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Chronique d'Evariste
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Se préparer à la force des choses

par Évariste

 

« Citoyens, que d’autres vous tracent des tableaux flatteurs ; je
viens vous dire des vérités utiles. Je veux étouffer, s’il est possible,
les flambeaux de la discorde par la seule force de la vérité…
La révolution française est la première qui ait été fondée sur la
théorie des droits de l’humanité, et    sur les principes de la justice.
Les autres révolutions n’exigeaient que de l’ambition : la nôtre
impose des vertus… La république, amenée insensiblement par
force des choses et par la lutte des amis de la liberté… »
Robespierre

Le dilemme de la gauche est toujours le même dans l’histoire : trouver une stratégie alternative qui corresponde à la force des choses ou se perdre dans la mortifère dictature des multiples tactiques des uns et des autres, pendant que rien ne change pour le plus grand nombre. Aujourd’hui comme hier et comme demain. Traduite en langage du XXIe siècle en France, cela veut dire qu’il faut choisir une stratégie en lien avec la force des choses ou subordonner cette stratégie à la tactique électorale de l’immédiateté du moment. Le néolibéralisme nous y pousse car il nous programme huit élections différentes par tranche de six ans. Sitôt une élection terminée, la suivante démarre.

Le chemin est défini par la stratégie et non par la tactique

La prolifération des formules « anticapitaliste », « tout changer de fond en comble », « du passé faisons table rase », « révolution », « la fin du monde », « l’extinction de l’espèce à court terme», « rupture », « résistance », etc. cache de plus en plus mal une incapacité de penser ou une non volonté de comprendre le réel complexe et de voir les éléments précurseurs de la force des choses sans laquelle aucune transformation sociale et politique ne s’est construite dans toute l’histoire de l’humanité. Tout le reste n’est qu’idéalisme philosophique et politique proposant le paradis sans en déterminer le chemin pour y conduire. Et là, disons-le, un programme ne suffit pas car le chemin est défini par la stratégie. Répétons-le, jamais dans l’histoire du monde, la cause profonde d’une transformation sociale et politique ne fut une idée ni le discours d’un leader ou d’un intellectuel. Le travail intellectuel doit simplement préparer sérieusement la capacité des acteurs professionnels et militants à être efficaces lorsque la force des choses surgit des profondeurs du peuple. Voilà pourquoi le couple « luttes sociales et politiques » et « éducation populaire refondée » est indispensable pour préparer ce moment où se construira la bifurcation politique.

Sinon, ce n’est que le capital qui peut en sortir vainqueur même s’il est obligé de recourir de plus en plus à la violence « légale » mais de plus en plus considérée comme « illégitime ». Pour éviter cela, il faut dépasser d’une part l’isolement d’un populisme de gauche (stratégie qui n’a fonctionné que dans les pays peu développés à forte économie informelle), et d’autre part des alliances partisanes dont chaque membre ne parle qu’à la même couche sociale ! La raison essentielle de la victoire de l’union de la gauche née dans les années 70 en France réside dans le fait que l’alliance PS-PC permettait l’unité de la classe populaire ouvrière et employée majoritaire dans le pays. Résultat le 10 mai 1981 : une grande majorité de cette classe a voté au deuxième tour François Mitterrand, ce qui lui a assuré le succès. Nous ne sommes plus dans ce contexte. Aujourd’hui, la classe populaire ouvrière et employée qui compte 53 % de la population française n’est représentée par aucune organisation de la gauche française. Pire, c’est elle qui produit l’abstention massive (60 % de la classe populaire ouvrière et employée s’est abstenue ces dernières années et jusqu’à 80 % aux dernières municipales de 2020). On ne dira jamais assez que les médias dominants déforment le réel en affirmant que le FN est le premier parti ouvrier alors qu’il n’est que le premier parti chez les votants. Sociologiquement et politiquement, le fait d’avoir 80 % d’une classe – classe en soi majoritaire dans le peuple – qui s’abstient en refusant l’offre politique a quand même plus d’importance que d’être le premier des 20 % qui votent (ce qui correspond à environ 8 % de la classe en soi alors que 80 % s’abstiennent) !

Voilà pourquoi une alliance d’organisations de gauche ne représentant principalement que des couches moyennes intermédiaires (24 % de la population) et des couches moyennes supérieures (15 % de la population) et aussi peu la classe populaire ouvrière et employée majoritaire (sauf un premier frémissement heureux de ce point de vue dans le vote Mélenchon en 2017 rapidement perdu aux élections suivantes) n’a aucune chance de prendre le pouvoir sur une base de gauche : d’une part parce que la majorité de ces couches moyennes votent depuis longtemps à droite et d’autre part qu’elles ne sont plus porteuses d’émancipation pour le plus grand nombre, qui leur est trop extérieur. Si le soutien populaire aux gilets jaunes fut massif, c’est qu’il fut soutenu par une partie significative des abstentionnistes. Aujourd’hui, la vie politique française est engluée dans le tacticisme. Alors que la tactique change souvent à chaque élection et domine la préoccupation stratégique, il est temps d’expliquer pourquoi il faut maintenir le primat de la stratégie sur les tactiques. Car c’est en maintenant le primat de la stratégie que l’on peut construire petit à petit un bloc historique autour de la classe la plus nombreuse, la classe populaire ouvrière et employée. En lui adjoignant une partie des couches moyennes intermédiaires (voire la majorité), une partie de la petite bourgeoisie intellectuelle, une partie de la paysannerie, et une partie des professions libérales.
Comme on le voit, ce n’est pas le mot d’ordre erroné des 99 % contre le 1 % oligarchique.

Le bloc historique gramscien doit d’abord être une alliance sociale…

… avant d’être une alliance d’organisations. Trois phénomènes renforcent ce que nous venons de dire.

Le premier est la gentrification qui organise une ségrégation spatiale (reconquête des villes-centre des métropoles par la bourgeoisie profiteuse de la mondialisation et rejet de plus en plus en plus loin de la classe populaire ouvrière et employée voire d’une partie des couches moyennes intermédiaires) de plus en plus forte détruisant petit à petit les communes et les quartiers naguère en mixité sociale. Dit autrement, les différentes classes et couches sociales se rencontrent de moins en moins. Ou dit autrement : « dis-moi où tu habites et cela me donnera plus d’indications qu’hier sur ta situation sociale » !

La deuxième est l’archipélisation de la société française. Et à l’intérieur du processus archipélisant du néolibéralisme, il y a le développement du communautarisme, l’allié catégorique indispensable aux néolibéraux pour se maintenir électoralement et mathématiquement au pouvoir, qui se transmute au sein de la gauche par un racialisme indigéniste dit décolonial – facteur de marginalisation du syndicalisme revendicatif et des organisations de transformation sociale et politique car il remplace la lutte des classes émancipatrice par la lutte des races et des communautarismes dont le développement est plutôt dans l’intérêt de l’oligarchie capitaliste.

La troisième est la floraison de toutes les fausses modernités et des pensées magiques avec le soutien complexe du néolibéralisme : revenu de base, européisme caché, laïcité petit à petit abandonnée au gré des compromissions successives, américanisation de la vie politique et sociale française, professionnalisation conformiste des élus dans le système devenant des opposants peu farouches de sa majesté, recul de la protection sociale populaire (sécurité sociale, services publics, droit social, abandon des travailleurs des quartiers populaires dérépublicanisés face à la dictature du commerce de la drogue par exemple), recul de la sécurité publique et du droit à la sûreté, recherche incessante du leader maximo sans penser par soi-même (comme si le choix du leader maximo pouvait remplacer le choix stratégique pensé et argumenté), école publique à plusieurs vitesses suivant les quartiers, etc.

