Chronique d'Evariste
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Prendre le pouvoir pour mener une révolution républicaine : les gauches ne sont malheureusement pas prêtes !

par Évariste
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Trois ans après une victoire retentissante de la droite césaro-libérale aux dépens de la gauche social-libérale, nous sommes dans une ambiance de fin de règne sans grande perspective. Le vieux se meurt que le neuf n’est pas encore là… dirait Antonio Gramsci.
Cette victoire césaro-libérale fut atteinte grâce aux votes de plus de 46 % des couches populaires votantes (ouvriers et employés) et surtout des 3 millions de voix d’avance de Nicolas Sarkozy auprès des personnes âgées de plus de 60 ans. À noter que cette victoire fut acquise avec le plus faible pourcentage de voix chez les couches moyennes de tous les candidats de droite à ce type d’élection.
Trois ans plus tard, peut-on dire que la gauche a travaillé pour accroître son impact dans les couches populaires majoritaires dans le pays (rappelons que François Mitterrand fit en 1981 41 % au premier tour et plus de 75 % au second !) et chez les personnes âgées de plus de 60 ans ? Que nenni puisqu’elle continue de s’adresser principalement aux couches moyennes qui ne représentent que 42 % de la population !

Tour d’horizon

1/ Nous avions déjà une justice de classe qui faisait semblant de ne pas l’être. Nous avons aujourd’hui une justice ouvertement au service des puissants. Voilà un procureur de la République qui met 4 personnes de l’entourage de Liliane Bettencourt en garde à vue… pour bloquer une machine judiciaire qui pourrait compromettre les puissants de ce monde.
Il faut comprendre que cette méthode permet au pouvoir politico-économique d’avoir une connaissance globale et totale du dossier, d’emmagasiner les documents et les preuves pour les « geler » et les soustraire selon « leur bon plaisir » à tout juge d’instruction indépendant. Car, bien sûr, l’ « honorable » procureur de la République ne défère aucun des « gardés à vue » devant un juge d’instruction et peut refuser la transmission des pièces à tout juge d’instruction sur une affaire connexe. Elle est belle notre justice !

2/ Les annonces tonitruantes sur les déchéances de nationalité, la pénalisation des parents d’enfants délinquants, le retour forcé des Roms, etc. , sont bien entendu destinés à récupérer un certain électorat; mais la parole d’un chef d’État ou d’un gouvernement n’est pas anodine 1 et la gauche républicaine ne peut se contenter d’en traiter comme d’un phénomène secondaire ou d’un écran de fumée. Lorsque l’exécutif cherche à tordre le droit de la République pour répondre aux inquiétudes des citoyens relatives à la sécurité, il faut se préparer à opposer à sa « légalité » le concept de pouvoir illégitime.

3/ Nous savions déjà que l’attaque sur les retraites ne se justifiait que pour maintenir un taux de profit pour les puissants de ce monde et dénoncé les dogmes utilisés par les néo et sociaux-libéraux (« il y a un problème de démographie », « il ne faut pas toucher à la répartition des richesses », etc.2
Eh bien, grâce aux sociaux-libéraux, un vote pro-gouvernemental sur les retraites a pu avoir lieu le 1er juillet dernier à la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) par 15 voix contre 14.

4/ Nous savions que l’attaque pour la marchandisation, la privatisation des profits et la socialisation des pertes contre la protection sociale solidaire serait globale et que leur but est de tuer le principe de solidarité qui a inspiré les décisions du Conseil national de la résistance3 . Nous savons à présent, grâce au rapport du 23 juin dernier de la mission parlementaire présidée par Valérie Rosso-Debord, députée de la droite néolibérale, qu’une privatisation massive est programmée dans le dossier de la dépendance : suppression de l’Allocation personnelle d’autonomie (APA), refus d’une prise en charge par la Sécu et son remplacement par un contrat d’assurance privée obligatoire auprès des organismes de l’Union nationale des organisations complémentaires à l’Assurance Maladie 4 . Le tout matiné par la charité institutionnalisé pour les plus pauvres afin de limiter un peu l’accroissement exponentiel prévisible des inégalités sociales de dépendance que va produire cette contre-réforme régressive.

En outre, nous avons vu dans la presse économique la ministre de l’Économie avouer que le gouvernement avait renoncé à appliquer une des promesses du candidat Nicolas Sarkozy, à savoir la revalorisation de l’Allocation adulte handicapé (AAH) de 25 % en 5 ans, promesse qui n’était pourtant pas le nirvana !

5/ Nous savons que le gouvernement s’apprête à supprimer dans l’École 16 000 postes en 2010 et 17 000 en 2011, ce qui va affaisser son rôle et augmenter les inégalités sociales éducatives.

6/ Nous savons que Nicolas Sarkozy s’apprête à passer en force à l’Assemblée nationale sur le dossier de la réforme territoriale et même de revenir sur les votes du Sénat.

7/ Nous savons que le gouvernement continue de favoriser le transport routier et autoroutier en refusant d’internaliser les coûts externes environnementaux des transports de marchandises. Nous savons que le gouvernement s’apprête à diviser par trois les aides au transport combiné (96 millions d’euros en 2002). Nous savons que la droite a supprimé 10 000 emplois dans le frêt. Nous savons que le gouvernement veut abandonner la majorité de l’activité wagon isolé ce qui supprimera 255 000 wagons de marchandises sur la route (ce qui correspond à 1,2 millions de véhicules poids lourds et à 300 000 tonnes d’équivalents CO2). Nous savons que ce gouvernement ne veut pas taxer les poids lourds ni développer les installations ferroviaires et les plate-formes pour le transport de proximité. Nous savons que le gouvernement ne veut pas investir dans l’innovation technologique et structurelle.

Et pendant ce temps-là…

La crise économique et financière fait des ravages dans les couches populaires, dans les couches précarisées et désocialisées et commence à toucher les couches inférieures des couches moyennes. Une majorité du peuple est donc concernée aujourd’hui. Rappelons que cette crise est provoquée par l’utilisation spéculative des surcroîts des profits non réinvestis dans l’appareil productif par les possesseurs du capital; et que ces surcroîts de profits sont générés par la déformation de la valeur ajoutée en faveur des profits et contre les salaires et cotisations sociales engagées par le consensus de Washington de 1979 qui débute en France lors du tournant libéral de fin 1982. Doit-on rappeler que tous les ministres et organisations participant aux différents gouvernements de gauche n’ont jamais remis cela en cause lorsqu’ils étaient en exercice ?

De plus la majorité du peuple, principalement les couches populaires, subit la destruction des services publics et de son école. Pour cette dernière, il en résulte un écroulement de la mobilité sociale qu’elle permettait naguère, même de façon très insuffisante, et l’affaiblissement de la transmission des savoirs encyclopédiques permettant la formation du citoyen, le vivre ensemble et l’intégration républicains, la laïcité, l’antiracisme… Perdre de vue l’universalité des droits républicains, c’est oublier le droit à l’émancipation des femmes pauvres — dirigeant souvent des familles monoparentales —, c’est autoriser l’explosion des dépassements tarifaires médicaux, la désertification médicale et la fermeture des établissements sanitaires de proximité, etc.

Il est à noter que tout cela est surmultiplié par la nouvelle géosociologie des territoires dans les zones périurbaines et rurales qui voient un accroissement phénoménal des couches populaires exclues des villes-centres et même en léger déclin dans les banlieues.

Le conformisme de la pensée touche même la gauche anti-libérale

Au-delà même des sphères du social-libéralisme, un examen attentif des non-dits est probant.
Qui s’interroge sur les conditions du soutien des couches populaires à une politique de transformation sociale en matière de protection sociale, de laïcité, de services publics, d’école, de logement, de politique de l’emploi et des salaires, de politique industrielle, d’innovation et de recherche ?
Qui ose comprendre que la globalisation des combats laïques, sociaux, démocratiques, féministes et écologiques est une des conditions de la victoire possible ?
Qui se soucie de légiférer sur le nécessaire financement public des organisations syndicales et l’arrêt des financements indirects ?5
Qui ose proposer au-delà des lois sur le financement des élections et des partis, une loi supplémentaire sur le financement de l’action des élus en exercice ?
Qui ose dire que l’accord unanime du Sénat contre la jurisprudence de la cour criminelle de la Cour de cassation qui a élargi le champ des poursuites de la prise illégale d’intérêts des élus locaux (article 432-12 du Code pénal) est scandaleux ? Comme cela, les élus pourront voter des subventions aux associations qu’ils président au mépris du non-cumul des mandats !
Qui ose critiquer ouvertement la puissante Fédération nationale de la mutualité française, cheval de Troie de la logique assurantielle ?
Qui ose proposer le financement de la protection sociale par un système de répartition basé sur le salaire socialisé (et donc de la pension) lié à la qualification (qui permet de lutter contre les inégalités sociales indues) de préférence au système à répartition à revenu différé avec neutralité actuarielle (qui produit une croissance des inégalités sociales de retraite) ?
Qui ose proposer une critique de l’école qui aille au-delà du problème néanmoins important des moyens ?
Qui ose parler du mode de désignation des directions et du mode de gestion des services publics? Qui ose proposer une autre politique industrielle basée sur l’innovation et la recherche ?
Qui ose proposer un dépassement du capitalisme par le développement d’institutions salariales indépendantes du privé et de l’État, afin de libérer le citoyen salarié de la soumission à la valeur travail ?
Qui ose faire des propositions sur le statut du salarié et la possibilité de vivre hors de la soumission envers un employeur ?6
Qui ose dire que nous voulons des entrepreneurs mais plus d’employeurs ?
Qui ose faire des propositions sur la gestion dans l’entreprise ?
Qui ose dire que la radicalité écologique passe d’abord par une radicalité dans une politique globale d’économies d’énergie avant de se poser la question légitime de la suppression de telle ou telle source d’énergie ?
Qui ose dire que la parité n’a pas résolu l’injustice faite aux femmes et qu’il faut une politique bien plus radicale pour porter le féminisme ?
Qui ose parler d’un changement de nature de l’État?
Qui parle de la nécessaire centralité de la démocratie républicaine détruite par les politiques néolibérales ?
Qui ose proposer une économie républicaine de gauche ?
Qui ose faire des propositions d’institutions internationales et européennes ?
Qui ose théoriser la nouvelle géosociologie des territoires pour penser le lien entre le peuple et ses élites politiques ?
Qui ose mettre en avant la nécessité pour chaque militant politique de se préoccuper des trois piliers que sont le champ politique, le mouvement social syndical et associatif et la nécessaire éducation populaire tournée vers l’action, qu’il ne suffit pas de se préoccuper des élections et de distribuer des tracts dans les manifestations syndicales, etc.

Perspectives

Voilà ce que ReSPUBLICA veut ouvrir comme chantiers avec vous tous, tant dans son journal que dans les colloques et réunions publiques où nos orateurs seront conviés; et également dans les manifestations que votre média va organiser ou coorganiser.
Voilà ce que votre journal va entreprendre à partir de la série qui débutera fin août 2010. Nous ouvrirons alors une rubrique « Prospectives » et nous vous tiendrons au courant de la préparation de nos initiatives publiques de l’année scolaire 2010-2011 et des partenariats que nous allons sceller.
Venez nous rejoindre dans ce défi !
Et que cent fleurs éclosent pour créer le neuf qui nous manque…

  1. Il y a eu dans le passé Raymond Barre parlant de « Français innocents» blessés lors de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic, et Jaques Chirac sur le « bruit et l’odeur » d’une famille immigrée et polygame qui aurait vécu d’importantes allocations familiales, mais c’est la première fois depuis une époque de triste mémoire que des citoyens sont stigmatisés ainsi pour leur origine par un président de la République. []
  2. voir les textes faits par l’UFAL sur les retraites []
  3. voir le texte prémonitoire de Kessler le 4 octobre 2007 dans la revue Challenges []
  4. UNOCAM, créée par le tristement célèbre Alain Juppé en 1995 et jamais remis en cause sous le gouvernement Jospin, qui regroupe les firmes multinationales assurantielles et bancassurantielles, les instituts de prévoyance des amis de Guillaume Sarkozy et les mutuelles de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) qui ne rate aucun dossier pour tenter de « dépecer notre Sécu ». []
  5. Pourquoi Georges Tron vient-il d’ouvrir la discussion sur les moyens accordés aux syndicats de la fonction publique au lieu d’ouvrir cette discussion sur l’ensemble du syndicalisme ? Sans doute pour ne pas donner plus à la majorité des syndicats et rogner sur ce qu’il donne aux syndicats de la fonction publique ! []
  6. Qui n’a pas été choqué de voir d’authentiques syndicalistes et des militants de la gauche anti-libérale se joindre aux néolibéraux et sociaux-libéraux pour « chercher un repreneur »! []
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Retraites : combattre les dogmes du néolibéralisme pour penser libre !

par Bernard Teper

Source de l'article

Comme souvent, une pensée libératrice, un projet émancipateur ne peut naître qu’à condition de pouvoir penser hors des dogmes qui sont véhiculés ici et là par des organisations, leurs clercs et leurs catéchismes. A une certaine époque, il fallait se battre pour pouvoir penser hors des croyances de l’immaculée conception, du soleil qui tournait autour de la terre, voire de l’école aux mains des structures religieuses, de l’Etat et des églises qui ne devaient pas être séparés, etc.
Aujourd’hui, des dogmes d’une brutalité de même nature nous sont assénés. Mais ce sont des dogmes financiers et économiques. Là, aussi, certaines organisations, leurs clercs et leurs catéchismes sont là pour montrer la seule pensée conforme au « bon sens ».
Il n’y a pas un dossier dans lequel les « grands » de ce monde ne s’appuient pas sur des dogmes pour régner sur ce bas monde. Et les clercs qu’ils soient nommés experts, présentateurs télé ou responsables politiques, syndicaux, mutualistes ou associatifs sont en général bien récompensés pour leur triste besogne.
Continuons notre propos sur le dossier des retraites.
Là, les « réformateurs » s’appuient sur plusieurs dogmes qui s’intègrent les uns aux autres comme dans des poupées russes. Sans être exhaustif, car nous connaissons pas toutes les sectes néolibérales avec leurs dogmes spécifiques. Mais la plupart officient avec les dogmes suivants :

