Chronique d'Evariste
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La nouvelle donne sociale et culturelle est à l'œuvre

par Évariste
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Peu de commentateurs, peu de militants avaient prévu ce type de déroulement social. Les uns prenaient ce conflit à la suite des autres et pensaient que Nicolas Sarkozy allait une fois de plus en sortir vainqueur. D’autres pensaient que l’intersyndicale allait comme d’habitude se scinder grâce au savoir-faire du toujours là Nicolas Sarkozy. Les responsables politiques opposants « responsables », ceux qui fonctionnent avec le même logiciel que Nicolas Sarkozy, en ne coupant pas le cordon ombilical avec Lamy et Strauss-Khan, membres de la gouvernance mondiale et ordonnateurs de l’ordo-libéralisme, continuent de nous faire croire qu’il y a un problème de démographie pour les retraites et qu’il faut allonger la durée de cotisations. Mais ils ont de plus en plus de mal à « surfer » sur la contestation, eux qui espèrent que ce mouvement social va leur donner le pouvoir en 2012. Les derniers sont les « donneurs de conseils », ceux qui ont la « vérité révélée », ceux qui savent ce que les autres auraient dû faire, mais qui ne sont pas écoutés… tout en sachant que le premier qui quitte le mouvement est syndicalement et politiquement mort…

Tous ceux-là sont pris à contrepied. Une fois n’est pas coutume. Le mouvement social a décidé de maintenir une mobilisation de haut niveau avec un soutien populaire majoritaire. C’est une première. Nicolas Sarkozy s’arc-boute en bon représentant des grands capitalistes et de la gouvernance mondiale. C’est bien la première fois que tout se passe comme cela. C’est l’Intersyndicale qui a la main, ce qui aiguise les jalousies notamment des politiques. L’intersyndicale invite les salariés et les citoyens à remettre le couvert le 28 octobre et le 6 novembre.

Tout porte à croire que même si Nicolas Sarkozy passe en force comme c’est probable, le mouvement social est intact et son état d’esprit est de continuer la lutte. Déjà, le dossier dépendance dit improprement « du 5e risque » qui devait être bouclé fin 2010 après les retraites est programmé aujourd’hui pour une publication en juillet 2011. La fin du quinquennat ne se passera plus comme il l’avait prévu. Des questionnements se déploient dans la majorité présidentielle. Une nouvelle donne sociale et donc politique est ouverte par ce mouvement inédit.

Que faire ?

Beaucoup ont compris que la « victoire » de Sarkozy sur les retraites pourrait être en fait une victoire à la Pyrrhus, que son savoir-faire ne fonctionne plus. Malgré un soutien sans faille d’une télévision aux ordres. Malgré le durcissement de la presse écrite -on a même vu certains journaux de province critiquer le laxisme sarkozien et appeler à un gouvernement « fort et courageux ». Malgré les provocations du type « super-casseurs que l’on voit sur une vidéo remettre ensuite leur brassard de police ». La spirale de la crise est de plus en plus considérée comme probable.

Bien sûr, il faut continuer à soutenir et à amplifier le mouvement. Mais il est nécessaire d’expliquer en plus que nous ne sommes plus seulement dans un dossier donné, mais que l’enjeu est bel et bien la montée d’une conscience et que si on veut une bonne résolution du dossier des retraites, il va falloir penser à un dépassement du système politique actuel, car ce système est bloqué. Pour cela, il faut globaliser les combats, car la résolution d’un dossier demande d’en traiter d’autres (les liens entre la protection sociale, l’économie, la politique industrielle, la recherche et l’innovation, l’école, les services publics, l’Europe, les relations économiques et commerciales doivent être explicités dans les conférences publiques d’éducation populaire). L’augmentation des demandes d’orateurs dans des conférences publiques, la montée en puissance des cycles d’universités populaires souchés sur le mouvement social lui-même sont des signes qui ne trompent pas.1

Sur le chantier des modes d’action, l’Intersyndicale, peut-être même sans l’avoir totalement pensé, est en train d’initier une nouvelle méthode culturelle de combat : la manifestation pacifique de masse soutenue par une majorité du peuple et des couches populaires (ouvriers et employés, majoritaires dans le pays). Fini la « lutte juste » avec le peuple contre lui ! Et c’est tant mieux ! Bien que des militants restent accrochés aux modes d’action d’hier qui ont montré leurs inefficacités, se développe de plus en plus l’idée que c’est par cette nouvelle culture de combat que nous allons nous en sortir.

Sur le chantier de la sortie de crise, l’idée qui avance est celle qu’il n’y a aucune crise létale qui assure l’effondrement du système, mais que toute crise peut faire effondrer l’ensemble. Les mécanismes auto-régulateurs du capitalisme sont en général là, mais l’accélération de la « vitesse du monde » rend de plus en plus crédible l’arrivée d’un chaos tellement le déséquilibre de la finance internationale s’accroît.