… en vue de la République sociale

Reste la perspective indispensable pour aller vers elle. D’où l’intérêt de débattre du modèle politique souhaité. Là encore, ne pas confondre un programme avec le modèle politique. Eh oui, il faut un programme, un modèle politique, une stratégie claire et des tactiques respectant la stratégie nécessaire. Pour nous, c’est le modèle politique de la République sociale avec ses dix principes constitutifs, ses six exigences indispensables, et la stratégie de l’évolution révolutionnaire (Marx 1850 et Jaurès 1902) que nous mettons en débat argumenté. A noter que ce modèle inclut dans son architecture, dans le but du débat argumenté, la poursuite du volet émancipateur de la Sécurité sociale refondée, des nouveaux services publics du XXIe siècle et une remise en cause de la propriété privée lucrative et le dépassement du salariat vers celui de travailleur associé dans une entreprise possédant enfin la démocratie (1)Voir le livre « Penser la République sociale au 21ème siècle » dans la rubrique « Librairie militante » située dans la colonne de droite du site de Respublica. ! Pour produire une refondation laïque et républicaine avec l’aide de la lutte émancipatrice des classes.  Toutes choses qui n’ont pas été développées par nos ténors de la politique en cette rentrée sociale et politique… Bizarre, non ? Voilà donc notre chantier éducatif, populaire et citoyen !

Notes de bas de page   [ + ]

1. Voir le livre « Penser la République sociale au 21ème siècle » dans la rubrique « Librairie militante » située dans la colonne de droite du site de Respublica.
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Comprendre le nouveau monde

Extrait de la Phénoménologie de l'esprit

par G.W.F. Hegel

 

Le 27 août 1770, à Stuttgart, naissait Georg Wilhelm Friedrich Hegel, maître de la pensée dialectique, théoricien du monde né des Lumières et de la Révolution, professeur de toute une génération intellectuelle allemande et dont les concepts et la méthode ont directement inspiré l’oeuvre de Marx. Pour saluer les 250 ans du penseur, voici la nouvelle traduction d’une page de l’introduction à son chef-d’oeuvre, La Phénoménologie de l’Esprit (1806), où il explique en quoi le travail de la pensée, dans une période de transition entre deux mondes, est de rendre intelligible à toutes et tous le monde nouvellement advenu, dans son concept, mais aussi dans ses contradictions et ses particularités individuelles. Vaste programme, sous le patronage duquel nous pouvons nous placer pour cette nouvelle saison d’analyse théorique et stratégique d’un monde en crises multiples. [J.-L. Bothurel]

« Lever de Soleil », de Marianne Werefkin (1920)

Au demeurant, il n’est pas difficile de voir que le moment actuel est un moment d’accouchement et de transition vers une nouvelle époque. L’esprit a rompu avec le monde de son existence et de sa représentation, tel que ce monde prévalait jusqu’alors ; il est sur le point de le rejeter vers le passé et travaille à sa réorganisation. Certes, il n’est jamais au repos mais est pris dans un mouvement de progrès perpétuel. Mais de la même manière que chez l’enfant, une fois passé le long moment de la nutrition silencieuse, le premier souffle vient interrompre la progression incrémentale d’un processus de simple accroissement et qu’à l’issue de ce saut qualitatif, l’enfant se trouve désormais né, de la même manière, l’esprit qui se forme mûrit et s’approche lentement et silencieusement de sa nouvelle forme, détache une par une les particules dont est construit son monde antérieur, et le vacillement de celui-ci ne se laisse deviner que par quelques symptômes individuels ; l’insouciance et l’ennui qui viennent mordre dans l’ordre établi, l’intuition indéfinie de quelque chose d’inconnu, sont les présages que quelque chose d’autre se profile. Cet effritement incrémental ne modifiant pas la physionomie de l’ensemble est interrompu par l’aurore qui, comme l’éclair, expose d’un seul coup l’édifice du nouveau monde.

Mais la complète réalité effective fait défaut à cette nouveauté, comme elle fait défaut à l’enfant qui vient de naître ; et il est crucial de ne pas perdre de vue ce point. La première manifestation n’est que son immédiateté ou son concept ; de la même manière qu’un bâtiment est inachevé lorsque ses fondations ont été posées, de la même manière, le concept atteint d’une totalité n’est pas cette totalité elle-même. Si nous souhaitons voir un chêne, dans toute la force de son tronc, toute l’amplitude de ses rameaux et toute la masse de son feuillage, nous ne nous satisfaisons pas si à la place, on nous montre un gland. De la même manière, la science, qui couronne un monde de l’esprit, n’est pas achevée lors de son commencement. Le début de l’esprit nouveau est le produit d’une vaste révolution d’innombrables formes de développement, le prix d’un chemin aux multiple méandres et d’un effort et d’une peine tout aussi multiples. Il est la totalité repartie de sa succession et de son étendue pour revenir en soi-même, le concept simple enfin advenu de cette totalité. Mais la réalité effective de cette totalité simple consiste à ce que ces formes constituées devenues des moments se redéploient da capo et retrouvent forme, mais dans leur nouvel élément, dans le sens advenu.

Là où d’une part, la première apparition du nouveau monde n’est que la totalité voilée dans sa simplicité ou sa fondation générale, de même, d’autre part, la conscience conserve la richesse de l’existence antérieure dans sa mémoire. La forme qui apparaît nouvellement lui paraît manquer d’étendue et de spécification de son contenu ; il déplore plus encore l’élaboration formelle par laquelle les distinctions peuvent être opérées avec certitude et ordonnancées dans des conditions préalables bien établies. Sans cette élaboration, la science manque d’intelligibilité générale et donne l’impression d’être la possession ésotérique de quelques individus – une possession ésotérique : car elle n’est là que dans son concept ou son intériorité ; de quelques individus seulement : car sa manifestation sans étendue fait de son existence un fait individuel. C’est seulement ce qui est pleinement défini qui est à la fois exotérique, compréhensible et susceptible d’être appris et de devenir la propriété de tout le monde. La forme intelligible de la science, c’est le chemin qui mène à elle et qui s’offre à tout le monde et également aplani pour tout le monde, et accéder à un savoir raisonnable par la voie de l’entendement, voilà la revendication légitime de la conscience qui arrive au seuil de la science ; car l’entendement est la pensée, le Moi en tant que tel ; et ce qui s’entend, c’est ce qui est déjà connu et partagé par la science et par la conscience extérieure à la science, ce par quoi cette conscience peut accéder à la science.

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Quand l’histoire nous sert à comprendre le présent : deux ouvrages recensés

par Zohra Ramdane

 

La surpuissance des médias dominants, la faiblesse de la formation militante et de l’éducation populaire refondée auprès des citoyens, sont des causes de l’incapacité citoyenne à résister à l’hégémonie culturelle néolibérale pourtant largement contestée.

De nombreuses croyances circulent en milieu militant, malheureusement ce ne sont pas toujours les plus efficaces pour agir. Par exemple, aujourd’hui, la majorité des militants pensent que pour « renverser la table », il suffit d’un programme, d’un leader et d’idées. Errare humanum est, perseverare diabolicum ! Jamais dans l’histoire, cela ne s’est passé comme cela, jamais ! Ni la Révolution française, ni la révolution russe, ni la Sécurité sociale, etc. Deux ouvrages, entre autres, en portent témoignage. Ces livres sont de nature totalement différente mais ils mettent tous les deux la focale sur la causalité de la « force des choses » dans la compréhension des phénomènes sociaux et politiques, plutôt que sur celle du pack « idée + programme + leader maximo ». Le premier est un livre d’autodidacte relatant sa propre vie sans analyse politique. Le deuxième est l’œuvre, sans doute, du plus grand historien spécialiste de la Révolution française vivant.