  1. « Mon bon monsieur, ma bonne dame », il y a de plus en plus de retraités et de moins en moins d’actifs, il est donc nécessaire de « réformer » pour « sauver notre système de retraite par répartition »
    Cet argument de la démographie plein de « bon sens » ne résiste pas à l’analyse. Il est équivalent à celui du paysan du Moyen Age qui s’il était assis sur une chaise toute la journée voyait le sol immobile et le soleil tourner autour de lui!
    Et puis, c’est un argument qui rappelle les oiseaux de mauvaise augure d’après 1945 qui prévoyaient la famine par ce que la nouvelle société diminuait fortement le nombre de paysans avec un grand accroissement du nombre de bouches à nourrir. On sait aujourd’hui qu’avec 2,8% de paysans en France, on a pas de problème de nourriture car la production totale et la répartition de cette production est satisfaisante pour nourrir la population. Je ne parle là que de l’aspect quantitatif et pas qualitatif dans une simplification nécessaire au raisonnement quantitatif des oiseaux de mauvais augure. Je conviens bien sûr que ce point qui est un autre problème important à prendre en compte dans un autre article.
    Pour en revenir aux retraites, nous pouvons détruire le dogme de ces clercs avec les chiffres qu’ils ont produits eux-mêmes. Là, je mets de coté la nécessaire critique écologique de l’indicateur PIB (qui mesure pour ces clercs la richesse produite en une année par tous les travailleurs français et étrangers travaillant sur notre territoire) qui mériterait un autre article. Tous les clercs s’appuient sur les chiffres produits par le Conseil d’orientation des retraites (COR). Montrons que leurs propres chiffres peuvent se retourner contre eux si et seulement si, on refuse le dogme du « problème démographique »
    Le COR dit que la richesse a doublé dans les 40 années qui viennent de s’écouler et qu’en 2050, la richesse sera 90% plus importante qu’aujourd’hui. Donc si la richesse est aujourd’hui 100, elle sera de 190 en 2050. Le COR dit qu’aujourd’hui, nous sommes dans une répartition actifs retraités de 10 actifs pour 6 retraités et qu’en 2050, nous serons 10 actifs pour 9 retraités. Donc la richesse par habitant passe d’un multiple de 100/16 = 6,25 au même multiple de 190/19 = 10. Et là, un enfant de CM2 est capable de faire mieux qu’un expert néolibéral Bac +35 car il sait lui que 190/19 , c’est plus important que 100/16. donc la richesse par habitant va croitre de 10/6,25 = 1,6 ; ce qui veut dire que pour une richesse qui augmentera de 90%, la richesse potentielle par salarié progressera de 60%.en moyenne.
    Il n’y a donc pas de problème démographique.
    Mais pour que cette augmentation de richesse potentielle puisse se transformer en augmentation de richesse effective, il faut combattre d’autres dogmes dont les dogmes de l’intangibilité de la répartition des richesses et de la non-possibilité d’augmentation des cotisations dites patronales.
  2. « Mon bon monsieur, ma bonne dame », la répartition des richesses est aujourd’hui optimale et on ne doit pas la changer.
    Si on se réfère aux chiffres de la Commission européenne, le différentiel du curseur de la répartition des richesses (les économistes parlent de la déformation de la valeur ajoutée) entre salaires et cotisations sociales d’une part et profits d’autre part a bougé de 9,3 points de PIB depuis 28 ans au détriment des premiers. En euros 2010, on peut dire, avec un PIB 2010 de l’ordre de 2000 milliards d’euros, que si aujourd’hui le curseur était placé comme en 1982, nous aurons dans le camp du salaire 9,3 x 2000 soit un différentiel de plus de 180 milliards d’euros dont nous pouvons imaginer ce que nous pourrions en faire pour augmenter les salaires, les pensions, le nombre de crèches, le nombre de maisons de retraite, les centres de santé, les implantations hospitalières, etc. Grâce au néolibéralisme, nous ne pouvons avoir ce débat puisque cette somme est partie gonfler les dividendes des actionnaires et le financement des économies parallèles via les paradis fiscaux vu que l’investissement des entreprises n’a pas augmenté dans la période.
  3. « Mon bon monsieur, ma bonne dame », pour garder la rentabilité de nos entreprises, il ne faut pas augmenter les cotisations patronales sinon, c’est la fin du monde ! Il faut donc expliquer pourquoi la Belgique, la Suède et le Danemark ont des taux de prélèvements supérieurs sans que le ciel leur tombe sur la tête. D’autre part, le taux des prélèvements obligatoires est un indicateur dont il ne faut pas surestimer la pertinence dans la mesure ou les pays qui ont des structures publiques plus importantes voient leur taux de prélèvement obligatoire augmenter car :
    • la définition des prélèvements obligatoires englobe aussi les impôts et les cotisations sociales que les administrations publiques se versent entre elles
    • à déficit public constant, une nouvelle subvention à la recherche tend à accroître les prélèvements obligatoires, alors que cela n’est pas le cas d’une nouvelle exonération d’impôt en faveur de la recherche.

    Par ailleurs, le niveau des prélèvements obligatoires est très lié à la conjoncture économique des Etats et qu’une diminution des remboursements Sécu et une forte augmentation des complémentaires santé diminue le taux des prélèvements obligatoires par ce que ce taux ne prend pas en compte les prélèvements facultatifs absolument nécessaires à court terme.En fait, ce qui compte pour les entreprises, c’est qu’il y est de la demande et que les citoyens aient des capacités élargies pour consommer. La diminution des prélèvements obligatoires n’est qu’une nécessité pour les capitalistes pour augmenter leurs profits.

  4. « Mon bon monsieur, ma bonne dame », il est normal que toute augmentation d’espérance de vie soit divisée pour deux tiers pour l’augmentation de la durée d’activité et pour un tiers pour l’augmentation de la durée de retraite. Répondez-leur : au nom de quoi parlent-t-ils ? Le mouvement d’émancipation des citoyens et des salariés correspond à une augmentation de la durée de retraite où le salarié n’est plus soumis à l’employeur et ou il peut avoir une activité libre. En incidente, il faut leur répondre alors que la majorité de la classe d’âge n’est plus salariée à partir de 58,8 ans, et que toute augmentation de la durée de cotisation ne fait donc qu’accroître le chômage des seniors.
  5. « Mon bon monsieur, ma bonne dame », pour que le système fonctionne bien, il faut augmenter la contributivité du salarié. Comprenez par là que le système de retraites par répartition soit un système de retraites réalisé sous le mode du revenu différé avec neutralité actuarielle c’est-à-dire que le montant total de la retraite doit être égal aux cotisations versées. Et que bien sûr, il faut supprimer tout système par répartition réalisé sous le mode du salaire socialisé lié à la qualification.
  6. « Mon bon monsieur, ma bonne dame », pour que le système fonctionne bien, il ne faut pas que les retraites soient indexés sur les salaires mais sur les prix. Comprendre par là que la première décision scélérate fut celle prise par Philippe Seguin en 1987 est celle qui supprima l’indexation des retraites sur les salaires pour l’indexer sur les prix. Par cette décision, Philippe Seguin et sa majorité d’alors est le principal responsable de la baisse du taux de remplacement des retraites qui a suivi.
  7. « Mon bon monsieur, ma bonne dame », ce que le COR dit est la vérité révélée !
    Les résultats des études du COR sont principalement liés aux hypothèses utilisées. Pris « la main dans le sac » en 2007, ils ont été obligés de changer leurs hypothèses dogmatiques farfelues et donc de changer les résultats. Par exemple, pourquoi prendre 1,8 comme taux de fécondité alors que la France est championne d’Europe avec plus de 2 enfants par femme, pourquoi prendre un volant d’immigration annuel de 50.000 personnes quand il est plus proche de 100.000, pourquoi prendre une augmentation d’espérance de vie d’un trimestre par an alors qu’en réalité on est à 0,44 trimestre par an, etc. On voit bien là que le fait de modifier certaines hypothèses influe sur le résultat et que les économistes et experts néolibéraux aux ordres savent aussi manipuler les chiffres!

Eh oui, après les 7 péchés capitaux (dont tous ne sont pas à condamner…) voilà les 7 dogmes qu’il paraît nécessaire de combattre !

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Dans quelle crise sommes-nous ? (2)

par Philippe Hervé

« La crise c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître » Antonio Gramsci

Il y a un an, dans notre article de juin 2009, nous tentions de définir les caractéristiques profondes de la crise que nous traversions.
Nous insistions tout particulièrement sur son caractère systémique, c’est-à-dire que toute mesure visant à servir de panacée à la crise est en fait un accélérateur de la dépression. Dans cette conjoncture, les remèdes dits keynésiens n’avaient aucune chance de réussite, du fait en particulier du caractère hyper monopoliste du turbocapitalisme contemporain, et de l’imposition de « circuits longs » dans la production et la consommation des marchandises en dehors des espaces nationaux (contrairement aux années trente).

Enfin, nous proposions la thèse du « pli historique » ouvert au 16ème siècle qui, pareillement à cette époque, voit aujourd’hui la remise en cause de la définition même de la Valeur aussi bien sous son aspect purement comptable que sous l’angle de la valorisation des « nouvelles économies », incapables pour beaucoup d’entre elles de définir des modèles économiques viables. Mais l’élément saillant et immédiatement visible, de cette crise venue des grandes profondeurs du « mystère de la Valeur », reste pour le simple observateur la lente consumation d’un système bancaire… en mort clinique.

Dans l’année écoulée, tous les événements ont contribué à conforter notre position. Les périodiques annonces de « sortie de crise » ne sont que des illusions médiatiques dans l’espace occidental.

Où en sommes-nous donc à l’orée de l’an IV de la « Très Grande Dépression » ?

La crise globale de la définition de la Valeur connaît une nouvelle métastase avec les remises en cause des monnaies comme « équivalents universels » de la Valeur réalisée, c’est-à-dire des prix de la marchandise. Au prétexte de la « crise grecque », l’instabilité monétaire devient depuis quelques mois l’élément principal de « l’actualité catastrophe ». Contrairement aux fines analyses de certains conformistes, ce n’est pas la « crise grecque » (ou espagnole, portugaise, italienne et demain française) qui engendrerait la crise de la monnaie euro.

Tout au contraire, c’est la crise de la création monétaire, depuis des années mais avec une accélération asymptotique depuis 36 mois, qui engendre la crise des États surendettés. L’émission monétaire monstrueuse est liée à l’octroi sans limites par le système bancaire de crédit aux États peu crédibles, aux régions ou aux villes surendettées, aux entreprises monopolistes aux comptabilités insincères et enfin aux particuliers insolvables. Cette multiplication du crédit provoque une dissociation fondamentale entre la valeur monétaire fiduciaire« faciale » et la valeur monétaire fiduciaire réelle. Ne pouvant s’appuyer sur aucune croissance non factice aux USA et en Europe, le réalignement – Valeur monétaire fiduciaire faciale-Valeur monétaire fiduciaire réelle – risque d’être d’une violence inouïe.

Et tel le suicidaire prévoyant, jetant un gros bonhomme par la fenêtre pour s’en servir de coussin de réception au sol, les USA poussent l’euro à l’agonie par terre, pour amortir la chute du dollar perclus de dettes. Car la crise fiduciaire est générale, à l’exception des monnaies des pays créditeurs (Canada, Australie, etc.). C’est donc l’ensemble du système monétaire occidental, euros-dollars, qui est menacé lors de ce second semestre.

Le problème fondamental est toujours le même, et nous le signalions dès janvier 2008 1 , la “bancarisation” de l’économie est la mère de tous les vices. Tant que les banques surendettées et incapables de rembourser leurs dettes (nous avons eu un exemple le 1er juillet dernier avec l’impossibilité de rembourser les 432 milliards d’euros dus à la BCE par les principales banques du continent… sauf à emprunter à la BCE l’équivalent pour rembourser fictivement cet organisme !) les noieront dans un océan de liquidités en créant de la monnaie par les crédits qu’elles accordent, nous ne sortirons pas du cercle vicieux de la crise.

Malgré les réticences de Trichet, le fait que la BCE ait imité la réserve fédérale américaine dans la pratique du rachat de titres de dettes des États en banqueroute accentue l’inondation des liquidités et transforme ces organismes en véritable méga « junk bond ». Telle la « maladie de la vache folle », le système monétaire international est en train de s’empoisonner en mangeant du cadavre !

