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Chronique d'Evariste
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Attentats 2015 : la gauche de la gauche à la peine

par Évariste

 

Paradoxalement, la succession des attentats a fourni des réactions habituelles et prévisibles de la part du gouvernement solférinien, de la droite néolibérale et du FN. Le gouvernement solférinien a été capable en quelques heures de prendre le contre-pied d’une partie de sa ligne stratégique erronée antérieure au 13 novembre (nouvelle alliance avec la Russie après les pitreries françaises en Libye, en Ukraine et en Syrie, début de prise de conscience de la guerre nécessaire au total-terrorisme islamiste, etc.). Mais elle continue à intégrer cette prise de conscience à l’intérieur du mouvement réformateur néolibéral qui va l’empêcher de lutter contre toutes les causes multiples de cette crise globale. On ne le dira jamais assez, nous vivons, au sein de notre formation sociale capitaliste, plusieurs crises siamoises complémentaires dans la crise globale : la crise du profit capitaliste, la crise des impérialismes et la crise du mode d’organisation culturelle, sociale et politique.

La droite néolibérale est sur la même position que le gouvernement solférinien, mais fait de la surenchère. Du classique cousu main. Quant au FN, il bétonne sur son credo anti-républicain, contre l’immigration et contre les musulmans. Tout cela est huilé. Mais le plus triste est que c’est la gauche de la gauche qui est le plus à la peine. Incroyable. Tout simplement parce qu’elle est prise à contre-pied sur son compromis avec les adeptes du gauchissement du communautarisme anglo-saxon (contre le principe de la laïcité comme principe d’organisation sociale) qui sont en son sein. On ne peut pas impunément participer aux initiatives ultra-communautaristes et réactionnaires des Indigènes de la République, en meeting le 6 mars dernier à Saint-Denis ou en manifestation le 31 octobre à Paris, et être capable de faire face sérieusement après les attentats du 13 novembre.

Tout simplement parce qu’aucun rassemblement populaire ne peut avoir lieu en France sur un projet communautariste de type anglo-saxon, fût-il gauchi par les gauchistes. Parce que nous sommes en France et que la France avance avec la République contre la dictature et l’extrême droite depuis la Révolution française jusqu’à nos jours en passant par la révolution de 1848, la Commune, la fondation de la IIIe République, le Front populaire, la Résistance et le programme du Conseil national de la Résistance, sur la base de la laïcité comme principe d’organisation sociale et politique. Quand elle recule comme elle le fait depuis plus de 30 ans sous l’impulsion du mouvement réformateur néolibéral, c’est alors qu’elle emprunte au communautarisme anglo-saxon avec l’aide sans doute involontaire (c’est ce qui est grave !) de la dérive de la laïcité d’imposture ou adjectivée promue par la gauche et l’extrême gauche communautaristes. En cela, elle est le pendant d’une autre dérive, cette fois-ci fréquente à droite et à l’extrême droite, à savoir l’ultra-laïcisme anti-laïque qui mène une campagne raciste contre une seule religion l’islam.

Précisons une fois de plus que nous sommes contre tous les racismes et donc contre le racisme anti-arabe et anti-musulman, mais nous nous réservons le droit de critiquer les aspects réactionnaires et régressifs de toutes les religions sans exception. La république protège les croyants mais pas les religions. Elle donne à tous la liberté de conscience et donc la liberté de culte aux croyants mais elle ne doit accepter aucun intégrisme d’où qu’il vienne. C’est d’ailleurs inscrit dans la loi de séparation des églises et de l’État aux articles 34, 35 et 36 :

Article 34 – Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, sera puni d’une amende de 3 750 euros. et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.

La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s’il est relatif aux fonctions, pourra être établi devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l’article 52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées par l’article 65 de la même loi s’appliquent aux délits du présent article et de l’article qui suit.

Article 35 – Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.

Article 36 – Dans le cas de condamnation par les tribunaux de police ou de police correctionnelle en application des articles 25 et 26, 34 et 35, l’association constituée pour l’exercice du culte dans l’immeuble où l’infraction a été commise sera civilement responsable.

Il faut vraiment que le gouvernement solférinien aime le communautarisme anglo-saxon pour ne pas appliquer jusqu’ici ces articles…

Revenons à notre propos initial. Nous ne faisons pas l’amalgame entre la grande majorité des musulmans d’une part et les islamistes et djihadistes de l’autre. La République doit protection contre tous les racismes en général et contre le racisme anti-musulman et arabe en particulier. Mais nous disons aussi que le djihadisme est contenu dans l’islamisme. C’est l’intérêt de classe commun qui fonde l’alliance des capitalistes des pays financiarisés du Nord et des féodaux des pays à rente du Sud (dont certains aident les total-terroristes islamistes), et pour dénoncer efficacement les deux matrices de l’alliance néolibérale, il faut faire une analyse globale et complexe et ne pas se satisfaire de propos simplistes, pour lesquels le pompon revient au communiqué national du NPA suite aux attentats du 13 novembre1. Le simplisme du NPA consiste à dire : tout est la faute de l’impérialisme, de François Hollande et du racisme anti-musulman. À aucun moment, le total-terrorisme islamiste n’est désigné comme un ennemi à combattre. On se croirait pendant la Deuxième guerre mondiale quant certains trotskistes ne faisaient pas de résistance contre l’armée allemande car « derrière un soldat nazi se cache un travailleur allemand » ! Sur ce dossier, la plus grande confusion règne dans la majorité des altermondialistes, car s’y regroupent toutes les pensées contradictoires. Mais pour la plupart d’entre eux, l’abomination reste le modèle politique de la République sociale qu’il confondent souvent allégrement avec les régimes constitués. La Ve République n’est pas plus républicaine que les démocraties populaires n’étaient démocratiques. Mais il n’y a pas d’espace réflexif suffisant chez les altermondialistes pour qu’ils entendent ce discours.

François Hollande appelle à une dangereuse révision de la Constitution

La nouvelle loi sur l’état d’urgence présente des avantages et des inconvénients. Il est vrai que la loi du 3 avril 1955 est par certains côtés obsolète car la situation et les menaces ne sont plus les mêmes. Les avancées de cette loi concernent :

  • une amélioration du contrôle du juge administratif qui pourra intervenir en référé. Nous aurions préféré que les perquisitions et les saisies soient soumises à une autorisation préalable du juge administratif, mais c’est déjà un mieux ;
  • l’exclusion de tout contrôle de la presse et des associations.

Par contre, la loi du 20 novembre fonde les décisions de la résidence surveillée sur les comportements et non plus sur les actes, ce qui est effectivement critiquable. Car là, on voit bien que le fait de ne plus fonder les décisions sur les actes peut demain se retourner contre une simple contestation dans le cas où la direction politique serait conquise par l’extrême droite. Rappelons-nous le précédent des années 30 où des mesures liberticides avaient été prises par la majorité du Front populaire et largement appliquées par le sinistre Pétain. Chat échaudé craint l’eau froide !
Cependant, ces dispositions restent transitoires.