Sergent de l’Armée rouge malgré moi, livre de 164 pages, imprimé à compte d’auteur, relate la propre vie de François Edelstein, sans volonté d’analyse, pour que cette existence singulière puisse au moins être connue de sa famille et de ses amis. Or c’est une tranche de vie totalement extraordinaire au sens premier du terme. Soumis aux flots de la « force des choses », il fut membre de l’armée polonaise, vécut sous l’occupation soviétique, puis déporté au goulag en Sibérie, puis sergent dans l’Armée rouge, puis de nouveau membre de l’armée polonaise, il rencontre sa future femme, rescapée d’Auschwitz-Birkenau, etc. Outre sa vie personnelle, ce livre montre le quotidien d’un juif polonais en Pologne d’avant la guerre, ce qu’était la vie réelle sous l’occupation soviétique, la réalité du goulag, le fonctionnement de l’Armée rouge, etc. En d’autres mots, ce livre renseigne beaucoup sur le réel de cette période, réel qui pour beaucoup n’a été perçu que grâce aux films de type « Hollywood » !

Le deuxième livre, Nouvelle histoire de la Révolution française, de Jean-Clément Martin, professeur émérite de la Sorbonne, ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française (éditions Perrin, 636 pages) devrait être lu par tous ceux qui souhaitent « renverser la table » de l’oligarchie qui nous dirige et constituer « des jours heureux » pour le plus grand nombre. Non pour y trouver des recettes pour produire une révolution mais tout simplement pour comprendre comment fonctionne un processus révolutionnaire commandé principalement par la « force des choses » et non pas par un leader, un programme et quelques idées.

La première partie du livre démarre au milieu du XVIIIe siècle sous un Louis XV qui tente de suivre la tendance des Lumières en pratiquant une Révolution par le haut. C’est pour l’auteur important de comprendre les enchaînements. De la prédiction de la révolution par le marquis d’Argenson, précurseur des physiocrates, en 1751 à ce qui s’est réellement passé, il y a une différence énorme. La poursuite singulière par Louis XVI de cette politique avec Turgot, contré par les ultras du camp aristocratique et par la montée de la bourgeoisie d’une part et des couches populaires d’autre part, a engendré un chemin spécifique qu’aucun intellectuel ou responsable politique n’avait initialement prévu.

Démarrée pour l’auteur en 1787, la Révolution française transforme la monarchie administrative en monarchie parlementaire avec le coup de force des Etats généraux ouvrant la séquence de la prise de la Bastille, de la nuit du 4 août et de la déclaration des droits de l’Homme le 26 août, puis la mise à disposition des biens de l’Eglise à la nation, etc. bien que tout cela n’ait pas été prévu au début de la séquence ! L’auteur montre bien les contradictions de vouloir, en même temps, maintenir la Constitution de 1791, la fidélité à la nation, à la loi et au roi dans un monde où les divisions sont fortes au sein de l’aristocratie, du clergé, de la bourgeoisie, des couches populaires, sans compter l’action importante des femmes largement sous-estimée par l’historiographie.(1)Sur ce dernier point, c’est comme pour la révolution russe qui se déclenche le 23 février 1917 en calendrier julien (correspondant au 8 mars dans le calendrier grégorien) avec une manifestation de femmes du quartier populaire de Vyborg au centre de Petrograd, sans action particulière des bolcheviks.

L’auteur montre bien l’entremêlement des évolutions de la politique religieuse, des monarchies européennes, elles-mêmes divisées ; comment on est passé d’un suffrage non universel régi par la fortune à un suffrage universel masculin ; d’une société esclavagiste à la décision d’abrogation de l’esclavage, plus tard remise en cause par Napoléon Bonaparte. Mais aussi le pourquoi de la révolution dans la révolution par la journée du 10 août 1792 ouvrant la séquence de la création de la 1ère République le 22 septembre 1792 et l’arrivée de la Convention. Puis la séquence de la Constitution de 1793 jusqu’à la chute des robespierristes suivi de la confiscation de la Révolution et enfin la prise du pouvoir par le général Bonaparte.

J.C. Martin illustre l’étendue de la réflexion et de l’action dans des domaines aussi divers que l’école, le droit civil, diverses institutions… A noter par exemple que le droit de la nationalité a été porté à un niveau bien supérieur à celui atteint au XXIe siècle par la gauche dite radicale en France !  L’auteur montre aussi le rôle révolutionnaire des « fédérés », bien oublié par la gauche dite radicale en France ! Il souligne que parmi ceux qui ont animé l’offensive finale contre Robespierre en 1794, certains « terroristes », entre autres Tallien, Fouché, Barras, Carrier ou des hommes agissant dans l’illégalité comme Fouquier-Tinville, sont ceux qui ont été les décideurs d’atrocités en province et qui se sont refait une virginité en en faisant porter au seul Robespierre la responsabilité. « L’encerclement » de Robespierre est très bien montré : les opposants à la fête de l’Etre suprême, ceux qui proviennent de la gauche comme Vadier, Amar, Billaud et Collot, les « terroristes », les « fripons » et les « pervers » et  toute la droite bien sûr.

Pour revenir sur la « Terreur », nous apprenons que la loi du 22 prairial (10 juin 1794) tant décriée corrige par certains côtés la brutalité de la loi du 19 mars 1793, que des massacres de masse sommaires existaient avant le déclenchement de la révolution, mais aussi dans la phase 1789-1791 et que la Terreur dite blanche, c’est-à-dire celle de la droite contre la gauche a été d’une grande violence après l’élimination de Robespierre.
Et l’auteur montre bien que la menace royaliste est constante, y compris après la chute de Robespierre, ce qui pousse certains à soutenir le général Bonaparte contre cette menace.

A lire absolument.

 

Notes de bas de page   [ + ]

1. Sur ce dernier point, c’est comme pour la révolution russe qui se déclenche le 23 février 1917 en calendrier julien (correspondant au 8 mars dans le calendrier grégorien) avec une manifestation de femmes du quartier populaire de Vyborg au centre de Petrograd, sans action particulière des bolcheviks.
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Questions de théorie et de stratégie écosocialistes

par Jean-Louis Bothurel

 

Clarifications doctrinales

De la vraie-fausse vague verte aux élections municipales à la convention citoyenne pour le climat, des cinquante nuances de « Green New Deal » au « Tous Écologistes » du gouvernement de Jean Castex, le débat public en France continue à être significativement marqué par les tentatives de prendre en compte des enjeux écologiques, et notamment climatiques, mais aussi (surtout ?) l’écho que ces questions rencontrent dans le corps civique. Depuis le succès des « marches pour le climat » et l’émergence de groupes radicaux très visibles comme Extinction Rébellion, la réflexion économique, sociale et stratégique sur l’écologie s’accélère. Mais comme à l’accoutumée, cette accélération circonstancielle ne va pas toujours sans embardées opportunistes ni sans effusions approximatives. Dans un tel contexte, la question de la formulation d’un corpus politique commun au mouvement social et au mouvement écologique, au-delà des « alliances » déjà essayées ou fantasmées de longue date, se pose avec d’autant plus d’acuité. La parution au Temps des Cerises de l’ouvrage de Michael Löwy, Qu’est-ce que l’écosocialisme ?, tombe donc à point nommé. Michael Löwy est certainement l’un des penseurs les plus significatifs de ce courant international qui tente, depuis maintenant une vingtaine d’années, une synthèse théorique et stratégique entre le socialisme marxiste et l’écologie politique, et qui est incarné en France d’abord par les héritiers de l’ex-LCR, qui a introduit la notion d’écosocialisme en France (NPA, Ensemble), puis plus récemment par des militants dans les organisations successives de Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche, dans une moindre mesure France Insoumise). Cet ouvrage rassemble des textes assez brefs sur diverses questions de l’écosocialisme. Il forme un ensemble relativement homogène, malgré quelques redites ici ou là, et propose un bilan des réflexions auxquelles Löwy a contribué. Ce faisant, il constitue une étape importante dans la stabilisation doctrinale de l’écosocialisme, en tout cas dans la sphère francophone.