Sur le chantier des idées, on voit l’idéologie dominante craqueler. Important, car la bataille pour l’hégémonie culturelle et idéologique précède toujours les grandes transformations sociales. Le libre-échange « uber alles » (au dessus de tout) laisse la place à un débat où s’installe aussi l’idée du néo-protectionnisme écologique, social et contradictoire avec l’ancien protectionnisme de droite. L’union européenne, avec ses traités de Rome à Lisbonne, ses directives et sa Cour de Justice européenne, est toute dévouée au libéralisme sauvage et dévastateur. Sa stratégie de Lisbonne insidieuse, avec sa MOC (Méthode ouverte de concertation), ses LDI ( Lignes directrices intégrées), ses PNR ( Plans nationaux de réforme), montre de plus en plus son vrai visage et met en exergue la justesse du vote des Français le 29 mai 2005. le débat sur la sortie de l’Euro, voire de l’Union européenne elle-même, fait aujourd’hui partie du débat. La nécessaire critique de la « croissance pour la croissance » est rejointe par l’autre nécessaire critique de l’impasse de la décroissance. Les impasses du capitalisme vert et de l’écologie politique des années 70 montrent leur incapacité à s’opposer concrètement au productivisme, mal du 20e siècle qui perdure, et de produire une alternative. Et pourtant jamais plus qu’aujourd’hui se fait sentir le besoin d’une pensée écologique liée à tous les autres combats dont aucun ne doit être surplombé par les autres. C’est la nouvelle caractéristique de la nouvelle donne sociale et politique.

Il y a nouvelle donne sociale et culturelle parce que la conscience que les grandes crises sont devant nous, que les idées sont en ébullition, mais aussi que les modes de lutte sont en train de changer. Il est donc venu le temps du développement de ces nouveautés culturelles chez les citoyens éclairés, les militants et les cadres politiques. Même le débat sur le possible nouveau pli historique remplaçant le dernier né au 16e siècle est ouvert. Voilà des chantiers qui devront s’ouvrir aussi dans votre journal en ligne ReSPUBLICA.

  1. Continuer à nous demander des orateurs sur evariste@gaucherepublicaine.org, nous ferons l’impossible pour répondre à votre demande. []
Retraites
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Face au mépris, ne pas se soumettre !

par Christian Gaudray

La presse annonçait il y a deux semaines une semaine « décisive », façon pour les chiens de garde médiatiques de dire que si la mobilisation s’essoufflait, c’était une défaite supplémentaire que le mouvement social enregistrait. Et la mobilisation ne s’essouffla pas. Bien au contraire puisque nous avons assisté à un maintient de la mobilisation, un élargissement de sa base et une amplification des actions.

S’il fut une semaine décisive, c’est la semaine dernière. Après le succès incontestable de la 6ème mobilisation d’ampleur nationale en 6 semaines, avec un cadre unitaire préservé, l’intersyndicale s’est réunit alors que le texte de la contre-réforme était encore en discussion au Sénat. Et force est de constater que le Sénat a mieux respecté les droits de l’opposition que l’Assemblée Nationale, discréditant encore plus son président Bernard Accoyer, accusé de putsch et de forfaiture par l’opposition pour avoir interrompu les débats. En pré-campagne pour les sénatoriales de 2011, le Sénat a en effet décidé lundi, sur pression des sénateurs communistes et du Parti de Gauche, de reporter à nouveau le vote solennel sur l’ensemble du projet de loi à jeudi au lieu de mercredi, tout en envisageant que les débats pourraient se poursuivre jusqu’à dimanche, ce qui aurait empêché un vote solennel qui requiert 50% de présents. La décision du gouvernement d’utiliser le 49-3 a changé la donne. Pour quelques petits jours de gagné, c’est le passage en force contre le débat démocratique qui marquera le texte.

Pour en terminer avec le parlement, l’ironie du sort veut que c’est Bernard Accoyer qui rédigea la proposition de loi qui mis fin au CPE trois semaines seulement après son adoption au travers d’une loi cosignée par… Gérard Larcher, actuel président du Sénat.

L’intersyndicale qui a suivi la dernière journée de grèves et de manifestations interprofessionnelles et unitaires de mardi s’est donc déroulée avant le « vote » du Sénat, ce qui a permis d’annoncer de nouvelles mobilisations unitaires, alors que la CFE-CGC avait laissé entendre qu’elle s’en retirerait si le projet de loi était voté.

Où est la légitimité ?