Il faudrait bien sûr une réaction politique… des politiques. Hélas, ce n’est pas pour demain. Tous les observateurs s’accordent à constater l’énorme lobbying des grandes banques dans toutes les instances internationales. Les pouvoirs politiques ont perdu les quelques marges de manœuvre dont ils disposaient encore du temps de la guerre froide. D’une certaine manière, la crise ira cette fois à son terme, c’est aussi cela qui caractérise un pli historique.
Donc, la ligne de plus forte pente à très court terme, c’est-à-dire de demain matin à horizon maximum 12-18 mois, c’est l’éclatement du système monétaire euros-dollars. Ce gigantesque krach aurait l’immense avantage pour les pouvoirs politiques qui nous gouvernent de masquer l’hyper inflation réelle sous le voile d’une ou de nouvelles monnaies créées soit-disant en catastrophe et basées sur de nouveaux étalons (droits de tirages, paniers de monnaies crédibles, matières précieuses, etc.). Pour éviter les désagréments de situations dignes de la République allemande de Weimar en 1923, un krach serait finalement plus « gérable » qu’une longue période d’inflation galopante. Car il serait mis en place opportunément une communication adaptée du genre : « une catastrophe est arrivée que nous ne pouvions prévoir… ». Quoi de mieux en effet que de subjuguer le public, et en particulier les épargnants, les salariés et les retraités subitement floués par une monnaie fiduciaire devenant brusquement une quasi monnaie de singe ?

Comme nous le disons depuis le début de la crise des « subprimes » en 2007, le monde ne sortira du cercle vicieux de l’engrenage de la dette qu’en renonçant une fois pour toute à sauver… les banques. Car l’on constate aujourd’hui que le sauvetage du système bancaire fin 2008, au moment de l’effondrement de Lehman Brothers, a été une véritable catastrophe pour les États et donc pour les contribuables. Ce « monde de la banque », qui est véritablement né sur de petits bancs publics (banco en italien) au 16ème siècle après l’introduction de l’or du Nouveau Monde et la crise de la Valeur et la formidable inflation qui en résultait, est définitivement mort. Il faut une fois pour toute en prendre conscience. La Nouvelle Économie en réseau exige une monnaie dont la création doit être également en réseau. Il s’agirait bien là de la fin du monopole bancaire sur la création monétaire qui montre aujourd’hui ses limites ultimes.

Or, nous assistons aux premiers balbutiements dans le contournement du système bancaire traditionnel. Par exemple, fin juin dernier, Siemens, le grand groupe industriel allemand, a décidé de créer sa propre banque pour ne pas laisser ses 9 milliards d’euros de liquidités à la merci des prédateurs de la finance. Son initiative semble faire des émules puisque d’autres groupes industriels, comme le français Véolia, semblent prendre ce même chemin de la dissidence bancaire. Cela en dit très long sur la confiance accordée par les vrais connaisseurs dans la solidité de la structure bancaire mondiale !

En attendant ces jours nouveaux dont l’accouchement risque d’être fort difficile, les citoyens et certaines catégories en particuliers, comme les retraités par exemple, risquent de voir leurs « valeurs papiers » fortement dévalorisées (liquidités papiers, assurances vies, comptes épargnes). Si ce pronostic est juste, il implique que les « plans de rigueur » de 2010 soient en fait aussi fictifs que « les plans de relances » de 2009. Il s’agirait donc d’une énième gesticulation avant la grande remise en ligne monétaire qui ouvrirait la voie vers une autre époque.

Face à cette situation, un véritable gouvernement de Salut Public doit développer une politique économique compatible avec cette évolution. Cela veut dire une véritable révolution mentale pour les partisans d’une certaine gauche qui a coutume de militer pour un capitalisme « encadré », et donc une remise en cause des politiques dites keynésienne, qui ne sont en fait que des séries de mesures de renforcement d’un capitalisme monopoliste d’État en crise finale.

Seule une rupture avec la « bancarisation » de l’économie aurait des vertus de progrès. Espérons que certains programmes politiques pour 2012 (ou avant !) tiendront compte de cet impératif.

  1. http://www.gaucherepublicaine.org/_archive_respublica/2,article,1908,,,,,_Le-Krach-boursier-revele-un-systeme-financier-a-bout-de-course..htm []
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La "comedia" de l'allocation de rentrée scolaire (ARS) : on en rirait si les inégalités sociales éducatives n'étaient en jeu

par L'Union des FAmilles Laïques

Source de l'article

2,9 millions de familles défavorisées (10 millions d’enfants de 6 à 18 ans) perçoivent cette allocation sous condition de ressources pour un montant allant de 280,76 euros à 306,51 euros suivant l’âge de l’élève.

Remarquons d’abord que l’allocation reste bloquée au niveau de l’année dernière. Et qu’au lieu de débattre sérieusement, la majorité de gouvernement tente de détourner l’attention des citoyens et de leurs familles du sujet principal : ne plus accepter des inégalités sociales éducatives entre élèves (par exemple, pour des familles plus défavorisées, une rentrée scolaire en seconde professionnelle coûte deux fois plus cher qu’en seconde d’enseignement général).

Acte I, le député UMP Édouard Courtial propose de remplacer l’ARS par des bons d’achats ; acte II, la proposition est de suite écartée par la secrétaire d’État Nadine Morano. Cacophonie ? Cette dernière se donne le beau rôle, tandis que, dans les coulisses, la pièce est déjà jouée ! Dès juin dernier, le ministère de l’Éducation nationale, la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, ainsi que les distributeurs des grandes enseignes ont déjà signé, pour la troisième année consécutive, un accord d’engagement sur le prix de certaines fournitures scolaires. Ce lobbying bien installé va permettre à certains de décerner un satisfecit à l’action gouvernementale avec des chiffres non contrôlés et qui de toute façon ne portent que sur une partie des coûts que les parents ont à engager pour la rentrée de leurs enfants.

De plus, la grande majorité de ceux-ci n’est même pas au courant de cette liste (la transparence, l’efficacité de la communication du gouvernement ne vont pas jusque-là !) et beaucoup fréquentent des magasins ne dépendant pas de ces enseignes, etc.

Nous réitérons donc nos analyses sur le système actuel et notre proposition visant à diminuer les inégalités sociales éducatives :

  1. la simple modulation en fonction de l’âge est insuffisante, il faudrait pour le moins tenir compte du type d’établissement (notamment professionnel et technique) ;
  2. le coût de la rentrée devrait être contrôlé démocratiquement et sur tous les territoires par un organisme de l’État avec la possibilité de préciser les fournitures concernées et de réfléchir aux moyens de mutualiser et d’optimiser les prix d’achat, notamment par des systèmes d’appels d’offres ;
  3. car notre proposition est que l’école de 6 à 18 ans doit être laïque et GRATUITE en totalité.

Voilà ce qui devrait constituer un droit pour tous et donc la fin du système actuel où les familles défavorisées cumulent toutes les inégalités sociales : éducatives, de santé, d’espérance de vie, de salaire, etc. D’une façon générale, l’école doit être un droit partout et pour tous et le financement de cette école doit être levé par l’impôt en fonction des revenus et du patrimoine, selon un barème progressif.

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Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République

par Léon Landini
Résistant

Bagneux le 12 août 2010

Monsieur le Président ,

C’est avec stupeur et indignation que j’ai pris connaissance du discours que vous avez prononcé le 30 juillet dernier à Grenoble.

Ce jour là, vous avez affirmé que : « La nationalité française puisse être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme, ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique».

Stupéfait et indigné parce que votre déclaration va totalement à l’encontre de l’article premier de la Constitution française qui stipule : « Tous les français sont égaux, quelles que soient leurs origines ».

Oui Monsieur le Président, égaux en droits et en devoirs, cela signifie que ce n’est pas parce que qu’un français est d’origine étrangère, (comme vous l’êtes vous-même) qu’il a moins de droits, ou bien qu’il est un français de moindre qualité.

Or dans votre discours, vous envisagez d’appliquer des droits différents selon l’origine de la personne. Il ne peut s’agir là que d’un déni de justice commis envers les français d’origine étrangère et tout particulièrement contre ceux qui dans les années 1940 ont combattu l’occupant, les armes à la main et acquis leur nationalité française « non par le sang reçu mais par le sang versé ».

Par ailleurs, je souhaiterais savoir comment vous allez déterminer « l’origine étrangère » d’un citoyen français ? Se pourrait-il que vous fassiez, comme l’ont fait dans les années 1940, les gouvernements fascistes de Pétain et Laval à l’encontre des juifs, c’est-à-dire, remonter jusqu’à la troisième génération ?

Après votre déclaration, Il me semble indispensable de rappeler les immenses sacrifices consentis aux cours des deux dernières guerres par ceux que l’on appelait alors « Les coloniaux » et dont les enfants ou les petits-enfants, aujourd’hui français, sont les premiers visés par cette loi, que vous souhaiteriez nous imposer.

Pourtant, les immenses nécropoles se trouvant sur le front de l’Est, aussi bien que celles se trouvant devant Rome ou Monte-Cassino, prouvent que des dizaines et des dizaines de milliers de « coloniaux » morts pour la France, reposent loin de leur terre natale.

Le souvenir de leurs sacrifices devrait vous amener à un peu plus de retenue envers les jeunes français descendants de ces soldats, «très souvent malgré eux », qui ont donné leurs vies, afin que notre pays puisse reconquérir son indépendance et sa liberté.

Si pour un même délit ou crime vous décidez d’appliquer des peines différentes en fonction de l’origine d’un individu, pourquoi la même chose ne se passerait-elle pas en fonction de l’opinion des personnes ?

Quelle garantie avons-nous que par la suite, ce même principe ne s’appliquerait-il pas à toute personne ayant commis un autre délit : par exemple, avoir fait grève, ou tout simplement ayant participé à une manifestation que vous n’auriez pas appréciée ?

Le sieur Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, (qui a été condamné le 4 juin dernier à 750 € d’amende par un tribunal pour injure raciale) avec ses nouvelles propositions, nous indique le chemin que votre gouvernement désire prendre.

Il a déjà annoncé vouloir étendre la déchéance de la nationalité française aux auteurs d’homicide, d’excision, de polygamie, d’actes de délinquances graves.

En ce qui concerne ces actes de délinquances graves, ne s’agirait-il pas, tout simplement, de ce que j’évoque au paragraphe précédent ?

Je vous avoue sans ambigüité, que le langage et les méthodes utilisées par votre gouvernement me rappellent ce que j’ai connu avant et pendant l’occupation, période que je croyais désormais révolue.

De toutes façons, quelles que soient les raisons que vous puissiez invoquer, je trouve qu’il est déshonorant pour notre pays que vous menaciez de retirer la nationalité française aux enfants ou aux petits-enfants de personnes qui, dans un passé récent, ont été l’honneur de notre France.

Car c’est un fait reconnu : 66 ans plus tard les étrangers de « L’affiche Rouge », demeurent pour tous l’image emblématique de la Résistance armée française.

Par ailleurs, bien que vous vous présentiez comme les défenseurs de « L’identité nationale » je constate avec amertume que vous détruisez chaque jour d’avantage la « spécificité » et tout ce qui a fait la grandeur de notre Nation. Jusqu’à notre langue que vous malmenez sans vergogne et que vous vous attachez à faire disparaître en la remplaçant par un immonde « globisch ».

En tant qu’ancien Combattant Volontaire de la Résistance, comment ne serais-je point révolté en apprenant que Denis Kessler, un de vos proches amis, ait osé écrire : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire le programme du Conseil National de la Résistance…  Il est grand temps de le réformer et le gouvernement s’y emploie », sans que vous, ni personne dans votre entourage ne se soit insurgé contre ce qui est une véritable provocation à l’égard du monde de la Résistance, auquel vous faîte si souvent référence.

Comme tous les autres membres de ma famille, j’ai connu les agressions et les insultes racistes « Sale macaroni ! La France aux Français ! ».

Pourtant ma famille s’est engagée dès 1940 dans la Résistance (en décembre 1940 mon frère Roger et ses camarades ont fait dérailler, en pleine gare de triage de Fréjus-Plage, 8 wagons de marchandises qui partaient pour l’Allemagne).

En octobre 1942, j’avais 16 ans et demi quand j’ai participé pour la première fois à un déraillement. Mes états de services dans la Résistance, (enregistrés au ministère de la Défense) mentionnent une quarantaine d’ennemis abattus.

En mai 1943, mon père et mon frère furent tous deux arrêtés et effroyablement torturés par les carabiniers italiens (évadés lors de leur déportation en Allemagne). Je fus arrêté à mon tour à Lyon en mai 1944, et « interrogé » par Barbie lui-même.

À la libération, mon père, mon frère, mes deux sœurs et moi-même avons tous obtenu la carte de Combattant Volontaire de la Résistance.
Mon frère, arrivé en France à l’âge de 10 ans, marié à une française et père de deux enfants français, ne fut naturalisé qu’en 1947, il avait 33 ans.

Toutefois, bien qu’étranger, il fut pendant la Résistance commandant de maquis et homologué Lieutenant de l’armée française avec parution au ” Journal Officiel “.

Il était invalide de Guerre et Médaillé de la Résistance – depuis son décès en 1962, une rue de Saint-Raphaël porte son nom.

Ma jeune sœur Mimi est Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier dans l’Ordre National du Mérite. En ce qui me concerne, fils d’immigrés italiens, je suis né en France en 1926 au Muy (Var) et suis devenu français par option à l’âge de 10 ans.

Je suis Grand Mutilé de Guerre – Ancien officier FTP-MOI – officier de la Légion d’Honneur – médaillé de la Résistance – décoré par l’Union Soviétique pour ma participation aux combats contre le nazisme – président de l’Amicale des Anciens (FTP-MOI) des Bataillons Carmagnole-Liberté et président de diverses associations d’Anciens Combattants.

