Une saison au Congo, d’Aimé Césaire, mise en scène de Christian Schiaretti

 En collaboration avec l’association 0 de Conduite

C’est une pièce sur l’indépendance du Congo Belge (Kinshasa), actuelle République Démocratique du Congo, et l’assassinat de son vibrant Premier Ministre, Patrice Lumumba, six mois après sa nomination, en 61.
C’est un oratorio où domine la puissance du verbe et la dimension poétique d’Aimé Césaire, sur un plateau où plus de trente-cinq comédiens et musiciens – dont un groupe émanant du collectif burkinabé Béneeré et une quinzaine de figurants venant de l’agglomération lyonnaise -, développent un jeu d’une impressionnante intensité.

30 juin 60. Quartier de Léopoldville, la bière coule à flots chez Mama Makosi, on fête l’indépendance du pays, la musique et la danse saluent ce moment historique, avec allégresse. Le discours d’’investiture de Patrice Lumumba, nommé Premier Ministre est d’un immense courage, il s’adresse aux oubliés du pays et parle de justice sociale, avec simplicité et vérité. Les mots de Césaire ont ici tout leur poids et le message est clair : il faut aller très vite « tous ensemble ». Lumumba aura six mois avant de se brûler les ailes, six mois de liberté retrouvée pour le pays après la colonisation belge, avant d’être assassiné par les hommes de mains de Mobutu, en janvier 61. « Tous les révolutionnaires sont des naïfs, ils ont confiance en l’homme » écrit l’auteur.

L’état de grâce en effet ne dure pas. On assiste à sa traque et rien ne lui est épargné dans les coulisses du pouvoir : jalousies, trahisons, complots, ruse des nominations, menaces et chantage. Tous les coups bas sont permis : argent volatilisé, opposition du sénat, conflits entre ministres, soulèvement des chefferies, des chômeurs, problèmes inter-ethniques, corruption, confiscation des moyens de communication (la radio fait de l’agit-prop et la CNN dénonce les extrémistes communistes). Le colonisateur continue à tirer les ficelles au plan économique, et encourage la sécession du Katanga, région minière qui détient la richesse en cobalt, diamants et uranium, et qui se sépare du Congo, deux semaines après l’indépendance. « Comment laisser dépiauter le Congo » dit le charismatique Lumumba, exemplaire et combatif dans son engagement politique. Et l’ONU, dans son manque de neutralité, n’ébranle pas sa foi en l’avenir. « Vous n’agissez pas et vous ne nous laissez pas agir » lance-t-il, sans détours, au Secrétaire Général.

Imprudent, impulsif, passionnément engagé et extrême, Lumumba, magnifiquement interprété par Marc Zinga – et de manière troublante, tant il est proche de la figure historique – fut porté par le peuple en fête, les couleurs, la foi et l’espérance (saluons la création musicale de Fabrice Devienne, les chants et les danses, la scénographie de Fanny Gamet qui nous place au cœur de ville sous les lampadaires de Kinshasa, et les lumières de Vincent Boute). Sa chute fut vertigineuse. Révoqué en septembre 60, arrêté en décembre par Mobutu, il fut torturé et assassiné le 17 janvier 61.

Césaire, auteur du Cahier d’un retour au pays natal écrit en 39, nous prend à témoin. Comme Christophe de La Tragédie du Roi Christophe, autre pièce emblématique datant de 63, Une saison au Congo, écrite en 66 – et représentée à Bruxelles la même année, puis un an plus tard à Paris, sous l’égide de Jean-Marie Serreau -, s’intéresse à un poète et un visionnaire, héros et martyr, « Ce sont des vainqueurs qui se dressent alors que tout s’écroule autour d’eux ». Sa langue métaphorique, à laquelle se mêlent le lingala et le swahili est porteuse d’espoir. « La voilà notre Afrique … elle espère ».

La mise en scène de Christian Schiaretti, directeur du TNP de Villeurbanne depuis une dizaine d’années est éblouissante et nous projette avec lyrisme et sobriété dans l’agora congolaise, au cœur de l’Histoire. Tous les acteurs de ce spectacle, sur et hors plateau, sont à féliciter. C’est à la fois une tragédie shakespearienne et une expérience collective brechtienne qu’il propose à la troupe, une grande leçon d’engagement politique qui n’est pas sans faire penser à l’esprit de Vilar et au grand théâtre populaire qu’il développait.

Le TNP de Villeurbanne et Théâtre Les Gémeaux de Sceaux (92), tournée en France.