«Ce n’est pas un engagement que j’ai pris devant les Français. Je n’ai donc pas de mandat pour faire cela.» dixit l’omniprésident en mai 2007 quand on lui posait la question de savoir s’il allait reculer l’âge légal de la retraite. Et aujourd’hui, avec 69% d’opinions défavorables, il renie sa parole et s’arqueboute sur une contre-réforme dont il a fait le point d’orgue de son quinquennat. Mais aujourd’hui, c’est avec 71% des « voix » que les salariés défilent dans les rues et c’est bien eux qui ont le « mandat » pour empêcher un recul social emblématique.

La personnalisation du pouvoir qu’il a voulu place Sarkozy seul face au peuple. Il aurait du prendre la parole en allocution solennelle , il ne l’a pas fait, préférant jouer le pourrissement, en espérant des débordements capables de retourner une partie de l’opinion et en comptant sur les vacances de la Toussaint pour faire passer l’orage.

Le scénario est désormais écrit, après le passage en commission mixte paritaire, la loi sera définitivement votée cette semaine et l’omniprésident viendra alors parader à la télévision pour siffler la fin de la partie avec sa morgue habituelle.

Mais plusieurs signes laissent penser que la mobilisation ne retombera pas comme un soufflé, notamment le fait que ce n’est pas seulement dans les rues de Paris ou des grandes villes que les français manifestent, mais dans les rues des sous-préfectures, ce qui montre l’ancrage du mouvement de refus.

Face à une incompétence mêlée d’un empressement à satisfaire la caste de ceux qui l’ont fait empereur, le mépris de Sarkozy doit déterminer le peuple à poursuivre sa mobilisation et refuser de se soumettre.

Ce n’est pas en 2012 que cette forfaiture sociale doit être sanctionnée, c’est la semaine prochaine et aussi longtemps que nécessaire, unis dans la rue et dans la grève, qu’il faut exiger son enterrement.

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Réformes : une explication de texte

par Jean-Claude COIFFET
Président du Cercle Condorcet de Bordeaux

Réformes des retraites, de la Justice, de l’Ecole, des Universités, de la Santé, des Collectivités territoriales…Cette “réformite“ aigue participe de la stratégie communicationnelle du monde politique contemporain, convaincu qu’il prouve à la fois son utilité et son modernisme en énonçant, à propos de tout et n’importe quoi, sa volonté de réformer la société. Manifestation de puissance volontariste du pouvoir politique, qui camouffle la réalité de son impuissance, dans un monde dominé par le pouvoir économique et financier et des sectes idéologiques de toute nature. Situation d’autant plus paradoxale que ceux qui manifestent le plus énergiquement cette volonté d’agir sur le social sont aussi adeptes de l’idéologie libérale, voire ultralibérale, qui prône le désengagement systématique de l’Etat.
Paradoxe apparent, en fait. Car, si cette turbulence législative n’est pour certains que l’expression du bougisme imbécile à la mode, elle est pour d’autres la mise en œuvre d’un plan de destruction de l’édifice public construit de longue date dans certaines démocraties. Plan destiné non à libérer la société, mais à la livrer, sans protection sociale et légale, aux nouvelles féodalités, hors de toute règle, sauf celles qu’elles imposent comme indiscutables. La libération dont ils se gargarisent doit être comprise comme la suppression de toute contrainte étatique à l’égard de ces féodaux et s’oppose à la délibération. Bref, réformer pour eux c’est mettre à la réforme, c’est-à-dire la liquider.
Bien sûr, une telle vision des choses risque d’être accusée de sacrifier au “complotisme”. Mais, cette critique est sans pertinence quand les comploteurs eux-mêmes révèlent publiquement leur plan. Crier au loup quand on a peur de son ombre est irresponsable, ne pas entendre la menace quand elle est clairement énoncée est criminel. Ecoutons donc cette menace, proférée sans nuance par Denis Kessler1 en 2007 :

“Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde !
Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme…
A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! “