Je tiens à préciser que les FTP-MOI, composés quasi exclusivement de combattants étrangers ou d’origine étrangère, sont aujourd’hui reconnus par de nombreux spécialistes de l’histoire contemporaine comme « le fer de lance de la Résistance armée française »

En revanche, un grand nombre « de ces bons français, défenseurs de l’identité nationale» qui avant guerre insultaient les étrangers, je les ai, après la libération, retrouvé en prison pour collaboration avec l’ennemi.
Qui étaient les plus français, Monsieur le Président ?

Il est vraiment intolérable et inadmissible, qu’une telle mesure mettant en cause les gens d’origine étrangère puisse devenir une loi.

En espérant que vous vous ressaisirez et que désormais en France, pays de la liberté et des droits de l’homme, chaque Français, quelle que soit son origine, soit toujours traité avec le respect et la dignité qui est due à tout être humain.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, les salutations Républicaines d’un Résistant d’origine étrangère profondément attaché à la Nation française, à la justice et à la liberté.

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"Mélancolie française" d'Eric Zemmour, doit-il être lu ?

par Nicolas Pomiès

Il y a du Général Grouchy à commencer un article en s’interrogeant sur la pertinence de la lecture du dernier livre d’Éric Zemmour. Nous arrivons après la bataille, comme Grouchy arriva trop tard pour sauver Napoléon à Waterloo, car La Mélancolie française1 a été lu par plusieurs dizaines de milliers de personnes depuis sa sortie en mars de cette année et a fait l’objet de plusieurs réimpressions aux tirages importants tout en se propulsant de mois en mois en meilleure vente de l’année. Il est incontestable que le livre d’Éric Zemmour est un succès populaire. À l’heure où les organisations soi-disant de masse peinent à mobiliser et à susciter l’enthousiasme et que certaines figures intellectuelles jadis anticonformistes sombrent dans le désespoir, faute d’idées à proposer pour donner du sens à l’action2 , Éric Zemmour aurait-il découvert la méthode pour parler aux gens et tenter de les réarmer idéologiquement ?

Ce n’est pas souvent qu’un livre parlant de la France rencontre autant de français. Mélancolie française est en phase de devenir un phénomène littéraire exceptionnel qu’il est impossible d’ignorer ou de bafouer comme le font la quasi totalité des critiques et analystes des médias de référence avec leur mono-style polémiste formaté. « Nullité », « erreur », « bêtisier historique »: il n’y a pas de mots assez durs pour jeter l’opprobre sur l’ouvrage. L’historien Pascal Dayer-Burgeon va jusqu’à relever les quelques anachronismes s’étant glissés sous la plume de Zemmour pour dénigrer l’ouvrage. Ainsi, selon ces critiques, Mélancolie française serait un livre très mauvais lu par trop de monde. Pourtant, aucun n’aborde véritablement ni le fond de l’ouvrage, la thèse zemmourienne, ni la raison de l’écho puissant qu’elle rencontre chez ses lecteurs.

Bien sûr comme l’indique le site Boox Mag : « Eric Zemmour, polémiste professionnel qui officie chaque samedi sur le plateau d’On n’est pas couché, ne s’est pas fait prier pour attirer le scandale autour de ce nouvel opus ».

Marianne rappelle que « le journaliste du Figaro est payé pour provoquer sur France 2. Il fallait bien que ça lui pète à la gueule un jour. Mais personne n’imaginait que ce serait son employeur, Le Figaro, qui sonnerait la fatwa » et que cette fatwa échoua en ayant pour effet pour Zemmour de « devenir un intouchable du PAF, et son dernier livre - la Mélancolie française - un best-seller ». Mais comme l’indique Daniel Kerriou, responsable de la librairie Le Point (Paris 12ème), Zemmour doit son succès à la façon dont il « a su profiter de sa notoriété et utiliser l’Histoire » pour « mettre sur le tapis des sujets sensibles », des problématiques qui hantent les français.

Il est indéniable que Mélancolie française parle aux français en donnant une explication possible au mal être et au doute collectif qui, indéniablement, traverse le Pays.

Cette explication est-elle juste ? Quelles thèses défend le livre ?

Sa lecture est essoufflante. Tout au long des pages, le lecteur attend de connaître la conclusion contemporaine à ce long cheminement dans l’Histoire de France qui veut démontrer que la France poursuit depuis toujours un rêve issu d’une pulsion émanant d’ une sorte d’âme collective constante au cours des siècles (il y aurait ici l’influence d’un Max Gallo que cela ne nous étonnerait pas). Ce rêve consiste à reconstruire l’Empire romain.

Un empire avec son omnicitoyenneté, assimilateur des cultures dont la Nation française et sa République auraient été, depuis 1789, la réminiscence. Zemmour cite pour étayer sa thèse des révolutionnaires comme Danton ou Saint-Just nettement inspirés par cette idée romaine.

Napoléon aurait bien évidemment été le dernier héraut de ce retour de l’Empire romain. L’Empire bonapartiste n’apportait-il pas dans ses bagages les idées des lumières, le code civil, une justice et des droits si proches de l’organisation romaine ? Tous ces dons encore aujourd’hui loués par les pays un temps unis dans l’Empire.

Le nouvel Empire romain napoléonien et son blocus continental se trouvaient face à une puissance maritime (l’Angleterre) comme Rome eut à lutter contre Carthage.

Zemmour fait de la géopolitique en montrant l’éternel retour des conflits d’intérêts entre les thalassocraties libre-échangistes (Carthage, l’Angleterre puis les États-Unis d’Amérique) et les états continentaux protectionnistes (l’Empire romain et la France).

La France, depuis sa défaite de Waterloo et la fin de son empire offert à l’Europe, vivrait dans un continuel déclin, une mélancolie ou une nostalgie de sa mission historique échouée.

Notre pays étant depuis 1814, selon Zemmour, incapable démographiquement et politiquement d’être le moteur entraînant la construction d’un nouvel empire européen. L’auteur montre comment la France a brisé son rêve impérialiste pour se soumettre à celui des autres : l’anglais, l’allemand, l’américain…

Certaines de nos élites auraient d’ailleurs spéculé sur l’Allemagne d’après Bismarck pour reprendre le flambeau de l’empire devant notre incapacité à le faire. Ainsi, la collaboration de Pétain serait expliquée par cette quête d’empire par procuration.

Les élites françaises poursuivraient notre pulsion collective d’empire en envoyant à l’Union Européenne moult fonctionnaires.

Zemmour fait l’apologie de notre fonction publique et de notre style d’organisation de l’État en constatant que beaucoup de cadres français délaissent la nation pour travailler à la construction européenne.

Cependant, l’auteur décrit notre démographie nationale comme trop faible pour que notre Nation puisse prendre la tête de la construction européenne. C’est donc l’Allemagne qui serait la mieux placée pour prendre la tête de l’Europe. À moins que la Wallonie viennent se rattacher à la France, lui donnant ainsi un poids qui lui permettrait de développer ce nouvel empire avec sa propre vision.

Il est étonnant de constater la similitude des thèses de Zemmour sur les équilibres européens avec les visions géopolitiques de certains responsables américains comme Zibniew Brezinski qui ne disent pas autre chose.

Jusqu’ici, c’est-à-dire aux trois quarts du livre, la thèse se trouvait intéressante. D’autres auteurs ont parfaitement démontré l’impact de l’étude de l’Empire romain sur les philosophes des Lumières, les révolutionnaires de 1789, Napoléon ou les républicains depuis la Révolution.

On peut imaginer un rôle collectif français d’un leg de l’esprit romain à l’Union européenne pour la transformer en véritable république protectrice. Ce leg généreux ne serait-il pas le véritable axe central de notre identité nationale, ce sentiment d’avoir un destin en commun ? Notre drapeau, notre langue, nos principes républicains, notre universalisme ne seraient-ils pas nos dons aux autres nations afin de s’unir avec elles en un nouvel empire ?

Zemmour, dans la dernière partie de son livre, pense que la France est aujourd’hui trop affaiblie pour faire l’Europe car celle-ci lui impose des lois contraires à son style romain.

La France ne pourrait plus, à cause de l’Europe, assimiler les immigrés présents sur son sol et risque de devenir un simple « agrégat institué de peuples désunis », pour reprendre la formule de Mirabeau.

C’est là que nous ne suivons pas la dernière partie du livre .

Il ne s’agit pas cependant pour nous d’éluder la véritable problématique des situations des populations issues des immigrations récentes. L’intégration des immigrés et de leurs enfants posent des problèmes qu’il faut reconnaître. Mais ce n’est pas la culture, par ailleurs évoluant à chaque génération, qui est un obstacle à leur parfaite intégration dans la nation française.

C’est bien la volonté de celle-ci à intégrer qui est en cause. La France en est pourtant capable. Ces personnes peuvent devenir des parties de notre “tout” commun national. Mais ce “tout” est aujourd’hui déficient. Or quel est-il ? Ce sont les français qui en parlent le mieux. Il constitue leur identité nationale, celle dans laquelle les populations immigrées devraient se retrouver. Lors d’un sondage en octobre 20093, les personnes interrogées représentatives de la population française à la question : ” quels sont les éléments importants qui constituent l’identité de la France ? ” ont placé en tête (80%) la langue française puis la République (64%); le drapeau tricolore (63%), la laïcité (61%), les services publics (60%), la «Marseillaise» (50%) et l’accueil d’immigrés (31%).

Or, tous ces éléments sont mis à mal par les politiques néolibérales particulièrement accrues sous la présidence Sarkozy. Notre président de la République aura beau s’agiter dans des impostures tricolores, organiser des débats pipés, c’est sa politique pyrotechnique et son spectacle permanent qui cassent les fondements de l’ identité nationale des français.

Comment prétendre intégrer de nouveaux citoyens lorsque ce qui constitue l’identité nationale est systématiquement désintégré ?

Zemmour comme bien d’autres zélateurs du choc des civilisations se trompe lorsqu’il prétend que la France serait en péril à cause de ses immigrés. C’est la destruction de notre République qui est à l’origine de toutes les difficultés.

Cette destruction du système si prégnant de l’identité de tous les français est effectivement en grande partie le résultat de l’application des directives européennes que les traités européens nous imposent à transposer en droit national. C’est donc bien au niveau européen et de ce qu’y font les français que notre République envoie que se posent les véritables questions.

La thèse des premières parties du livre de Zemmour peut être lue avec intérêt. On peut même s’y enthousiasmer à penser une République française rétablie moteur d’une construction européenne réorientée.

Sa conclusion est une imposture et Zemmour surfe sur l’air du temps identitaire par démagogie.

Le livre se vend, il apporte des réponses et des armes intellectuelles afin que ses lecteurs voient à travers un prisme, pour adopter un point de vue éclairant leur destin. Malheureusement l’optique n’est pas la bonne : Zemmour est aveuglé par sa réaction épidermique.

Reste donc aux républicains de gauche de sortir les Français de leur mélancolie, cela devient urgent !

  1. Ed. Fayard Denoël. []
  2. Voir l’article de Phillipe Cohen « Quand Régis Debray révise l’épopée londonienne du général » http://www.marianne2.fr/Quand-Regis-Debray-revise-l-epopee-londonienne-du-General_a195588.html []
  3. Sondage exclusif CSA / Le Parisien / Aujourd’hui en France réalisé par téléphone les 28 et 29 octobre 2009 au domicile des personnes interviewées. Échantillon national représentatif de 1006 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et catégorie d’agglomération. []
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Pour une République Algérienne Laïque

par le PLD
Parti pour la Laïcité et la Démocratie

PROJET DE TEXTE FONDAMENTAL DU PLD MIS EN DEBAT
LA CHARTE DU PLD :

Chapitre premier

Pour une République
Algérienne Laïque

1. Une modernisation sans modernité

Dès l’indépendance, les dirigeants du pays refusent de faire la séparation entre le politique et le religieux d’où l’introduction de l’article 2 dans la première constitution algérienne ” Islam, religion de l’État “. Ils se sont ingéniés ainsi à instrumentaliser l’islam pour légitimer leur pouvoir mais aussi et surtout pour empêcher toute autonomisation politique de la société. Les pouvoirs en place se sont opposés farouchement à toute ouverture démocratique qui aurait pu mettre en perspective la construction d’un État de droit.

Une convergence de fait a émergé entre les courants nationaliste et islamiste. Le courant nationaliste mit en œuvre une politique de modernisation des infrastructures économiques et sociales du pays, mais à aucun moment cette politique ne s’est accompagnée par la démocratisation de la sphère politique. L’aile islamiste s’est ralliée à l’idée de modernisation du pays à condition que celle-ci ne débouche pas sur les acquis de la modernité, en un mot : oui à la modernisation de l’Algérie – mais sans modernité. Car cette dernière signifie un État de droit, avec des élections libres, des libertés de conscience et d’expression, des libertés individuelles et collectives, et une réelle séparation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, etc.

En fait, l’idée dominante à cette époque là, qui a présidé à tous les choix stratégiques du pays, largement approuvée par tous les patriotes et le courant socialisant, est qu’un programme socio-économique moderne et ambitieux de développement assurant une justice sociale véritable à lui seul, pouvait assurer le décollage de l’Algérie au niveau social et économique et permettre dans son sillage l’ancrage du pays à la modernité.

Le summum de l’alliance entre les nationalistes et les islamistes fut atteint avec le virage ultralibéral de l’économie algérienne, à partir de 1980. Mais les desseins de cette alliance ont été fortement contrariés par la crise économique mondiale avec la chute du prix du baril de pétrole en 1986, le discrédit du parti unique et la disparition du bloc socialiste.

