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Chronique d'Evariste
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Néolibéralisation de l’école

par Évariste

 

Dans la bataille pour l’hégémonie culturelle indispensable pour se mettre à la hauteur des enjeux de l’émancipation humaine, il est crucial de mettre en lumière les conséquences sur l’école du mouvement réformateur néolibéral. Les citoyens et les familles attachent à l’école une grande importance car la qualité de l’enseignement qui est dispensé et le niveau que l’élève qui la fréquente peut atteindre, déterminent pour une grande part le passage des droits formels aux droits réels dans la vraie vie. Que la gauche de la gauche ne s’en préoccupe pas beaucoup est une des raisons de sa décomposition actuelle.

L’école est l’un des marqueurs de la république. Il y a un lien dialectique entre le niveau émancipateur de la république et le niveau d’autonomie de pensée et de formation critique donné à l’ensemble de la population par l’école. On peut même considérer que l’école n’est pas un simple service public mais un organe central du dispositif républicain. C’est encore plus vrai si on souhaite monter d’un cran et promouvoir la République sociale. Nous en sommes loin aujourd’hui.

Nous savons tous que les républiques populaires n’étaient en rien républicaines et qu’il en est de même aujourd’hui de la République islamique d’Iran. Mais qu’en est-il de notre Ve République ?

En elles-mêmes les institutions de la Ve République, depuis leur origine, ne répondent pas aux principes constitutifs d’une République sociale : la liberté, l’égalité, la fraternité, mais aussi la laïcité, la démocratie, la solidarité, la souveraineté populaire, la sûreté, l’universalité et le développement écologique et social.

Et aujourd’hui, que dire des 110 000 élèves qui sortent chaque année du système éducatif sans diplômes ni qualifications ? Que dire aussi de l’absence de « mobilité sociale », dans l’école publique comme dans la société, des couches populaires majoritaires? La mobilité sociale, qui désigne l’ensemble des changements de position des individus dans l’espace social, est estimée par leur position socioprofessionnelle, soit au cours de leur vie active (mobilité intragénérationnelle), soit d’une génération à l’autre (mobilité intergénérationnelle). L’échec est patent à l’école de la république.

Que dire des pouvoirs publics qui aggravent la ségrégation urbaine par une politique communautariste assumée ?

Que dire d’une société qui distribue davantage d’argent par élève à l’école privée confessionnelle qu’à l’école publique, alors que seule cette dernière peut prétendre devenir l’école de la république sociale ?

Que dire d’un candidat à la présidence de la République qui avait promis 60 000 enseignants nouveaux et qui n’a toujours pas dépassé 10 % de cette promesse ?

Que dire d’une « réforme des rythmes scolaires » dont le résultat est le remplacement fréquent d’enseignants par des animateurs qui ne sont pas tous titulaires du BAFA et la fin de la gratuité des activités dans 40 % des cas ?

Que dire de la confection de nouveaux programmes d’enseignement dont le but est d’empêcher le développement d’un esprit critique ?

Que dire d’une école qui a supprimé à la fin du siècle dernier la liberté pédagogique des enseignants chargés de transmettre les connaissances, en leur imposant un pédagogisme visant à formater la jeunesse ?

Que dire aujourd’hui du développement par le « mouvement réformateur néolibéral » d’une « école des compétences » définie par le patronat, au lieu d’être un lieu de construction du futur citoyen émancipé des pouvoirs constitués et capable d’esprit critique argumenté?

Il faut se réjouir que ces « réformes » soient l’objet de résistances multiformes et insistantes des enseignants mais aussi de nombreux citoyens. C’est le cas aujourd’hui, de façon profonde et persévérante, de la « réforme du collège ». C’est pourquoi ReSPUBLICA propose dans ce numéro une analyse critique développée de la nouvelle « réforme » des collèges qui montre comment cette nouvelle contre-réforme s’insère méthodiquement dans le modèle politique néolibéral dans l’intérêt du capital et de l’oligarchie néolibérale. Jean-Noël Laurenti, membre de notre comité de rédaction, « décortique » cette « réforme » pour armer les citoyens éclairés et les militants dans cette gigantesque bataille culturelle dans laquelle nous sommes engagés.
Bien évidemment, nous continuerons dans les semaines et les mois suivants à proposer d’autres dossiers sur l’école. Osons nous répéter et disons qu’il ne peut y avoir d’émancipation humaine sans une refondation d’une école laïque et républicaine dans le cadre d’une nouvelle République sociale.

Ecole publique
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La réforme du collège : un projet antirépublicain et antilaïque

par Jean-Noël Laurenti

 

Le 26 janvier dernier, les enseignants en étaient à leur quatrième grève contre la réforme du collège. Depuis près d’un an, le ministère de l’Éducation Nationale entend mener cette réforme, malgré les oppositions de tous horizons qui dénoncent, dans une convergence sans précédent, un coup porté à l’instruction et à la formation intellectuelle de la jeunesse. Sans doute y a-t-il là un enjeu assez important pour que le gouvernement ne veuille pas reculer. De fait, parmi les réformes qui jalonnent l’histoire du système d’enseignement français depuis les années 1960, et qui toutes, à de très rares exceptions près, ont tendu à détricoter l’école républicaine en limitant l’accès du plus grand nombre aux savoirs émancipateurs et en lui substituant une école à l’image de la société libérale, cette réforme-ci constitue une étape décisive. En outre, face à la montée de l’islamisme radical et de sa puissance de séduction en direction d’une jeunesse privée d’idéal, les bonnes âmes ministérielles, s’il y en a, croient naïvement opposer un barrage en faisant de l’école un lieu où, à la place des Lumières refusées aux futurs citoyens, il s’agira d’inculquer aux esprits un catéchisme pseudo-républicain : les Onze mesures pour une grande mobilisation de l’école, annoncées le 22 janvier 2015 par Najat Vallaud-Belkacem à la suite des attentats du 11, exprimaient ce sentiment d’urgence. Urgence donc de faire croire qu’on fait quelque chose, c’est-à-dire, tout en proclamant qu’on défend la république, d’aller exactement à l’encontre des principes républicains.
Pour bien apprécier la réforme du collège, il faut la situer dans un ensemble : en amont, elle se présente comme découlant du nouveau Socle commun de connaissances, de compétences et de culture publié au JO du 2 avril 20151  ; en aval, elle s’accompagne de nouveaux programmes2. Ces deux documents déterminent ce qu’un élève est censé avoir acquis à la fin de la scolarité obligatoire, soit la fin du collège.
Quelles sont les orientations caractéristiques de tout cet ensemble ?

I. Formatage aux « compétences » contre connaissances

Une première tendance profonde est la réduction des connaissances qu’il est prévu de dispenser, au profit de « compétences ». Car ce sont essentiellement des « compétences » qu’inventorie le Socle commun, et très peu de savoirs consistants et organisés et encore moins de culture. Dans ce document verbeux et répétitif, où le citoyen qui veut s’informer innocemment a toutes chances de se perdre ou de se lasser, le mot « connaissances » revient souvent (« mobiliser des connaissances »), mais il n’est pratiquement jamais dit quelles connaissances au juste sont requises. Il est question d’« apprentissage » et d’« apprendre », mais au sens d’« apprendre à » bien plus souvent que d’apprendre quelque chose. Il s’agit donc au mieux d’acquérir des savoir faire, au pire de s’imprégner d’« attitudes »3. Or il n’y a pas de savoir libérateur sans connaissances positives, consistantes, organisées. Des savoir faire sans connaissance du monde passé et présent ne sont que recettes serviles. Les programmes qui découlent de tout cela, diffus eux aussi, refusant souvent de désigner précisément les connaissances à acquérir, abondent en activités, manipulations et réalisations proposées aux élèves, comme s’il s’agissait de les occuper au lieu de leur donner le temps de l’étude. À côté de la manipulation, il y est bien question d’observation, mais que vaut l’observation quand ce qui est observé n’est pas mis en ordre, patiemment et systématiquement ?
Cela n’empêche pas ces textes d’afficher de hautes ambitions. Voici par exemple, cueilli dans le texte du Socle commun, cet objectif dans le « Domaine 5 : les représentations du monde et l’activité humaine » :

L’élève lit des paysages, identifiant ce qu’ils révèlent des atouts et des contraintes du milieu, ainsi que l’activité humaine, passée et présente. Il établit des liens entre l’espace et l’organisation des sociétés.4

Rappelons qu’il s’agit des compétences qu’un élève de fin de troisième est censé avoir acquises. Un tel niveau d’abstraction, de réflexion et de déduction, sans doute hautement souhaitable en soi, probablement prématuré pour des adolescents de quinze ans, devient une sinistre plaisanterie quand on sait qu’en amont les éléments nécessaires pour y parvenir ne sont pas garantis, ce qui veut dire que n’auront vraiment de chance d’y parvenir, sauf rares exceptions, que ceux qui trouveront de l’aide ailleurs qu’à l’école, dans leur famille et leur milieu. Pour les autres, ce sera l’angoisse de l’échec ou l’échec pur et simple, le sentiment du défi impossible, de l’objectif à atteindre et en même temps largement inaccessible : n’est-ce pas la meilleure préparation au management par le stress et à l’insertion dans la vie de l’entreprise ? Ce sentiment, qui a déjà été installé chez tant d’élèves par les réformes successives et qui chez certains produit abandon et rejet de l’école, ne pourra qu’être accentué par une réforme dévastatrice.
À côté du Socle commun et des programmes, la réforme du collège proprement dite apporte sa contribution à la réduction programmée des contenus, par le biais de la réduction des horaires consacrés aux enseignements disciplinaires obligatoires. Tout calcul fait, dans l’ancienne grille horaire les élèves de 6e, 5e, 4e et 3e avaient une moyenne de 25,6 heures de cours par semaine, auxquelles s’ajoutaient 2 h d’accompagnement personnalisé en 6e et, en théorie, 2 h d’« Itinéraires de découverte » en 5e et 4e, lesquels avaient fini par être supprimés purement et simplement ; s’y ajoutaient des enseignements facultatifs (langue ancienne, langue vivante 2, « Découverte professionnelle ») à raison de 2 heures en 5e, 3 en 4e et 3 en 3e. Dans la grille instituée par la réforme, on auraient 26 h de classe par niveau, mais ces heures seraient amputées de 3 h d’accompagnement personnalisé en 6e et, dans le cycle 4, c’est-à-dire de la 5e à la 3e, de 4 h dévolues à l’accompagnement personnalisé et aux « enseignements pratiques interdisciplinaires » (les fameux EPI, voir ci-dessous) : resteraient donc respectivement 23 et 22 heures d’enseignement strictement disciplinaire. Les réductions d’horaires qu’avait déjà permis la création des Itinéraires de découvertes s’étendent donc grâce à leur extension sous la forme des EPI. Par ailleurs, les enseignements facultatifs, qui devaient initialement supprimés, être ne se survivent, comme on va le voir que sous la forme d’« enseignements de complément » réduits à, respectivement, 1 h, 2 h et 2 h.
Il est bien promis aux établissements une dotation supplémentaire de 99 h annuelles par classe à la rentrée 2016, mais cette dotation doit servir à payer des enseignants au coup par coup pour des travaux en petits groupes et pour interventions conjointes dans le cadre des EPI. Les seules heures de cours hebdomadaires qu’elle peut permettre de constituer sont les « enseignements de complément » de langues anciennes (en concurrence avec les langues régionales), limités aux horaires très réduits qu’on a dits. C’est une concession arrachée au Ministère à la suite des protestations qu’avait soulevées l’annonce de leur quasi disparition (initialement, elles devaient être réduites à un EPI au choix pour un semestre sur tout le cursus du collège). Protestations légitimes et républicaines, malgré les campagnes du pouvoir et de ses idiots utiles : les faits montrent que les langues anciennes ont du succès au collège, qu’elles ne sont pas étudiées seulement par les riches et qu’en conférant une formation intellectuelle et culturelle solide elles participent à la lutte contre l’échec scolaire. Ajoutons que le caractère éminemment politique des textes antiques apporte une contribution irremplaçable à la formation du citoyen libre. Comme tout le reste, cela est sacrifié par les coupes drastiques infligées aux horaires, en application non dite des critères de convergence budgétaire.
Le ministère de l’Éducation Nationale justifie cette réduction des horaires en proclamant notamment l’efficacité miraculeuse des « enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI), organisés selon huit thèmes et censés permettre aux élèves d’apprendre autrement : « Ils permettront aux élèves de comprendre le sens de leurs apprentissages en les croisant, en les contextualisant et en les utilisant pour réaliser des projets collectifs concrets. »5 Ils ont en outre la « vertu »6 de « permett[re] aux élèves d’apprendre le travail en équipe, de proposer, de s’exprimer à l’oral, de conduire un projet ». Où l’on retrouve le couple infernal de l’affichage d’ambitions intellectuellement mirobolantes et la réalité qui est le pur et simple dressage comportemental de l’individu en vue de son « insertion sociale et professionnelle », c’est-à-dire son obéissance au système de l’entreprise où le travail en équipe jouit du lustre que l’on sait. Quels que soient les apports incontestables de l’interdisciplinarité dans les progrès de la science et dans l’assimilation des connaissances à un certain niveau d’apprentissage, à qui fera-t-on croire que pour des élèves qui ont des difficultés dans une ou plusieurs disciplines séparément on les résoudra en les prenant ensemble ? On nous dira que ce qui les remotiverait serait le côté « pratique » de ces EPI, dont divers documents officiels nous donnent des exemples7 : construire des maquettes, réaliser un journal ou un reportage vidéo. Ce n’est pas faux, mais la pédagogie Freinet, qui inspire évidemment ces exemples, demande de la patience, du temps et de la sérénité : du temps pour maîtriser la technique de ces réalisation, du temps pour s’imprégner des connaissances que l’on demande à l’élève d’investir dans ces supports. En outre, elle suppose que l’élève bénéficie de conditions de concentration qui manquent cruellement aux élèves actuels. Dans ce cas, les EPI pourraient bien être une distraction pour ceux qui sont les plus en difficulté, tandis que ceux qui réussissent le mieux y trouveront certainement un complément enrichissant : où l’on voit comment le collège « pour tous » œuvre au creusement des inégalités. Gérer les flux en faisant des économies sur les horaires, occuper par des activités variées et séduisantes ceux qui de toute façon (croit-on) sont en échec et promis à y rester, conditionner la jeunesse à la réalisation de « projets » conformément à la doctrine managériale en vigueur, le tout en diminuant les horaires et les connaissances nécessaires à la formation de l’homme libre : voilà la politique libérale antirépublicaine parée des plumes du modernisme pédagogique.