Franz Marc – « Paysage avec Maison, chien et boeuf », 1914

De quoi parle-t-on ?

Le titre de l’avant-propos, « Avant le déluge », pourrait renvoyer à un défi stratégique considérable que doivent relever les militants écologistes attachés à la transformation sociale, en France notamment : la tentation de l’attente impuissante de la catastrophe associé à la mouvance « effondriste », pour reprendre l’étiquette judicieusement proposée par Daniel Tanuro (autre figure importante de l’écosocialisme francophone) à propos de la « collapsologie ». De façon générale, le principal complément que cet ouvrage requiert serait discussion serrée des défis posés à la fois par la « collapsologie » et par les théories de la décroissance, qui sont certes évoquées rapidement à deux reprises mais mériteraient sans doute un travail plus précis. Ce thème n’est pourtant pas traité dans le recueil, en partie sans doute du fait de la date de composition des essais qui en constituent la trame. Mais, on le verra, certains développements permettent d’esquisser une première réponse stratégique à cette tentation.

Commençons par un balayage du recueil. Le passage le plus pertinent de « Avant le déluge » est certainement l’historique du concept d’écosocialisme. Un recueil comme celui-ci ayant toujours ipso facto un rôle de consolidation doctrinale voire de canonisation de certaines propositions ou formules, la perception de l’histoire de l’écosocialisme qui y est véhiculée est à la fois à prendre avec une certaine distance, et révélatrice d’un certain nombre de choix théoriques et stratégiques. En l’occurrence, Löwy insiste à la fois sur le caractère d’emblée international de l’écosocialisme dès son émergence à la fin des années 1980 et dans les années 1990 à partir de travaux et de mobilisations de l’aile gauche du mouvement écologiste ; sur ses liens avec la mouvance altermondialiste ; plus discrètement, sur l’importance de la contribution politique des intellectuels proches de la Quatrième Internationale (Secrétariat Unifié), dont Löwy et Tanuro; sur la centralité des Amériques, et notamment du Brésil, dans l’articulation politique de ces thèses. Ce bref historique, appuyé sur la reproduction, en annexe, des textes des années 2001 à 2009 dans lesquels le programme écosocialiste s’articule pour la première fois, notamment pour ce qui est de la scène politique et militante francophone.

Marxisme et écosocialisme

La première grande partie de l’ouvrage est consacrée à la définition d’un « Socialisme écologique ». Le premier chapitre, qui définit l’écosocialisme, est une lecture qu’on ne saurait trop conseiller : il pose des contours idéologiques et théoriques clairs, ainsi qu’une vision programmatique en deux temps : une vision générale de la société socialiste écologique, mais aussi des mesures d’urgence intéressantes : promotion de transports publics propres et accessibles ; évolution révolutionnaire vers la gratuité des transports, dont on observera qu’elle implique aussi un travail sur les infrastructures (point sur lequel Löwy passe sans doute trop vite), puisqu’il s’agit de changer totalement de mode d’aménagement du territoire; annulation de la dette, investissement dans la santé publique ; lutte contre les intérêts des grandes entreprises capitalistes dans les domaines vitaux où elles exercent une pollution intenable: air, eau, alimentation ; enfin, réduction du temps de travail, à la fois dans un objectif d’émancipation sociale et de décélération technique et productive.

Le chapitre suivant propose une réflexion théorique passionnante (bien qu’encore relativement inaboutie) sur les modalités d’organisation démocratique de la planification écosocialiste. Löwy s’y livre à une critique de la planification bureaucratique et y invoque les travaux d’Ernest Mandel, tout en prenant en considération (critique) les travaux des économistes « participalistes » ; enfin, il s’y livre à une critique, qu’on aurait souhaitée plus longue, de la décroissance, dont Löwy souligne, non sans raison, qu’en se pensant contre la croissance, elle encourt le risque de reproduire un fétichisme de la quantité en se contentant d’en inverser la polarité, alors même que selon lui, l’hégémonie du prisme quantitatif fait déjà partie du problème.

La deuxième section est consacrée au lien entre marxisme et écosocialisme. Elle s’ouvre par une discussion des thèses de Marx et Engels sur la production industrielle et agricole et son rapport à la nature. Löwy a la grande honnêteté de ne pas vouloir faire à tout prix de Marx un penseur de l’écologie, ce qu’il n’est pas et ne pouvait guère être. Il renonce également aux extrapolations filandreuses sur une éventuelle dimension écologique d’un quelconque humanisme marxiste, pour se concentrer sur une lecture précise des textes et sur une périodisation en trois temps (la période des manuscrits de 1844, où Marx professe une anthropologie philosophique insistant sur la naturalité de l’homme ; la période des Grundrisse, assez conforme à l’image productiviste qu’on se fait souvent de Marx ; le Capital, qui rouvre une réflexion sur l’appauvrissement de la nature par le capitalisme, sous l’influence de Liebig). Pour Löwy, il n’en est pas moins inexact de voir dans le Capital les prémisses d’une réflexion sur un conflit entre le capital et la nature ; la nature, et notamment les sols, sont partie prenante des conflits et contradictions qui travaillent le capitalisme lui-même, contradictions qui se manifestent par les crises à répétition des économies capitalistes.

Les crises et catastrophes écologiques sont donc un aspect à part entière des crises récurrentes provoquées par le mode de production capitaliste. On peut définir le point de vue de Löwy comme immanentiste en ce sens que pour lui, il n’y a pas d’extériorité des enjeux écologiques vis-à-vis des termes de l’analyse du capital, pas plus qu’il n’y a d’extériorité de la nature au mode de vie et au mode de production qui prévalent dans la société capitaliste. L’enjeu n’est pas le rapport entre environnement et (anti)capitalisme, mais la place de l’environnement dans le capitalisme, et dans l’anticapitalisme. Cela signifie que si Marx et Engels n’ont pas pensé les enjeux environnementaux en tant que tels, en tant que penseurs du capital, ils n’en ont pas moins des choses à nous dire sur ces enjeux. En particulier et de façon entretemps assez classique chez les marxistes soucieux de problématiques environnementales, Löwy évoque à plusieurs reprises le caractère fondamental de l’opposition entre valeur d’échange et valeur d’usage. L’écosocialisme est un socialisme en ce qu’il rompt avec le fétichisme de la marchandise et réaffirme l’unique pertinence de la valeur d’usage – ce qui fait des modalités sociales de fixation de la valeur un enjeu politique crucial d’une théorie de l’écosocialisme. Ces réflexions sur Marx et Engels sont complétées un bref texte sur la critique des conceptions linéaires du progrès et sur la capacité de l’innovation capitaliste à produire la mort et l’empoisonnement. Ce texte est centré sur la figure et l’œuvre de Walter Benjamin, qui accompagne la réflexion de Michael Löwy depuis de longues années. On n’y reviendra pas ici, dans la mesure où d’autres textes récents de Löwy sur Benjamin permettraient une discussion plus intéressante.