L’instauration d’un État théocratique en Iran a encouragé le mouvement islamiste dès le début des années 1980. Il a permis l’infiltration de ce dernier au sein de l’université algérienne. Les premières violences armées ont vu le jour avec le ” maquis ” de Bouyali. La prise des mairies en 1990 par le FIS fut une étape dans la confiscation totale du pouvoir politique par les islamistes. L’arrêt du processus ” électoral ” en janvier 1992 a permis de sauver l’Algérie. Depuis 1992 l’islamisme politique est responsable de l’assassinat de dizaines de milliers de citoyens algériens et algériennes, dont beaucoup dans des conditions particulièrement atroces ; des milliers de blessés, dont certains mutilés à vie ; des centaines de ses jeunes filles et jeunes femmes kidnappées et soumises à des viols collectifs et répétés, avant d’être le plus souvent décapitées, quand d’autres ont perdu la raison; des millions d’habitants poussés à l’exode des campagnes vers les villes ou d’une région vers une autre, fuyant les terroristes ; des centaines de milliers de ses citoyens, constitués principalement de cadres, d’artistes et d’intellectuels, se sont exilés; sans compter les milliards de dollars de dégâts dus aux destructions, au sabotage et aux incendies commis par les islamistes. Ni la loi sur la rahma, ni celle de la concorde civile, ni celle de la réconciliation nationale, ni le projet d’amnistie générale ne feront oublier au peuple algérien le génocide islamiste.

Malgré cela, nous assistons, à l’instar de tous les pays musulmans, à la montée en puissance de l’islamisme politique dans toute sa diversité qui vise à l’instauration d’un État théocratique plus inégalitaire et un ordre moral encore plus attentatoire aux libertés de conscience et d’expression des musulmans et des croyants des autres religions, ainsi que des agnostiques et de non-croyants.

Les islamistes ne sont toutefois pas les seuls à exploiter la religion à des fins sordides. Les dirigeants politiques de nos pays font de même, pour se maintenir indéfiniment au pouvoir et continuer à opprimer leurs peuples.

C’est pourquoi l’Algérie doit tirer toutes les conclusions de cette expérience sanglante et adopter un antidote pour sortir de cette crise. Notre pays doit pour cela s’inspirer de certaines expériences historiques à valeur universelle et fécondes qui sont parvenues à mettre fin aux guerres de religions qui ont sévit plusieurs siècles. Toutes les tentatives de musellement de la société depuis 1962 n’ont fait toutefois que ralentir, mais non empêcher l’inéluctable marche de notre pays vers la modernité et la sécularisation des institutions officielles et l’évolution des mentalités en dépit de la persistance de l’islamisme politique dans la société algérienne et de manœuvres au sommet de l’État.

Grâce à leur génie, des peuples ont contribué à des degrés divers à la séparation du politique et du religieux. Mais la plus grande avancée émancipatrice dans ce domaine est, sans conteste, la laïcité. Les militants du Parti pour la Laïcité et la Démocratie (PLD) sont convaincus que l’instauration de la laïcité en Algérie est le seul moyen de se protéger des conséquences des manipulations politico-religieuses, d’où qu’elles viennent, pour construire une Algérie républicaine, démocratique,
moderne et sociale. Il nous faut cependant préciser le sens de la laïcité, pour lever toutes les confusions qui l’entourent d’autant que ses ennemis la confondent sciemment avec l’athéisme.

2. Qu’est-ce que la laïcité ?

La laïcité est la forme d’organisation politique la plus aboutie, consacrant le long processus d’autonomie de l’individu par rapport à la communauté ; processus enclenché, à partir des XVe et XVIe siècles en Occident, et porté intellectuellement par les philosophes des Lumières. Elle est en ce sens un puissant vecteur de l’affirmation des libertés individuelles et collectives. Elle est un ordre juridique d’organisation de l’État, fondé sur une séparation radicale entre les institutions religieuses et l’État.

Pour autant, la laïcité n’est pas antireligieuse, puisqu’elle garantit la liberté de conscience, c’est-à-dire le droit de chacune et de chacun d’adopter la religion de son choix, d’en changer ou de n’en croire aucune. Ceci est également valable pour toutes les opinions politiques, philosophiques, culturelles… De même qu’elle garantit leur libre expression dans la sphère privée. C’est ainsi qu’on peut être tout naturellement laïque et musulman, laïque et chrétien, laïque et juif, laïque et bouddhiste, laïque et athée…

La laïcité est en revanche anticléricale, dans la mesure où elle s’oppose à la prétention des religions, dont l’islam, à vouloir régenter tous les domaines de la vie des individus. Elle assure de ce fait la primauté de la citoyenneté sur l’appartenance religieuse ou communautaire. Voilà pourquoi, elle bannit les religions et les particularismes de la sphère publique, tout en garantissant leur libre expression dans la sphère privée.

3. Qu’entendons-nous cependant par sphère publique et sphère privée ?

La sphère publique, c’est l’espace de la puissance publique. C’est, autrement dit, l’État et les collectivités territoriales (wilaya, commune). Elle ne doit être régie ni par les lois religieuses ou d’inspiration religieuse, ni par les particularismes de quelque nature que ce soit, mais par des lois positives, modernes et communes à tous les citoyens, au-delà de ce qui les particularise en tant qu’individus (religion, irréligion, sexe, langue, couleur de peau, etc.). C’est pour cette raison que cette sphère est soumise au principe de neutralité.

Il faut comprendre ce principe dans le sens d’indifférence de la puissance publique envers aussi bien les religions que les diverses opinions et appartenances existant dans la société, afin d’être en mesure de traiter sur un pied d’égalité tous les usagers, en leur qualité de citoyens, tout en faisant abstraction de leur qualité d’individus.

Cette neutralité s’applique aux lois et règlements qui régissent le fonctionnement de cette sphère, ainsi qu’à ses rapports avec ses citoyennes et citoyens ; à son personnel, qui ne doit afficher, conformément à sa mission de service public, aucun signe d’appartenance; et à ses locaux où ne doit s’afficher aucun symbole, en dehors de ceux de la République, qui sont des valeurs communes à tous les membres de la Nation. Elle s’applique aussi aux élèves des établissements scolaires primaires, moyens et secondaires de l’enseignement public, qui sont des êtres en formation, des sujets en voie de constitution.

Quant à la sphère privée, elle se compose de deux espaces : public (rue, mosquée, entreprise commerciale ou industrielle, lieu de loisirs, local syndical) et de l’espace personnel (domicile). La liberté n’est toutefois pas absolue dans les sphères, aussi bien publique que privée. Elle s’exerce dans les limites du respect du principe de l’ordre public, qui n’est pas non plus réductible à la notion de trouble de l’ordre public, bien que cette dernière en fasse partie. Ce titre générique inclut ce que les juristes intitulent les lois impératives. Le respect de ce principe s’impose au citoyen et au chef de l’État.

Par séparation radicale entre la sphère publique et la sphère privée, il faut entendre l’autonomie entre ces deux sphères. Chaque sphère ne doit pas s’ingérer dans le fonctionnement de l’autre. C’est pourquoi, c’est un abus de langage que de qualifier par exemple de laïcité, l’anti-religion, voire l’athéisme militant, dans l’ex-URSS. Certes, Lénine avait promulgué la loi du 23 janvier 1918, relative à la laïcité de l’État soviétique, en s’inspirant de la loi française du 9 décembre 1905 qui stipulait que tout citoyen est ” libre de professer le culte de son choix ou de n’en professer aucun “. Mais l’implication de l’Église orthodoxe russe aux côtés de la contre-révolution intérieure et les États impérialistes, et les graves menaces, qu’ils avaient faites peser sur la survie de la jeune République des Soviets, obligèrent les bolcheviques à déclencher de violentes représailles, contre elle, jusqu’à la soumettre au nouveau pouvoir. Ce qui a signifié la mort de la laïcité dans ce pays, car il fut porté atteinte à la liberté de culte et à l’autonomie du religieux par rapport au pouvoir politique. Bien plus tard, la liberté de culte fut rétablie, mais non l’autonomie du religieux envers les pouvoirs publics.

Il en est de même de ce qu’on appelle improprement la laïcité en Turquie, alors qu’elle s’apparente à la sécularisation qui s’est effectuée à sens unique, puisque la religion est placée sous l’autorité du pouvoir politique. Il s’agit en effet d’une laïcité ” bancale “, dès la tentative de sa mise en place de fait, en 1923, avec l’abolition du système théocratique, incarné par le califat. Elle a consisté également en la nationalisation des mosquées et des écoles coraniques, de la prise en charge de la formation des imams, et celles des théologiens à la faculté d’Istanbul, ainsi que le contrôle du culte, par la création, en 1924, d’un ministère des Affaires religieuses. L’abrogation, en 1928, dans la Constitution de l’article : ” L’islam est religion d’État ” n’eut aucun effet pour la rétablir.

Dans les années 1970, le pouvoir ” laïque ” turc enseignera l’islam dans les écoles, comme cela s’est passé dans tous les pays musulmans, croyant couper ainsi l’herbe sous les pieds des islamistes.
Aujourd’hui, la ” laïcité ” en Turquie est à la croisée des chemins avec un président et un gouvernement islamistes, ainsi qu’une Assemblée nationale majoritairement islamiste. Le risque de la dérive vers un État théocratique n’est pas à écarter.

4. La laïcité : un combat démocratique

La lutte pour la laïcisation de l’État algérien n’est ni une utopie, ni une question, qui doit être posée dans un horizon lointain, dans le meilleur des cas. Nous pensons, au contraire, que ce combat est plus que jamais d’actualité, car la séparation des religions et de l’État en Algérie constitue l’une des options fondamentales pour sortir notre pays de son marasme. La laïcité est une tâche de nature nationale et démocratique, car elle est conforme à l’intérêt de la grande majorité de notre peuple et de notre pays.

Elle protège la religion, dimension spirituelle essentielle du musulman, de tous les charlatans. Elle répond en effet à un besoin patent chez certains et latent chez beaucoup d’autres. Ses partisans seront encore bien plus nombreux, lorsqu’ils prendront progressivement conscience des liens étroits entre laïcité et réalisation de plusieurs de leurs aspirations profondes et légitimes, telles que l’élargissement du champ de leurs libertés individuelles et collectives, le droit aux libertés d’expression et de pensée, la libération du carcan de traditions conservatrices étouffantes, l’accès à l’égalité totale en droit et en dignité entre les Algériennes et les Algériens.

Ceci d’autant plus, que nous sommes conscients du caractère anachronique, liberticide ou misogyne de plusieurs lois et pratiques qui régissent notre État et notre société ; et contre lesquelles il nous faut continuer à lutter pour les abroger. Il s’agit avant tout de l’article 2 de la Constitution algérienne qui stipule que : ” l’islam est religion d’État “, ainsi que de toute loi ou disposition analogues. Car elles sont en contradiction avec la démocratie et le droit moderne qui accordent la liberté de critiquer tous les dogmes, notamment leurs dimensions misogynes et attentatoires aux droits de l’Homme, sans craindre pour sa vie ou sa liberté.

Il en est de même du Code de la famille, fondé sur des préceptes de la charia, qui bafoue la dignité et les droits de femmes, et qu’il faut remplacer par des lois civiles. Il faudrait que dans les écolesle cours d’instruction civique, fondé sur la critique des savoirs et l’imprégnation par les valeurs humaines universelles, soit inscrit dans le programme scolaire.

5. La laïcité en Algérie : une utopie réaliste

En dépit de la montée de l’islamisme politique, ainsi que de la régression partielle et temporaire qu’il a imposée aux peuples et aux États musulmans, nous observons néanmoins, surtout depuis la décolonisation, des progrès de la sécularisation dans nos sociétés et nos États.

Les deux processus de sécularisation et de modernité entraîneront immanquablement l’allègement croissant du poids des religions, des particularismes nationaux, ethniques ou linguistiques, ainsi que des pouvoirs politiques sur les libertés individuelles, collectives, et sur les choix de vie des femmes et des hommes. Cette évolution est appelée à s’accélérer avec la mondialisation et la révolution scientifique et technique en cours, surtout pour ce qui est des technologies de la communication et des moyens de transports. Conjugués à d’autres dimensions de cette révolution, ils réduiront davantage les distances entre les pays, entre les continents et les peuples.

Ces derniers seront alors incités à partager des valeurs humaines communes, et à faire reculer encore plus leurs préjugés respectifs. Nous ne voyons toutefois aucunement cette évolution comme un processus uniforme et univoque, mais comme une tendance, avec ses avances, ses stagnations et ses reculs sur les court et moyen termes, et avec des progrès inéluctables sur le long terme.

Nous sommes également attachés à une conception matérialiste et dialectique de l’évolution des sociétés humaines, à savoir que ce sont les conditions matérielles des Hommes, qui, en dernière analyse, déterminent leurs consciences, cela ne fait pas de nous pour autant les adeptes d’un déterminisme social, qui minore le rôle des êtres humains dans la lutte pour la transformation de leurs conditions d’existence et leur émancipation.

L’instauration de la laïcité dans notre pays est une œuvre de longue haleine, les laïques algériens ne doivent pas moins s’atteler, dès aujourd’hui, à en poser les jalons. C’est en tout cas l’une des raisons d’être essentielle de la création du Parti pour la Laïcité et la Démocratie.

Vive la République Algérienne Laïque, Démocratique, Moderne et Sociale!

Alger le 5 juillet 2010,
P/ le Bureau National.