II. Émiettement et approches thématiques contre progression

Une deuxième tendance de la réforme consiste à faire éclater les apprentissages continus, à éviter toute progression suivie8. En témoignent, dans le Socle commun, ces inventaires à n’en plus finir de « compétences » qui s’additionnent et se juxtaposent, et qui sont à l’opposé de connaissances organisées, condition indispensable pour qu’elles soient réellement comprises et maîtrisées. Dans le dispositif de la réforme, les EPI sont emblématiques de cette approche du savoir par « flashes » : ils seraient répartis en huit thèmes parmi lesquels les élèves devraient en aborder six, de la 5e à la 3e, sous la direction de professeurs de disciplines différentes : saupoudrage et dispersion qui, répétons-le, se substitueraient aux enseignements traditionnels.
La rédaction des programmes tend également à noyer les objets et les notions au lieu de les répartir, selon chaque année d’étude, dans un ordre logique ou de difficulté croissante. Le réel peut ainsi être abordé de façon fragmentée. Au lieu de le présenter à l’élève autant que possible dans sa continuité ou en essayant d’en parcourir les divers champs ou les diverses étapes, on en choisit des extraits en les organisant de façon thématique : double malhonnêteté car le choix comporte nécessairement une part d’arbitraire, et d’autre part l’approche de l’objet est orientée par le thème qu’on lui accouple. Ainsi le programme d’histoire du cycle 3 (du CM1 à la 6e), justifie-t-il en termes fleuris des lacunes béantes dans la connaissance de l’histoire :

Le projet de formation du cycle 3 ne vise pas une connaissance linéaire et exhaustive de l’histoire. Les moments historiques retenus ont pour objectif de mettre en place des repères historiques communs, élaborés progressivement et enrichis tout au long des cycles 3 et 4…9

Au mieux, et dans la limite des horaires qui se sont réduits au fil des réformes, on survolera donc « Le monde des cités grecques » ou « L’affirmation de l’État monarchique dans le Royaume des Capétiens et des Valois ». De fait, en réduisant le plus possible la part du narratif, sous prétexte de lutter contre le « roman national », on ne peut aborder l’histoire que par grands thèmes, ce qui gomme les conflits dont, au jour le jour, de génération en génération ou de siècle en siècle, a été jalonnée l’histoire de l’humanité et dont la connaissance contribue de façon irremplaçable à la formation du citoyen. Ainsi le développement du mouvement ouvrier au XIXe siècle est-il à peu près passé sous silence, résumé sous le titre bien-pensant de « question sociale ».
Les programmes de français illustrent beaucoup mieux encore la malhonnêteté que constitue, pour des élèves qui ont tout à apprendre, une approche par thèmes : au lieu de parcourir clairement, systématiquement, les genres, les époques et les mouvements littéraires, ils présentent les textes et les œuvres par le biais de titres vagues inspirés de la phraséologie sirupeuse du Socle commun : « Se chercher, se construire », « Vivre en société, participer à la société » ou « Agir sur le monde ». C’est une stratégie qu’on a bien connue dans l’enseignement technique des années 1960 et 70 : elle consistait à habiller les œuvres de formules supposées alléchantes parce qu’on supposait a priori que les élèves, par leur milieu culturel, n’avait pas vocation à s’intéresser aux œuvres ; l’œuvre en devient alors d’autant plus ennuyeuse puisque son approche est balisée, convenue, dépourvue de surprise et souvent de façon très éloignée de l’intérêt personnel que l’élève pourrait y trouver.
Ajoutons que cette dispersion va de pair avec le souci général (sauf exceptions, par exemple dans les programmes d’histoire, moyennant toutefois la concision que l’on sait) d’éviter la répétition, génératrice d’ennui d’après les augures. Cette pudique justification permet de légitimer la réduction des horaires, notamment dans les disciplines fondamentales, réduction qui est un choix politique de fond, à peu près constant depuis les années 1960 ; et on ne voit pas que la réforme revienne là-dessus, sauf quand les textes martèlent à plaisir des principes comportementaux qu’il est question d’inculquer et qui n’ont pas grand-chose à voir avec les connaissances. Or la répétition, le retour patient sur des éléments qui ont déjà été vus, sur lesquels on revient pour les consolider ou les affiner, est une des garanties pour que l’école ne laisse personne sur le bord de la route. Supposer que ce qui a été survolé une fois a été acquis, voire qu’il suffit que l’élève ait « appris à apprendre » pour qu’il sache, c’est évidemment ne travailler que pour les plus doués ou ceux qui sont portés par leur milieu. C’est créer un motif de rancœur, voire de révolte, contre une école de la république qui feindrait d’afficher des ambitions pour tous en en refusant les moyens au plus grand nombre.
L’enseignement ainsi émietté est à l’image des sollicitations qui assaillent l’individu dans la société ambiante, celles de la publicité télévisée ou des fenêtres pop-up, sollicitations rapides et dispersées, de façon à le fasciner en paralysant l’esprit critique, conformément à la stratégie de la Monoforme10, à laquelle les internautes se conforment sans y penser sous la forme des posts à l’emporte-pièce. Dans cette constellation, le numérique, fort utile en soi et dont les auteurs de la réforme font grand bruit, pourrait bien n’être qu’une attraction de plus, un de ces outils que les futurs adultes auront à manier dans l’entreprise ou dans leur vie privée, mais sans les dominer réellement ni en maîtriser les usages. Alors que l’école républicaine devrait être un lieu où l’on prend le temps d’étudier et de penser et où le monde contemporain est mis à distance, il s’agit ici d’adapter la jeunesse à cette société où l’on est sommé de consommer (quand on le peut) et où l’on se laisse exploiter sans réfléchir.

III. Le poids des déterminations locales

Une troisième caractéristique de la réforme est la part de décision accrue accordée aux principaux et aux conseils d’administration des collèges. Là encore, c’est une étape nouvelle dans un processus entamé sous le ministère Savary avec le rapport Soubré (1982), puis l’institution des « projets d’établissement » rendus obligatoires par la loi Jospin de 1989. L’intention louable et proclamée est d’adapter l’action de chaque établissement à son public pour mieux appliquer les programmes nationaux ; mais la réalité se retourne contre l’intention affichée quand l’adaptation devient compromis, concessions, voire asservissement aux pressions locales, et cela dans les établissements les plus en difficultés. Pour les chefs d’établissements et les conseils d’administration, il faut une certaine dose de courage pour s’interdire de penser que « nos élèves ne peuvent pas… ne s’intéresseront pas à… » Or la réforme prévoit désormais que les établissements, à l’intérieur d’un même cycle (en l’occurrence de la 5e à la 3e), pourront modifier la répartition des volumes horaires dévolus à chaque discipline, enlever un peu à une année pour en mettre davantage à une autre : mesure qui, si elle est largement appliquée, lésera les élèves qui changeront d’établissement à l’intérieur du cycle. Durant le même cycle, l’établissement pourrait également moduler la répartition horaire entre l’accompagnement personnalisé et les EPI (entre 1 et 3 heures hebdomadaires pour chacun) « en fonction des besoins des élèves accueillis et du projet pédagogique de l’établissement »11. Le conseil d’administration sera également maître de « la liste des thématiques interdisciplinaires qui sont proposées aux élèves à chacun des niveaux »12 dans le cadre des EPI et, comme l’élève doit en suivre au moins six au total (donc légalement plus s’il le veut), il est prévisible que par commodité ou économie les huit thèmes deviendront facilement six. Maître également de la répartition de la dotation supplémentaire de 99 heures annuelles par classe, il pourra ou non décider d’en consacrer une partie aux horaires réduits d’enseignement des langues anciennes ou de langues régionales. Ainsi les établissements qui ont compris l’intérêt des langues anciennes (les établissements d’élite ou bien ceux parmi les autres, et il en existe, qui tiennent à les proposer à leurs élèves qui ne sont pas des « héritiers ») pourront se féliciter d’en avoir sauvé une partie, tandis que les autres pourront suivre en toute responsabilité la pente des pesanteurs sociales et faire de l’école un simple lieu d’adaptation à la galère sociale ou, comme le dit galamment une formule définissant une des vocations des EPI, « de découverte du monde économique et professionnel »13. Laisser faire, n’est-ce pas le mot d’ordre du libéralisme ? N’est-ce pas ce que proclamait en toute franchise en 1985 le rapport Bourdieu-Gros, inspirateur de la loi Jospin de 1989, et qui justifiait par avance l’institutionnalisation d’une école reproduisant plus que jamais les inégalités sociales ?

Le poids imparti aux exigences techniques et aux exigences théoriques devra être déterminé en fonction des caractéristiques propres à chacun des niveaux de chacune des filières, donc en tenant compte notamment des carrières professionnelles préparées et des caractéristiques sociales et scolaires des élèves concernés, c’est-à-dire de leurs capacités d’abstraction ainsi que de leur vocation à entrer plus ou moins vite dans la vie active.

Face à cette doctrine, dont les ministères successifs ne se sont guère départis, on peut mesurer ce que valent les proclamations de la ministre de l’Éducation Nationale, selon lesquelles cette réforme « assurer[a] la réussite du plus grand nombre » et permettra de « lutt[er] contre le déterminisme social »14 ; et le mécontentement, à la sortie, de ceux qui se seront aventuré à le croire.