Mais il y a plus dangereux. C’est la révision de la Constitution. Là, il va falloir faire très attention, car mettre dans une Constitution des dérogations définitives aux droits fondamentaux, c’est très dangereux pour la liberté du citoyen. En effet, cela voudrait dire que nous serions dans un état d’urgence permanent, voire pire, si des mesures de l’état de siège pouvaient être appliquées sans état de siège. D’autant que croire, par exemple, que les total-terroristes islamistes vont avoir peur d’une déchéance de la nationalité relève du phantasme. Lutter contre les total-terroristes islamistes par des mesures policières et militaires, oui, mais attenter aux libertés en constitutionnalisant ce qui ne fait pas peur aux total-terroristes islamistes paraît étonnant. La critique de Badinter à Sarkozy sur ce point vaut aussi pour Hollande. Rien ne justifie des dérogations permanentes aux droits fondamentaux. Les total-terroristes islamistes de nationalité française doivent être incarcérés et jugés. Point barre. Pas besoin de constitutionnaliser cela. Soyons attentifs quand nous aurons le texte du gouvernement.

Combattre l’intégrisme et le communautarisme d’où qu’ils viennent

Suite aux massacres du 13 novembre, l’intégrisme catholique a déployé sur tous ses sites des propos qui en disent long sur sa détermination contre l’émancipation. Choisissons-en un : le prêtre lyonnais Hervé Benoît qui a provoqué un tollé en publiant une tribune mettant sur un pied d’égalité les terroristes et leurs victimes, ces « morts-vivants » qui aiment « le diable, la mort et la violence ». L’archevêque s’est précipité pour se désolidariser de ces propos mais le prêtre reste à ses cotés. Le cléricalisme a ses raisons que la raison ne connaît pas.

Atef Rhouma, leader de Convergence citoyenne ivryenne (CCI), proche de la nébuleuse des Indigènes de la république, membre de la majorité de la municipalité d’Ivry, cinquième adjoint en charge de la petite enfance, a eu ces mots qui ne voient dans l’action de Daesh que de simples représailles, sans plus : « La réponse par la guerre à Daesh n’engendrera que plus de drames. Daech n’attaque pas nos valeurs, notre culture, il attaque la France parce que la France l’attaque et participe à la mort de centaines de milliers de civils.2

On pourra aussi mesurer les conséquences de plusieurs décennies de politique communautariste dans la ville communiste de Saint-Denis avec l’article « Ma ville à l’heure islamiste » de Fewzi Benhabib, ancien communiste algérien, ayant fui son pays à cause de la poussée islamiste des années 90.

Notre tâche : clarifier le complexe et non faire des simplifications abusives

Nous sommes dans une phase où le capitalisme ne peut survivre qu’en intensifiant les politiques d’austérité, où les conflits entre impérialismes vont se développer, où les forces communautaristes et intégristes s’emploient à diviser les peuples. Nous, nous devons rassembler sur une position offensive. Cela ne peut se faire, si on est progressiste, que par une ligne anti-capitaliste, anti-impérialiste, anti-communautariste, anti-intégriste et bien sûr contre le total-terrorisme islamiste. Mais pour cela, il convient d’être clair sur notre projet et notre modèle politique. Pour nous, c’est la République sociale ((Nos livres sont sur notre site http://www.gaucherepublicaine.org/librairie)). Nous sommes prêts à en débattre partout en France et à l’étranger.

  1. « Leurs guerres, nos morts : la barbarie impérialiste engendre celle du terrorisme », communiqué du NPA, 14 novembre 2015 []
  2. Voir http://94.citoyens.com/2015/au-conseil-municipal-divry-sur-seine-le-temps-de-parole-sur-les-attentats-de-paris-derape,20-11-2015.html. La CCI Ivry avait déjà eu des propos troubles le lendemain des massacres du 13 novembre :« Un peu de la terreur que les Syriens vivent chaque jours est sous nos fenêtres. On a du mal à le réaliser… Et pourtant ça ne pouvait qu’arriver au regard des politiques menées.https://www.facebook.com/convergenceCitoyenneIvryenne?fref=ts []
13 novembre
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Oui, Daesh a à voir avec l’islam

par Zohra Ramdane

 

Laissons d’abord la parole à Abdellah Tourabi, directeur de publication du journal marocain Tel quel : « Oui, ça a à voir avec l’islam ».

À chaque fois que se produit un attentat ou que le monde découvre une atrocité commise par Daech, on entend immédiatement des affirmations du genre “ça n’a rien à voir avec l’islam”, ou “ces gens-là n’ont jamais lu le Coran”.
Ces arguments sont souvent bien intentionnés et sincères, mais ils sont, hélas, faux et intellectuellement malhonnêtes. Ils n’aident ni à comprendre la réalité ni à avancer pour sortir de cette impasse historique dans laquelle le monde musulman s’est englué. Les fanatiques qui se réclament de Daech parlent et agissent à l’intérieur de l’islam. Leurs convictions, leurs actes et leur vision du monde se veulent comme une réplique parfaite de l’islam des origines.
Les adeptes de Daech appliquent le Coran à la lettre, font des hadiths le fondement même de leur vie quotidienne, et veulent reproduire intégralement la première forme politique connue de l’islam, le califat. Leur univers est certes fantasmé et anachronique, mais il correspond à une réalité qui a existé il y a 14 siècles. Le nier ou refuser de le reconnaître serait un aveuglement.
Les textes religieux sont l’alpha et l’oméga des soldats de Daech. Comme les autres groupes jihadistes (Al Qaïda, les groupes égyptiens des années 1980-1990), ils justifient massivement leurs actes par des références au Coran et à la Sunna. Leurs documents, leurs communiqués et leurs livres sont construits comme des démonstrations théologiques et religieuses. Ils s’appuient sur des versets et des hadiths qui sont le résultat d’un contexte particulier, marqué par les guerres menées par le prophète Mohammed contre ses adversaires et la naissance du premier État musulman à Médine. Des versets comme “tuez les infidèles où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les”, ou un hadith qui énonce que “le jihad est le plus haut sommet de l’islam”, sont cités abondamment par les intégristes de Daech. Ils ne les ont pas inventés ni détournés de leur sens littéral.
Le Coran, comme tous les autres livres religieux, contient des passages violents et belliqueux. Ils sont l’expression de leur temps et le contexte de leur révélation. Le calife Ali, cousin et gendre du prophète, résumait l’affaire en une formule limpide et clairvoyante: “Le Coran c’est deux lignes écrites dans un livre. Ce sont les hommes qui les interprètent”, disait-il. Lui qui a été assassiné aux premières années de l’islam par un fanatique qui préfigurait les sectaires de Daech. Notre refus de voir cette vérité en face, de reconnaître la part de violence dans l’islam et de vouloir la dépasser nous entraîne dans une spirale d’hypocrisie et de déni de réalité.
Les théories du complot, la rhétorique creuse et vaine et le rejet de toute responsabilité sont les manifestations d’un malaise et d’une impasse. En rabâchant des slogans comme “pas d’ijtihad en présence d’un texte” et “le Coran est valable en tout lieu et tout temps”, on s’est empêchés d’avoir une lecture rationnelle et historique des textes religieux. Le regard critique, l’usage de la raison et l’adaptation à notre monde seront toujours sacrifiés et relégués au second plan. Et, entre-temps, les fanatiques de Daech continueront leur lecture littérale et mortifère des mêmes textes religieux que nous partageons avec eux. »

Laissons ensuite la parole à Kamel Daoud : « L’Arabie saoudite, un Daesh qui a réussi  ».