Ce texte est un véritable cas d’école de discours manipulatoire digne des totalitarismes. L’auteur offre toutes les garanties de l’expertise (compétence universitaire et professionnelle, haut niveau de culture et reconnaissance institutionnelle). La radicalité du propos interdit de le taxer de langue de bois ou d’hypocrisie. Bref c’est du sérieux. Il doit donc être pris au sérieux, d’autant que celui qui le tient est influent. Il convient donc de le décrypter sérieusement.
Tout d’abord, il confirme l’hypothèse, énoncée plus haut, d’un apparent désordre des réformes engagées depuis plusieurs années qui cache, en réalité, un plan parfaitement cohérent -“une profonde unité à ce programme ambitieux”-. Confirmation aussi qu’il n’est pas question d’aménager un système en fonction de l’évolution de la société, mais qu’il s’agit de le liquider–“ Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !”.
L’argumentaire est une caricature du discours totalitaire à la fois mensonger et crédible. Mensonger, dans ses références historiques et ses sous-entendus conceptuels, crédible, parce qu’en correspondance avec les discours mythiques et mystificateurs de toute origine qui constituent la doxa en ce domaine. Voyons plutôt.
Quel est donc ce système dont il est urgent et impératif de sortir ? Celui issu du programme du CNR et mis en œuvre à la Libération. Propos qui pourraient apparaître comme provocateurs ou maladroits dans le contexte actuel de glorification de la Résistance (référence, doublement abusive, par Sarkosy à Guy Mocquet, pèlerinage au plateau des Glières…) et de panthéonisation du Général de Gaulle.
Mais, la Résistance et la Libération sont présentées, non comme une réalité historique, mais comme l’expression d’une synthèse idéologique -Un compromis entre gaullistes et communistes-. Qualification doublement habile. D’une part, ce mythe a largement été entretenu par les deux mouvements politiques visés (l’Homme du 18 juin et de la Libération et le Parti des fusillés), d’autre part, ceux-ci sont perçus par la doxa comme les représentants de pensés étatistes et autoritaires, condamnables ou obsolètes
Détruire cet argument, c’est aussi détruire le mythe. Qu’en est-il ? Denis Kessler a manifestement négligé l’Histoire lors de ses brillantes études.
- Le CNR, aux mains des gaullistes et communistes. Sa composition dément formellement cette assertion.
16 membres le composent : 8 groupes résistants, un seul d’obédience communiste. Quant aux autres, le seul
point qui les réunissait était leur défiance, voire parfois leur opposition, à de Gaulle. 2 syndicalistes : CGT
et CFTC. 6 partis politiques dont, évidemment, le PC, mais aussi, entre autres, un parti de la droite modérée
et laïque et un parti de la droite conservatrice et catholique.
- Les mesures prises lors de la Libération et de la première législature de la IV° République seraient de même inspiration. Affirmation pour le moins fantaisiste.

  • De 45 à 46. De Gaulle gouverne avec un triumvirat à force égale (PC, SFIO, MRP) et se retire.
  • La première législature (46 – 51). Aucun gaulliste au gouvernement ni au Parlement, le RPF naît en 1947 et n’aura d’élus qu’en 51. Les communistes quittent le gouvernement Ramadier en mai 47 et s’installent dans l’opposition. Le “compromis entre gaullistes et communistes” sous la IV° République se manifeste, en réalité, par leur opposition, à la fois conjointe et dissonante, aux gouvernements en place, source, entre autres, de l’instabilité gouvernementale qui caractérise toute cette période.

On pourrait ajouter que la personnalité qui porta la sécu sur les fonts baptismaux, Pierre Laroque, était un grand commis de l’Etat, Républicain humaniste, sans appartenance politique.
Voilà pour la mystification historique. Voyons la mystification idéologique, autrement dit ce qui motive l’urgence impérative “de sortir de 45”. Ce n’est évidemment pas seulement parce que ce modèle date, il suffirait de l’amender et de l’actualiser non de le détruire. C’est qu’il est jugé fondamentalement mauvais, pour deux raisons : il est antilibéral et nous marginalise par rapport au reste du monde -Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde !-. Là encore, l’habileté rhétorique est remarquable. Faire allusion, à 1945 joue sur trois registres.

  • Cela cible ses lecteurs patronaux, en renouant avec le slogan “Plutôt Hitler que le Front Populaire”, lecteurs dont la fortune, pour un grand nombre, doit beaucoup à l’occupation, certains même à la collaboration, et qui n’ont jamais digéré l’esprit de la Libération, aussi bien sur le plan économique que social et éthique.
  • Cela laisse entendre que nous serions encore dans le cadre de ce système socio-économique, qui expliquerait donc nos difficultés, camouflant du même coup la faillite complète de la restauration libérale, débutée pourtant depuis près de trente ans.
  • En rapprochant cette date et le mythe du compromis gaullo-communiste on laisse entendre que la France souffre d’un étatisme autoritaire marxo-nationaliste dont il faut définitivement sortir, y compris le système de protection sociale. Comme si la planification française avait à voir avec la planification impérative et bureaucratique soviétique, que la nationalisation des secteurs clés (moins étendue qu’en GB, où il n’y avait ni De Gaulle ni les communistes) s’assimilait à l’étatisation généralisée de l’économie et que la régulation de type keynésien était d’inspiration marxiste. Et tout cela a été liquidé par la vague libérale.