IV. Une réforme antilaïque

La quatrième caractéristique de la réforme est son esprit foncièrement antilaïque. Ses promoteurs la présentent comme une étape dans la « refondation » de l’école républicaine, comme une contre-offensive laïque face à la montée des fanatismes. Dans le discours, comme dans les faits et les conséquences prévisibles, c’est exactement l’inverse.
Antilaïque d’abord est la conception même des missions de l’école telles qu’elles découlent du Socle commun : des compétences émiettées, avec peu de connaissances et encore moins d’ordre méthodique, ne prémunissent aucunement contre les opinions toutes faites. En outre, l’obsession de l’adaptation de l’individu au monde économique suppose un formatage comportemental, l’acceptation des pratiques qui ont cours sur le marché, des préjugés qui les accompagnent, à l’opposé de toute distance et de toute interrogation critique.
Antilaïque est également la pédagogie sous-jacente à la réforme. Bien que la doctrine qui présidait à la loi Jospin s’y exprime de façon moins voyante (« l’apprenant construit lui-même son propre savoir »), elle reste présente dans cet optimisme naïf avec lequel sont vus les élèves, les établissements et leur environnement. L’enfant est naturellement curieux, travailleur, vif, ouvert aux autres, coopératif, et ce sont des méthodes ineptes qui l’empêchent d’apprendre : d’où le remède miraculeux que constituent les EPI. On ne se demande pas comment traiter le cas des paresseux, des lents, des agressifs, de ceux que les rapports sociaux ont meurtris dès leurs premières années et à qui on refuse le temps de l’étude en laissant aux EPI le soin de leur apporter une révélation. Les chefs d’établissements et les conseils d’administration, eux, ne visent que le bien des élèves et, abandonnés à eux-mêmes par l’État face aux difficultés accumulées, ne se contenteraient pour rien au monde d’acheter un semblant de paix sociale par des compromis. Quant à l’environnement extérieur, il ne se présente que sous la forme d’entreprises bienveillantes qui ne demanderaient qu’à embaucher à condition qu’on leur offre une jeunesse bien formée. Cette vision angélique relève autant de la pure et simple croyance que la confiance dans la « main invisible » chez les économistes libéraux. Elle fait bon marché de la réalité, et surtout de la réalité sociale prégnante sur les individus et le système scolaire, sur les conditionnements souvent violents (pauvreté, tentations, dispersions, trafics et conflits en tout genre et évidemment fanatismes) qui pèsent sur les élèves dès leur plus jeune âge et contre lesquels l’école, loin d’être « ouverte sur la vie », doit être un refuge, le lieu où l’on pense et où l’on vit autrement. Dans les quartiers où prolifère, par exemple, l’islamisme radical, qu’on imagine l’effet que produirait dans le ciel pédagogique l’apparition d’un EPI intitulé « Les débats en caricatures »15 et qu’on se demande si une bonne lecture de Zadig, intervenant au fil d’un cursus de français suivi et consistant, ne serait pas plus efficace.
Mais le plus antilaïque est la conception du citoyen, de la république et de la laïcité elle-même, que la réforme prétend contribuer à inculquer à la jeunesse. Car il s’agit bien d’inculquer et non de former des esprits décidant par leur propre raison. Le Socle commun, comme les programmes, regorgent de références aux « valeurs » républicaines, que l’école, d’après la présentation qui nous est faite de la réforme du collège, a pour « mission de transmettre et de faire partager »16. Parmi ces « valeurs » figure la laïcité, ainsi que l’affirment et le répètent les programmes. Ces valeurs se retrouvent en outre noyées dans d’autres, qui méritent discussion et ne s’imposent pas avec évidence : ainsi l’empathie et la bienveillance, que le Socle commun classe parmi les compétences nécessaires, ont plus à voir avec la charité chrétienne qu’avec la construction d’un comportement rationnel. L’« engagement » est également présenté comme une valeur à cultiver en soi, ce que font assurément les fanatiques à leur manière. Le développement durable, qui est un des thèmes des EPI (il n’est que de comparer ces huit thèmes avec ceux de leurs prédécesseurs, les « Itinéraires de Découverte », qui ne renvoyaient qu’à des champs du savoir), relève d’un choix politique, sans doute judicieux, mais il doit être d’autant moins enseigné comme allant de soi que les plus puissants et les plus pollueurs l’abandonnent allègrement aux autres. L’intérêt louable pour les régimes alimentaires et le « bien-être »17 (également présent dans les EPI sous le thème « Corps, santé et sécurité ») se manifeste avec insistance au fil des textes au point de devenir une obsession et même une injonction. Pour l’élève non averti, le droit républicain et la laïcité voisinent ainsi avec les opinions admises, les formules convenues et les slogans ambiants, être gentil, trier ses déchets et manger-bouger.
Mais cette entreprise de formatage, qui pourrait faire penser à Saint-Just ou aux soviets si elle n’était au service, en fait, du libéralisme déchaîné, se retourne contre elle-même pour deux raisons. D’abord, comme toute contrainte, ouverte ou insidieuse, visant à faire rentrer les individus dans un moule, elle a toute chance de provoquer chez les élèves le rejet, voire la révolte, bien plus que l’adhésion : ce n’est qu’en s’adressant à leur raison, c’est-à-dire en leur montrant qu’on les respecte, qu’on peut leur faire admettre le bien-fondé de certains principes. Mais alors, ces principes ne sont plus des valeurs.
En effet, la deuxième impasse dans laquelle s’engouffrent les thuriféraires des « valeurs » républicaines, est de les considérer précisément comme des valeurs. Ce ne sont pas des « valeurs », pas plus qu’il n’existe de « valeurs » laïques : ce sont des principes rationnellement pensés qui permettent précisément de vivre ensemble à des individus qui par ailleurs peuvent avoir des valeurs différentes. Des valeurs supposent une adhésion essentiellement affective, dépourvue au moins en partie de fondement rationnel. Par définition, elles sont relatives : un système de valeurs donné convient pour telle société, tel climat, un autre pour tel autre. Si mes valeurs sont légitimes comme simples valeurs, pourquoi d’autres valeurs opposées ne le seraient-elles pas ? Parler de « valeurs » républicaines est donner dans un relativisme philosophique dont la traduction politique, à l’intérieur d’un même pays, est le communautarisme et non la laïcité. C’est accepter d’emblée que d’autres se sentent en droit, au nom de leurs valeurs à eux, de faire le choix du fanatisme et de la barbarie.

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Voilà donc une nouvelle réforme obscurantiste après d’autres, mais qui franchit significativement un nouveau pas. Dans le détricotage libéral des droits sociaux, des services publics, de la protection sociale et de la république, l’école n’est pas plus épargnée aujourd’hui que hier et cela malgré les gesticulations des ministres qui prétendent la « refonder ». Car si on voulait réellement la refonder, on sait très bien quelles mesures devrait être prises : d’abord restaurer les horaires d’enseignement, à commencer par ceux de l’enseignement élémentaire qui ont été rognés au fil des décennies, ce que la « réforme des rythmes scolaires » a entériné. Ensuite, au lieu de se contenter d’une massification vidée de contenus, revenir à des programmes consistants, méthodiques, garantissant par une progression continue l’accès à l’abstraction, au raisonnement et à l’examen critique, ouvrant largement l’esprit vers ce qui est réputé inutile, vers le passé et les possibles, pour l’amener à conclure que ce qui est n’a pas toujours été et pourrait être autrement. Enfin, donner à l’école les moyens de faire contrepoids, autant qu’elle le peut, aux forces qui, dans la société, tendent à annihiler le jugement critique, qu’il s’agisse du poids du milieu social ou des agressions médiatiques. On sait par exemple à quel point maintenir les élèves à l’école après les cours, pour des études du soir ou des activités culturelles, assurées par des personnels compétents, est un gage de réussite. À ces conditions-là des pédagogies innovantes, que bien des enseignants pratiquent parfois sans le savoir quand ils le jugent opportun, deviendraient certainement utiles quand elles ne seraient pas transformées en système pour masquer l’appauvrissement programmé des savoirs. Au lieu de cela, le gouvernement Hollande, fidèle aux options libérales continue le travail de démolition. Ce faisant, il rend le terrain encore plus favorable au fanatisme et au terrorisme qu’il prétend combattre.

  1. Bulletin officiel de l’Éducation Nationale, n° 17 du 23 avril 2015. []
  2. Bulletin officiel de l’Éducation Nationale, spécial n° 11 du 26 novembre 2015 []
  3. Id., p. 2. []
  4. Id., p. 7. []
  5. Dossier Collège : mieux apprendre pour mieux réussir, http://cache.media.education.gouv.fr/file/03_-_mars/62/2/College-Mieux-apprendre-pour-mieux-reussir_398622.pdf, p. 9. []
  6. Id., p. 16. []
  7. Dossier Collège : mieux apprendre…, pp. 9-10. []
  8. Ces aspects sont très clairement analysés par Nathalie Bulle dans un article publié dans la revue Skhole, http://skhole.fr/la-reforme-du-college-ou-l%E2%80%99avenir-sombre-de-la-societe-francaise-par-nathalie-bulle []
  9. Bulletin officiel de l’Éducation Nationale, spécial n° 11 du 26 novembre 2015, p. 173. []
  10. Peter Watkins, Media Crisis, 2003 ; Éditions L’échappée, 2015. []
  11. Arrêté du 19 mai 2015, art. 4, II. []
  12. Circulaire du 30 juin 2015. []
  13. Arrêté du 19 mai 2015, art. 6, II. []
  14. Dossier Collège : mieux apprendre…, p. 3. []
  15. Dossier Collège : mieux apprendre…, exemple d’EPI présenté p. 9. []
  16. Dossier Collège : mieux apprendre…, p. 3. []
  17. Socle commun…, domaine 4, p. 7. []
Politique française
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Qui sont les nouveaux dirigeants locaux du PCF ?

Du permanent ouvrier au cadre territorial

par Julian Mischi

 

Amorcé à la fin des années 1970, le déclin électoral du PCF s’est accompagné d’une profonde transformation du profil social de ses dirigeants : aux permanents ouvriers a succédé progressivement une nouvelle génération de cadres, titulaires de mandats électifs, issus de la fonction publique territoriale. Cette évolution est aujourd’hui source de contradictions, comme l’illustrent les tensions internes qui traversent le Front de gauche.

Jusque dans les années 1970, le Parti communiste français, premier parti de la gauche française, se singularisait par son ancrage dans les territoires populaires. La puissance passée du PCF correspondait à une conjoncture de croissance et d’homogénéisation des classes populaires autour du groupe ouvrier. Le PCF atteint dans ces années son pic d’adhésions avec 560 000 encartés en 1978. Issus eux-mêmes de la classe ouvrière, les dirigeants communistes pouvaient apparaître comme leurs porte-parole légitimes (Pudal 1989). L’objectif d’émancipation des travailleurs reposait sur une « politique des cadres », valorisant les militants des entreprises (Boulland 2011) et l’ancrage de municipalités dites « ouvrières » (Bellanger et Mischi 2013). Le PCF a ainsi, pendant près d’un demi-siècle, réussi à bouleverser l’ordre social qui régissait la vie politique française en propulsant des catégories populaires (ouvriers mais aussi paysans, artisans, petits commerçants) à la direction d’institutions publiques (mairies, conseils généraux, commissions parlementaires…) d’où elles étaient jusqu’ici largement exclues.

La fin du parti ouvrier

Le PCF a été frappé de plein fouet par les transformations contemporaines des classes populaires, qui sont autant de freins à leur maintien ou à leur entrée dans l’action militante : éclatement de la classe ouvrière, essor du chômage et de la précarité, division des collectifs de travail, affaiblissement du syndicalisme, ségrégation spatiale, etc. Le déclin relatif du groupe ouvrier dans la société française a été compensé par l’essor des emplois d’exécution dans les services, occupés essentiellement par des femmes (Avril 2014), autant de mondes populaires où le PCF a peu recruté. Sa féminisation s’opère surtout du côté des franges les plus diplômées du nouveau salariat féminin (professions intermédiaires de l’éducation et de l’animation socioculturelle, cadres du public, etc.).

Au cours des années 1980‑2000, progressivement, les militants d’origine populaire, ouvriers ou employés, se font d’autant plus rares que l’on monte dans la hiérarchie du PCF. Auparavant centrale, la réflexion sur le recrutement militant de femmes et d’hommes des milieux populaires devient secondaire. À partir du milieu des années 1990, le PCF ne s’adresse plus en priorité aux classes populaires ; son objectif devient de représenter la société française dans sa « diversité ». Sa vision passée d’une société de classes tend à s’effacer derrière les thématiques consensuelles de la « citoyenneté » et de la promotion du « lien social », ou encore de la démocratie dite participative. Dirigeants et élus communistes adoptent une rhétorique humaniste, largement partagée dans le reste du monde associatif et politique affilié à la gauche dans un contexte de radicalisation de la droite et de montée du Front national. Comment expliquer cette évolution du discours communiste ? En partie, sûrement, par une attitude de rejet de l’ouvriérisme qui a marqué l’histoire de ce parti : l’attribution d’un rôle politique central à la classe ouvrière est symboliquement associée au modèle stalinien, dont les communistes cherchent alors à se démarquer (Pudal 2009).