Daesh noir, Daesh blanc. Le premier égorge, tue, lapide, coupe les mains, détruit le patrimoine de l’humanité, et déteste l’archéologie, la femme et l’étranger non musulman. Le second est mieux habillé et plus propre, mais il fait la même chose. L’État islamique et l’Arabie saoudite. Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre. Mécanique du déni, et de son prix. On veut sauver la fameuse alliance stratégique avec l’Arabie saoudite tout en oubliant que ce royaume repose sur une autre alliance, avec un clergé religieux qui produit, rend légitime, répand, prêche et défend le wahhabisme, islamisme ultra-puritain dont se nourrit Daesh.
Le wahhabisme, radicalisme messianique né au 18ème siècle, a l’idée de restaurer un califat fantasmé autour d’un désert, un livre sacré et deux lieux saints, La Mecque et Médine. C’est un puritanisme né dans le massacre et le sang, qui se traduit aujourd’hui par un lien surréaliste à la femme, une interdiction pour les non-musulmans d’entrer dans le territoire sacré, une loi religieuse rigoriste, et puis aussi un rapport maladif à l’image et à la représentation et donc l’art, ainsi que le corps, la nudité et la liberté. L’Arabie saoudite est un Daesh qui a réussi.
Le déni de l’Occident face à ce pays est frappant: on salue cette théocratie comme un allié et on fait mine de ne pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste. Les nouvelles générations extrémistes du monde dit « arabe » ne sont pas nées djihadistes. Elles ont été biberonnées par la Fatwa Valley, espèce de Vatican islamiste avec une vaste industrie produisant théologiens, lois religieuses, livres et politiques éditoriales et médiatiques agressives.
On pourrait contrecarrer : Mais l’Arabie saoudite n’est-elle pas elle-même une cible potentielle de Daesh ? Si, mais insister sur ce point serait négliger le poids des liens entre la famille régnante et le clergé religieux qui assure sa stabilité — et aussi, de plus en plus, sa précarité. Le piège est total pour cette famille royale fragilisée par des règles de succession accentuant le renouvellement et qui se raccroche donc à une alliance ancestrale entre roi et prêcheur. Le clergé saoudien produit l’islamisme qui menace le pays mais qui assure aussi la légitimité du régime.
Il faut vivre dans le monde musulman pour comprendre l’immense pouvoir de transformation des chaînes TV religieuses sur la société par le biais de ses maillons faibles : les ménages, les femmes, les milieux ruraux. La culture islamiste est aujourd’hui généralisée dans beaucoup de pays – Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Égypte, Mali, Mauritanie. On y retrouve des milliers de journaux et des chaînes de télévision islamistes (comme Echourouk et Iqra), ainsi que des clergés qui imposent leur vision unique du monde, de la tradition et des vêtements à la fois dans l’espace public, sur les textes de lois et sur les rites d’une société qu’ils considèrent comme contaminée.
Il faut lire certains journaux islamistes et leurs réactions aux attaques de Paris. On y parle de l’Occident comme site de « pays impies » ; les attentats sont la conséquence d’attaques contre l’Islam ; les musulmans et les arabes sont devenus les ennemis des laïcs et des juifs. On y joue sur l’affect de la question palestinienne, le viol de l’Irak et le souvenir du trauma colonial pour emballer les masses avec un discours messianique. Alors que ce discours impose son signifiant aux espaces sociaux, en haut, les pouvoirs politiques présentent leurs condoléances à la France et dénoncent un crime contre l’humanité. Une situation de schizophrénie totale, parallèle au déni de l’Occident face à l’Arabie saoudite.
Ceci laisse sceptique sur les déclarations tonitruantes des démocraties occidentales quant à la nécessité de lutter contre le terrorisme. Cette soi-disant guerre est myope car elle s’attaque à l’effet plutôt qu’à la cause. Daesh étant une culture avant d’être une milice, comment empêcher les générations futures de basculer dans le djihadisme alors qu’on n’a pas épuisé l’effet de la Fatwa Valley, de ses clergés, de sa culture et de son immense industrie éditoriale?
Guérir le mal serait donc simple ? A peine. Le Daesh blanc de l’Arabie Saoudite reste un allié de l’Occident dans le jeu des échiquiers au Moyen-Orient. On le préfère à l’Iran, ce Daesh gris. Ceci est un piège, et il aboutit par le déni à un équilibre illusoire : On dénonce le djihadisme comme le mal du siècle mais on ne s’attarde pas sur ce qui l’a créé et le soutient. Cela permet de sauver la face, mais pas les vies.
Daesh a une mère : l’invasion de l’Irak. Mais il a aussi un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique. Si l’intervention occidentale a donné des raisons aux désespérés dans le monde arabe, le royaume saoudien leur a donné croyances et convictions. Si on ne comprend pas cela, on perd la guerre même si on gagne des batailles. On tuera des djihadistes mais ils renaîtront dans de prochaines générations, et nourris des mêmes livres. Les attaques à Paris remettent sur le comptoir cette contradiction. Mais comme après le 11 septembre, nous risquons de l’effacer des analyses et des consciences.

Kamal Daoud, chroniqueur au Quotidien d’Oran, est l’auteur du roman Meursault, contre-enquête.

Est-ce que l’Autre gauche est à la hauteur des enjeux ?

Pourquoi une partie de l’Autre gauche tente-t-elle d’être plus royaliste que le roi ? Pourquoi rabâche-t-elle que Daesh n’a rien à voir avec l’islam ? Cette partie de l’Autre gauche serait-elle dépositaire du vrai islam ? Quelle légitimité a-t-elle pour cela ? Là réside une des confusions de cette partie de l’Autre gauche. Avec un raisonnement simpliste, elle fait comme s’il y avait deux camps et donc elle prend le contre-pied de l’extrême droite. Qu’il faille s’opposer radicalement à l’extrême droite est une nécessité mais croire qu’il y a deux camps est erroné et organise la confusion. Il n’y a pas deux camps mais au moins quatre. Cette confusion relève de la même confusion que celle sur la laïcité. Là encore, le déficit d’éducation populaire est patent.
L’extrême droite et une partie de la droite prennent prétexte de Daesh pour stigmatiser l’ensemble des musulmans. C’est le pendant de la dérive ultra-laïciste anti-laïque. La majorité du PS et une partie de la droite penchent vers le communautarisme anglo-saxon. Une partie importante de l’Autre gauche est favorable à un gauchissement du communautarisme anglo-saxon contre la république laïque. C’est le pendant de la dérive de la laïcité d’imposture ou adjectivée. Car, doit-on le répéter, dans les pays développés, il y a trois grandes formes d’organisation culturelle, sociale et politique : la dictature, le communautarisme anglo-saxon et le système politique laïque. Le principe de laïcité n’est pas une opinion, ni une valeur, mais simplement un principe d’organisation culturelle, sociale et politique. Restent les partisans du système laïque de la République sociale comme quatrième pôle de la typologie. On en est là.
La position laïque du modèle politique de la République sociale est pourtant claire, elle découle d’une application de la logique du fondateur du journal l’Humanité, Jean Jaurès. Nous devons combattre avec la plus grande fermeté tout racisme en général, et le racisme anti-musulman ou anti-arabe en particulier, mais nous n’avons pas à défendre les islams, comme nous n’avons pas à défendre les christianismes, pas plus que le judaïsme, les bouddhismes, les athéismes et les agnosticismes. Ce n’est pas notre affaire quand il s’agit de la sphère de l’autorité politique ou de la sphère de constitution des libertés (école, services publics et protection sociale).
Dit autrement, nous devons protéger tous les musulmans et tous les arabes de tout racisme, mais nous avons le droit de critiquer toute religion quand elle développe un esprit réactionnaire ou obscurantiste. Par contre, nous devons assurer la liberté de conscience, dont l’une des conséquences est, d’après la loi de 1905 « de garantir [et non d’assurer ! NDLR] le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » Puis « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » (Cette partie de la loi n’est pas appliquée par nos élites dirigeantes…)
Pendant près de deux siècles, tout le monde était d’accord sur la définition de la laïcité. Il y avait ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre, mais au moins, on parlait la même langue. Aujourd’hui, tout le monde est pour la laïcité, mais chacun a sa définition, contradictoire avec celle de son voisin. En un mot, en parlant la même langue, l’un dit « table », et l’autre comprend « chaise ». Le débat est donc encore plus difficile. Subissant le rouleau compresseur du mouvement réformateur néolibéral, une partie de l’Autre gauche pratique le relativisme culturel du communautarisme anglo-saxon selon lequel « toutes les idées se valent ». C’est une des raisons (pas la seule évidemment !) de son divorce avec la classe populaire ouvrière et employée qui représentent objectivement la majorité du peuple français.
Voilà pourquoi il faut combattre avec les musulmans l’islamisme et son débouché le total-terrorisme.