Enfin la formule “raccrochons nous au monde” rappelle, bien entendu, le discours continuellement ressassé sur la fameuse exception française et la nécessité d’être enfin au diapason de nos voisins, partenaires et concurrents.
On a donc bien affaire à des propos idéologiques, qui ne sont pas neufs. Concentrons-nous sur le système de protection sociale en cause aujourd’hui, ou plutôt remis en cause. Ce système ne peut être vu comme un simple appareil technique ni même d’une structure juridique, qui pourrait donc être abandonné parce que devenu obsolète. Il s’agit avant tout d’un ensemble de principes, fondateurs d’un certain type de civilisation, au même titre que la Déclaration de 89.
Ces principes ne sont pas davantage une exception française. A l’époque de la Rédaction du Programme du CNR, le BIT était réuni aux Etats-Unis pour rédiger un texte dit Déclaration de Philadelphie2, énonçant des principes identiques, qui servirent de modèle aux démocraties d’Europe occidentale après la guerre.
A moins d’imaginer que les communistes (sans parler des gaullistes) ont aussi inspiré la déclaration de Philadelphie, ces principes ne se réfèrent en rien à un quelconque marxisme ou étatisme. Ils se situent même hors du débat entre collectivisme et individualisme, ou socialisme et capitaliste. L’opposition est entre l’affirmation de la liberté des hommes de décider collectivement de leur destin à travers les instances politiques démocratiques contre la croyance aux lois spontanées du marché auxquelles les individus doivent se soumettre. Ainsi, à l’époque, Hayek, l’un des maîtres à penser des nouveaux ultralibéraux, en particulier au sein de L’UE, écrivait à propos de ces Déclarations “Une fois que nous donnons licence aux politiciens d’intervenir dans l’ordre économique spontané du marché, ils amorcent le processus cumulatif dont la logique intrinsèque aboutit forcément à une domination sans cesse élargie de la politique sur l’économie.
L’habileté revancharde de nos ultralibéraux contemporains, outre d’infiltrer les instances politiques nationales, supra nationales et internationales, est de faire croire que toute réglementation économique et sociale, ainsi que les principes de protection sociale, relèvent d’une conception collectiviste de la société, portant atteinte aux libertés individuelles. Il suffit ensuite de prétendre qu’il n’existe qu’une seule alternative : collectivisme ou libéralisme, et le tour est joué. Le texte de Kessler est un parfait exemple de cette falsification. Pour y répondre et conclure, on va donner la parole au père de la sécu en France : “Les transformations sociales s’analysent dans un conflit entre la justice et la liberté de l’individu (…) Le problème aujourd’hui n’est plus dans le choix entre une société individualiste et une société à bases collectivistes, mais des limites collectives des modalités, des contraintes collectives qu’impose l’évolution des sociétés modernes.3

  1. Intellectuel de choc du patronat et de la droite ultra-libérale, à la trajectoire et à l’impact médiatique impressionnants :
    - Diplômé d’HEC, maîtrises de sciences politiques, d’économie et de philosophie, DEA d’économie et de philosophie, ex-professeur d’université en économie, ex-directeur d’études à l’EHESS, chercheur au CNRS.
    - Ex maoïste, assistant de Dominique Strauss-Kahn au début des années 80, vice-président du MEDEF de 1998 à2002, membre du Conseil économique et social, membre de la Commission des comptes de la Nation
    - Ex-président de la Fédération Française des Sociétés d’Assurances, ex-directeur général et membre du comité exécutif d’Axa, ex-administrateur de l’Union des banques à Paris et de L’Union des Assurances de Paris, Président directeur général du groupe Scor (réassurance) administrateur de BNP Paribas, Dexia, Bolloré, Dassault Aviation et INVESCO, éditorialiste de “Challenge” …
    - Officier de la Légion d’Honneur []
  2. “ A bien des égards, il s’agit d’un texte pionnier, qui entendait faire de la justice sociale l’une des pierres angulaires de l’ordre juridique international, et dont l’esprit se retrouve à l’œuvre dans chacune de ces étapes ultérieures.
    On ne peut relire ce texte sans étonnement, tant il se situe aux antipodes de la dogmatique ultralibérale qui domine les politiques nationales et internationales depuis trente ans.” Alain Supiot “L’esprit de Philadelphie” (éd du Seuil 2010) []
  3. Pierre Laroque “Réflexion sur le problème social” 1953 []
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La retraite expliquée aux nuls

par Olivier Cabanel

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Pour imposer aux Français une réforme de la retraite qu’ils ne veulent pas, Nicolas Sarkozy utilise des arguments discutables, pour ne pas dire mensongers.
Tout d’abord, il faut évacuer rapidement les lieux communs du genre : « l’augmentation de la durée de cotisation va combler le déficit ». Si on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’un français rentre dans le monde du travail à l’âge de 27 ans en moyenne. Or en 2008, ce même français sort de l’emploi salarié à l’âge de 59 ans en moyenne. Sur ces bases, ils ne seront donc qu’une minorité à pouvoir cotiser pendant 42 ans. lien

Autre bêtise remarquable : « l’allongement de la durée de la vie rend nécessaire l’allongement de la durée de cotisation ». La cause du déficit et du fait qu’il va continuer à se creuser n’est pas l’allongement de la durée de vie, mais l’augmentation du chômage. Pourquoi ne pas empêcher les délocalisations, et interdire les licenciements dans les entreprises non déficitaires ? En effet, les cotisations retraite sont prélevées uniquement sur les salaires, d’où le problème. Si elles étaient prélevées sur les richesses, il n’y aurait plus de problème.