La marginalisation des nouvelles figures populaires au sein du PCF n’est probablement pas sans lien avec l’abandon des dispositifs internes de formation et de sélection de militants (Tartakowsky 1980). Les écoles du parti, par exemple, disparaissent ou perdent leur fonction d’éducation populaire au cours des années 1990 (Éthuin 2009). Cet abandon des outils collectifs découle, bien sûr, d’abord de la baisse des effectifs militants mais, là encore, le rejet du passé stalinien et de certaines pratiques autoritaires du centralisme démocratique, associé à la recherche d’une nouvelle image publique, a pu nourrir une suspicion vis-à-vis des structures militantes, perçues comme des formes d’embrigadement et de contrôle social.

En l’absence de mesures de promotion des militants d’origine populaire, les logiques élitistes de fonctionnement de la vie politique reviennent en force : les catégories diplômées, comme les enseignants et les cadres administratifs, prennent le pas sur les catégories populaires au sein du PCF et de ses mairies. Ceux qui s’estiment ou sont vus comme les plus compétents dans le métier politique (collaborateurs d’élus, directeurs de cabinet, cadres technico-administratifs, chargés de mission, etc.) y jouent un rôle de plus en plus important, à l’image d’un processus de sélection déjà à l’œuvre au Parti socialiste (Lefebvre et Sawicki 2006).

La survie du PCF autour des collectivités territoriales

Dans les départements, un nouveau groupe – celui des cadres de la fonction publique territoriale – remplace progressivement celui des dirigeants ouvriers. Aux permanents formés au sein du parti succèdent, à partir des années 1980, des responsables dont les itinéraires sont étroitement associés au monde des collectivités territoriales. Ils y sont liés par leurs trajectoires militantes (beaucoup ont commencé à militer dans des municipalités communistes où ils ont grandi avec souvent des parents déjà investis au PCF), scolaires (certains possèdent des diplômes liés à l’action publique locale) et professionnelles (ils entrent fréquemment sur le marché du travail à la faveur d’un poste dans une collectivité locale).

C’est autour des administrations publiques territoriales que se restructure et survit le communisme contemporain, et non autour des réseaux syndicaux, dont la place s’est réduite au sein du monde communiste et, plus largement, au sein des univers de travail. Un ressort traditionnel de l’engagement communiste, celui du militantisme en entreprise nourri de l’expérience des inégalités sur le lieu de travail, s’affaiblit. Depuis Georges Marchais, dernier dirigeant national passé par la Confédération générale du travail (CGT) en y ayant occupé des responsabilités, le parcours des responsables du PCF s’ancre surtout dans la gestion publique locale. En 1994, Robert Hue est le premier maire à devenir secrétaire général du parti. Sa carrière au sein de l’appareil repose sur son action à la tête de l’Association nationale des élus communistes et républicains (ANECR). Marie-George Buffet, qui lui succède en 2001, a d’abord été cadre dans une mairie communiste avant d’être adjointe dans une autre municipalité, puis élue au conseil régional d’Île-de-France. La socialisation militante des nouveaux dirigeants du PCF passe moins par les luttes sociales et l’engagement à la CGT que par l’expérience des collectivités locales en tant qu’élus ou collaborateurs d’élus.

En raison du déclin du PCF et de la raréfaction de ses ressources, dans les départements, les responsables de ce parti ne peuvent plus être rétribués par l’organisation et doivent rechercher d’autres sources de financement – en l’occurrence, celle des mandats électifs. Une règle historique de fonctionnement de l’organisation communiste, celle de la distinction entre cadres d’appareil et élus, est ainsi rompue à la fin des années 1990. Les cadres départementaux ont pour consigne, à partir de 1998, d’entrer dans leurs conseils régionaux grâce à une alliance avec le PS. Cette notabilisation élective des dirigeants est un phénomène inédit au PCF, un parti où les élus étaient traditionnellement perçus avec méfiance. Ses responsables ne parlaient-ils pas, encore dans les années 1950‑1960, de « crétinisme municipal » ? (Bellanger 2002). Les fédérations départementales étaient dirigées par des permanents dits « politiques », dont l’une des missions était de contrôler l’activité des militants syndicaux, associatifs et élus. Ayant un rôle idéologique unificateur, ils travaillaient à politiser les actions des adhérents engagés dans les différents segments des écosystèmes communistes locaux – CGT, Secours populaire, municipalités, réseaux sportifs, de locataires, etc. – (Mischi 2010). Or les cadres vivent désormais de plus en plus souvent de leurs mandats électifs. Ils sont devenus des permanents/« élus ».

Un nouveau type de professionnels de la politique

Cette nouvelle génération de responsables, qui gèrent des collectivités locales, généralement avec le PS, ont leurs propres préoccupations d’élus. Ce qui prime à leurs yeux, c’est leur lien avec les « habitants » et non pas spécialement le développement d’une organisation militante. Ils s’entourent de cadres de la gestion publique locale formés au management territorial et d’experts de la communication politique, dans un contexte de transformation de la gestion publique locale (autour de l’intercommunalité en particulier) qui renforce les compétences supposées nécessaires pour exercer le pouvoir local. Les élus tendent même à se méfier des militants, vus comme « partisans », alors que se diffuse une conception pragmatique et technique de l’action municipale qui met à distance tout débat politique contradictoire. Le profil des responsables communistes reflète en cela la professionnalisation de l’administration communale et intercommunale, qui marginalise les classes populaires. Il traduit également le maintien relatif du « communisme municipal » autour d’élites locales de moins en moins issues des classes populaires (Gouard 2014).

Hier, les dirigeants ouvriers, permanents du PCF, avaient fait de la politique leur métier, autour de compétences militantes (tenir un meeting, rédiger un tract, animer une réunion, etc.). Aujourd’hui, ce sont les savoir-faire techniques gestionnaires qui caractérisent la nouvelle génération de dirigeants communistes dans les départements. Des savoir-faire qui reposent sur des ressources scolaires et professionnelles produites et acquises hors de l’organisation, notamment dans les collectivités locales ou à l’université. Autre point de comparaison : la mobilité sociale et les aspirations culturelles marquent fréquemment l’itinéraire tant des anciens que des nouveaux dirigeants. À l’image des ouvriers devenus permanents durant les décennies précédentes, les responsables communistes des années 1990 et 2000 ont connu une ascension sociale, pas tant dans les organisations militantes qu’à travers la fonction publique ou parapublique. Pour des militants issus de familles populaires, l’intégration dans une administration publique locale à des postes de cadres est synonyme de promotion sociale. De ce fait, les élus communistes locaux conservent une spécificité. Ils ne ressemblent pas socialement à ceux des autres grandes formations politiques, qui recrutent largement parmi les élites sociales.

Une certaine remobilisation des réseaux communistes est intervenue d’abord dans le cadre de la lutte contre le Traité constitutionnel européen de 2005 puis, à un degré moindre, dans celui de la campagne pour les élections présidentielles de 2012. Séduits par la dynamique des collectifs antilibéraux de 2005 puis par la radicalisation du discours opéré par Jean-Luc Mélenchon, des militants, qui s’étaient mis en retrait de leur parti dans les années 1990, sont rejoints par une nouvelle génération de jeunes militants, passés pour beaucoup par la lutte (victorieuse) contre le contrat première embauche (CPE) en 2006. Mais la stratégie du Front de gauche, en valorisant l’alliance avec les forces situées à la gauche du PS, a mis au premier plan le problème de l’influence des élus dans l’appareil communiste et de leur dépendance à l’égard des socialistes. Les élections municipales de mars 2014 ont ainsi donné lieu à des tensions internes autour de la question de la reconduction des alliances avec le PS, position généralement défendue par les élus sortants. L’érosion municipale du PCF amorcée en 1983 s’est d’ailleurs poursuivie, si bien que, petit à petit, la question de la place des élus dans les réseaux communistes risque de devenir caduque. Dans certains territoires, dans l’Ouest breton ou le Centre-Est, par exemple, le PCF ne peut déjà plus s’appuyer sur des positions électives.

Bibliographie

  • Avril, C. 2014. Les Aides à domicile : un autre monde populaire, Paris : La Dispute.

  • Bellanger, E. 2002. « Spécificité, continuité et uniformisation de la gestion communiste dans les mairies de la Seine banlieue », in Girault, J. (dir.), Communisme et mouvements sociaux en région parisienne et en France, XIXe‑XXe siècles, Paris : Publications de la Sorbonne, p. 293‑317.

  • Bellanger, E. et Mischi, J. (dir.). 2013. Les Territoires du communisme. Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes, Paris : Armand Colin.

  • Boulland, P. 2011. Acteurs et pratiques de l’encadrement communiste à travers l’exemple des fédérations de banlieue parisienne (1944‑1974), thèse d’histoire, université Paris‑1 Panthéon-Sorbonne.

  • Éthuin, N. 2009. « La formation des communistes à l’heure du “décentralisme démocratique” », in Lefebvre, R. et Roger, A. (dir.), Les Pratiques délibératives dans les partis politiques, Rennes : Presses universitaires de Rennes, p. 87‑104.

  • Gouard, D. 2014. La Banlieue rouge. Ceux qui restent et ce qui change, Lormont : Éditions Le Bord de l’eau.

  • Lefebvre, R. et Sawicki, F. 2006. La Société des socialistes. Le PS aujourd’hui, Brignais : Éditions du Croquant.

  • Mischi, J. 2010. Servir la classe ouvrière. Sociabilités militantes au PCF, Rennes : Presses universitaires de Rennes.

  • Pudal, B. 1989. Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

  • Pudal, B. 2009. Un monde défait. Les communistes français de 1956 à nos jours, Brignais : Éditions du Croquant.

  • Tartakowsky, D. 1980. Les Premiers Communistes français. Formation des cadres et bolchévisation, Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

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    Comment rédiger une (bonne) note pour France Stratégie ?

    par Pierre Volovitch

     

    Quelques conseils pour rédiger une (bonne) note pour France Stratégie 1 :

    • Trouver un titre « accrocheur ».
    • A l’abri d’un appareil statistique complexe se livrer à quelques bricolages approximatifs.
    • Glisser sous le tapis quelques questions importantes.
    • Aider la montagne à accoucher d’une souris.

    Trouver un titre « accrocheur »

    En tous cas, moi, c’est le titre qui m’a accroché : « Les jeunes sont-ils sacrifiés par la protection sociale ».2 « Sacrifié », ça déchire bien.
    Alors là, suivez bien la construction du titre « accrocheur ». Dès l’ouverture de la note les auteurs indiquent la « source » de leur question « Selon l’enquête Conditions de vie et Aspirations 2011 du CRÉDOC, un quart des jeunes de 18 à 24 ans estimaient alors que notre société privilégie les plus âgés aux dépens des plus jeunes ».
    Quand vous avez retrouvé le document du Crédoc 3, vous constatez que la question posée est un peu différente de celle annoncée. La question est : « avez-vous le sentiment que la société aide davantage les personnes âgées ». Dans l’introduction de la « note » cela devient « notre société privilégie les plus âgés aux dépens des plus jeunes ». D’« aide davantage » à « aux dépens » il y a déjà un glissement intéressant.
    Mais dans le chapô de la « note », donc en amont, cela devient « peut laisser penser que notre système de protection sociale sacrifie la jeunesse au profit des plus âgés ».
    Nouveau glissement on ne dit plus « aux dépens » on dit « sacrifie »… mais on garde une petite précaution « peut laisser penser ».
    Mais c’est trop long ça, « peut laisser penser ». Alors pour le titre on fait court. Les jeunes sont « sacrifiés ». On garde quand même un point d’interrogation à la fin de la phrase.
    D’ « aide davantage » à « sacrifiés » il y a du trajet. Un titre accrocheur, il faut travailler un peu pour le construire.