NB : Toutes les remarques, critiques et enrichissements doivent être adressés à l’adresse suivante : algerielaique@yahoo.fr

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Il faut empêcher la lapidation de Sakineh

par Bernard-Henri Lévy

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«Sakineh Mohammadi Ashtiani attendait dans la prison de Tabriz, dans l’ouest de l’Iran, où elle croupit depuis cinq ans, la réponse à une demande de réexamen de son cas – prévue, initialement, pour le 15 août.

Son “crime” (qu’elle n’a avoué, rappelons-le, que sous la torture et qui consisterait, selon ses accusateurs, à avoir eu deux relations amoureuses hors mariage) avait déjà été puni par 99 coups de fouet administrés en présence de l’un de ses deux enfants. Mais voilà qu’une nouvelle et nébuleuse accusation a débouché, il y a quelques mois, sur une condamnation à mort – et pas n’importe quelle mort puisqu’il devrait s’agir d’une mort par lapidation!

«L’opinion internationale, touchée par l’horreur de cette menace qui pèse sur Sakineh, attendait avec elle la révision d’un verdict aussi inique que barbare quand, le 11 août au soir, se produisit l’un de ces coups de théâtre dont l’Iran commence à être coutumière: le régime diffusait à la télévision, dans une émission de grande écoute, les prétendus “aveux” de la jeune femme qui, couverte par un tchador noir qui ne laissait voir que son nez et l’un de ses yeux, tenant une feuille de papier entre les doigts comme si elle récitait une leçon mal apprise, une voix off en farsi couvrant sa propre voix qui s’exprimait dans sa langue maternelle, l’azéri, confessait sa supposée “complicité” dans le meurtre de son mari.

«Son actuel avocat, Hutan Kian, a affirmé que cette déclaration, contraire à toute vraisemblance, a été arrachée à nouveau sous la torture, et rapporte que les enfants de Sakineh sont, quant à eux, “complètement traumatisés” par l’émission. Outre le fait que l’on peut avoir des doutes sur l’identité de la femme qui est apparue ce soir-là sur les écrans, dissimulée sous un tchador étonnamment couvrant, ces propos vont par ailleurs clairement à l’encontre de ceux rapportés par le Guardian, la semaine dernière, et où Sakineh expliquait que les autorités iraniennes l’avaient déjà, en 2006, lavée de cette accusation infâme; qu’elles mentaient donc sciemment en ­revenant ainsi sur une charge abandonnée depuis longtemps et ce dans le seul but de semer la confusion dans les médias et de les préparer à une exécution à la sauvette; et que la “justice” ne s’obstinait sur son cas que “parce qu’elle est une femme” et qu’elle vit “dans un pays où les femmes sont privées de leurs droits les plus élémentaires”.

«Ne pas fermer les yeux sur une mise en scène aussi grossière»

«Que Sakineh soit privée de ses droits les plus élémentaires, cela ressort du fait qu’elle n’a même pas eu droit, dans cette affaire, à un jugement limpide, dans une langue qu’elle puisse comprendre: “Quand le juge a prononcé la sentence, a-t-elle déclaré au Guardian, je n’ai même pas réalisé que j’allais être lapidée à mort car j’ignorais ce que signifiait le mot “rajam”; ils m’ont demandé de signer la sentence, ce que j’ai fait, et quand je suis retournée en prison et que mes codétenues m’ont avertie que j’allais être lapidée, je me suis immédiatement évanouie.” Cela est confirmé par les mésaventures de son ancien avocat, Mohammad Mostafaei, qui avait attiré l’attention internationale sur son cas et qui s’est vu, pour cela, menacé d’emprisonnement (il n’a dû son salut qu’à la fuite en Turquie où il attend un visa pour la Norvège – mais non sans que son épouse, Fereshteh Halimi, ait été retenue en otage et emprisonnée). Cela est enfin attesté par le fait que, nonobstant l’horreur de la chose même, et quitte à entrer dans les détails les plus scabreux, une mise à mort par lapidation n’est possible en “droit” iranien que lorsque la famille de la victime en fait la demande (ce qui, dans le cas de Sakineh et de sa famille, n’est pas le cas).

«Mais par-delà ces considérations dans lesquelles nous n’avons ni le goût ni peut-être, désormais, vraiment le temps d’entrer, il est urgent d’intervenir pour empêcher une mise à mort dont les observateurs de la scène iranienne ont tout lieu de redouter l’imminence. Il est urgent de répondre à l’appel des enfants de Sakineh, Fasride et Sajjad Mohammadi Ashtiani, nous adjurant de ne pas fermer les yeux sur une mise en scène aussi grossière et de ne pas laisser leur “cauchemar devenir réalité”. Il est urgent d’exiger des autorités, pour Sakineh, le renoncement à toute forme d’exécution, une remise en liberté sans délai et la reconnaissance de son innocence. Des dizaines de femmes sont, chaque année, en Iran, condamnées au fouet, à la lapidation ou à d’autres peines dont la barbarie glace, tout autant, les sangs: il est urgent, au-delà même du cas de Sakineh, que l’ONU rappelle au régime des mollahs les promesses faites, en 2002 et en 2008, quant à l’abolition de ce type de châtiments. La vie d’une femme est jeu. La liberté et la dignité de milliers d’autres se jouent également là. Et il s’agit enfin de l’honneur d’un grand pays, doté d’une culture aussi magnifique qu’immémoriale, et qui ne peut se voir résumer, sous les yeux du monde, au visage ensanglanté, réduit en bouillie, d’une femme lapidée. Pitié pour Sakineh. Pitié pour l’Iran.

Les premiers signataires

Wole Soyinka, Bernard-Henri Lévy, Patrick Modiano, Milan Kundera, Jorge Semprún, Ségolène Royal, Rachida Dati, Simone Veil, Marjane Satrapi, Juliette Binoche, Mia Farrow Bob Geldof, Taslima Nasrin, Ayaan Hirsi Ali, Jody Williams, Sussan Deyhim, Yann Richard, Elisabeth Badinter, Lionel Jospin, Sylviane Agacinski, Martine Aubry…

La liste des signatures est consultable sur le site de Bernard-Henri Levy ici.

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« Israël ou l’ivresse de la force depuis des années », entretien avec Elias Sanbar

Elias Sanbar est ambassadeur de Palestine auprès de l’Unesco et écrivain, auteur récemment du Dictionnaire amoureux de la Palestine1 . Il évoque l’État israélien, le processus de paix et l’attitude des États-Unis et de l’Union européenne vis-à-vis du Proche-Orient.

Quel est 
le climat qui règne actuellement 
en Israël et dans les territoires palestiniens depuis l’attaque israélienne 
contre la flottille humanitaire qui se rendait à Gaza (mai 2010)  ?

Elias Sanbar : Pour le comprendre, je crois qu’il faut d’abord entendre ce qu’un certain nombre de citoyens israéliens disent. En les écoutant, on voit bien que les commentaires venant du côté palestinien, arabe ou même international ne sont pas exagérés. Il existe aujourd’hui, en Israël, de nombreuses critiques contre cette opération. Comme il existe dans ce pays une vague de mises en garde de citoyens israéliens aux autorités, se demandant si la politique menée par le gouvernement n’est pas en train de mener vers l’abîme. «  Dans ce sentiment d’impunité absolue, est-ce qu’on n’est pas en train de changer l’image d’Israël et sa place dans le concert des nations  ?  » C’est ce que l’on entend dans la presse israélienne.

Pourquoi en est-on là  ?

Elias Sanbar : Ce qui s’est passé est le fruit de plusieurs vecteurs. Il y a tout d’abord l’ivresse de la force de la part d’Israël depuis des années. Cette ivresse l’a conduit à de graves erreurs politiques. Israël est également, à chaque fois, convaincu de son impunité. En règle générale, les responsables israéliens estiment que les commentaires ou les condamnations, qui peuvent être faits, passeront comme tous les autres. Autre chose, la plus grave, fruit d’un calcul cynique derrière cette opération contre un convoi humanitaire qui est  : «  Que faire  ?  » Une question permanente chez les responsables israéliens. «  Que faire pour que les Palestiniens ne puissent plus négocier avec nous et montrer aux Américains que nous n’avons pas de partenaire  ?  » C’est ce que cherche le gouvernement israélien d’extrême droite. «  Comment en finir avec les pressions américaines ou européennes pour aller de l’avant et signer un certain nombre d’accords avec les Occidentaux  ?  » Cette opération devait, entre autres, rendre intenable non pas la position du Hamas (le Hamas est encerclé à Gaza et n’est pas dans la négociation) mais la situation de ceux qui, précisément, négocient. D’ailleurs, dès l’attaque, les réactions en Palestine et dans les pays arabes ont été d’appeler à la négociation avec Israël. Cette cible a été en partie atteinte et en partie confortée par le fait que, quoi qu’on dise, il n’y a pas eu d’actions vraiment coercitives vis-à-vis d’Israël après cet acte de piraterie.

Vous parlez de gouvernement israélien «  d’extrême droite  ». Pourtant, la guerre menée contre la bande de Gaza n’était-elle pas le fait de ce gouvernement même si le ministre de la Défense, Ehoud Barak, est le même  ?

Elias Sanbar : Personne ne peut nier que ce gouvernement est un gouvernement d’extrême droite. Que ce soit la somme de toutes les tendances existantes ou une adhésion de toutes ces tendances à ces orientations, en tout cas, le résultat est là. C’est une politique d’extrême droite menée contre toute négociation, contre tout retrait des territoires occupés, qui se caractérise par un appui au mouvement des colons. On dit toujours que la majorité des Israéliens sont pour la paix. Peut-être. Mais, là encore, nous n’en sommes qu’au niveau des déclarations ou des actes de foi. Nous ne voyons pas d’actions en ce sens. Si cette majorité pour la paix existait, elle n’aurait pas élu des hommes comme Lieberman ou Netanyahou dont le programme était très clair. Que les Israéliens aient, comme tout le monde, des espoirs dans la paix, j’en suis convaincu. Mais agissent-ils dans ce sens  ? J’ai des doutes…

Personne n’agit ?

Elias Sanbar. Si, bien sûr, une petite frange. Celle qui a des doutes sur l’action israélienne, qui se prononce pour deux États et qui est d’autant plus respectable et admirable qu’elle est isolée. Un journaliste du Yediot Aharonot relevait récemment qu’il y avait un certain nombre de convictions dans la société israélienne. Celle-ci est convaincue, dans son immense majorité, parce qu’on le lui a répété pendant des décennies, que la totalité des territoires lui appartient – et non qu’elle les occupe – et qu’elle est en train de faire un cadeau aux Palestiniens. Ceux-ci sont dans l’ingratitude. Parce qu’Israël leur donne. Israël ne se retire pas. C’est dire en même temps  : «  Je suis pour la paix, mais ce n’est pas moi qui la fais, je la donne. Que les autres se contentent de ce qu’on leur donne et qu’ils disent merci.  »

Que pensez-vous de l’attitude américaine et de celle 
de l’Union européenne  ?

Elias Sanbar : Les États-Unis sont à une croisée des chemins. Que comptent-ils faire  ? Continuer dans une position dont on ne voit pas la teinte véritable et prendre le risque d’une détérioration gravissime de la situation régionale, ce qui est en train d’arriver à grands pas. Ou agir en affrontant une partie de leur opinion publique. Vont-ils continuer à attendre pendant que 
la situation se détériore ? C’est la question qui est posée. Du côté de l’Europe, il y a bien sûr de la déception. Depuis vingt ans nous sommes dans des déclarations d’intentions. 
Les autorités officielles n’ont rien fait. Les véritables actions proviennent des associations ou des syndicats, comme les dockers suédois 
qui refusent de décharger les bateaux israéliens.

Entretien réalisé 
par Pierre Barbancey

  1. Éditions Plon, 2010. 
481 pages. 
24,50 euros. []
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La Cagoule, le fascisme français qui a voulu assassiner Blum puis renverser le Front populaire (L’Oréal, Schueller, Bettencourt et consorts)

par Jacques Serieys

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1) Le contexte

La crise économique de 1929 1933 secoue toutes les sociétés européennes. Plutôt que de partager une partie de ses richesses, dans tous les pays le grand patronat finance des organisations fascistes capables d’intimider sinon exterminer les militants syndicalistes et progressistes. La droite, l’Église, l’armée et la police sont traversées par un climat de sympathie vers cette solution autoritaire.

Début 1934, la droite française et ses médias aux ordres lancent une grande campagne de déstabilisation du gouvernement radical. Le 6 février 1934, les ligues d’extrême droite marchent sur le Parlement. Durant les durs affrontements de cette journée, les principaux dirigeants d’Action française (royalistes, principale force de l’extrême droite) ne sont même pas présents. Cela sert de prétexte à des éléments radicaux liés au grand patronat comme Eugène Deloncle pour fonder une autre organisation.

Du Portugal à la Hongrie, de la Norvège à la Grèce, le climat politique de l’automne 1935 pue la peste brune. En septembre 35, le parti nazi proclame les lois antisémites de Nuremberg ; la croix gammée flotte sur le Reich et sur les camps de concentration gérés par les SS qui terminent le génocide de la gauche allemande. Octobre 35 : les troupes de Mussolini envahissent l’Ethiopie. Novembre 35 : le fascisme catholique belge réussit une démonstration de force.

En France, partis de gauche et syndicats ouvriers mobilisent la rue (grande manifestation du 14 juillet 1935) et progressent dans l’opinion. Une bonne partie du grand patronat s’impatiente de ne pouvoir nettoyer cette vermine rouge qui menace les profits ; aussi l’argent ne manque pas aux activistes qui fondent en décembre 1935 le Parti National Révolutionnaire autour d’Eugène Deloncle. C’est particulièrement le cas de 97 membres de la 17ème section (16ème arrondissement de Paris) des Camelots du Roi, une des meilleures troupes de choc de l’extrême droite française.