En 1950 il fallait 4 travailleurs pour payer la retraite d’un seul individu, et en 2010, il suffit d’1,75 cotisant pour le même résultat. lien Franck Lepage et Gaël Tanguy le démontrent avec humour dans cette vidéo.

Contrairement à une idée reçue, les profits sont peu imposés en France. C’est Christine Lagarde qui le dit : « il existe en France un écart significatif entre le taux d’imposition facial des bénéfice des entreprises, qui est de 33,3, et le taux réel qui est de 22%. La première raison à cela est l’existence en France de nombreuses exonérations ou taux réduits dont les grands groupes savent tirer parti »

Le déficit des retraites se monte en 2010 à 39 Milliards, or l’ensemble des exonérations de charges sociales pour les entreprises se monte à 40 milliards. La fraude dans ce domaine s’élève à 30 milliards d’euros. lien Cherchez l’erreur ?

Un autre argument est avancé par le gouvernement : « dans les autres pays, l’âge de la retraite a été repoussé ». Même si tous les autres pays faisaient çà (ce qui n’est pas le cas) ça ne signifierait pas pour autant qu’ils aient raison. On nous affirme que l’âge de la retraite en Allemagne serait de 67 ans ?! Totalement faux, ce sera 67 ans (peut-être) en 2030, et d’ici là beaucoup de choses peuvent changer. Il faut ajouter qu’en Allemagne, le nombre d’annuités à cotiser n’est pas de 40 ans (ce qui est le cas en France) mais de 35. Avant de prendre une telle décision, il y a eu en Allemagne de réels débats, jamais de passage en force, comme en France. En Suède, l’arbitrage a duré 10 ans.

Ce power-point résume bien la situation tout comme cette vidéo

Les députés que nous avons élus avaient-ils le droit de voter contre ceux qui les ont élus ? Espérons que les citoyens s’en souviendront en 2012, lors des législatives. Mais qu’en est-il de la retraite de ces mêmes députés ? Connaissez-vous l’histoire de l’amendement n° 249 ? Quelques députés verts audacieux (Annie Poursinoff, Yves Cochet, Noel Mamère, et François De Rugy) avaient proposé de reconsidérer les avantages considérables qu’ils ont en matière de retraite : ils ne cotisent qu’à hauteur de 12%, le reste (52 millions d’euros annuels pour tous les députés) est payé par l’Etat, c’est-à-dire par nous. Pour 1 € cotisé, ils reçoivent à leur retraite 6 euros, alors que nous ne recevons dans le meilleur des cas qu’1,50 € pour 1 € cotisé. Le 9 septembre 2010, l’amendement a été rejeté. Regardez cette vidéo du débat.

Comme le dit Gérard Filoche, inspecteur du travail, 57% de nos concitoyens pensent qu’il ne faut pas toucher la retraite à 60 ans. Libre à chacun de travailler jusqu’à la mort, mais on n’a pas le droit d’obliger une personne à travailler plus qu’il ne veut, ou qu’il ne peut. Gérard Filoche, fait sur cette vidéo en deux parties de 20 petites minutes un très bon résumé de la situation.

Il épingle brillamment Sarközy, lequel prétend que nous avons gagné 40 ans d’espérance de vie. Filoche évoque des évidences : à 55 ans, 2 maladies sur 5 sont liées au travail, et à 60 ans, 3 maladies sur 5 sont liées au travail. L’ouvrier qui a passé sa vie derrière un marteau piqueur n’a pas la même espérance de vie que celle d’un fonctionnaire. Allons-nous voir des infirmières de 62 ans continuer à s’occuper de leurs patients alors même qu’elles auraient besoin de souffler ? Devront-elles le faire en déambulateur ? Mais au delà des pénibilités physiques, il évoque aussi les pénibilités mentales : un instituteur qui a passé 35 ans de sa vie à gérer des classes surchargées, et des enfants turbulents ne voit pas d’un œil très réjoui arriver l’obligation de travailler toujours plus tard. Il y a en France 180 000 accidents cardio-vasculaires annuels dont la moitié est liée à l’activité professionnelle. Gérard Filoche raconte le décès d’un homme, qui après 15 heures de travail, sortant de son bureau, est mort brutalement sur le trottoir. Cet accident cardio-vasculaire n’a pas été comptabilisé comme « accident du travail », puisqu’il s’est produit dans la rue…