    Construire un titre accrocheur c’est du travail

    Pour ceux que cela intéresse creusons un peu le travail des auteurs de la « note ».
    « Un quart » des jeunes, nous dit la note. Dans le document du Crédoc c’est 21 %. Si on veut passer d’un  % à une fraction simple, 21 % ça fait plutôt penser à un cinquième qu’à un quart, non ?
    Dans la suite de leur première phrase d’introduction nos auteurs poursuivent « S’il s’agit d’une opinion qui reste minoritaire ». Minoritaire ? Réponses des 18-24 ans dans le document du Crédoc : Avez-vous le sentiment que notre société a) « aide d’avantage les personnes âgées » : 21 %, b) « aide d’avantage les jeunes » : 9 %, c) « ni l’un ni l’autre » : 69 %. 21 % face à 69 % c’est en effet du « minoritaire ».
    Et ici on a envie d’ajouter quelque chose. Quand vous proposez un « sentiment », parmi ceux qui partagent ce « sentiment » il y a deux catégories de personnes. Celles qui avaient déjà ce « sentiment » avant que vous ne le leur proposiez, et puis ceux qui n’y avaient jamais pensé, mais, maintenant que vous le dites…. Donc par définition il y a moins de 21 % des jeunes de 18-24 ans qui avaient déjà ce sentiment avant qu’on ne leur pose la question. Combien ? 18 % ?, 14 % ?, moins ?
    Et comme, quand même, le côté minoritaire gêne un peu nos auteurs ils ajoutent : « elle est tout de même plus fréquente chez les jeunes que dans le reste de la population ». Et là aussi un regard sur le document du Crédoc est intéressant. La catégorie d’âge qui adhère le moins au sentiment que la société « aide d’avantage » les plus âgés est la catégorie 25-39 ans. Et elle le fait avec un  % de réponse de 18 %. 18 % par rapport à 21 % ça ne fait pas un très gros écart de fréquence.
    Je vous le dis, construire un titre « accrocheur, c’est tout un travail.

    A l’abri d’un appareil statistique complexe se livrer à quelques bricolages approximatifs

    Attention, on est à France Stratégie. On fait du « lourd ». On utilise « les Comptes des transferts nationaux » qui « reposent sur une méthodologie internationale ». Ca impressionne toujours. Mais quand même, quelques questions :

    On parle de quoi ?

    De « dépenses individuelles de protection sociale » ? De « niveau de vie » ? ou enfin de « revenus » ?
    Si l’on parle de « dépenses individuelles » on peut intégrer dans le calcul les dépenses de santé réalisées « au bénéfice » des plus âgés. Mais ces dépenses sont-elles des « revenus » pour les plus âgés ? En terme de revenu les dépenses de santé ne sont-elles pas plutôt un transfert financier entre les cotisants et les professionnels du soin (qui tirent leurs revenus de ces dépenses de santé) ?
    Les dépenses d’éducation, intégrées ici aux calculs, sont-elles des « dépenses individuelles » ? Peut-on assimiler les dépenses d’éducation à un « revenu » pour les plus jeunes ?

    Dépenses individuelles
    Page 1 : « Les dépenses individuelles de protection sociale ont, elles, évolué de façon plus comparable entre les groupes d’âge », « Le ratio entre les dépenses individuelles de ces classes d’âge reste assez stable du fait de niveaux de départ très différents ». Plus le titre d’un tableau qui sera repris page 5.
    Page 5 : Un titre de paragraphe « Des dépenses individuelles plus stables ». Les titres des graphiques 5 et 6 « Évolution des dépenses individuelles moyennes de protection sociale hors éducation, rapportées en pourcentage de PIB par tête » « Évolution des dépenses individuelles moyennes de protection sociale y compris éducation, en pourcentage du PIB par tête ».
    Toujours page 5 « Il reste que le ratio des dépenses individuelles dont bénéficient les individus de plus de 60 ans sur celles dont bénéficient les individus de moins de 25 ans diminue légèrement entre 1979 et 2011, passant de 2,9 à 2,7.

    Niveau de vie
    Page 1 : « Au vu de la situation des différentes classes d’âge, en termes de transferts nets et de niveau de vie »
    Page 2 : « Nous mettons enfin en perspective ces évolutions en rappelant la façon dont ont évolué, de leur côté, les niveaux de vie des plus jeunes et des plus âgés ».
    Page 8 : « il est en revanche possible d’évaluer la situation relative des uns et des autres en termes de niveau de vie ou de pauvreté ».
    Page 9 : « À l’inverse, la situation relative des plus jeunes s’est dégradée, notamment depuis le début des années 2000 : le niveau de vie moyen des moins de 25 ans est ainsi passé de 88  % de celui des plus de 60 ans en 2002 à 82  % en 2012 (dernière année disponible). »
    Page 9 : « On constate cependant bien au final une dégradation de la situation relative des plus jeunes, qui se retrouve lorsqu’on analyse l’évolution des niveaux de vie. »
    Et toujours page 9 le niveau de vie est évoqué de façon conjointe au revenu dans la note 5 (voir plus bas).
    Page 10 : « Au vu de la situation des différentes classes d’âge, tant en termes de niveau de vie »…

    Revenus
    Page 8 : « Il apparaît ainsi que, comparativement à ceux des plus de 60 ans, les revenus des moins de 25 ans ont eu tendance à diminuer »
    Page 9 Graphique 11 : « Ratio des revenus des moins de 25 ans sur les revenus des plus de 60 ans »
    Page 9, Note 5 « alors que les analyses en termes de niveau de vie font masse de tous les revenus du ménage pour calculer un même niveau de vie pour tous ses membres, les comptes de transferts nationaux ne mesurent les revenus et les transferts qu’au niveau des individus.
    Page 11 : « Néanmoins, les revenus primaires des jeunes se sont dégradés au cours du temps relativement à ceux des plus âgés.

    On affecte à qui ?

    Comme il est dit dans la présentation des « Comptes des transferts nationaux » (page 2) il faut « faire des hypothèses sur le destinataire final ».
    Oui, mais quand, dans les tableaux statistiques de la page 4 les Allocations familiales sont visiblement affectées exclusivement aux moins de 24 ans tandis que les prestations Logement sont exclusivement affectées aux plus de 18 ans, on peut se poser la question : Quelles « hypothèses » justifient ces choix ? Les Allocations familiales, dans leur conception même, sont-elles réservées aux moins de 24 ans ? Les allocations Logements n’ont aucun effet sur le « niveau de vie » des moins de 18 ans ?

    Des oublis curieux

    S’il est question de « niveau de vie » les avantages fiscaux accordés en fonction de la taille de la famille (quotient familial) peuvent-ils être totalement absents du calcul ?
    Si l’on intègre les prestations Logement (les « aides à la personne ») dans le calcul, les dépenses publiques liées au logement (les « aides à la pierre ») peuvent-elles être exclues du champ étudié ?

    Comparer quoi à quoi ?

    Du côté des dépenses et des prestations les tableaux présentent les dépenses en différenciant les risques couverts (éducation, vieillesse, santé, famille….). Du côté du financement la distinction par risque disparaît totalement. Or la structure de financement des différents risques de protection sociale est très fortement différenciée4. Quel sens cela peut-il avoir de raisonner par risques en dépenses et de raisonner de façon globale en recettes ?5

    Bon, on rajoutera que faire une analyse des transferts sociaux sans introduire la dimension de la répartition (dans l’échelle des revenus) de ces transferts (tous les plus de 60 ans ne bénéficient pas d’un même niveau de retraite, les « bénéficiaires » des dépenses d’éducation ne se répartissent pas de façon aléatoire dans la société française….) passe « sous la table » une partie importante de la question. Mais c’était peut-être l’objectif poursuivi en choisissant de prendre la question sous l’angle d’une structuration par âge. Puisque nous en sommes aux « disparitions » passons à ce que la « note » fait « disparaître ».

    Glisser sous le tapis quelques questions importantes

    Imaginez, on vous demande de faire une note où vous devez traiter de la place respective des jeunes et des vieux. Celui qui vous demande de faire cette note vous impose une règle : ne parler NI de l’emploi, NI de la famille.

    Ne pas parler de l’emploi

    La « note » le rappelle à juste titre, et dès le chapô, « la pauvreté touche aujourd’hui 2,5 fois plus souvent les moins de 25 ans que les plus de 60 ans ». Mais la « note » porte sur la protection sociale. Il n’est donc pas question de parler d’autre chose. Le mot « emploi » ne figure jamais dans la « note ». Le mot « chômage » utilisé une fois, sert à enfoncer une porte ouverte : les jeunes sont plus touchés par le chômage que les vieux »6 !
    Le mot « marché du travail » apparaît lui trois fois. Pour dire que les jeunes y connaissent des difficultés (mais on s’arrête là), pour dire que la diminution de la participation des jeunes au financement de la protection sociale est, en partie, liée à une « entrée plus tardive » sur le marché du travail, et enfin, mais on est tout à la fin de la conclusion, presque hors sujet, pour demander à la protection sociale « d’améliorer le taux de participation au marché du travail »

    Chômage, Marché du travail

    Le mot « Emploi » n’est jamais utilisé dans la « note ». Le mot « Chômage » est l’occasion« , page 9, d’un enfoncement de porte ouverte de toute beauté : « les plus jeunes subissant la montée du chômage dont les retraités sont pour l’essentiel protégés ».
    Le mot « Marché du travail » apparaît page 2 : « Plusieurs éléments peuvent expliquer ce sentiment : difficulté des jeunes sur le marché du travail… ». Page 7 « La part des moins de 25 ans dans le financement de la protection sociale baisse, essentiellement en raison de leur entrée plus tardive sur le marché du travail ». Page 12 : « Dans le même temps, les dépenses de notre système de protection sociale devront favoriser des politiques renforçant sa soutenabilité, notamment en améliorant les taux de participation au marché du travail et d’emploi : politiques de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle ».
    Pourquoi le taux de pauvreté des plus jeunes a-t-il augmenté ? Pas à cause du chômage. La situation de l’emploi, le chômage, ne sont jamais utilisé comme facteur explicatif dans la note. Par contre dans la « note » on peut lire «  À l’inverse, la situation relative des plus jeunes s’est dégradée, notamment depuis le début des années 2000 : le niveau de vie moyen des moins de 25 ans est ainsi passé de 88 % de celui des plus de 60 ans en 2002 à 82 % en 2012 (dernière année disponible). L’évolution est plus spectaculaire encore lorsqu’on s’intéresse non plus au niveau de vie moyen d’une tranche d’âge mais à la proportion de pauvres au sein de chaque tranche d’âge : le taux de pauvreté des moins de 25 ans, qui était déjà deux fois supérieur à celui des plus de 60 ans en 1996, lui était 2,5 fois supérieur en 2012. »
    Et là on réalise quelque chose. La « note » ne dit jamais explicitement que l’appauvrissement grandissant des jeunes à pour cause l’appauvrissement déclinant des plus vieux. Jamais. Mais en présentant, plusieurs fois, les deux évolutions dans la même phrase elle, comment dire ? elle le « suggère ». Non ? Car si les jeunes sont « sacrifiés par la protection sociale » on espère que ce n’est pas pour du beurre et que quelqu’un en profite….

    Ne pas parler de la famille

    Alors là c’est encore plus fort (roulement de tambour comme dans les cirques quand l’acrobate va faire quelque chose de très difficile et de très dangereux). Parler d’âges et de protection sociale sans parler ni de ménage, ni de famille !!

    Pourtant la protection sociale est remplie, partout, de ménages. Les Allocations familiales, les prestations Logement sont calculées et versée en fonction de la composition du ménage. Les prestations santé sont servies aux « ayant droits » de l’assuré social (le conjoint s’il est sans activité professionnelle, les enfants). Même les prestations vieillesse sont nourries de la composition du ménage. La validation des années d’activité, le calcul de la retraite, sont fonction du nombre d’enfants que vous avez eus (et qui ne sont plus à votre charge). Une veuve touche une pension de « réversion » (on dit « survie » en langage protection sociale) parce qu’elle faisait partie du même ménage que l’assuré social. Dans une publication récente 7 la DRESS évalue à 17.8 milliards « les masses financières liées aux droits familiaux en 2012 ».
    Répartir de façon « uniforme », non seulement sur les enfants d’un ménage, mais sur l’ensemble d’une tranche d’âge (ici les 0-24 ans) le montant d’une prestation c’est faire un saut au-dessus de ce que sont, concrètement, les prestations de protection sociale au risque… De perdre tout contact avec la réalité.

    Ménage, Famille

    Aucune mention du mot Ménage dans le texte proprement dit, mais on le trouve dans « l’encadré méthodologique », page 2, et dans la note 5, page 9, déjà sollicité. Ainsi les auteurs savent parfaitement que la question se pose, et s’ils la passent « sous le tapis » c’est donc en toute connaissance de cause… Ne cherchez pas le mot Famille, il n’y est pas.

    Page 2 : « Mais le montant de nombreuses dépenses de protection sociale, principalement lorsqu’il s’agit de prestations en espèces, n’est connu qu’au niveau du ménage. Pour pouvoir constituer les profils par âge de ces transferts, il est donc nécessaire de faire des hypothèses sur le destinataire final de la prestation au sein du ménage. Par exemple, le montant des prestations familiales reçues par un ménage est alloué aux enfants (et non aux adultes) et est réparti de façon uniforme entre les enfants du ménage. »

    Page 9 note 5 : « Les deux séries de données ne sont pas comparables en niveau absolu, notamment pour les enfants vivant dans le ménage de leurs parents : alors que les analyses en termes de niveau de vie font masse de tous les revenus du ménage pour calculer un même niveau de vie pour tous ses membres, les comptes de transferts nationaux ne mesurent les revenus et les transferts qu’au niveau des individus ».