Quel est l’objectif de ce PNR d’après sa déclaration en préfecture ? « D’organiser une action sociale pour le redressement économique et social du pays et de lutter contre les influences intérieures ou extérieures ou tout groupement qui s’opposerait à la réalisation de ce programme. »

Parmi les animateurs de ce PNR, signalons autour d’Eugène Deloncle : Jean Filliol, Jacques Corrèze, Gabriel Jeantet, Armand Crespin, Aristide Corre, Fernand Jakubiez.

2) Juin 1936 : Le PNR se dissout au profit d’une organisation fasciste secrète : l’OSARN

Pourquoi un mouvement légal comme le PNR a-t-il décidé de disparaître pour se fondre dans une structure clandestine très hiérarchisée ? Seul le rappel du contexte des mois de mai à juillet 1936 permet d’en comprendre les raisons.

1er mai 1936 : Imposantes manifestations ouvrières auxquelles le patronat répond en licenciant ici et là des salariés qui ont chômé ce jour-là.

6 mai 1936 : Le Front populaire sort vainqueur du 2ème tour des élections législatives.

11 mai : Les usines Bréguet du Havre se mettent en grève pour la réintégration de deux ouvriers licenciés pour cause de 1er mai chômé (satisfaction au bout de 24 heures). Jusqu’au 20 mai, un mouvement de grève se généralise sur tout le pays.

24 mai : La manifestation en hommage à la Commune rassemble au chant de l’Internationale 600000 personnes à Paris dont Léon Blum. Celui-ci devient président du conseil le 4 juin, appelant trois femmes au gouvernement.

Pour éviter que l’explosion sociale ne débouche sur un processus révolutionnaire encore plus dangereux, le patronat signe les Accords de Matignon (premiers congés payés, semaine de 40 heures…).

La coupe est pleine pour les 200 familles et pour tous ceux qui veulent casser cette « Anti-France ». Sur qui s’appuyer pour cela ? Evidemment sur les ligues et sur les influents journaux d’extrême droite.

Le gouvernement de Front populaire réagit vite. Le 18 juin, sur proposition de son ministre de l’intérieur Roger Salengro, il dissout les ligues et projette la nationalisation des gazettes fascisantes. La police enquête sur les réseaux d’extrême droite dont le PNR.

Dans ces conditions, les dirigeants du Parti National Révolutionnaire préfèrent dissoudre leur mouvement légal et le fondre dans une structure clandestine : l’Organisation Secrète d’Action Révolutionnaire Nationale. Après l’échec du 6 mai 1934, seule une milice secrète peut apparaître apte dans la mouvance fascisante française à renverser la république. Grâce à cette clandestinité, les liens avec Mussolini, avec le grand patronat et des chefs militaires, avec divers groupes fascisants nationaux et locaux en seront facilités. La création d’une petite armée insurrectionnelle pourra être poursuivie à l’ombre des châteaux et des caves. Quant à la police, elle aura beaucoup plus de mal à obtenir des informations.

3) Les liens de la Cagoule avec le grand patronat

L’Action française perd en juin 36 une partie de ses éléments les plus actifs. Elle se moque dans ses journaux de l’amateurisme et de la folie du secret imprégnant cette OSARN (“des conspirateurs d’opéra comique”) qui accueille ses transfuges. Elle donne à la nouvelle organisation le surnom par lequel elle passera à la postérité (la Cagoule) et à ses adhérents celui de cagoulards.

Aux yeux du grand patronat et des officiers supérieurs prêts à renverser la « gueuse », c’est l’OSARN qui fait le bon choix.

Juillet 1936 : Le coup d’état tenté en Espagne par les généraux putschistes (dont Franco) avec le soutien de l’Eglise, d’une grande partie du patronat et de la droite, renforce la crédibilité d’un projet armé pour protéger la « France traditionnelle » face au socialisme.

Le principal dirigeant de la clandestine OSARN (Eugène Deloncle) est lui-même bien intégré dans le monde des affaires : polytechnicien, ingénieur-expert à la cour d’appel de Paris, administrateur d’une dizaine de sociétés industrielles…

Son meilleur ami se nomme Eugène Schueller, fondateur de la société L’Oréal. Financeur principal de la Cagoule, il accueille dans son bureau les réunions de direction de celle-ci. Sa fille Liliane se mariera avec André Bettencourt (17 ans en 1936), un des activistes de la Cagoule.

Jacques Lemaigre Dubreuil, patron des huiles Lesieur, de Maroc-Presse et propriétaire de gros placements au Printemps finance la sortie du journal national.

A Clermont-Ferrand, Pierre Michelin et une bonne partie de l’encadrement supérieur s’impliquent dans la Cagoule.

Parmi les 200 familles, notons encore les parfums Coty, les ciments Lafarge, les peintures Ripolin, Louis Renault…

4) La Cagoule, une machine de guerre

Sa structure présente un aspect très militaire.

La revue L’Histoire a présenté dans son numéro 159 un excellent résumé sur la question : « A la base, la cellule ou groupe de combat de sept à douze hommes pourvus d’un fusil-mitrailleur Schmeisser, un fusil semi-automatique Beretta, un fusil de guerre, deux fusils de chasse, des armes légères et des grenades… trois cellules forment une unité, trois unités un bataillon, trois bataillons un régiment, deux régiments une brigade, trois brigades une division ». Même si les effectifs de l’OSARN proprement dite ne paraissent pas avoir dépassé 3000 hommes sur Paris plus 3000 en province, cela représente cependant une force militaire certaine. Chaque cellule familiarise ses hommes au maniement de leurs armes, aux techniques de combat de rue, aux informations utiles pour le grand jour où ils prendront le pouvoir.

« Même modèle militaire au niveau de l’état-major qui se divise en quatre bureaux. Le 1er bureau a une fonction de direction et de discipline… Le 2ème bureau ou service de renseignements, dirigé par le docteur Félix Martin, collecte et recoupe toutes les informations nécessaires à la bonne exécution du coup d’état : itinéraires des différentes cellules, plans des ministères, de l’Elysée et des appartements de certains ministres, moyens de défense du Palais Bourbon, armement des communistes… Le 3ème bureau veille à l’entraînement des nouvelles recrues et doit mettre sur pied le plan d’insurrection. Le 4ème bureau s’occupe du transport, du matériel et du ravitaillement des troupes, ainsi que d’un service ambulancier et médical ».

Le secret constitue le principal atout de survie de l’OSARN. Chaque adhérent prête serment de fidélité, d’obéissance et de secret absolu au groupe. Chaque adhérent prend un pseudonyme. Des signes de reconnaissance, des phrases mots de passe permettent d’établir sans risque les liens nécessaires. Le fichier central est codé. Le cloisonnement des groupes va également contribuer à la longévité de la Cagoule : en principe, chaque membre ne connaît que son supérieur direct.

La Cagoule développe le sentiment d’appartenance de ses adhérents par des rites initiatiques fortement marqués par le mimétisme :

• la cagoule comme le Ku Klux Khan (exemple de Nice)

• le serment de fidélité, bras droit levé, comme les fascistes italiens et allemands

• la devise Ad majorem Galliae (pour la plus grande gloire de la France), imitation du jésuite Ad majorem Dei gloriam.

Son uniforme comprend veste de similicuir, culotte de cheval, casque de l’armée.

5) La Cagoule, sa direction et sa galaxie de structures de masse

Le Comité directeur de la Cagoule ne comprend que cinq à six membres : Eugène Deloncle, son frère Henri Deloncle, Jacques Corrèze, Jean Filliol, Gabriel Jeantet (plus le général Duseigneur). Discussions avec d’autres groupes d’extrême droite, construction de l’organisation, alliances ou accords avec l’Italie mussolinienne, Espagne franquiste et Allemagne nazie, achats d’armes, finances, opérations spéciales passent par eux.

Dans l’état d’éclatement et d’absence de perspectives que connaît la nombreuse extrême droite française en 1936 1937, cette direction cagoularde réussit à démultiplier ses forces en intégrant des chefs de réseaux sans que les adhérents de ceux-ci en soient informés.

Trois groupes sont caractéristiques de cette hégémonie de la Cagoule en province :

• le Groupement militaire patriotique à Toulouse qui assure les liens avec l’Espagne franquiste

• les Chevaliers du glaive de Joseph Darnand et François Durand de Grossouvre à Nice qui assurent le trafic d’armes avec l’Italie mussolinienne.

• l’Union des enfants d’Auvergne de François Méténier, influente parmi les ingénieurs et le personnel d’encadrement des usines Michelin de Clermont-Ferrand

Au niveau national, le principal relais de l’OSARN est constitué par sa vitrine légale : L’Union des Comités d’Action Défensive officiellement créée en novembre 1936 sous la direction du général Edmond Duseigneur assisté du duc Pozzo di Borgo venu des Croix de feu.

Parmi les objectifs déclinés par l’UCAD dans sa déclaration en préfecture, notons celui-ci : S’efforcer de combattre la confiance trop absolue en un développement sans frein de la démocratie dont la limite géographique est le communisme

L’UCAD chapeaute par ailleurs le Centre d’information et de coopération, le Cercle d’études nationales (animé par Armand Crespin) et le Comité de rassemblement antisoviétique (de Marcel Bucard).

6) La Cagoule, son implantation et ses liens dans l’armée

La Cagoule comprend un nombre important d’officiers de réserve parmi ses membres.

Le général Duseigneur devient rapidement le numéro 2 de la Cagoule remplaçant Eugène Deloncle lorsque celui-ci est absent. Georges Cachier, lieutenant-colonel de réserve et administrateur d’usine, commande l’important « 3e bureau » (opérations, instruction des recrues) chargé de préparer le coup d’état. Le 2ème bureau de la cagoule (renseignement) est en lien permanent avec le 2ème bureau de l’armée pour des informations concernant l’activité de communistes ou d’agents soviétiques ; lors du procès de la cagoule, cet organe de l’armée assumera cette relation auprès du juge d’instruction « Le docteur Martin a fourni au deuxième bureau une documentation utile et appréciée ».

Le maréchal Franchet d’Espérey, auréolé de sa gloire acquise durant la première guerre mondiale (bataille de la Marne… Commandant des armées d’Orient…), met son poids moral au service de la Cagoule auprès de financeurs potentiels comme auprès de militaires.

Le maréchal Pétain met en contact Eugène Deloncle avec le commandant Georges Loustanau-Lacau, son directeur de cabinet au Conseil supérieur de la Défense nationale qui a mis sur pied une organisation anticommuniste non officielle au sein de l’armée : le réseau Corvignolles. Il a organisé dans toute les unités des officiers « sûrs » pour repérer les communistes, les signaler à l’autorité supérieure, muter les soldats et dissoudre les cellules. D’après Loustanau-Lacau, 150 à 200 cellules auraient ainsi été dissoutes en un an et demi.

Le général Giraud, autre « gloire » de l’armée entretient des liens fraternels avec la Cagoule.

Parmi les contacts « sûrs » de la Cagoule dans l’armée se trouvent plusieurs des principaux chefs de celle-ci, auxquels elle apportera préalablement à sa tentative de coup d’état de novembre 1937 des informations :

• le général Georges du haut état-major (adjoint du généralissime Gamelin et futur commandant des armées du Nord)

• le général Dufieux, inspecteur général de l’infanterie

• le général Jeannel chef d’état-major du généralissime Gamelin

Le témoignage le plus intéressant sur les liens entre la cagoule et les autorités militaires au plus haut niveau a été apporté par le général de division Lavigne-Delville. Lors du procès de la Cagoule, il déclare avoir eu connaissance du complot de celle-ci et avoir assisté à plusieurs réunions entre celle-ci et des militaires. Il précise par exemple « Je maintiens qu’en ma compagnie, il (Eugène Deloncle) a vu les autorités militaires que j’avais tout lieu de croire mandatées implicitement ou explicitement par leurs chefs qui eux étaient des autorités militaires… Au cours de ces conversations, j’ai trouvé entre les officiers et Deloncle une confiance réciproque. J’en ai conclu qu’il les avait vus plus souvent que moi. »

7) La Cagoule aux côtés du fascisme international. Les actions subversives de la Cagoule.

Dès le début de la guerre d’Espagne, la Cagoule s’active aux côtés des franquistes : livraison d’armes, « sabotage de voies ferrées reliant la France à l’Espagne, intimidation de partisans des républicains, destruction de navires ravitaillant les antifranquistes… sabotage d’avions destinés aux républicains sur l’aérodrome de Toussus le Noble dans la nuit du 28 au 29 août 1937. »

« La Cagoule… est entièrement responsable de l’assassinat de Carlo et Nello Rosselli. Ces deux intellectuels antifascistes italiens gênaient Mussolini qui demande aux cagoulards leur élimination en échange de fusils semi-automatiques. L’opération est minutieusement préparée et exécutée le 9 juin 1937 à Bagnoles de l’Orne. L’enquête permet de déterminer avec certitude la responsabilité de l’OSARN dans le crime : d’après les aveux de Jakubiez (qui a participé à cette action), c’est Filliol qui a donné les coups mortels. »

Mis à part l’achat de fusils Schmeisser, les relations avec l’Allemagne nazie n’ont pas été prouvées jusqu’à présent. Elles furent peut-être très limitées en raison du nationalisme anti-allemand florissant à l’époque dans les milieux militaires marqués par la Première guerre mondiale.

La première action subversive de la Cagoule sur le terrain politique français se voulait un coup d’éclat : assassiner Léon Blum le 11 février 1936 ; mais l’opération rate.