Quelles luttes écosocialistes ?

La troisième section est consacrée à trois « aspects du combat écosocialiste » : son lien avec l’altermondialisme ; sa dimension éthique ; la centralité de son combat contre la publicité, instrument de domination collective, d’entretien de désirs aliénés et de promotrice de la surconsommation et de la surproduction. La question du fétichisme de la marchandisme, qui affleure dès que Löwy argumente en termes marxistes dans le recueil, pourrait également être convoquée ici, dès lors que la publicité, en régime capitaliste, joue un rôle majeur dans l’acquiescement collectif à ce fétichisme et à la détermination des valeurs par un mode mercantile plutôt que sur la réalité d’un usage, en changeant les besoins et les désirs pour les ajuster aux intérêts d’un marché.

Il convient de souligner la grande pertinence du chapitre consacré à l’éthique écosocialiste, puisqu’il s’agit là d’une tentative finalement assez rare de penser une éthique à partir d’une perspective politique révolutionnaire, à rebours de certains prêchis-prêchas réformistes prônant la transformation de l’eau tiède « bienveillante » en agenda politique, ou pseudo-politique. Löwy montre de façon très convaincante comment les défis sociaux et écologiques auxquels il s’agit de répondre dans le sens de l’émancipation humaine commandent à leur tour un certain nombre de principes : humanisme (au sens fort, celui d’un refus de la diffamation d’une humanité pécheresse vis-à-vis d’une nature déifiée) ; égalitarisme ; démocratie ; radicalisme ; l’éthique écosocialiste, surtout, est une éthique intrinsèquement sociale et émancipatrice, qui s’inscrit en faux contre la culpabilisation des personnes et l’apologie réactionnaire de l’autolimitation. Elle repose sur un pari qui semble voué à devenir un classique, et sur lequel on pourrait souhaiter un travail philosophique et politique de plus grande ampleur : la dialectique du principe espérance et du principe responsabilité, sans que l’un ne doive plier devant l’autre.

La quatrième section est consacrée à deux études de cas. La seconde est en fait une analyse de l’apparition de l’écosocialisme sur la scène théorique états-unienne, et complète bien les développements précédents sur marxisme et écosocialisme. La première étude de cas, elle, porte sur la mobilisation exemplaire de Chico Mendes et des mouvements paysans brésiliens, contre la déforestation et l’exploitation capitaliste, industrielle, raciste et militarisée des ressources naturelles et agricoles au Brésil. Ce n’est pas ici le lieu pour revenir sur cette trajectoire, mais le travail stratégique sur l’écosocialisme gagnerait en effet à s’appuyer sur cette expérience originale d’écosocialisme émergeant à l’intérieur même d’une lutte précise, sectorielle pourrait-on dire : il ne s’agissait pas de faire « converger les luttes », pour reprendre une formule totémisée, mais à l’inverse, de reconnaître la part de généralité (osons écrire : d’universalisme) d’une lutte particulière. Avant la reproduction des annexes déjà évoquées, l’ouvrage se conclut « treize thèses sur l’écosocialisme » qui en font la synthèse. Toutefois, à la lecture, il est difficile de ne pas éprouver le sentiment que la déclaration internationale de Belem (2009), reproduite parmi les annexes, aurait été la meilleure « conclusion » possible à cet ouvrage, dans la mesure où comme le chapitre 1 mais avec davantage d’acuité, cette déclaration aborde le problème stratégique majeur qui se pose aujourd’hui à l’écosocialisme : celui de la double temporalité entre la vision écosocialiste dont la réalisation est aujourd’hui un impératif, et la diversité des luttes locales ou sectoriel, qu’elles soient défensives comme c’est souvent le cas ou qu’elles ambitionnent de créer un premier « déjà-là » écosocialiste qu’il s’agirait ensuite de mettre en réseau avec d’autres tentatives, dans ce qu’il est entretemps convenu d’appeler un archipel de luttes.

Enjeux stratégiques et double besogne

En définitive, cette tension, qu’il serait si pratique de réduire à une opposition banale entre grand soir et petits pas, voire entre réforme et révolution (même si les véritables tenants de hiérarchisation des luttes sont généralement tout sauf des réformistes…), renvoie en fait à la fameuse « double besogne, quotidienne et d’avenir » théorisée depuis longtemps au sein du mouvement ouvrier (avec un lot de conflits très importants, jusqu’à aujourd’hui) et à la question stratégique d’un partage des deux besognes entre différentes organisations, partage mis en avant dans certaines lectures de la Charte d’Amiens, nié dans d’autres, qui relèvent non sans raison que l’indépendance du syndicat vis-à-vis des partis, dans la Charte d’Amiens, n’est pas justifiée par la double besogne puisque la CGT revendiquait justement d’effectuer les deux temps du travail d’émancipation sociale.

On pourrait rejouer à l’infini ce débat, si la prise en compte du facteur écologique n’induisait pas une différence majeure dans l’ordre de la temporalité : la perspective écologique réintroduit l’idée d’une borne temporelle, soit confusément (l’éventuel « épuisement » de la nature), soit très explicitement (un point de non-retour dans le réchauffement climatique et/ou un effondrement de la biodiversité). La question de l’échéance à partir de laquelle les objectifs de sauvegarde écologique ne seront plus réalisable est un fait nouveau dans la théorie stratégique socialiste. Elle interdit de considérer le socialisme ou l’écosocialisme comme un « horizon » asymptotique, ce qui était un penchant réel de la IIe Internationale, entre autres sous l’effet d’une filiation très forte vis-à-vis de l’héritage « progressiste » des Lumières. L’effondrisme, sur ce point, a les qualités de ses défauts : la tentation de la capitulation à l’échelon global car « c’est trop tard » a le mérite de pointer du doigt les impensés du sempiternel « il n’est pas trop tard », « il est encore temps ». Les « collapsologues », sur ce point, auraient toute légitimité à retourner l’argument à leurs détracteurs : « est-ce à dire qu’il faudrait cesser la lutte s’il n’était plus temps ? ». Si la réponse est non, comme elle doit l’être, cela signifie qu’outre un travail sérieux sur les modalités de conquête et d’occupation du pouvoir, il va falloir poser la question, tôt ou tard et plutôt tôt que tard, d’une stratégie écosocialiste « Plan A / Plan B », pour reprendre une formule popularisée par certains débats sur la révision des traités européens – mais cette fois, le plan B serait le plan écosocialiste pour empêcher qu’un dérèglement écosystémique irréversible et de grande ampleur n’aille de pair avec un nouvel âge des ténèbres. Pour reprendre une formule d’à-peu-près Rosa Luxemburg fréquemment utilisée dans cette mouvance, l’alternative est entre écosocialisme et barbarie.