    Puisque la « note » prétend s’appuyer sur un « sentiment » relatif au fonctionnement de la « société » en matière « d’aide » aux personnes âgées peut-elle faire abstraction de ce que l’on sait8.
    L’amélioration des retraites a considérablement fait diminuer les transferts financiers à l’intérieur des familles allant des enfants adultes actifs vers leurs parents âgés. Mais dans l’autre sens cette même amélioration entraîne, actuellement, le développement de transferts financiers à l’intérieur des familles des grands parents, vers les petits enfants. Avec évidemment des inégalités très fortes entre familles en fonction de leur niveau de revenu. L’idée que la répartition pourrait se comprendre, dans nos sociétés, au niveau des individus, en les intégrant dans les systèmes collectifs (éducation, protection sociale) MAIS en le envisageant comme non inclus dans un ménage, dans une famille peut-elle avoir un sens ?

    Aider la montagne à accoucher d’une souris

    Mais nous voilà à la Conclusion de la note et nous allons peut-être comprendre enfin, à quoi elle pourrait bien servir.
    « Les réformes successives de notre système de retraites devraient ramener dans les prochaines décennies la progression des dépenses de pensions à un niveau plus soutenable, par une baisse progressive du taux de remplacement. »
    C’est la première phrase du dernier paragraphe de la conclusion. Ça doit être important. Vous avez remarqué que cette phrase ne porte plus QUE sur les retraites. On a construit une « note » en utilisant « les Comptes de transferts nationaux » qui « reposent sur une méthodologie internationale ». On a construit des graphiques prenant en compte de nombreux risques (maladie, invalidité, logement, accidents du travail, famille, chômage), on a même rajouté l’Education… Et au final ne reste QUE les retraites. Et en gros, on dit que comme il va y avoir plus de retraités ils vont coûter plus cher. Et que si on veut que cela ne coûte pas plus cher comme on ne peut pas décemment proposer de diminuer leur nombre, on propose de diminuer le niveau de leurs retraites. Il fallait déployer tout cet attirail statistique pour arriver à cette conclusion ?
    Bon mais, on nous avait entraînés dans ce long voyage dans les chiffres pas seulement pour le plaisir. Nous étions partis avec une grave question : « les jeunes sont-ils sacrifiés par la Protection sociale ». Ils sont où les jeunes ici ? En effet ils sont où ? Ah, j’ai trouvé, ils sont un peu plus haut, dans la dernière phrase du premier paragraphe de la conclusion9 : « Les revenus primaires des jeunes se sont dégradés au cours du temps relativement à ceux des plus âgés, et la pauvreté monétaire, jadis un phénomène typique des âges élevés, touche désormais deux fois et demie plus souvent les moins de 25 ans que les plus de 60 ans. Cette évolution pourrait plaider pour un rééquilibrage des dépenses de protection sociale en direction des plus jeunes ».
    Baisser les retraites pour stopper le « sacrifice » des jeunes. Et là vous saute à la figure le sentiment, assez désagréable, qu’on cherche, peut-être, à vous « mener en bateau »…

    Une souris « mort née »

    Diminuer les retraites pour augmenter les revenus sociaux des jeunes ? Comment ? De quelle façon ? Par quelles procédures ? Comment la « baisse progressive des taux de remplacement » ((D’ores et déjà en place du fait des différentes « réformes » des retraites et, en particulier, la « désindexation » des retraites d’avec les revenus d’activité…)) pourrait-t-elle conduire à « un rééquilibrage des dépenses de protection sociale en direction des plus jeunes » ? On diminue les retraites et ça fait plus d’Allocation familiales ? On baisse les retraites et ça fait plus de bourses pour l’enseignement supérieur ?
    C’est une « note » de France Stratégie quand même. Alors on est plein d’espoir (et d’exigences). Et là, honnêtement, on est un peu déçu….
    On vous proposerait bien de mettre en débat la suppression des « avantages familiaux » liés à la retraite. Il y a là un beau débat. Pourquoi rémunérer, aujourd’hui, des retraités pour ce qu’ils ont fait avant-hier (avoir et élever des enfants) ? Ah oui, parce que ces « avantages familiaux » sont un des moyens de réduire l’écart des retraites entre Hommes et Femmes (carrières professionnelles plus courtes et irrégulières pour les femmes). Mais même si l’amélioration des retraites des femmes est un objectif tout à fait légitime, les « avantages familiaux » c’est le bon outil ?

    On vous proposerait bien aussi de parler de l’impôt sur les successions. Vous ne voyez pas le rapport ? Il y a un siècle on a « inventé » les retraites pour répondre à la question d’un revenu pour ceux qui n’avaient pas de patrimoine. Et puis le temps a passé, la société a évolué, la richesse globale a augmenté. Et aujourd’hui il y a de plus en plus de retraités (surtout ceux qui bénéficient des retraites les plus élevées) qui possèdent également un patrimoine. Et de fait un revenu financé collectivement (la retraite) est utilisé par les plus riches pour ne pas avoir à entamer leur patrimoine (individuel). La retraite préserve les patrimoines au plus grand bénéfice des héritiers. Une dépense sociale garantit la transmission d’une richesse privée. Et si l’existence de la retraite justifiait la création d’une réelle imposition des successions ? Mais ici vous me dites STOP. J’ai déjà introduit des idées de disparités de revenus, d’inégalités. Vous ne voulez pas parler de catégories de revenus, vous ne parlez que de catégories d’âge. J’ai inscrit ces questions au cœur du fonctionnement d’une cellule qui perdure au cœur des sociétés : la famille, alors que vous ne connaissez QUE des individus qui ne sont intégrés ni à un ménage, ni à une famille. Et en plus je veux créer un nouvel impôt ! Je suis totalement hors sujet. Ce n’est pas comme cela qu’on rédige une (bonne) note pour France Stratégie.

    1. « France Stratégie » a succédé au « Commissariat Général au Plan ». []
    2. Note d’analyse n° 37 – janvier 2016. http://www.strategie.gouv.fr/publications/jeunes-sacrifies-protection-sociale []
    3. Petit problème. C’est mal « sourcé ». Personnellement pour trouver la question il a fallu que je cherche pas mal. J’ai trouvé la question dans le « Baromètre de la cohésion sociale – 2012 ». http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/2012_CREDOC_barometre_CS-3.pdf []
    4. Pour ceux que ce sujet, très intéressant intéresse « Le financement de la protection sociale : une analyse par risque social » Etudes et résultats N° 648, août 2008. (Et il y a sans doute des études plus récentes. []
    5. Autre curiosité. Dans la partie dépenses les auteurs ont voulu intégré la dépense d’éducation. Mais du côté financement on ne limite strictement au financement de la protection sociale, donc rien sur le financement de la dépenses d’éducation (et rien non plus sur le financement des autres dépenses publiques à caractère social – voir plus haut la question sur « l’aide à la pierre ») Ne pas travailler sur le même champ pour les dépenses et pour le financement n’est ce pas curieux ? []
    6. Petite curiosité. La « note » est très peu « référencée ». Il n’y a que 3 références à des articles ou des rapports pour 11 pages de notes. Mais ici, pour révéler que le chômage touche plus les jeunes que les vieux on s’appuie sur un article, « The growing intergenerational divide in Europe » Bruegel Policy Contribution, avec trois auteurs… []
    7. Droits familiaux et dispositifs de solidarité du système de retraite – Dossiers Solidarité Santé – n°72 – janvier 2016. []
    8. Désolé, je suis un retraité, je n’ai pas retrouvé le numéro d’Etudes et Résultats (la Dress) où étaient chiffrés les transferts financiers des grands-parents aux petits-enfants. Il existe. Je signale « Rapports de générations. Transferts intrafamiliaux et dynamique macrosociale » dans la Revue française de sociologie (2000, 41-4). Et il y a d’autres travaux sur la question. []
    9. Vous avez vu c’est assez bien fait. Après la première phrase du dernier paragraphe, on a la dernière phrase du premier paragraphe… []
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    Des pratiques novatrices au sein du Collectif départemental de défense du service public postal de l'Isère

    Retour sur expérience

    par un collectif

     
     Ce dossier sur les “pratiques innovantes” a été élaboré par des représentants de 4 comités de l’Isère : le Comité citoyen du Pin, l’association de défense des Services Publics du Guiers et de l’Avant Pays Savoyard, le comité de défense du bureau de poste de St Victor de Cessieu, le groupe citoyen de Virieu et la Vallée de la Bourbre. Il fait suite à deux précédents articles dans ReSPUBLICA.

    Le Collectif départemental de défense du service public postal créé en 2008 regroupe des comités citoyens d’usagers, des syndicalistes, des élus locaux et régionaux.

    Retour sur l’expérience du Collectif départemental :
    4 cas d’étude

    1) Le référendum citoyen d’octobre 2009

    L’idée est venue du comité citoyen du Pin en mai 2009 : face à l’annonce du prochain passage au Parlement de la Loi Postale (annoncé pour septembre 2009), dans un contexte qui ne laisse aucun doute sur le vote des députés et sénateurs, et guère d’espérance sur la capacité des actions “traditionnelles” de mobilisation de mettre en échec ce projet, l’idée est lancée de tenter le coup d’un “référendum citoyen”. Avec cette utopie : si des millions de citoyens expriment leur opposition à cette loi, le gouvernement Sarkozy et la majorité parlementaire prendront-ils le risque de la faire passer ?

    Très vite, des contacts “horizontaux” pris avec des collectifs locaux de divers départements montrent une adhésion à la proposition. Le délai est court (d’autant plus que se profilent les deux mois d’été …), ils incitent à la prise de deux initiatives :

    - mettre assez rapidement les instances nationales dans la boucle, en comptant sur leur capacité de faire caisse de résonance à la proposition, dans la mesure où elles la jugeront appropriée : c’est ce qui va se passer, Convergence, les associations politiques de maires (communistes et républicains, socialistes, verts) et l’ensemble des partis politiques de gauche et plusieurs syndicats décident de s’impliquer ;

    - préparer matériellement la consultation : en accord avec l’ensemble du Collectif départemental, le comité citoyen du Pin élabore ce qu’il nommera le “kit référendum” : son expérience des consultations citoyennes, son savoir-faire doublé d’une éthique de l’information et de la consultation lui permettent de concevoir en quelques jours un projet d’affiche, les bulletins de vote, un argumentaire, et surtout des propositions méthodologiques.

    Dans la mesure où les déterminants seront le nombre de votants et la crédibilité de la consultation, trois points sont considérés comme étant incontournables :

    1 : la question. Un mot ne doit pas figurer dans la question : “gouvernement”. En effet, il ne faut pas demander aux citoyens de se positionner pour ou contre le gouvernement, mais pour ou contre la privatisation rampante de La Poste et la remise en cause du service public. Nous savons que de nombreuses personnes “de droite” sont hostiles à cette évolution, comme en attestent les sondages d’opinion estimant entre 2/3 et 3/4 la proportion de citoyens opposés à la loi.

    2 : l’émargement. Pour éviter toute suspicion de double vote, l’émargement sur liste électorale doit être la règle partout (l’accès aux listes électorales est un droit, et si un maire fait de la résistance, il est possible d’imaginer des moyens de contrôle non contraignants de l’unicité du vote).

    3 : un argumentaire équilibré. Les arguments “POUR” et les arguments “CONTRE” doivent avoir la même importance. Pour le “CONTRE”, pas de problème. S’agissant du “POUR”, il est suggéré de demander à la direction de La Poste et au ministère de tutelle de fournir leurs arguments. Prévoyant qu’ils ne répondront pas, nous avons collecté des documents (articles de presse, prises de paroles à l’Assemblée Nationale, déclarations du directeur national de la Poste) qui ont permis de synthétiser cette argumentation. Un document avec une feuille A4 pour le OUI, une feuille A4 pour le NON est élaboré.

    Résultat à fin août 2009, après le passage dans les tuyaux nationaux (partis politiques notamment) :

    - il n’est plus question de “référendum” mais de “votation” : ce terme, qui est utilisé en Suisse pour désigner une consultation mais a chez nous un autre sens (l’action de voter), est très ambigu ; pourquoi dévaloriser cette consultation citoyenne, en réduire l’importance en l’affublant d’un mot n’ayant pas de sens véritable ?

