choses (« la prise de pouvoir n’est plus la condition sine qua non » de la transformation sociale et politique) tout en disant qu’il est illusoire de « croire que les classes dirigeantes se laisseront grignoter petit à petit ». Le paragraphe conclut « nous sommes plus aujourd’hui dans une stratégie gramscienne que léniniste ». Soit, mais la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle chère à Gramsci est justement nécessaire à la prise du pouvoir indispensable pour mener la transformation sociale et politique.

L’auteur estime enfin que le prolétariat n’est plus le sujet révolutionnaire de la transformation sociale et politique et conclut avec l’idée qu’un mouvement d’émancipation ne peut donc être que « non classiste » et hétérogène. On comprend mieux pourquoi le fait qu’environ 60 % des ouvriers et des employés (ouvriers et employés représentant en tout 53 % de la population) s’abstiennent aux élections ne l’affecte guère. La poutre qu’il a dans l’œil ne lui permet pas de voir que c’est une des principales raisons de ce que les commentateurs médiatiques appellent improprement la droitisation de l’électorat. Pire, il justifie l’abandon de l’idée que la position du prolétariat est importante en disant que les luttes féministes, écologiques, etc. doivent être prise en compte. Comme si on ne pouvait les prendre en compte qu’en diminuant l’importance du prolétariat ! Que par le passé, la question féministe ou la question écologique ou tout autre question n’ait pas été prise en compte à la hauteur nécessaire ne permet pas de conclure que l’on ne puisse pas la prendre en compte sans négliger ceux qui subissent le plus, et massivement, l’exploitation dans les rapports de production capitalistes.

Cette position altermondialiste largement développée au sein du défunt « Front de gauche » va bien sûr de pair avec la croyance européiste selon laquelle une position progressiste au sein de l’Union européenne et de la zone euro reste possible. Ou encore avec la négation de la nécessité de tenir compte des lois tendancielles du capitalisme pour agir. Ou encore avec la sensibilité aux positions anti-laïques et réactionnaires des Indigènes de la république favorables au communautarisme anglo-saxon.

De plus, cette tendance altermondialiste très développée dans la gauche de la gauche et dans le défunt « Front de gauche » – malgré ses fiascos successifs et ses échecs patents (comités anti-libéraux, Front de gauche, perte de centaines de milliers d’électeurs, etc.) – ignore l’autocritique et continue de développer les idées perdantes.

Il y a encore loin de la coupe aux lèvres

Voilà pourquoi nous estimons que la transformation sociale et politique a besoin d’un triptyque « parti, syndicat, éducation populaire ». Pour le parti, il convient de penser comment passer de l’insoumission à l’émancipation. Pour le syndicat, sans doute convient-il de mieux rassembler le syndicalisme revendicatif pour être plus efficaces dans les luttes sociales. Mais tout ce qui précède montre qu’il n’y aura pas de transformation sociale et politique sans prioriser l’éducation populaire pour permettre la victoire d’une nouvelle hégémonie culturelle.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Ce qui fait que ceux qui restent attachés à la définition historique du mot se voient obligés de combattre les trois dérives de ce mot : l’ultra-laïcisme anti-laïque fortement représenté à droite et à l’extrême droite, la laïcité d’imposture fortement représentée à gauche et à l’extrême gauche et la laïcité néo-concordataire des gouvernements néolibéraux de droite et de gauche!
2 Article de Pierre Khalfa paru dans le numéro hors série de Politis (n° 65 décembre 2016) « Révolution(s) »