Et que dire des cancers liés au travail : ils ne sont pas comptabilisés, mais ils existent malgré tout. Et Filoche de faire un constat cruel : travaillez plus longtemps, vous mourrez plus tôt. Il se base pour justifier cette affirmation sur une information indéniable : Les assurances sur la vie, pour lesquelles nous sommes régulièrement sollicités, se basent pour leurs calculs sur une « table de mortalité ». Or, ces tables disent que si nous travaillons 2 ans de plus, nous vivrons 1 an de moins. Gérard Filoche se bat aussi pour la terminologie des mots : « Il n’y a pas de charges sociales en France, il n’y a que des cotisations, qui sont prélevées sur nos salaires, mise dans un pot commun et qui sont redistribuées à chacun suivant ses besoins. Ce ne sont pas des prélèvements obligatoires, ce sont des prélèvements volontaires, et nos ainés se sont battus pour ça ».

Il épingle aussi Christine Lagarde, critiquée pour avoir obligé les chômeurs de 57 ans à continuer d’aller « pointer au chômage ». lien Elle a commis une bourde terrible en lâchant : « Quand on a 57 ans, on n’est pas fichu », mais alors, répond Gérard Filoche : « c’est quand on est fichus qu’on a droit à la retraite ? ». L’INSEE calcule l’espérance de vie en bonne santé : 63 ans pour les hommes et 64 ans pour les femmes, et 59 ans pour les ouvriers. Il conclut par cette évidence : Les plus belles années de la retraite, c’est entre 60 et 65 ans, et les plus dures années de vie au travail, c’est entre 60 et 65 ans.

Les 500 premières familles les plus riches de France pèsent 194 milliards d’euros. Il y a 378 000 millionnaires en euros en France. Face aux 8 millions de français qui vivent dans la pauvreté (moins de 950 € par mois), la France arrive en troisième place au nombre des millionnaires. lien

La France n’est pas pauvre, les richesses sont seulement moins bien partagées.

Le gouvernement a exonéré (charges sociales) les entreprises à hauteur de 45 milliards, après avoir affirmé qu’ils avaient de la peine à trouver 400 millions d’euros pour les chômeurs en fin de droit, qu’ils qualifient aimablement d’assistés.

Mais, comme le dit Gérard Filoche, les assistés, ce sont les patrons. Les niches fiscales les plus importantes, celles consenties aux plus nantis, représentent 72 milliards d’euros. Si on additionne tous ces milliards, on voit qu’il y a donc largement de quoi payer les retraites. Il y a donc aujourd’hui l’évidente volonté de l’état de casser le système actuel, afin de favoriser les sociétés d’assurances, lesquelles vont bientôt pouvoir nous proposer des « retraites à la carte ».

Médiapart l’affirme le 14 octobre 2010 : « La réforme va conduire à l’asphyxie financière des grands régimes par répartition et sera donc propice à l’éclosion de ces grands fonds de pension qui n’étaient pas encore parvenus à s’acclimater en France ».

(Ceux-ci sont responsables aux USA des faillites que l’on sait, alors que le peuple américain était globalement hostile à la retraite par répartition. Bernard Madoff qui s’occupait des placements en bourse de ces fonds de pension, est l’un des principaux artisans de cette faillite).

Parmi les opérateurs privés qui vont opérer en France, on trouve le groupe Malakoff Médéric, dont le délégué général n’est autre que le frère du Président : Guillaume Sarkozy. lien

La boucle est donc bouclée, car comme dit mon vieil ami africain : « Un acacias ne tombe pas à la volonté d’une chèvre maigre qui convoite ses fruits ».

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Au secours, la « TVA sociale » revient ! (ou quand Manuel valse avec le Medef)

par Charles Arambourou
militant au Front de Gauche ; praticien des finances publiques.

Dans le numéro 642 de Respublica, nous attirions l’attention sur le « danger de l’intérieur » que représenterait, pour la gauche, la fiscalisation des prélèvements sociaux proposée par le PS. Mais il est toujours possible de faire pire, comme le prouve la Tribune Libre signée Manuel Valls et Jean-Marie Le Guen, parue dans le Monde du 14 octobre dernier.Reprenant « sans tabou » un thème de la droite et du MEDEF, ces deux socialistes proposent ni plus ni moins : « une augmentation de la TVA, en substitution d’une part des charges sociales payées par l’employeur (…) ». Bref : une « baisse du coût du travail » pour « améliorer (…) la compétitivité » des entreprises –traduisons : pour rétablir les profits. La lutte des classes, ou Robin des Bois à l’envers…

Renvoyons donc à l’analyse faite dans Respublica n° 642, en en remettant une petite couche : l’origine des « déficits sociaux », c’est le partage inégal de la valeur ajoutée, la part du capital s’accroissant au détriment de celle du travail (salaires + protection sociale). Le chômage en est une des causes, mais pas la seule, puisque les gouvernements de gauche et de droite n’ont cessé de baisser les cotisations patronales (au nom justement de la « compétitivité » !).