    - la question commence par “Le gouvernement”

    - l’émargement ne sera pas la règle partout, certains syndicats transformant le vote en pétition sur les lieux de travail (sans demander un engagement à ne pas voter une deuxième fois dans sa commune)

    - le double argumentation ne sera reprise que par 3 départements. “On ne va quand même pas leur faire de la pub !”, a expliqué un militant politique comme justification de ne produire que les arguments du NON.

    2 350 000 votants, impensable au départ, les gendarmes à l’affût au téléphone toute la journée du vote pour connaître les premiers résultats (sur demande du ministère de l’Intérieur, préciseront-ils). Et surtout une ambiance incroyable autour des urnes, des gens qui se parlent, échangent sur le service postal, expriment leur grande satisfaction de cette consultation. Cela n’a pas été suffisant pour empêcher la loi de passer. Mais quand on regarde la carte, on constate qu’en gros un quart du territoire national a été couvert. Rêvons d’une couverture totale, 10 millions de votants, que fait le gouvernement ? Dans les conditions de déroulement de la consultation, il aurait eu beau jeu d’arguer de l’absence d’émargement systématique, et d’une information déséquilibrée pour mettre en doute sa légitimité.

    2) L’action des maires en Isère (octobre 2014 – janvier 2015)

    Le Collectif départemental, identifiant les maires de communes avec bureau de poste comme les seuls maillons décisionnels pouvant empêcher le remplacement de ces bureaux “de plein exercice” par des Agences Communales (APC) ou Relais Commerçant (RPC), sollicite quelques maires très engagés dans la défense du service public postal pour qu’ils rédigent un “communiqué commun des maires”. L’idée est de le soumettre au 123 maires isérois dont la commune a au moins un bureau de poste, en espérant qu’ils soient assez nombreux à adhérer au communiqué pour bloquer le plan de réorganisation prévu par La Poste sur 2015, dont la clé de voûte est la transformation massive de ces bureaux en APC / RPC.

    Le Collectif départemental décide d’organiser un rassemblement public lorsque le nombre de 20 maires signataires aura été atteint. Ce qui se produit à la mi-novembre. Notre pointage montre alors que le taux de signataires par rapport au nombre de maires ayant donné une réponse est de l’ordre de 80%. Parmi les signataires, il y a bien sûr les maires dont l’appartenance politique ne laisse aucun doute sur leur positionnement. Nous prévoyons donc que le taux de signataires baissera au fur et à mesure que les réponses des municipalités concernées nous parviendront.

    Lorsque nous atteignons la moitié de réponses (un peu plus de 60 maires), nous constatons que le taux de signataires est monté à 90%. Parmi eux, de nombreux maires étiquetés PS, soutenant en principe le gouvernement, et obligatoirement des maires positionnés plus à droite sur l’échiquier politique. On peut imaginer qu’en d’autres lieux, d’autres auraient dressé des listes de maires en fonction de leur appartenance ou sympathie politique pour définir des priorités dans nos prises de contact : pas sûr que le résultat aurait été meilleur !

    L’explication de ce constat, qui bouscule bien des idées reçues, est que l’attachement au service public relève moins d’un positionnement idéologique ou politique que de préoccupations très concrètes relatives à la vie de la commune, aux besoins et au bien-être des habitants notamment des personnes âgées ou fragilisées pour une autre raison. Aux valeurs humaines, en quelque sorte.

    3) L’action à propos des MSaP

    C’est vers la fin du 1er trimestre 2015 que le Collectif départemental a eu connaissance de deux nouvelles “alternatives” aux bureaux de poste de plein exercice proposées par La Poste : le facteur-guichetier et la Maison de Services au Public.

    Vis à vis des Agences Postales Communales (APC) et Relais Poste Commerçant (RPC), l’argumentation est facile à construire et à transmettre : recul des services, et certitude qu’à terme le service postal de proximité disparaîtra à moins d’accepter de le financer par la fiscalité locale. Comme dans le même temps, La Poste affiche des bénéfices, il est relativement aisé de susciter une mobilisation.

    Vis à vis des MSaP, la question est bien plus complexe, car les territoires ruraux connaissent une désertification progressive des services, très pénalisante pour les populations. En 2015, en plusieurs points de l’Isère, fleurissent des banderoles et autres messages dénonçant les fermeture programmées de trésoreries. Un maire d’une commune de l’Ouest isérois nous dira aussi : “au cours de la même semaine, on m’annonce la fermeture du guichet SNCF et la remise en cause du bureau de poste”. Donc toute initiative prévoyant de ramener des services à proximité des populations est susceptible de rencontrer un a priori favorable.

    Dans ces conditions, comment alerter sur les dangers ?

    Deux stratégies semblaient possibles : considérer que les MSaP, en regroupant des services qui ne relèvent pas ou plus du service public, contribuent à leur disparition, et que de ce fait, il faut s’opposer à leur mise en place (“ne pas mettre le doigt dans l’engrenage”). Mais avec quelles perspectives d’obtenir gain de cause (gain de cause = rétablissement d’authentiques services publics) ?

    Le Collectif départemental va prendre une autre voie : sans être naïf vis à vis des logiques qui amènent de tels projets, amorcer un double mouvement :

    - se rapprocher des citoyens pour percevoir leurs besoins

    - identifier dans la chaîne de décision où se situent des maillons de pouvoir : les maires et/ou présidents des communautés de communes. Pour leur proposer de travailler ensemble, avec des syndicalistes et des usagers, à la définition de conditions rendant acceptable la mise en place d’une MSP ou MSaP. Ne pas tenir compte de ce que sont les dispositions actuelles, prévues et prévisibles, mais mener cette réflexion en se souciant uniquement des besoins des citoyens, des préoccupations des élus locaux, des exigences des postiers, et de l’idée que l’on peut se faire d’un service utile à tous.

    Dans l’espoir que les maires concernés posent ensemble des exigences déterminées vis à vis de la mise en place de telles structures, pour arriver à faire bouger les lignes (à l’image de ce qui s’est passé en Isère vis à vis des APC / RPC). Parce qu’entre des services privatisés (qui ne seraient offerts que dans la mesure où ils généreront des taux de rentabilité conséquents), et des services publics authentiques, la marge est réelle et importante.

    Un exemple : aujourd’hui, rien n’est prévu pour que les usagers soient intégrés à la gestion de ces structures. Si, sur les centaines de maires concernés par la mise en place d’une MSaP, une proportion importante dit “nous ne signerons que si les usagers sont intégrés au conseil de gestion”, nous pouvons espérer obtenir une avancée non négligeable. En effet, se trouvant au cœur du dispositif, les représentants seront mieux placés qu’ailleurs pour exiger que les principes fondateurs du service public soient la règle (avec en appui le soutien des usagers).

    Le pari d’entraîner ces maires dans un tel mouvement d’ensemble peut paraître un peu “fou”. Mais qui aurait pensé, au moment du lancement de l’opération “communiqué commun des maires de l’Isère”, atteindre une proportion d’adhésion telle que la direction nationale de La Poste a dû consentir à certains reculs ?

    4) L’approche de la “défense du service public”

    Bien évidemment, le point commun entre toutes les composantes du Collectif départemental est la défense du service public. Cette position de défense se fonde sur deux approches différentes :

    - un positionnement de principe, idéologique, politique : c’est à l’Etat que doit revenir la responsabilité de la gestion ce qui relève du bien commun, et le service postal doit en faire partie. C’est le seul moyen d’assurer l’égalité des citoyens vis à vis du service, cela suppose un statut particulier du personnel du fait de son engagement au service à rendre, etc …

    - un positionnement pragmatique : le bien-être des citoyens, qu’ils soient usagers (satisfaction de leurs besoins) ou salariés (conditions de travail respectueuses et valorisantes) est l’objectif assigné à toute action.

    Chaque membre du Collectif départemental porte en lui ces deux approches, mais dans des proportions très variables d’une personne à l’autre. Elles reposent toutes deux sur des logiques qui se recoupent (sinon, le Collectif départemental ne pourrait pas fonctionner) : dans la mesure où l’entreprise qui gère le service postal devient soumise à un contexte concurrentiel, avec des objectifs de rentabilité à atteindre, le bien-être des usagers et des postiers ne peut être assuré correctement. Mais cette affirmation relève dans le premier cas d’un point de vue a priori, dans le deuxième cas d’un constat a posteriori.

    Par contre, ces deux approches de la défense du service public induisent deux discours différents, deux manières différentes de s’adresser aux usagers, aux élus, aux postiers. Et surtout deux types d’actions différents.

    Pour faire avancer sur la question de principe, il est indispensable de créer un rapport de force politique. Cela suppose des démarches pédagogiques spécifiques (pour “faire comprendre les enjeux”), des actions auprès de décideurs politiques (pour “s’assurer du soutien de”), des manifestations publiques (pour “crier l’indignation en montrant que nous sommes nombreux et déterminés”).

    Pour faire valoir le bien-être des citoyens, il faut leur donner la parole et leur demander d’exprimer leurs besoins (les enquêtes citoyennes), poser la question de la vie communale (sans réel bureau de poste, notre commune deviendra un village dortoir, dépourvu de commerces de proximité), poser la problématique concrète et lourdement chargée sur le plan émotionnel de l’intolérable souffrance au travail.

    En se gardant de tout excès de manichéisme, on peut considérer que le débat est centré dans le premier cas sur de “grandes questions de société”, dans le deuxième cas sur “la vie des gens”. L’addition de ces deux approches considérées comme complémentaires constitue un atout majeur.

    Pour illustrer le propos : le Collectif départemental a été à plusieurs reprises en contact avec François Brottes, qui fut à la fois “monsieur poste” au PS, député de l’Isère et président de la Commission des Affaires Economiques de Sociales de l’Assemblée Nationale. Dans les échanges, il a toujours affirmé non sans une certaine fierté que La Poste avait été maintenue dans le “public” puisqu’aucun euro de capital privé n’a fait son entrée (argument qui relève de la “position de principe”). A chaque fois que nous lui avons opposé les “besoins des usagers non satisfaits”, il n’a su répondre que “dites-moi où ça se passe, si c’est dans ma circonscription, je ferai le nécessaire”. Et quand nous avons voulu aborder la question de la souffrance au travail, la seule réponse qui nous a été communiquée par son service parlementaire a été “mais il y en a partout”. Et le dialogue s’est rompu. Parce que sorti des questions de principe, il n’avait aucune réponse à nos demandes.

    Quelques caractéristiques et principes spécifiques de ces actions innovantes

    L’évocation de ces quatre cas rencontrés par le Collectif départemental permet de discerner des approches différentes, des modes d’actions différents. Il est vraisemblable que ces différences d’approche ne concernent pas seulement la défense du service postal, ni même la seule défense du service public, mais le “militantisme revendicatif” d’une manière générale, c’est à dire tout ce qui se rapporte à l’intervention citoyenne vis à vis des décisions de pouvoirs en place, quel qu’en soit le cadre (vie locale, vie publique, entreprise, etc …). Il y a donc un enjeu fort à réfléchir à leur propos.

    1) Des approches plus pragmatiques qu’idéologiques

    C’est probablement la clé de voûte, le point central sur lequel le Collectif départemental a pu faire émerger des pratiques novatrices. Ne pas se contenter de références à un certain art de vivre en société (ici, le bien commun), mais se confronter aux réalités locales les plus concrètes pour définir des objectifs accessibles, partagés, qui ont du sens pour tous les acteurs concernés, dans leur diversité.

    Exemple : sur la petite commune du Pin, lorsqu’en 2006 La Poste annonce une réduction drastique des horaires (passage de 18h30 à 8h hebdomadaires), la seule position de principe aurait amené une réaction de refus de toute réduction d’horaire. Au lieu de cela, le comité citoyen a pris l’initiative de mesurer les besoins des usagers par une enquête citoyenne, pour élaborer une proposition alternative : réduction à 13h hebdomadaires mais avec des horaires collant mieux aux disponibilités des habitants. Ce qui a permis d’obtenir une augmentation de la fréquentation du bureau de poste.