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La gauche face au terrorisme

par Didier Hanne

 

Massacres. Epouvante. Corps déchiquetés, cœurs brisés. En plein cœur de Paris, capitale des libertés. Le terrorisme islamiste, une nouvelle fois, et à une échelle sans précédent pour la France, a blessé gravement la République. Ah ! nous voudrions bien mener d’autres guerres, à la pauvreté, l’inégalité, l’indifférence écologique, au train fou du super capitalisme, aux triomphes annoncés du Front National. Mais la démocratie française est dans la ligne de mire des djihadistes et nous avec. Pas de choix : sans rien oublier de nos autres combats légitimes, il faut faire face à cette nouvelle bête immonde.

Le « total-terrorisme » islamiste, c’est la terreur utilisée comme moyen d’instaurer la terreur : une société soudée, n’acceptant aucune critique, aucune objection, aucune liberté de se tenir à l’écart des interprétations les plus fanatiques du Coran. Ce projet politique, tourné contre l’émancipation des hommes et des femmes, donc aussi contre la gauche de transformation culturelle, sociale et politique, est intégralement contre-révolutionnaire. Les djihadistes veulent créer en France une guerre civilo-religieuse. Rois du pétrole (de contrebande) et de vidéos abjectes, ce sont des ultra-capitalistes 2.0 d’une efficacité redoutable, car ils appuient sur les vulnérabilités des démocraties et sont mus par un projet de « civilisation » justifiant la démesure de leurs actes.

Alors, oui : des mesures « régaliennes » doivent êtres prises, à la hauteur de la guerre que le total-terrorisme nous fait. Ces gens ne mènent pas le combat qu’avec des mots. Bien sûr, il faut que cette lutte se fasse sous la surveillance du droit et des citoyens. Des limites doivent être posées, mais en assurant une défense efficace contre ce qui nous tue. On ne dialogue pas avec une Kalachnikov. Les massacres du 13 novembre constituent pour nos services de sécurité un échec cinglant. A l’évidence, jusqu’ici, contre le terrorisme, il n’y a pas eu un excès mais une insuffisance de sécurité. Comment ne pas voir aussi la faillite d’un certain discours gauchiste hors sol qui, avant comme après les tueries de janvier, se consacrait à lutter contre « l’hystérie sécuritaire », et dont les tenants se sont brillamment abstenus de participer aux défilés du 11 janvier, quand ils ne ricanaient pas contre une « marche blanche » ?

Le terrorisme ne reculera pas dans la vraie vie si on ne lui oppose pas des moyens policiers, militaires et judiciaires assumés. Que s’ouvrent enfin les yeux : le terrorisme n’est pas un « fantasme » mais un danger mortel immédiat. Cette menace ne dépérira pas exclusivement sous l’effet de politiques sociales : il faut battre les terroristes sans attendre que leurs causes (au demeurant multiples et complexes) s’évanouissent. Oui, il faudra lutter en même temps contre le super-capitalisme cynique, le communautarisme et l’intégrisme pour vider les bassins du terrorisme. Mais il n’est plus possible de tout miser sur l’avènement d’une société enfin bonne. Il faut aussi et immédiatement nous défendre contre de nouveaux massacres. Car s’il y en a, la société meilleure s’éloignera.

Il n’est plus possible de passer son temps à étriller les dispositifs anti terroristes par esprit de système anti-sécuritaire. L’état d’urgence peut certainement donner lieu à dérapages. Une extrême vigilance s’impose. Reconnaissons que face à l’ampleur des massacres et au danger imminent, il était impossible que l’Etat ne réagisse pas. Prétendre qu’il fallait que tout continue comme avant, constitue aussi un dérapage. Mais il est faux d’affirmer qu’en lui-même, l’état d’urgence constitue une sortie de l’état de droit : prévu et encadré par des textes, il est temporaire et chacune des mesures prises pourra être l’objet de recours devant le juge administratif (si nécessaire en recourant à la procédure rapide du « référé »), ou le juge judiciaire (par exemple si des infractions sont révélées au cours des perquisitions « préfectorales »).

La gauche ne peut disparaître dans l’union nationale : elle doit féconder d’un contenu progressiste le rassemblement antiterroriste, ce qui exige d’exister, en tant que gauche, dans ce combat. La résistance aux politiques socio-libérales doit continuer, contre des réformes destructrices qui déchirent toujours plus une socialité déjà bien entamée. Mais cette résistance ne saurait servir d’excuse pour éviter d’aborder de front, en pensée et en action, le « total-terrorisme ». Depuis le 15 janvier, aucune initiative unitaire à gauche n’a été prise pour créer des espaces de réflexions, des lieux de militantisme contre le terrorisme et ses apologistes ! Après le 13 novembre ? L’attentisme continue. La division face au pire se cultive, chacun dans son parti, chacun dans son syndicat, chacun dans son association. Or nous avons besoin d’unité pour mener la bataille de l’opinion, débattre avec les citoyens, rassembler largement, faire converger les forces progressistes et inclure la grande majorité des musulmans attachés aux principes républicains, notamment en faisant la chasse à tous les actes anti-musulmans.

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Les attentats du 13 novembre à Paris : la terreur de l’Etat islamique, l’état d’urgence en France, nos responsabilités

par Pierre Rousset

 

NDLR – Pierre Rousset et François Sabado​ sont membres de la 4e Internationale. Nous signalons leur texte car il se démarque des positions privilégiant un certain anti-impérialisme, récemment affichées par la direction du NPA.

Solidarité avec les victimes !

Les 13 novembre constitue un changement dans la situation politique nationale et internationale. L’Etat islamique (EI, Daesh) a encore frappé ; et plus fort encore. En janvier, les cibles étaient les journalistes de Charlie Hebdo, la police et les juifs. Cette fois-ci, c’est la jeunesse du pays qui est visée. Ils n’ont pas tué n’importe où et n’importe qui : ils se sont attaqué aux jeunes, à la jeunesse sous toutes ses couleurs, quelles que soient ses origines, ses religions (ou absence de religion), ses opinions politiques. Au moins 130 morts, plus de 350 blessés – un millier au bas mot de témoins directs du carnage. Beaucoup d’entre nous ont des proches parmi les victimes et, sinon, nous avons des amis qui en ont. L’onde de choc, l’émotion, est profonde.