Trois études de cas et les leçons

De cette possibilité de la barbarie, l’ouvrage de Razmig Keucheyan La Nature est un champ de bataille (La Découverte) nous donnait un aperçu au présent, dès 2014, via l’analyse de trois théâtres de conflits dont l’actualité, en ces temps pandémiques, saute aux yeux : le lien entre dégâts écologiques et discriminations raciales ; la financiarisation des crises écologiques et le traitement, par les compagnies d’assurance et les États, des risques d’effondrement économique induits par un éventuel cataclysmique environnemental ; la militarisation du traitement des catastrophes naturelles, et la question des guerres environnementales. L’essai de Keucheyan complète idéalement le travail de Löwy en donnant à voir le « déjà-là », non de l’écosocialisme, mais de la barbarie, mais aussi en donnant davantage de prise aux réflexions théoriques via le choix d’angles d’attaque très spécifiques.
Prenons ses analyses sur la potentialisation des dégâts écologiques par l’existence de discriminations raciales systémiques. Ce chapitre permet d’ailleurs une excellente introduction dépassionnée à cette question des discriminations systémiques, ce qu’elles sont et ce qu’elles ne sont pas, introduction fort indiquée dans le contexte français actuel. Centré sur des exemples de luttes locales qui ne sont pas sans évoquer ce que Löwy dit de Chico Mendes, cette étude montre combien la perspective écosocialiste est à même de fédérer les luttes par leur élargissement et la reconnaissance de leurs tenants et aboutissants, et non par une juxtaposition paresseuse. Ces exemples historiques d’une dialectique féconde du particulier et de l’universel constituent une ressource stratégique précieuse pour la pensée stratégique d’une fédération populaire au service du programme écosocialiste.

C’est surtout sur le plan du discours analytique et programmatique qu’on tirera profit du chapitre sur la financiarisation des crises écologiques, qui s’appuie sur une étude précise de ses enjeux assurantiels et des défis que les catastrophes écologiques, et leurs conséquences économiques, posent aux acteurs habituels de la réassurance. Après un rappel historique relativisant très justement le caractère nouveau de la financiarisation du capitalisme, Keucheyan s’intéresse aux solutions mises en œuvre, notamment la titrisation des obligations souscrites pour couvrir les risques majeurs, ainsi que le recours aux obligations d’État ; Keucheyan montre bien le rôle central de l’institution étatique comme garante de la pérennité du capitalisme face aux catastrophes qu’il provoque lui-même, le cas échéant par sa passivité. Toute ressemblance avec les plans de relance de l’été 2020 est bien sûr fortuite. Outre que l’on touche là à un enjeu central dans l’alliance à nouer entre mouvements écologistes, syndicats et forces politiques, la question de l’intervention étatique comme ultime recours du capitalisme en période de crise paroxystique ne fera sans doute que gagner en intensité dans le débat stratégique entre socialistes, et cet exemple circonscrit mais universel représente un complément opportun aux analyses en cours sur les plans de relance de 2020. Enfin, la question de la militarisation des questions écologiques est doublement intéressante : d’un point de vue diplomatique et géopolitique bien sûr, mais aussi pour toute réflexion sur la démocratie et, à nouveau, les moyens d’intervention de l’État en période de crise paroxystique. C’est que l’armée a la réputation, méritée ou non, d’être une excellente gestionnaire de crise, habituée qui plus est à intégrer les questions environnementales dont son traitement des fronts d’intervention. Sur ce point comme sur celui de la financiarisation, l’ouvrage souligne des convergences intéressantes entre le traitement des catastrophes écologiques et celui du terrorisme. En creux, on voit donc se dessiner les modalités de gestion de la crise écologique par un complexe technocratique autoritaire – pour paraphraser Eisenhower, on serait tenté d’écrire : militaro-financier.

Les conclusions à en tirer sont prévisibles : d’abord et bien sûr, la centralité de l’internationalisme dans le combat écosocialiste – un « bien sûr » qui ne doit pas nous faire oublier que l’extrême-droite, depuis plusieurs années maintenant, a commencé à se doter de son propre « Plan B » en vue d’une période post-catastrophe écologique, et que ce plan B est bien sûr le localisme ethnique et national. Au-delà de cette inscription internationale du programme écosocialiste, la leçon de ces études de cas, qui transparaît également à plusieurs reprises chez Löwy, est la mise en avant explicite des libertés fondamentales et démocratiques comme élément incontournable dans le corpus idéologique écosocialiste, ce qui implique des alliances en conséquence dans la société civile. C’est également là la meilleure façon aussi de se prémunir contre l’autoritarisme rampant de certains secteurs de l’écologie bourgeoise, dont on ne doit pas oublier qu’elle est d’abord bourgeoise avant d’être accessoirement écologique, si bien que pour certains de ses représentants « illibéraux », le point de non-retour écologique ressemblerait assez vite à une aubaine.

Et maintenant ?

Ce tour d’horizon rapide et forcément partiel et partial permet d’isoler quelques chantiers programmatiques importants pour la mouvance écosocialiste. Citons trois chantiers :

– l’entrée dans une logique Plan A / Plan B, dont le second volet, comme souvent, va demander un difficile travail d’élaboration, de remise en cause des certaines facilités idéologiques, mais aussi une réflexion tactique, rhétorique presque, sur son acceptabilité politique et électorale.
– un travail économique, sociologique et philosophique sur les cadres de délibération collective d’une planification écosocialiste démocratique, et ses implications institutionnelles et constitutionnelles ; le volet écologique d’un programme constituant ne peut pas se résumer à des mesures-barrière comme la règle verte.(1)En particulier, la règle verte, c’est-à-dire l’interdiction constitutionnelle de prélever plus dans l’écosystème en un an que ce qu’il est en situation de reconstituer dans le même laps de temps, pose des problèmes théoriques réels du fait de son origine dans les conceptions ordolibérales du droit : la règle verte est directement inspirée de la « règle d’or », l’interdiction constitutionnelle des déficits budgétaires et s’inscrit de ce fait dans une tradition technocratique de constitutionnalisation de dispositions législatives, dont la généalogie a bien été établie par Grégoire Chamayou dans son ouvrage La société ingouvernable (La Fabrique). La question des libertés fondamentales et de leur définition, en particulier dans un contexte où un point de non-retour écologique aurait été atteint avec des conséquences majeures pour le fonctionnement de la société, n’a pas fini de se poser et appelle des réponses qui ne soient pas strictement défensives. La réflexion sur les droits civiques et la lutte contre les discriminations structurelles s’inscrit aussi dans ce cadre. En outre, dans une situation de crise sociale, les réponses institutionnelles devront faire corps avec une vision explicite de ce que sont les libertés démocratiques, vision appuyée sur une éthique sociale, tout en gardant en tête qu’aucun gouvernement républicain et émancipateur ne saurait constitutionnaliser une éthique.
– par ricochet, la question de l’État doit être posée pour elle-même (et pas seulement par le biais de la constitution). Cela vaut pour les diagnostics du présent comme pour les perspectives programmatiques ; le mouvement ouvrier français, qui dispose du précédent de la Sécurité Sociale, a un rôle important à jouer dans la réflexion sur des cadres socialisés de contrôle de la valeur qui ne seraient pas forcément étatiques.

Ces enjeux programmatiques ne peuvent que difficilement être séparés de la question des choix stratégiques et des alliances à conclure. On l’aura senti, pour l’auteur de ces lignes, la démarche d’élargissement des luttes à partir de la reconnaissance de ses tenants et aboutissants est plus prometteuse que la « convergence » habituelle. S’il existe des précédents de luttes ayant su franchir ce pas, le défi central est bien sûr de trouver un front qui permette, au-delà d’un élargissement, une généralisation. L’initiative des 18 organisations du mouvement social, démocratique et écologique réunies par la CGT en avril constitue, à cet égard, une avancée majeure et un modèle. Le problème rencontré par une initiative de ce type est classique : elle ne peut véritablement prendre corps et durer que si une vision commune explicite unit ses principaux acteurs ; mais sans un patient travail politique préalable, l’explicitation précipitée de cette vision obère les possibilités de fédération. Tout cela est encore compliqué par le fait que nous n’avons pas forcément le temps d’être patients… A contrario, la vie politique française étant écrasée par l’élection présidentielle, il s’agit sans doute surtout d’avancer, le cas échéant en désordre, pour organiser l’espace politique émancipateur de telle façon que la personne qui se trouvera l’incarnée, quelle qu’elle soit, doive se faire la porteuse du corps doctrinal de gouvernement révolutionnaire dont 2022 pourrait (et devrait) permettre la cristallisation.