    2) La mise en action dynamique à tout moment de l’ensemble des acteurs concernés

    Pour la défense du service public postal, les principaux acteurs concernés sont les usagers, les postiers, les élus locaux. En les informant, en les incitant à ne pas se résigner, en se plaçant à leur écoute, en créant les occasions pour qu’ils se rencontrent, échangent et perçoivent la réalité de leurs intérêts communs, en étant force de propositions crédibles, nos structures locales ont pu faire reculer La Poste chaque fois qu’il y a eu alliance forte entre ces différents acteurs. Nous constatons qu’un maire, aussi déterminé soit-il, se retrouve vite impuissant à s’opposer aux projets de La Poste s’il n’existe pas dans sa commune un comité local, outil de l’implication des usagers.

    Exemple : le maire de St Victor de Cessieu, suite à une rencontre avec la Poste, diffuse dans les boîtes aux lettres de sa commune l’information de la prochaine fermeture du bureau de poste. Le ton est un mélange de déception et de résignation. Les réactions de plusieurs habitants constituant un collectif local l’amènent à accepter de tenir une réunion avec les élus municipaux, des usagers, un membre du Collectif départemental : l’évocation des outils d’enquête permettant de recenser les besoins réels, la perspective de mener l’action tous ensemble, les contacts discrets mais réguliers avec quelques postiers, font basculer la municipalité dans une position de résistance déterminée. Le bureau est à ce jour toujours ouvert, sans modification des horaires d’ouverture (depuis 2011).

    3) Les alternatives réalistes du “positivisme revendicatif”

    Face à une situation, il nous paraît essentiel d’aller au-delà de la seule dénonciation de ce qui nous paraît injuste, inacceptable, intolérable, par la promotion d’alternatives, qui soient à la fois crédibles et porteuses de la satisfaction de nos besoins et exigences.

    Pour certains, proposer des solutions alternatives revient à se laisser entraîner dans une démarche de cogestion ambiguë sur le fond, voire pénalisante à terme. “Cela revient à faire alliance avec l’ennemi”, peut-on entendre parfois. Ce qui a été mis en œuvre par le Collectif départemental va à l’encontre de ce point de vue, pour plusieurs raisons :

    - une alternative crédible est un facteur de mobilisation : nous l’avons tous constaté, à un appel à se mobiliser devant une situation qui le justifie, on voit arriver très vite le petit noyau des “rapidement convaincus”, puis dans un deuxième temps, des personnes que l’on a réussi à convaincre. C’est l’ampleur de cette “deuxième vague” qui est souvent déterminante. Montrer que nous sommes capables de ne pas nous contenter de dire “NON”, montrer que d’autres solutions existent, associer les personnes directement concernées à leur élaboration, renforcent de manière très sensible le potentiel de mobilisation

    - une alternative crédible affaiblit le pouvoir auquel nous nous opposons : il ne peut plus se contenter de justifier ses décisions par l’argument “on ne peut pas faire autrement”. En l’obligeant à se positionner par rapport à la proposition alternative, on le fait venir sur le terrain que l’on a choisi. De plus, on gagne en crédibilité vis à vis de lui : des attitudes uniquement dénonciatrices provoquent des positions de rejet pur et simple, il ne reste que le rapport de forces pour faire valoir notre point de vue : quand il n’y est pas, il ne reste que les yeux pour pleurer …

    - une alternative crédible trace la sortie d’un conflit : c’est dans la proposition alternative que se trouvent les éléments de l’accord qui permettra de mettre fin au conflit

    - la démarche de la proposition alternative contribue à éduquer les citoyens a contrario de la “culture de l’anti” : en amenant les acteurs concernés à participer à son élaboration, elle les fait entrer dans une démarche collective constructive qui incite à la réflexion (dimension Education populaire), donne confiance en soi, rend crédible le “faire ensemble”, et ouvre l’espérance en des lendemains meilleurs.

    4) Le développement de nos capacités d’imagination, de nos potentiels de création dans un fonctionnement au consensus

    Ne rien s’interdire d’imaginer, de proposer, éviter de se contenter de faire du “copier / coller” de ce qui se fait dans les traditions militantes, est essentiel si l’on veut être en capacité de s’opposer à la disparition du service public postal.

    Le pendant nécessaire à cette dynamique est la capacité du Collectif départemental à décider au consensus : écouter, échanger les points de vue, analyser ensemble, permet ensuite que la décision s’impose d’elle-même. Cela permet de tempérer le produit des imaginations, de le rendre faisable, ou de décider de l’abandonner en bonne connaissance de cause.

    On est bien loin du “qui est contre ? qui s’abstient ?”, qui ne permet même pas d’avoir un décompte juste des “pour”, et qui a surtout un effet clivant, générateur de frustrations, voire pire. Evidemment, si on ne peut pas faire autrement, il faut compter, mais privilégier le cheminement vers le consensus donne une force bien supérieure à tout collectif qui l’adopte. Cela suppose que chacun accepte d’en jouer le jeu … pratiquer de la sorte, n’aide-t-il pas à “se faire grandir” sur le plan humain ?

    5) Des valeurs humaines et une éthique forte

    L’esprit avec lequel se développent nos actions est que “en aucun cas, la fin ne peut justifier les moyens“.

    Au-delà de l’objectif partagé de la défense du service public postal, la capacité d’initier des pratiques novatrices se fonde sur des valeurs et une éthique partagées, qui transparaissent dans les actes que nous posons : nos choix d’actions à mener, nos prises de paroles publiques, nos manières d’être avec les autres, nos comportements. Ceci contribue à donner une image de notre Collectif qui est un facteur important de son identification.

    Au-delà du respect de l’autre, du pluralisme, de l’écoute qui fondent le sens collectif, le développement de la confiance en l’autre, voire de la bienveillance renforcent la capacité à œuvrer ensemble, et à y prendre du plaisir : la convivialité n’est pas un “gadget à la mode” mais une réalité qui peut se percevoir dans divers moments forts.

    Chaque fois que dans nos rapports aux autres, nous semons quelques “graines d’humanité”, que nous mettons de l’énergie dans la constitution du lien humain, nous engrangeons de la force collective (entre nous) et de la crédibilité (vis à vis des autres).

    Un petit événement qui a marqué : le 29 novembre 2014, nous organisons un rassemblement devant le bureau de poste des Abrets pour les 20 premières signatures du communiqué commun des maires, suivi d’une conférence de presse en fin de matinée. Autour de la table, 1 journaliste, 10 maires signataires et 3 membres du Collectif départemental. L’introduction faite par le Collectif départemental sera très brève, les maires prennent la parole à tour de rôle pour répondre aux questions des journalistes, aucun d’entre eux ne la monopolise. Au bout d’une bonne demi-heure, le journaliste s’éclipse, et les échanges se poursuivent entre maires, avec une grande écoute, une réelle bienveillance, et ce qui n’est pas négligeable, un réel plaisir à partager ce moment, qui aura été fondateur de quelque chose.

    Une éthique de l’information et de la consultation : pour être crédibles, c’est à dire pour qu’elles soient utiles, les enquêtes de recensement des besoins des usagers nécessitent une grande rigueur dans les manières d’informer, dans l’explication des enjeux, dans les modalités de la consultation. Assurer le pluralisme de l’information quand cela est justifié, citer les sources, recouper les informations, refuser de diffuser une information tant qu’elle n’a pas été suffisamment vérifiée, poser des questions claires et si possible ouvertes, laisser des temps d’échanges entre diffusion de l’information et consultation, éviter d’induire les réponses par la rédaction de la question, etc. sont essentiels.

    En guise de conclusion

    Mettre en œuvre des pratiques fondées sur de tels principes n’est pas difficile, n’est pas réservé à des “élites militantes”: bien au contraire, c’est souvent le bon sens commun qui sert de guide. La difficulté principale réside dans la démarche d’aller vers les autres. Oser entrer en relation avec des personnes que nous ne connaissons pas n’est pas aisé, certains ont plus de facilités que d’autres pour le faire. Mais quand on constate ce que l’on en retire individuellement (sur le plan de l’apport personnel) et collectivement (aussi bien en terme d’efficacité que de qualité du “faire ensemble”), il serait dommage de ne pas s’y aventurer.

    Un constat : plus une structure développe ce type de pratiques, plus elle semble en mesure de s’installer dans la durée. On peut supposer que les liens humains tissés puis entretenus au fil des actions, sur fond de diversité dans la composition du Collectif et de volonté partagée de bien fonctionner ensemble, en sont la cause.

    Aucune conviction n’est reniée, rien ni personne n’est exclu dans la mesure d’une adhésion aux valeurs, ces pratiques ne sont que du “Plus” qui nous met en meilleure capacité de faire valoir ce que nous défendons.

    Ne sont-elles pas aussi des manières de tracer des chemins qui conduiront à l’instauration d’une société où le bien-être humain, pris aussi bien dans ses deux dimensions individuelle et collective, sera au centre des préoccupations communes ?

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    « Je suis le peuple » et « L’errance moderne »

    par Jean-Jacques Mitterrand

     

    En collaboration avec l’association 0 de Conduite

    « Je suis le peuple », d’Anna Roussillon

    Agréables ces moments passés en compagnie d’une famille paysanne égyptienne Nous découvrons une campagne paisible aux gens très attentifs au destin de leur pays. Ils lisent la presse, regardent la télé et parlent beaucoup entre eux des événements. Ils semblent vivre correctement même si leur cadre de vie n’est en rien semblable au nôtre. Beaucoup de réflexes y sont par contre identiques, j’avais par moments l’impression de revoir ma famille terrienne vivant aux confins de la Creuse et du Cher, il y a 40 ans, toute une période artisanale où comme ils disent là-bas; “On vivait mieux que aujourd’hui”. C’est le champ où il faut garder le troupeau, le chenal pour amener l’eau au culture, la terre qu’il faut fendre…

    C’est toute la force de ce film, nous sommes chez nous, cette contrée éloignée devient nôtre. Les images sont simples et engendrent cette beauté propre et sobre de la campagne.

    Ce décor planté nous allons y vivre, au rythme des retours d’Anna qui vit en France, rien moins que la Révolution égyptienne, de 2011 à 2013.
    Les accents de la place Tahrir vont peu à peu nous envahir. Farraj, le paysan, va nous faire part de ses réflexions, de son analyse, de ses votes, de ses désirs et aussi de ses désillusions.
    Quand Morsi, celui qu’il défend, est élu. Il explose de joie. C’est la première fois qu’un civil est élu à la tête de l’Egypte… Les autres, tous les autres furent des militaires.
    Il va y croire, le défendre face à d’autres qui ne partagent pas son avis jusqu’au moment où le peuple va se révolter contre une révolution confisquée qui provoque le retour des militaires avec le général Al-Sissi.

    Son dialogue avec Anna la réalisatrice nous apprend beaucoup sur la démocratie, les forces en présence et sa conception de la France,

    « Je suis le peuple » porte bien son nom. Il faut aller voir ce film pour mieux comprendre le peuple égyptien vivant dans les environs de Louxor à 700 kilomètres du Caire.

    « J’ignore l’impossible, je ne préfère rien à l’éternité, mon pays est ouvert comme le ciel, il embrasse l’ami et efface l’intrus. » Je suis le peuple, chanson d’Oum Kalthoum

    Jean-Jacques Mitterrand

    « Je suis le peuple ». Réalisatrice Anna Roussillon, France 2014

    « L’errance moderne »

    Seul en scène, Alexandre Texier met en scène une multitude de personnages et de scènes de la vie courante. De notre vie cahoteuse , des désirs non formulés, des petits boulots d’intérim, des espoirs ternis, du verre qui libère le verbe et éteint les velléités. Le rêve, la liberté pigmentent cependant ce one man show que colore également l’humour.
    Belle performance d’un jeune acteur qui mime, multiplie ses voix et sa gestuelle pour changer prestement de personnages. A lui seul , il enchaîne les visions cinématographiques, champ et contre champ des personnes suggérées ou ,des séquences interceptées.
    Ce n’est pas le premier rôle de cet acteur, ancien élève de l’école Florent mais, dans cette pièce, il excelle dans le rôle du clochard/SDF qu’il a créé et qui jette « un regard éclairé » sur le monde. Cette justesse du rôle éclaire également la réalité de son engagement personnel.
    On retrouve ce personnage, Michel, qu’il interprète dans la série « Vues d’en bas » visible sur le web (www.tipeee.com/vues-d-en-bas-la serie)

    Odette Mitterrand

    Une pièce visible tous les vendredis à 21h30 jusqu’à la fin mars : « L’errance moderne », de Charles et Alexandre Texier avec Alexandre Texier.
    Mise en scène Jill Gage
    Production : Mise en Lumière
    Au Théâtre de la Contrescarpe, 5 rue Blainville 75005 Paris



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