L’objectif poursuivi par les commandos de l’Etat islamique ne fait pas mystère : fracturer par la terreur la société. Créer une situation où la guerre des uns contre les autres s’impose ; où la peur dresse d’infranchissables barrières entre les citoyennes et citoyens selon leurs origines, leurs religions, leurs modes de vie, leurs identités – creuser un fossé de sang au sein même de la religion musulmane, forcer les croyants à choisir un camp. Qui n’est pas avec nous jusqu’à l’inhumain est contre nous, et devient une cible « légitime ».

Les attentats de Paris ont été parmi les plus sanglants perpétrés dans le monde par l’État islamique et autre mouvement similaire, qui répondent à la même logique destructrice. Notre solidarité est internationale, elle se tourne en particulier vers celles et ceux qui, en d’autres pays, la combattent au péril de leurs vies : en Syrie et en Irak, au Liban et à Bamako, au Pakistan et en Turquie…. Nous devons avant tout affirmer notre compassion, notre identification, notre fraternisation avec les victimes, avec leurs proches.

En un tel moment, nous continuons bien entendu poursuivre la lutte de classes, à soutenir le combat de toutes et tous les opprimés ; mais au-delà, nous défendons l’humanité contre la barbarie. La dimension humaniste de l’engagement révolutionnaire reste pour nous une boussole. Toute politique progressiste commence par l’indignation, l’émotion. Elle ne se réduit pas, bien entendu, à celles-ci, mais tel est son point de départ. N’opposons pas réfléchir à pleurer ! Ne parlons pas d’une langue de bois, n’écrivons pas d’une plume glacée ! Ici et maintenant, aidons les victimes et leurs proches, participons aux moments de deuil, aux minutes de silence, aux manifestations de solidarité. Nous sommes dans ce mouvement – et c’est de là que nous pouvons expliquer nos positions.

Quel que soit le rôle de l’impérialisme, l’Etat islamique est responsable de ses actes

Les révolutionnaires se doivent de rejeter clairement et nettement la barbarie fondamentaliste. Elle doit être combattue – par nos méthodes, selon notre orientation et non celle de nos gouvernants –, mais elle doit être activement défaite.

Sous le choc des événements, des organisations de gauche, associations et syndicats ont plié devant l’appel à l’union nationale ; d’autres comme en réaction ont tellement souligné les très réelles responsabilités politiques et historiques de l’impérialisme occidental que la dénonciation de l’Etat islamique en est devenue inaudible. Au fil des jours, les prises de position se sont souvent clarifiées. Tant mieux. Mais on lit encore bien des articles jugeant que si les attentats « n’avaient aucune excuse », il fallait avant tout prendre en compte « le contexte » – l’analyse dudit contexte se réduisant pour l’essentiel à l’énumération des méfaits impérialistes, on pourrait en conclure que les mouvements fondamentalistes ne font que réagir à l’action des grandes puissances et que nous devrions en quelque sorte leur accorder des circonstances atténuantes. Il est nécessaire de lever toute ambigüité à ce sujet.

Etrangement, bien des plumes de gauche dénoncent vigoureusement les attentats fondamentalistes, mais se refusent à condamner nommément, explicitement, les mouvements qui les commettent. Plus étrange encore, bien des organisations qui n’hésitent pas à le faire (nommer les coupables, expliciter leur caractère réactionnaire) n’en tirent aucune conséquence pratique. Quand on en arrive aux tâches, le combat contre le terrorisme et contre ces fondamentalismes n’est plus mentionné ; ce qui, soit dit en passant, laisse à nos gouvernants le monopole des réponses spécifiques. Nous sommes généralement d’accord pour nous attaquer aux impérialismes et à leurs guerres, à une mondialisation capitaliste destructrice, aux inégalités et aux discriminations, à l’idéologie du choc des civilisations, aux racismes – dont l’islamophobie –, aux héritages du passé colonial, aux politiques sécuritaires et états d’exception, aux appels à l’union nationale et à la paix sociale… A certaines causes donc et aux conséquences des drames que nous vivons. Mais nous devons aussi combattre l’influence de Daesh (entre autres) dans nos propres sociétés et nous solidariser concrètement avec les résistances populaires dans les pays du Sud déchirés par le fanatisme religieux – un devoir internationaliste s’il en est ! Il y a là un « point aveugle » dans une bonne part de la gauche radicale, même celle qui ne sombre pas dans un « campisme » délétère. C’est pourquoi nous donnons de l’importance à cette question dans notre contribution.

L’Etat islamique et autre mouvement similaire ne se contentent pas de réagir ; ils agissent selon un agenda qui leur est propre. Ce sont des acteurs politiques qui poursuivent des objectifs déterminés. Il fait peu de doute que Daesh soit effectivement responsable des attentats de Paris. Cette organisation a construit un protoÉtat sur un territoire équivalent à celui de la Grande-Bretagne. Elle gère une administration, accumule d’immenses richesses (évaluées à près d’1,8 milliards de dollars), organise la contrebande de pétrole ou de coton. Elle mène des opérations de guerre sur de multiples théâtres d’opérations, a recruté des informaticiens du plus haut niveau… Elle n’est pas une marionnette ! Elle est responsable de ces actes – totalement responsable des attentats qu’elle commet en tant de lieux.

Cette responsabilité propre ne s’efface pas du fait des responsabilités de l’impérialisme, aussi écrasantes soient ces dernières – et depuis longtemps : des accords Sykes-Picot du début du XXe siècle aux interventions actuelles des grandes puissances. On entend souvent dire que sans l’intervention US de 2003 en Irak (qui a déstabilisé la région, disloqué des Etats), Daesh n’existerait pas. Ce n’est vrai qu’en ce qui concerne un enchaînement spécifique qui a conduit à la fondation de l’Etat islamique tel qu’on le connaît. Autrement, c’est faux. L’émergence des forces djihadistes ne découle pas mécaniquement de la seule domination impérialiste, elle est le produit combiné de nombreux facteurs qui vont de la faillite des gauches arabes (et européennes) jusqu’à la volonté des bourgeoisies dans la région d’avoir de nouvelles forces contre-révolutionnaires pour appuyer leurs ambitions régionales ou combattre la montée révolutionnaire au sein du monde arabe. C’est aussi vrai concernant la montée des fondamentalismes religieux en d’autres parties du monde, y compris dans des pays qui n’ont rien connu de comparable à la guerre de 2003, comme l’Inde (extrême droite hindouiste), la Birmanie (extrême droite bouddhiste) ou les Etats-Unis (extrême droite chrétienne – puissante bien avant le 11 septembre, 2001 et fort proche de Bush).

Retour sur le « choc des barbaries »

Il y a une responsabilité impérialiste occidentale, comme au lendemain de la guerre 14-18 (le traité de Versailles) dans la montée du nazisme en Allemagne. Les antifascistes de l’époque n’ont pas manqué de le rappeler systématiquement. Cependant, une fois qu’il a pris son envol, le parti nazi a été dénoncé et combattu en tant que tel. Daesh a pris son envol…

Nous devons continuer à expliquer le contexte, mais l’Etat islamique doit être appréhendé pour ce qu’il est, pas comme la simple ombre portée de l’Occident. L’impérialisme contemporain, les politiques néolibérales, la mondialisation capitaliste, les entreprises de recolonisation, les guerres sans fin déchirent le tissu social d’un nombre croissant de pays, libérant toutes les barbaries. Mais les fondamentalismes religieux sont eux aussi de redoutables agents de la désintégration de sociétés entières. Il n’y a pas en l’occurrence une « barbarie principale » (de l’Occident) qu’il faudrait combattre aujourd’hui et une « barbarie secondaire » (Daesh et consort) dont on ne devrait se préoccuper que dans un avenir indéfini. L’inverse est tout aussi vrai : on ne doit pas fermer les yeux sur la barbarie impérialiste et celle des dictatures « alliées » sous prétexte de combattre la barbarie fondamentaliste. Il n’y a pas de hiérarchie dans l’horreur. On doit défendre activement et sans attendre toutes les victimes de ces barbaries jumelles, qui se nourrissent l’une l’autre, sous peine de faillir à nos devoirs politiques et humanitaires.