Notes de bas de page   [ + ]

1. En particulier, la règle verte, c’est-à-dire l’interdiction constitutionnelle de prélever plus dans l’écosystème en un an que ce qu’il est en situation de reconstituer dans le même laps de temps, pose des problèmes théoriques réels du fait de son origine dans les conceptions ordolibérales du droit : la règle verte est directement inspirée de la « règle d’or », l’interdiction constitutionnelle des déficits budgétaires et s’inscrit de ce fait dans une tradition technocratique de constitutionnalisation de dispositions législatives, dont la généalogie a bien été établie par Grégoire Chamayou dans son ouvrage La société ingouvernable (La Fabrique).
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Propagande antifiscale, ou l’antienne reprise par Emmanuel Macron le 14 juillet 2020

par Philippe Duffau

 

Pour argumenter son refus d’augmenter les impôts des plus riches, Emmanuel Macron, lors de son allocution du 14 juillet 2020, a prononcé les mots suivants : « Nous sommes l’un des pays où la fiscalité est la plus importante. » 

Cette assertion, répétée depuis en boucle jusqu’à l’overdose, relève de la propagande antifiscale et mérite des éclaircissements, des mises au point nécessaires. En effet, si le poids des prélèvements obligatoires exige un débat démocratique et transparent, la question de la répartition des efforts fiscaux demandés aux contribuables est d’importance.

Notre système fiscal est-il juste ? La proportion des différents types de prélèvements, du plus injuste au plus juste, du régressif (TVA) au progressif (impôt sur le revenu) en passant par la CSG (proportionnel) et la distribution des dividendes (autre forme de ponction sur les richesses créées) répond-elle à la revendication d’une réelle équité fiscale afin que le consentement à l’impôt soit universellement accepté par nos concitoyens ? Les essais pour répondre à ces questions permettraient d’élever le débat en dépassant les clichés ultralibéraux ou néoconservateurs.

L’ouvrage de Thomas Guenolé, parmi d’autres, intitulé Antisocial, La guerre sociale est déclarée (février 2018) aux Editions Plon, Tribune libre, aide à y voir plus clair.

Paie-t-on trop d’impôts en France ?

Taux de prélèvements obligatoires

C’est l’instrument qui permet de mesurer le pourcentage de la richesse créée par tous les acteurs économiques du plus bas de l’« échelle » sociale au plus haut et qui alimente les recettes fiscales. A propos de l’expression du plus bas de l’« échelle » sociale n’oublions pas que les soutiers de l’économie sont celles et ceux qui ont maintenu la société à flot durant la longue période de confinement.

La France n’est pas un ogre fiscal.

Comparons avec des pays similaires en prospérité à la France.

La France a bien une pression fiscale la plus élevée (OCDE, Recettes fiscales, données 2013) :

  • France, 45,2 % de la richesse produite en un an (2018 : 46,9 % )
  • Italie, 44 % (2018 : 42,05 % )
  • Allemagne,36,4 % (2018 : 33,54 % )
  • Royaume-Uni, 32,5 % (2018 : 45,2 % )

En réalité, une partie de ces recettes n’est pas dépensée par l’Etat mais repart directement dans la poche des habitants sous forme d’aides sociales. Cet argent ne fait que transiter par les caisses publiques pour retourner à la population. Ainsi, pour établir un comparatif valable, il faut enlever cette partie des recettes fiscales globales.

dessin Deligne – DR

Aides sociales versées aux habitants en %  de la richesse produite en un an ;

  • France, 19,2 %
  • Royaume-Uni, 10,7 %

La part de la richesse captée par les pouvoirs publics se ramène pour la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni entre 22 % et 26 %.

Ainsi, la France n’est pas un ogre fiscal. La fiscalité française n’est pas confiscatoire.

Captation de la richesse produite en une année par l’impôt sur le revenu des ménages (OCDE, impôt sur le revenu des personnes physiques 2015) :

  • France : 8,6 % (2018 : 9,47 % )
  • Royaume-Uni : 9 % (2018 : 9,12 % )
  • Allemagne :10 % (2018 : 10,37 % )

… par l’impôt sur les sociétés (OCDE, impôt sur les bénéfices des sociétés 2015) :

  • France : 2,11 % (2018 : 2,11 % )
  • Royaume-Uni : 2,45 % (2018 : 2,88 % )
  • Japon : 4,26 % (2018 : 4,13 % )

… par l’impôt sur le patrimoine :

  • France : 4,172 % (2018 : 4,112 % )
  • Royaume-Uni : 4,038 (2018 : 4,137 % )

… par l’impôt sur les biens et services, TVA :

  • France : 11 % (2018 : 11,505 % )
  • Allemagne :10,06 % (2018 : 10,020 % )
  • Royaume-Uni :10,7 % (2018 : 10,718 % )
  • Italie :11,7 % (2018 : 11,883 % )

… par les cotisations sociales, seules différences importantes :

  • France : 17 % (2018 : 16,088 % )
  • Allemagne : 14 % (2018 : 14,091 % )
  • Italie : 13 % (2018 : 13,093 % )
  • Royaume-Uni : 6 % (2018 : 6,399 % )

C’est cela qui permet de mener une politique de redistribution des richesses plus importantes que les autres pays d’économie et de taille équivalentes. Les 3 % d’écart avec l’Allemagne (plus que 2 %  en 2018) ne justifie pas de qualifier le niveau de cotisations sociales en France d’indécent.

Le vrai problème : le prélèvement excessif de dividendes par les actionnaires des grandes firmes françaises.

En 2016, selon la firme financière « Janus Henderson Investors », 50 milliards d’€ de dividendes ont été distribués soit une hausse de 12 % par rapport à 2015.

Cette ponction entraîne un manque important pour les dépenses d’investissements. C’est encore plus grave en ce qui concerne les grandes firmes bancaires qui, ainsi, refusent environ un tiers de demandes de crédits de trésorerie formulées par les Très Petites Entreprises (Banque de France, Accès des entreprises au crédit, 2016).

Certaines firmes vont même jusqu’à augmenter le montant des dividendes alors que la valeur de l’action baisse dans le même temps (Libération, 2017, Total).

Selon Vernimmen, le montant des dividendes versés est sans rapport avec la croissance économique réelle :

– de 2003 à 2007, multiplié par 2,6,

– de 2007 à 2009, chute due au krach boursier,

– 2014 : retour au sommet atteint en 2007. (Selon le n°175 de la Lettre de Vernimmen, en 2019, les groupes du CAC 40 ont distribué l’an passé 60,2 milliards d’euros à leurs actionnaires, que ce soit via des dividendes (49,2 milliards d’euros) ou des rachats d’actions (11 milliards d’euros), dépassant l’ancien record de 2007).

Exil des riches physiquement et sortie de l’argent en raison d’une imposition trop lourde en France : affirmation contredite par la réalité.