La seconde réussit avec l’assassinat le 24 janvier 1937 de Dimitri Navachine, « directeur de la Banque commerciale pour l’Europe du Nord, assassiné à coups de baïonnette par Jean Filliol. Cette mort a valeur de symbole : Navachine était soviétique, communiste, franc-maçon et très lié avec le gouvernement de Front populaire. »

Enhardis, le 11 septembre 1937, les cagoulards font sauter à la bombe le siège de la Confédération Générale du Patronat Français et celui de l’Union des Industries Métallurgiques dans le but de faire accuser les communistes. Deux gardiens de la paix en faction décèdent. Qui a monté le coup ? L’Union des Enfants de Gergovie, groupe de Clermont Ferrand lié à la Cagoule, dont Pierre Michelin est chef de section. La presse de droite tonne contre syndicalistes, communistes et socialistes. Ainsi Le Temps écrit « La vérité est que la campagne marxiste des syndicalistes contre la société actuelle et contre l’ordre établi sont à l’origine de toute cette affaire… » Cependant, cette provocation n’atteint pas son but et l’affaire se retournera plus tard contre ses auteurs.

8) Du 15 au 16 novembre 1937, échec du coup d’état fomenté par la Cagoule

Le projet planifié par l’OSARN est assez simple :

  1. faire croire aux généraux amis que les communistes prévoit un putsch pour la nuit du 15 au 16 novembre.
  2. provoquer un coup d’état militaire ce soir-là pour protéger la France contre cette action des communistes
  3. lancer dans le même temps les bataillons de la Cagoule à l’assaut des bâtiments abritant le pouvoir en se présentant comme défenseurs de la patrie face aux rouges.

Selon Pierre Péan ( Le Mystérieux Docteur Martin, p. 140), Deloncle avait rencontré dès novembre 1936 le général Henri Giraud qui avait promis son aide en cas de soulèvement communiste ; les cagoulards se rangeraient sous ses ordres en échange. Très satisfait, Giraud « est évidemment d’accord pour travailler avec les gens de l’OSARN et souhaite la meilleure réussite à l’entreprise de Deloncle et Duseigneur »

Début novembre 37, les généraux Georges, Dufieux et Jeannel sont dans la confidence concernant le coup d’état projeté par les communistes. D’autres liens sont assurés.

Dans la nuit du 15 au 16 novembre, toutes les forces de l’OSARN sont à leurs postes de combat pour s’emparer de l’Elysée, de Matignon, des ministères, des points stratégiques de la capitale… D’autres groupes disposent de l’adresse, parfois même des plans des appartements de personnalités à arrêter ou exécuter.

Tout ce beau monde attend l’ordre d’Eugène Deloncle. Les minutes passent ; les heures passent. Et Eugène Deloncle ne donne pas l’ordre attendu. En l’absence de tout action des militaires, la Cagoule n’a effectivement pas les moyens de renverser la république dirigée par le Front populaire. D’autres cagoulards comme Filliol poussent cette nuit-là à lancer l’opération sans l’armée… mais Deloncle ne donne toujours pas l’ordre attendu. Au petit matin, les milliers de conspirateurs rentrent chez eux.

Durant la semaine suivante, la police (dirigée par l’actif ministre de l’intérieur Marc Dormoy) découvre une partie de l’opération projetée.

La revue Le Monde2 apporte des informations intéressantes concernant l’armement de la Cagoule ainsi découvert :

« A chaque brigade correspondait un dépôt d’armes sans compter les trois dépôts centraux.

« A Paris, on a découvert au total 7740 grenades, 34 mitrailleuses, 195 fusils Schmeisser, 85 fusils Beretta, 148 fusils de chasse, 300938 cartouches, 166 kilos d’explosifs. La plupart de ces armes étaient entreposées dans des caves où des maçonneries secrètes avaient été pratiquées, grâce aux moyens financiers d’origine inconnue dont disposait le CSAR (autre nom de l’OSARN). Au 37 de la rue Ribera par exemple, sous une pension de famille, un déclic faisait pivoter une paroi pour découvrir un poste de commandement capitonné de carton insonore, muni d’un téléphone clandestin.

« En banlieue, on trouva des dépôts à Annet-sur-Marne, Limeil-Brévannes, Villemomble, et dans l’Aisne à Attilly. En dehors des armes classiques, la Cagoule disposait d’engins explosifs à retardement et de portemines lançant des liquides aveuglants. »

Ces armes provenaient de cambriolages dans les casernes et surtout d’importations étrangères de Suisse, d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne (fusils Schmeissel) et surtout de Belgique.

Mais la guerre approche et le procès de la Cagoule n’aura en fait jamais lieu réellement. D’importantes caches d’armes seront découvertes ici et là, par exemple dans le château de Saint-Vincent-le-Paluel, brûlé en 44 par les Allemands, où les Cagoulards avaient entreposé, avec l’accord du prince de Croÿ, dans le souterrain, un stock considérable d’armes.

9) Quelques acteurs de la Cagoule et leur devenir

• EUGENE DELONCLE était, comme nous l’avons vu le chef incontesté des cagoulards. Sa culture antirépublicaine virulente l’amenait naturellement vers le fascisme. En 1940, il rejoint l’amiral Darlan, regroupe d’anciens cagoulards, crée le Mouvement social révolutionnaire pour la Révolution nationale, puis participe au Rassemblement National Populaire de Déat.

Il est assassiné en janvier 1944. Son fils Louis, dirigera la branche espagnole de L’Oréal.

• JEAN FILLIOL se vante comme les précédents d’être un chrétien pratiquant militant. Fils d’un sergent de carrière comme Deloncle est le fils d’un officier de marine. Professionnellement, il s’insère comme cadre commercial chez Hachette. Le 6 février 1934, c’est lui qui dirige la charge des Camelots du Roi vers l’Assemblée nationale. En février 36, son groupe tente d’assassiner Blum qui est blessé. C’est encore lui qui assassine Navachine de sa baïonnette qu’il avait raccourcie pour plus de facilité. C’est probablement encore lui qui réussit la provocation du cinéma de Clichy. C’est encore lui qui assassine les frères Rosselli. C’est encore lui qui dirige l’opération de Toussus le Noble détruisant les avions destinés à l’Espagne républicaine. C’est encore lui qui fait sauter les deux immeubles du Patronat en 1937. Après l’échec du coup d’état de la cagoule, il passe en Espagne aux côtés des franquistes.

Début 1941, Filliol revient en France pour participer au MSR avec ses vieux amis cagoulards les Eugène, Deloncle et Schueller. Il s’active dans la sinistre Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme, est affecté par son ami Joseph DARNAND à la Franc-garde de la Milice au début de 1944 dans le Limousin avant de prendre la tête du sinistre deuxième bureau de la Milice (renseignement, interrogatoires, torture…) à Limoges. Son service sera impliqué dans le choix d’Oradour sur Glane comme village martyr, brûlé avec ses habitants. Lorsque le régime pétainiste s’effondre et que les armées alliées atteignent le Rhin, Filliol continue encore à monter des maquis blancs pro-hitlériens en France depuis l’Allemagne. Comme les miliciens français qui forment la dernière défense du bunker de Hitler, Filliol lutte jusqu’au bout. D’Allemagne, il réussit à rejoindre Darnand dans le Nord de l’Italie pour combattre la Résistance italienne. En 45, tous ses compagnons sont fait prisonniers ; malgré sa blessure assez grave, il traverse le Midi puis les Pyrénées pour atteindre l’Espagne où Schueller en fait son sous-directeur de L’Oréal. Il finira sa vie dans la péninsule ibérique où Franco le protège de trois condamnations à mort.

• Eugène SCHUELLER. Né le 20 Mars 1881. Créateur d’un groupe capitaliste comprenant : l’Oréal, Monsavon, les vernis Valentine et le shampoing Dop, il lance plusieurs journaux et revues. Financeur principal de la Cagoule, il continue à travailler politiquement dans le milieu pétainiste avec Eugène Deloncle et d’autres cagoulards en 1940. C’est ainsi qu’il est un des fondateurs du fasciste et collaborationniste MSR, avec le soutien de l’ambassadeur du Reich, Otto Abetz, et l’approbation personnelle du chef de la Gestapo, Reinhardt Heydrich. Les réunions de la direction du MSR se tiennent au siège de L’Oréal (14, rue Royale à Paris).

Le 22 juin 1941, le Reich attaque l’Union soviétique. Deloncle et Schueller décident de créer la Légion des volontaires français (LVF) pour combattre le bolchévisme sur le front de l’Est et de la placer sous l’autorité de Jacques Corrèze. Tous ses membres prêtent serment d’allégeance au führer.

Grâce au témoignage d’André Bettencourt et de François Mitterrand, Eugène Schueller est relaxé à la Libération au motif qu’il aurait aussi été résistant. L’Oréal devient le refuge des vieux amis. André Bettencourt rejoint la direction du groupe. Avec l’aide de l’Opus Dei, Henri Deloncle (frère d’Eugène) développe L’Oréal-Espagne où il emploie Jean Filliol. Quant à Jacques Corrèze, il devient patron de l’Oréal-États-Unis. En 1950, André Bettencourt épouse Liliane, la fille unique d’Eugène Schueller.

• JOSEPH DARNAND, militant d’Action Française depuis 1923, président du comité directeur de ses anciens combattants puis responsable de la Cagoule pour le Sud-ouest de la France. Arrêté en 1938, il bénéficie d’un non-lieu. En 1940, il prend la direction de la Légion française des combattants sur Nice et fait partie comme Deloncle, Mèténier, Martin et autres cagoulards des organisateurs des Groupes de Protection. Il fonde sur les Alpes Maritimes le premier Service d’Ordre Légionnaire. lorsque le SOL est étendu à toute la France, Darnand en prend la direction à Vichy.

Le 30 janvier 1943, le SOL devient la Milice, toujours sous les ordres réels de Darnand. Ses services sont fort appréciés des nazis ; en août 1943, il est nommé SS-Frw-Obersturmführer (lieutenant) de la Waffen-SS. Le 30 décembre 1943, à la demande des Allemands, il est nommé par Pétain « secrétaire-général au maintien de l’ordre » sur toute la France. Comptant environ 35000 hommes, la Milice va perpétrer un grand nombre de crimes qu’il serait trop long de rappeler ici. Darnand combat en Allemagne dans la division SS Charlemagne puis en Italie contre les Résistants. Arrêté par les Britanniques, il sera fusillé le 10 octobre 1945.

• Henri MARTIN, dit le DOCTEUR MARTIN. Né en 1895. Médecin à la Salpétrière, longtemps actif dans l’Action française (secrétaire général adjoint pour la région parisienne), conseiller de Henri Dorgères dirigeant du mouvement paysan fascisant des « chemises vertes”, nous avons déjà signalé son rôle éminent à la tête du service de renseignements de la Cagoule. Après le coup d’état projeté de novembre 37, il s’enfuit pour l’Italie avant d’être grâcié par le radical Daladier qui le nomme capitaine médecin. En 1940, il entre dans les pétainistes Groupes de Protection avec Mètenier. En cavale lors du procès de la cagoule en 1948, il participe dans les années 1950 au réseau clandestin Grand O contre la 4ème République aux côtés des généraux Lionel-Max Chassin et Paul Cherrière. Il est un des instigateurs du premier putsch d’Alger. Recherché pour sa participation à la « Semaine des barricades » à Alger en janvier 1960, puis pour son rôle dans le Putsch des Généraux du 23 avril 1961, proche de l’OAS, il est arrêté puis condamné à 10 ans de travaux forcés. Il est le père de Danièle Martin mariée à Pierre de Villemarest.

• ANDRE BETTENCOURT n’a que 17 ans en 1936. Après la défaite de 1940, il devient le patron français de la PropagandaStaffel, placé sous la triple tutelle du ministre de la propagande, Joseph Goebbels, de la Wehrmacht et de la Gestapo… De1940 à 1942 il dirige l’hebdomadaire collaborationniste La Terre Française où il laisse libre cours à son antisémitisme “Pour l’éternité leur race est souillée”. A Vichy, il partage son bureau avec Jean Ousset, le responsable du mouvement de jeunesse de la Légion française des combattants de Joseph Darnand.

Fin 1942, André Bettencourt est envoyé par Eugène Schueller « aryaniser » la société Nestlé en Suisse, dont le patron de L’Oréal est devenu l’un des actionnaires principaux. A la Libération, il reçoit la Croix de guerre 1939-1945, la rosette de la Résistance et la Croix de chevalier de la Légion d’honneur alors qu’aucune preuve réelle ne prouve son action en ce sens. Son bureau Rue Saint Dominique de la PropagandaStaffel devient une résidence de l’Opus Dei. Il crée le Journal agricole, pour les anciens lecteurs du pétainiste La Terre française. Devenu Indépendant et Paysan comme beaucoup d’anciens pétainistes il sera plusieurs fois député et ministre sous les 4ème et 5ème République. Marié avec la fille d’Eugène Schueller qui devient Liliane Bettencourt, plus grande fortune française.

• JEAN DEGANS, deviendra le responsable national du deuxième service (renseignement, interrogatoires…) de la Milice et sera le supérieur hiérarchique de Paul Touvier. Directeur des renseignements généraux, il travaille main dans la main avec la Gestapo. Il porte la responsabilité de l’assassinat de Jean Zay puis combattra jusqu’au bout en 1945, menant des actions de sabotage. Bénéficiant de protections diverses, à ma connaissance, il échappera à toutes les recherches.