Les fondamentalismes religieux ont souvent été initialement soutenus par Washington au nom de la lutte contre l’URSS (en Afghanistan, au Pakistan…) avant d’affirmer leur autonomie, voire de se retourner contre leur parrain. Profondément réactionnaires, ces mouvements n’ont rien de progressiste. Il n’y a pas « d’anti-impérialisme réactionnaire » ! Ils veulent imposer un modèle de société à la fois capitaliste et passéiste, totalitaire au sens fort du terme. Bien entendu, la France est frappée en raison de sa politique moyen-orientale ou de son histoire coloniale et post colonial. Mais lorsque Daesh massacre les Yezidis parce qu’ils sont Yezidis, réduit des populations à l’esclavage, vend des femmes, déstabilise le Liban, pousse aux extrêmes les violences interconfessionnelles (notamment à l’encontre des chiites), quel est le rapport avec un supposé anti-impérialisme ?

Tous les mouvements fondamentalistes n’ont pas les mêmes bases, la même stratégie. Certains, comme l’Etat islamique, sont-ils fascistes ? Ils n’entretiennent pas les mêmes rapports (complexes) avec des secteurs des bourgeoisies impérialistes comme en Europe dans les années 30, mais les reproduisent avec des secteurs des bourgeoisies de « puissances régionales » comme au Moyen-Orient l’Iran, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie… Ils attirent la « poussière d’humanité » de sociétés en déliquescence aussi bien que des éléments des « classes moyennes », d’une « petite bourgeoisie » d’un salariat éduqué. Ils usent de la terreur « par en bas » pour imposer leur ordre. Ils déshumanisent l’Autre et en font des boucs émissaires comme hier les nazis des Juifs, Tziganes ou homosexuels. Ils éradiquent toutes formes de démocratie et d’organisations populaires progressistes. L’exaltation religieuse occupe la même fonction que l’exaltation nationale dans l’entre-deux-guerres et leur permet, en sus, de se déployer internationalement. Il serait étrange que les convulsions provoquées par la mondialisation capitaliste ne donnent pas naissance à de nouveaux fascismes, comme il serait étonnant que ces derniers ressemblent trait pour trait à ceux du siècle précédent. Il y a une différence avec les fascismes européens, c’est l’imbrication de cette réaction intégriste totalitaire, de la crise de dislocation d’Etats, et des rapports de domination impérialistes-économiques et militaires qui encadrent la région. La lutte antiterroriste doit être menée par les peuples de la région, et non par une coalition de puissances occidentales. Une nouvelle intervention militaire des puissances impérialistes et de la Russie, appuyée sur chacun de ses flancs, par les pays du golfe et par la dictature syrienne, peut affaiblir Daesh sur le plan militaire, mais elle ne peut que provoquer une réaction de rejet de tous les peuples sunnites de la région.

La crise de société en France

Les attentats du 13 novembre ont été avant tout commis par des Français ou Franco-Belges – la France étant avec la Belgique deux des pays d’où les départs pour la Syrie ont été les plus fournis. Il n’y a pas un profil unique des personnes qui se rallient à l’Etat islamique. Elles peuvent être de familles croyantes, musulmanes laïques ou non musulmanes : les convertis récents, non arabes, sont assez nombreux. De même, elles peuvent être issues de milieux très précarisés ou stables, avoir un passé de délinquant ou pas. Dans certains cas, la « radicalisation » d’un individu est l’aboutissement d’un long processus ; pour d’autres, il s’agit d’un basculement brutal. Comme on pouvait s’y attendre, la plupart des hommes qui ont commis des attentats en France proviennent de milieux particulièrement défavorisés, ont connu la prison et ont été membres de gangs, mais pas tous. Confrontés à cette pluralité des profils, nous ne pouvons nous contenter d’explications simples, uniquement sociologiques (précarisation, racialisation des rapports sociaux…) ou historiques (l’empreinte postcoloniale).

A la différence de radicalisations antérieures de la jeunesse, celle-ci est très minoritaire et ne porte pas les mêmes aspirations humanistes. L’Etat islamique se met lui-même en scène sous son jour le plus cru : « venez couper des têtes avec nous ». L’armée française a massivement torturé, notamment durant la bataille d’Alger, mais le gouvernement et l’état-major niaient farouchement leurs crimes : pas d’appels proclamant « Rejoignez, votre Grande Armée, venez torturer avec nous » ! Daesh affiche explicitement un discours de haine et d’exclusion de l’Autre (à l’instar des plus extrêmes des extrêmes droites). Il n’y a pas d’analogie possible entre les départs actuels en Syrie et la constitution des brigades internationales lors de la guerre civile espagnole – ou la radicalisation des années 60.

Rien de banal dans tout cela ni dans le recours à la terreur de masse. Prétendre que le terrorisme serait l’arme « naturelle » des opprimés dans des guerres « asymétriques », c’est ignorer les leçons des grands combats de libération du siècle passé, des guerres révolutionnaires. Dans les luttes pour leur indépendance ou contre l’impérialisme, en Indochine ou en Amérique latine, les attentats terroristes ont été à l’époque rares et les mouvements concernés ont généralement rapidement compris que le coût politique de telles opérations était trop élevé – et posait bien des problèmes éthiques. En Algérie, le FLN, qui s’était aventuré sur ce terrain a vite fait marche arrière, sous la pression de certains de ses secteurs ou des mouvements de solidarité avec l’indépendance algérienne.

Nous subissons les conséquences ultimes de la « crise du politique », de la désocialisation inhérente à nos sociétés néolibérales et de leur injustice croissante, de la défaite subie par nos générations (les radicaux des années 60-70), de l’incapacité des gauches dans nos pays à offrir une quelconque perspective radicale et à agir au sein des populations précarisées. Nous touchons de ce fait à des domaines que la plupart d’entre nous ne maitrisons pas : la psychosociologie, le rapport entre fragilités identitaires individuelles et déliquescence du tissu social, les quêtes adolescentes. L’Etat islamique offre une armure identitaire et du pouvoir : pouvoir de la représentation, pouvoir des armes, pouvoir sur les femmes, pouvoir de vie et de mort… Bien plus qu’un supposé anti-impérialisme, c’est ce qui fait son attrait.

Ce sont des questions que nous devons intégrer plus que nous ne l’avons fait jusqu’à maintenant ; et dont nous pouvons déjà tirer quelques implications. Le combat antiraciste, aussi important soit-il, ne suffit pas. A l’encontre de l’individualisme néolibéral et son anonymat (qui connaît ses voisins ?) il faut favoriser, reconstituer, les lieux de socialisation, du « vivre ensemble », de la mixité – et réintroduire une réflexion de fond sur l’éthique de l’engagement et de la lutte.

Dans une telle situation, tous les racismes constituent un danger mortel, dont le racisme d’Etat bien entendu, mais pas seulement. Luttons contre ce qui peut alimenter les tensions intercommunautaires, opposer les opprimés les uns aux autres que ce soient le racisme anti-arabe ou la négrophobie, l’antisémitisme ou l’islamophobie, la discrimination des Roms… – et pour cela, nourrissons une culture du vivre ensemble, du respect des droits de toutes et tous.