En 2015, l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation) a démontré que HSBC a fait transiter dans les paradis fiscaux ou plutôt les trous noirs fiscaux, entre 2006 et 2007, plus de 200 milliards de dollars sur les comptes de 100.000 clients et de 20.000 sociétés offshore, concernant 188 pays. Parmi les principaux pays concernés, nous trouvons aussi bien des Etats où la pression fiscale dépasse les 40 % de la richesse annuelle produite que d’autres comme les Etats-Unis d’Amérique ou la Suisse où celle-ci tourne autour de 25 % . Cela démontre que quelle que soit le niveau de la pression fiscale, celles et ceux qui décident de devenir un déserteur un déserteur fiscal sont motivés par la volonté de ne pas contribuer à la bonne marche du pays qui lui a permis de créer sa fortune et de la conserver. C’est l’illustration de l’expression de Karl Marx qui évoque « les eaux froides du calcul égoïste ». Ces déserteurs fiscaux profitent des avantages du pays d’accueil sans honorer les contreparties prévues pour assurer la pérennité des services publics qui fautes de moyens ont tendance à se détériorer.

Réforme hypocrite de l’ISF devenue depuis IS Foncier en 2017

L’objectif de cette réforme était de récupérer les personnes qui quittent la France en raison de l’ISF soit 0,2 % (500 personnes selon l’économiste Thomas Porcher) des contribuables assujettis à cet impôt soit 170 millions d’€. Ainsi, la transformation de l’ISF en IS Foncier permet de récupérer 170 millions d’€ tout en perdant 4 milliards de recettes fiscales…

Cette réforme serait faite pour lutter contre la fuite des talents. Comparons la situation de pays comparables au nôtre :

  • Moins de 5 % de la population française hautement qualifiée expatriée,
  • Plus de 7 % en Allemagne,
  • 15 % au Royaume-Uni

Selon le magazine Chalenges en 2017, « La fortune du top 10 a progressé de 35 %  en un an. Et depuis 1996, la fortune des 10 premiers a été multipliée par 12. »

Selon « Forbes » en 2017, la France se classe en septième destination mondiale la plus attractive pour les investissements.

Bref, le cliché présentant la France comme un enfer fiscal est infondé. Ce n’est pas parce qu’une analyse faussée et contredite par la réalité des chiffres est déclinée à l’infini qu’elle devient vérité.

Injustice du système fiscal français pour les classes moyennes et populaires

Notre système fiscal est-il progressif comme pour l’impôt sur le revenu, proportionnel ou régressif ? Pour être socialement juste, il devrait être globalement, en prenant la totalité des prélèvements obligatoires, progressif.

Régressif : plus le contribuable est pauvre, plus le %  prélevé augmente. C’est le cas avec la TVA.

Proportionnel : moins injuste que le « régressif » mais injuste quand même. Prélever 10 ou 20 % d’un revenu au SMIC (1.539,42€ brut) ou d’un revenu supérieur à 5.000€/mois ne suppose pas le même effort fiscal.

Progressif : plus le contribuable est riche plus le % prélevé est élevé. C’est, socialement, le système le plus juste car aboutissant à un effort fiscal équitablement réparti.

Pris dans sa totalité, le système fiscal français est régressif et profondément injuste :

  • La moitié la plus pauvre de la population française (entre 1.000 et 2.000€ brut/mois) se voit prélever en moyenne 45 % de son revenu.
  • Les 40 % suivants (entre 2.300 et 5.100€ brut/mois), 48 à 50 % de leurs revenus.
  • Les plus riches (au-delà de 6.900€ brut/mois) voient leurs prélèvements obligatoires baissés jusqu’à 35 % pour les 0,1 % les plus aisés.

Poids des différents types de prélèvements obligatoires :

  • CSG : proportionnel donc injuste puisqu’il prélève le même % que l’on soit riche ou pauvre. Ses recettes font le double de celles de l’impôt sur le revenu qui lui est progressif.
  • TVA : prélèvement encore plus injuste car en proportion des revenus, il pèse plus lourd sur les contribuables les moins aisés. Ses recettes font le quadruple de celle de l’impôt sur le revenu.

Ceci montre que les impôts les plus injustes pour les plus pauvres rapportent le plus en termes de recettes fiscales ;

Dessin Loup – DR

Plus on est un fraudeur riche moins on risque d’être poursuivi.

Cette injustice criante s’aggrave si nous prenons en compte la question des riches qui pratiquent la fraude fiscale que l’administration fiscale volontairement ou par manque d’effectifs en inspecteurs ne poursuit que rarement. La Cour des comptes a pointé du doigt le fait que les poursuites se font sur « les fraudes faciles à sanctionner et non sur les plus répréhensibles ».

Quelques mesures pour que le système fiscal devienne un outil efficace pour répondre à l’exigence d’efficacité économique et surtout de justice sociale ?

Mesures pour définanciariser l’économie :

  • Séparer les banques d’affaire et de détail,
  • Contrôler les mouvements de capitaux,
  • Instaurer une taxe sur les transactions financières,
  • Moduler les droits de vote des actionnaires selon la durée d’engagement dans l’entreprise,
  • Moduler l’impôt sur les sociétés selon l’usage des bénéfices pour encourager l’investissement en France,
  • Interdire aux entreprises de distribuer un montant de dividendes supérieur à leur bénéfice,
  • Interdire les licenciements boursiers et le versement de dividendes dans les entreprises ayant recours à des licenciements économiques,
  • Accorder le droit de veto aux Comités d’entreprises sur les plans de licenciement (démocratie sociale),
  • Instaurer un barème progressif pour l’impôt sur les sociétés et établir l’égalité entre PME ou TPE et les grands groupes,
  • Lutter efficacement contre l’évasion fiscale et la fraude fiscale en renforçant les moyens de l’administration fiscale et des douanes (Une étude a montré que l’efficacité de ces deux administrations baissent du fait du manque de personnel et de moyens techniques suffisants),
  • Mesures fiscales incitatives pour favoriser les investissements « écologiques »,

Mesures pour aller vers plus de justice sociale en privilégiant les prélèvements progressifs :

  • CSG, plusieurs options : La réformer la CSG dans le sens d’un prélèvement progressif et non plus proportionnel, supprimer les 70  de sa part salariale pour les transformer en cotisations sociales ou encore fusionner avec l’impôt sur le revenu pour assurer les recettes de la Sécurité sociale et de l’Etat,
  • Rendre l’impôt sur le revenu plus progressif en passant d’un barème à 14 tranches en lieu et place des 5 tranches actuelles,
  • 100 % d’impôt pour la tranche au-dessus de 20 fois le revenu médian (environ 1 780€ net/mois soit au-dessus de 35.600€ net/an),
  • Réduire le poids de la TVA dans les recettes fiscales. Dans le même temps diminuer la TVA sur les produits de première nécessité et rétablir une « TVA grand luxe »,

En conclusion, plutôt que de gloser sur le poids fiscal qui serait prohibitif en France, ce qui n’est de loin pas la réalité, il serait plus pertinent de réfléchir à la mise en œuvre de barèmes plus progressifs, socialement plus justes en répartissant l’effort consenti de chacun et chacune de manière équitable et économiquement plus efficaces. La pierre angulaire d’une telle « révolution » fiscale est l’intérêt général humain dans lequel la transition énergétique et écologique aurait toute sa place.

Il faut aller à l’opposé de ce qu’a commencé à mettre en œuvre Emmanuel Macron en réduisant l’impôt sur le revenu de près de 5 milliards. Ce faisant il réduit l’aspect progressif des prélèvements obligatoires, progressivité déjà très faible et rejoint ainsi les positions antiredistributives des dirigeants d’extrême-droite Viktor Orban et Matteo Salvini.

 



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