Nos tâches internationalistes

Les derniers événements (13 novembre, attentats au Sinaï contre l’avion de ligne russe…), ont précipité une évolution des alliances que l’on percevait déjà avant, avec la formation d’une grande coalition : intégration de la Russie, abandon des prétentions à l’autonomie de la France, inquiétudes manifestées jusqu’en Arabie saoudite sur le déploiement de l’Etat islamique… En contrepartie, le régime Assad est conforté alors qu’il est à l’origine de la crise syrienne et coupable des crimes que l’on connaît. Cela suffira-t-il à favoriser un accord temporaire entre puissances régionales appartenant aux dits « blocs » sunnite et chiite ?

Il est encore bien tôt pour mesurer toutes les implications de ce tournant dans la situation internationale. Soulignons pour l’heure les points suivants :

Les compromis entre Occidentaux et la Turquie ou le régime Assad se feront au détriment des forces qui sur le terrain méritent le plus notre soutien : Kurdes, Yezidis, composantes progressistes et non confessionnelles de la résistance au régime. Il faut leur apporter notre solidarité politique et matérielle et exiger qu’ils reçoivent notamment un armement adéquat – ce dont les composantes progressistes de l’ASL n’ont jamais bénéficié (et pourtant, elles résistent !) et ce dont les Kurdes pourraient être privés, en particulier sur le front syrien. Force est de reconnaître que nous n’avons jamais fait en France, en ce domaine, ce que nous aurions dû.

L’intensification des bombardements de la coalition, avec le prix exorbitant payé par les civils, risque de renforcer l’audience de Daesh auprès d’autres composantes islamistes opérant en Syrie. Le résultat net de cette politique serait alors de conforter à la fois le régime Assad et les organisations fondamentalistes (à commencer par l’Etat islamique) ! Pour éviter ce piège, il faut rompre avec la logique des grandes puissances : aidons les forces populaires en Syrie, en Irak à poursuivre leur combat au lieu de vouloir se substituer à elles, voire à les marginaliser plus encore.

Luttons donc contre la politique de guerre de nos gouvernants, mais comprenons aussi la spécificité de ce conflit, bien différent des guerres d’Indochine ou d’Algérie : le retrait des troupes françaises ou américaines signifiait alors la fin des principales ingérences étrangères et créait les conditions d’une victoire. Ce n’est pas le cas aujourd’hui au Moyen-Orient : il resterait la Turquie, l’Iran (et le Hezbollah), l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Algérie, l’Egypte… Dans une géopolitique aussi complexe, il nous faut écouter les mouvements que nous soutenons pour tenir compte de ce dont ils ont besoin matériellement et politiquement. C’est aux peuples de décider pas aux coalitions impérialistes. Mais, et c’est une dimension particulière de cette guerre, les Kurdes comme les démocrates syriens ont demandé et demande une aide sanitaire et militaire, y compris aux gouvernements occidentaux. Il faut la leur donner. Pas de substitution à la décision et à l’autodétermination des forces démocratiques syriennes et kurdes, mais aucune hésitation à les aider et à faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils répondent aux appels qu’ils lancent.

Sur le plan international, l’hypocrisie des forces occidentales doit être dénoncée : d’un côté, elles prétendent combattre le terrorisme et de l’autre elles appuient des régimes comme ceux du Qatar, de l’Arabie saoudite ou de la Turquie.

La coalition qui se constitue n’est en rien une alliance « démocratique » contre une menace totalitaire. Outre nos impérialismes « classiques », elle comprend la Russie de Poutine, l’Arabie saoudite dont le régime est très proche du modèle de société prôné par Daesh, le Qatar, la théocratie iranienne, la Turquie d’Erdogan… Quelle que soit la nature de l’Etat islamique, toute analogie avec un « front démocratique antifasciste » est invalide. Nous ne sommes ni avec la coalition, ni avec Daesh, ni avec Assad. Nous sommes pour le droit à l’autodétermination des peuples – dont le peuple palestinien –, contre toutes les barbaries.

Un tournant de la situation nationale

Comme en janvier dernier après le massacre des journalistes de Charlie, la mort du personnel de police, l’attaque de l’Hypercacher1, l’émotion a submergé le pays – ce qui est évidemment parfaitement normal.

Les actes islamophobes se sont multipliés, mais ils sont le fait d’une frange seulement de la population. Les actes de solidarité et de convivialité se sont aussi multipliés : grand sourire dans le métro quand on croise un Magrébin, galanterie ostentatoire (même si désuète) quand on s’efface pour laisser passer une femme voilée, réoccupation des lieux de fêtes et de mixité, rejet des amalgames… Malheureusement, tous ces gestes-là ne sont pas recensés et n’entrent pas dans les statistiques.

Comme en janvier, aussi, les politiques sécuritaires sont plébiscitées, les forces de l’ordre applaudies. Or, plus encore qu’en janvier, le gouvernement saisit l’occasion pour prendre des mesures liberticides. Ce fut hier le cas de la loi sur le renseignement qui donne des pouvoirs exorbitants aux services secrets. C’est maintenant le cas avec l’instauration de l’état d’urgence, son durcissement par le Parlement, l’appel du gouvernement français à ce que l’Union européenne suive avec, notamment, le fichage des passagers prenant l’avion, et l’annonce par François Hollande d’une réforme constitutionnelle.

La France est déjà dotée de deux régimes d’exception, forgés notamment à l’occasion de la guerre d’Algérie : l’état d’urgence (une demi-loi martiale qui libère les forces de l’ordre du contrôle judiciaire et limite les libertés) et l’état de siège (une loi martiale intégrale donnant les pleins pouvoirs à l’armée). Pourquoi cela ne suffit-il pas à nos gouvernants ? Parce que le recours à l’état d’urgence, par exemple, est limité dans le temps et demande un vote parlementaire – qui en l’occurrence fut presque unanimement favorable : elle a été soutenue par la grande majorité des socialistes, des Verts et des députés communistes. La réforme constitutionnelle permettrait au gouvernement (ou au président ?) de prendre plus librement des mesures d’exception – et de faire finalement de l’exception la règle : intervention de l’armée en matière de police, perquisitions arbitraires, détentions « préventives », interdiction des manifestations ou grèves, censure de la presse, etc. Le texte de loi que rédigera Hollande n’est pas encore connue, mais ses intentions sont claires. Le régime deviendra de plus en plus autoritaire, la militarisation de société fera un bond en avant.

Bon nombre de personnes s’inquiètent de ce qui se passerait si Marine Le Pen et le Front national emportaient les élections (un scénario qui ne relève pas de la politique fiction), mais ne se demandent pas ce que les Hollande, Valls, Sarkozy ou autres en feront. Il est donc très important de rappeler ce que les gouvernements « républicains » ont fait par le passé – dont la torture en Algérie et l’adoption d’une loi d’amnistie qui interdit de mettre en accusation ses auteurs (on ne peut que les accuser d’apologie de la torture si, après-coup, il en défendent l’usage), l’oubli médiatique du massacre des Algériens de Paris le 17 octobre 1961 (terrorisme d’Etat s’il en est), le putsch des généraux à Alger, de multiples coups fourrés des services secrets, l’attentat contre le Rainbow Warrior de Greenpeace (un mort, terrorisme d’Etat à nouveau), l’assassinat de dirigeants kanaks, etc. En fait, l’ensemble des lois sécuritaires adoptées ces dernières années et les dispositifs de surveillance mis en place permettront au pouvoir quel qu’il soit de mener une guerre civile rampante quand il le désirera. Enfin, au-delà de la marche au tout sécuritaire, il y a un calcul politique. Hollande et Valls comptent sur l’état d’exception pour utiliser une nouvelle fois l’arsenal bonapartiste et se hisser d’une certaine façon, au-dessus des partis et des institutions. Opération qui vise à neutraliser le bilan catastrophique des gouvernements depuis 2012 et à promettre au Parti socialiste de meilleurs résultats électoraux. Pari des plus hasardeux. Hollande et Valls peuvent jouer la carte sécuritaire, appuyée sur les institutions de la Ve République, mais dans la situation politique actuelle où les vents mauvais vont à droite et à l’extrême droite, ce sont ces forces qui risquent de profiter de cette manœuvre.

Les résistances à la prolongation de l’état d’urgence ont été très faibles dans la gauche parlementaire, mais plus importante à la base (au sein du PCF par exemple, contre le vote de ses représentants) ou dans le mouvement social et syndical : Solidaires, mais aussi la CGT.

Le moment politique présent est lourd de très grands dangers. La démocratie politique a déjà été vidée de son contenu, les assemblées élues n’ayant plus prise sur les principales décisions (qui relève de l’Union, de l’OMC, des traités intergouvernementaux…). Ce sont maintenant les libertés civiques, déjà sous contraintes, qui risquent de devenir une coque vide. Le gouvernement veut pouvoir assigner la société à résidence. Or la population n’en a pas conscience.

L’important est de lier entre eux les terrains de résistance, de manifester notre solidarité avec les victimes du terrorisme, donner les moyens matériels, politiques et militaires de survivre et de vaincre aux peuples qui luttent pour leur liberté, d’aider les forces progressistes et non confessionnelles qui luttent sur le terrain tout à la fois contre l’obscurantisme sanguinaire, terroriste, de Daesh et celui du régime d’Assad qui l’a tant favorisé. C’est arrêter d’engager des guerres et des bombardements, arrêter de soutenir des régimes absolutistes et de promouvoir les injustices sociales et politiques au Moyen-Orient comme ailleurs.

L’état des forces progressistes en France est assez désastreux, mais, en ce moment clé, des points d’appui pour résister existent : dans les sentiments de solidarité partagés au sein de la population, dans la réaction de la jeunesse, dans le refus par bon nombre d’associations et syndicats d’accepter des mesures liberticides, un régime permanent d’exception. De quoi construire un front uni en défense des libertés ici et ailleurs, du vivre ensemble, de la solidarité.

P.-S. Article écrit pour le site Viento Sur : http://www.vientosur.info/spip.php?article10721

  1. Nous renvoyons à l’article que nous avions alors écrit : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34100 []
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« Liberté – Égalité – Laïcité », par Jean-Paul Brighelli

par Pierre Hayat

 

Le titre du livre de Jean-Paul Brighelli : Liberté – Égalité – Laïcité (Hugo Doc, 2015) annonce le message de son auteur: la fraternité peut attendre car l’urgence est la défense de la laïcité. Passé de la gauche à la droite, Brighelli n’a pas oublié les brillants Fragments d’un discours amoureux de Barthes, dont il se sert pour personnaliser sa conception de la laïcité. « Il en est de la laïcité comme du ‘je t’aime’ », écrit Brighelli, « toute adjonction restreint le sens du mot ».

L’essai de Brighelli ne se résume cependant pas à une déclaration d’amour à l’adresse de dame laïcité. Brighelli veut une laïcité « pure et dure ». Pour ce faire, il  dénonce le fanatisme islamique, sa barbarie, sa rouerie, sa bêtise, son terrorisme, sa force invasive. Mais il a pire ennemi. Citant le regretté Charb qui avait « moins peur des intégristes religieux que des laïques qui se taisent », Brighelli croise le fer avec ceux qui ferment les yeux quand des jeunes filles non voilées sont agressées. Il fustige tous ceux qui, par lâcheté, intérêt ou  aveuglement, préfèrent le déni de réalité aux principes universalistes de liberté et d’égalité. Il condamne une gauche convertie au social libéralisme qui ne se contente plus de miner le projet d’instruction pour tous. Aujourd’hui incapable de tracer un nouvel horizon politique, cette gauche, désertée par les travailleurs les plus exploités, prétend avoir trouvé un idéal de remplacement dans des idéologies victimaires et revanchardes, anti-égalitaires, autoritaires et anti-rationalistes. Tétanisée par la rhétorique intimidante des Indigènes de la République et de leurs émules, parfois gangrenée par des communautaristes ultra-réactionnaires, cette gauche a oublié que le fanatisme religieux menait à l’oppression et à la guerre. Elle creuse sa tombe à  force de renoncements, d’errements et de trahisons. Il y a hélas du vrai dans cette dénonciation d’une partie de la gauche et de l’extrême gauche.

Brighelli est un polémiste de droite qui se revendique antiraciste et condamne la bêtise des « extrêmes-droitiers qui imposent le cochon » dans les cantines scolaires, au lieu de proposer plusieurs menus. Mais si l’on s’accorde sur la nécessité de séparer « ce qu’on doit à César et ce qu’on croit devoir à Dieu », cette séparation ne suffit pas aux démocrates, pour qui une dictature est inacceptable même si elle ne s’appuie pas sur la religion. De même, une approche simpliste de la distinction du domaine privé et du domaine public fait omettre que la laïcité garantit l’exercice collectif et public des cultes, sous réserve de l’ordre public. Brighelli ignore que les fondateurs de la laïcité scolaire n’ont jamais séparé l’instruction et l’éducation, pas plus qu’ils n’ont imaginé que la République laisserait aux seules familles l’éducation des enfants. Il ne voit pas davantage qu’au cours de l’histoire, la laïcité a permis d’associer la liberté et l’égalité des droits aux formes sociales concrètes de solidarité, d’entraide, de justice et de coopération : de fraternité, donc.

Ce sont là des objections ordinaires que la gauche laïque peut opposer à la droite républicaine, dans le cadre de débats démocratiques. Mais des formules outrancières en cascade rendent ce livre contreproductif et, à certains égards, rédhibitoire. Prétendre que l’enjeu est aujourd’hui la défrancisation de la France, qu’il est temps de refermer les  portes de l’école et celles l’Europe, qu’il n’y a guère de différence entre une burqa et un voile, etc., c’est opposer au langage haineux des Indigènes de la République un extrémisme verbal, incompatible avec l’universalisme de la laïcité. La rhétorique colérique de Brighelli s’affranchit souvent de la réalité empirique. Sa plume provocatrice dérape quand elle lui fait écrire qu’« une fille voilée, c’est une djihadiste en puissance et même, pour bien des gens, une djihadiste de l’intérieur ». Ainsi, les efforts louables du républicain de droite pour résister à l’extrême droite sont parfois pris en défaut.

Le meilleur du livre se trouve à la fin, dans deux textes que Brighelli a eu l’heureuse idée d’annexer à sa prose excessive : la Lettre au monde musulman d’Abdennour Bidar et un discours de Jaurès pour qui la tâche est de « réconcilier l’Europe avec elle-même, l’humanité avec elle-même » et de « préparer la fraternelle justice sociale, émanciper et organiser le travail ».



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