Donc, pour sortir de là, pas besoin d’avoir fait l’X pour conclure qu’il faut affecter une part plus grande du PIB (la richesse produite, somme des valeurs ajoutées) à la protection sociale. Erreur, nous disent Valls et Le Guen : il faut donner encore plus au capital, et faire payer le tout par l’impôt indirect !
Ces « camarades des patrons » (comme les Allemands avaient baptisé le chancelier social-démocrate Schroeder) entonnent la rengaine du « libéralisme pour les Nuls » : « crise de l’Etat providence », « prélèvements obligatoires », « déficits publics », « mondialisation », tous épouvantails chargés d’éviter au bon peuple la réflexion, et de l’inciter à la soumission. Par les temps de manifs qui courent, on leur souhaite bien du plaisir. Cerise sur le gâteau, ils se réclament hardiment de la « justice » !

En réalité, la substitution de la « TVA (anti) sociale » à la « part patronale » (élément du « salaire socialisé ») démantèlerait notre système de financement de la protection sociale, fondé sur les prélèvements mutualisés sur la richesse créée à la source. Brillante contribution au « détricotage du programme du Conseil national de la Résistance » appelé de ses vœux par le MEDEF !

Alors rappelons-le une bonne fois : la TVA est ce qu’on fait de plus injuste et inefficace comme impôt !
Injuste, car elle frappe tout le monde, mais de façon dégressive avec le revenu : les pauvres, qui consomment ce qu’ils gagnent, payent plein pot ; les riches, qui ne consomment qu’une partie de leurs revenus, épargnent « hors TVA ». A l’inverse, l’impôt sur le revenu est progressif (de moins en moins, hélas !). La part prépondérante prise dans les ressources fiscales par les impôts indirects (dont la TVA), au détriment des impôts directs, est en elle-même inéquitable.

La TVA ne frappe par ailleurs que les biens et services finaux vendus, dont les prix la répercutent sur le consommateur : elle est en revanche remboursée aux entreprises sur leurs consommations intermédiaires (intégrées dans leurs prix de revient). Le consommateur (dont la masse des salariés) n’a pas le choix : c’est lui qui acquitte l’essentiel de la TVA, les prix étant fixés par le producteur !

Voilà une des causes de l’inefficacité de la TVA. N’en déplaise à Valls et Le Guen, qui proposent, pour nous consoler, d’exclure de la TVA à taux plein les « biens de première nécessité » (dont certains -le savent-ils ?- déjà exemptés), une baisse de la TVA permet pour l’essentiel aux entreprises d’augmenter leurs marges. Ainsi, selon la Cour des comptes, la réduction du taux de TVA sur la restauration coûte plus cher qu’elle ne rapporte, et n’a pas entraîné les créations d’emplois annoncées !

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les propositions citées : à défaut d’efficacité sociale et économique, elles peuvent sûrement contribuer à la relance… de la « machine à perdre » du PS.

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Le Peuple ou la dictature de l’illégitimité ?

par Christian Berthier

Quelle voie du dépassement du blocage du système politique actuel?
6 mobilisations d’ampleur nationale en 6 semaines, des manifestations millionnaires, une l’intersyndicale, une grève quasi totale des raffineries et des dépôts de carburants unie, la mobilisation de la jeunesse lycéenne et étudiante : le « mouvement social » se bat alors que le « mouvement politique institutionnel» en ses assemblées est impuissant.

Pire : il n’offre pas de proposition alternative claire ; même pas d’abrogation des mesures brutalement anti-sociale du gouvernement de le Sarkozy. Les assemblées politiques nationales élues sont impuissantes à bloquer le gouvernement et les mécanismes totalitaires de la constitution actuelle, révisée 2009.
Le président renie ses propres engagements et ceux de sa majorité,
Le 2 mai 2007, avant le second tour de l’élection présidentielle. Interrogé sur le fait de savoir s’il allait satisfaire la demande de Laurence Parisot d’augmenter l’âge de la retraite jusqu’à 63 ans et demi, Nicolas Sarkozy répondait: «Ce n’est pas un engagement que j’ai pris devant les Français. Je n’ai donc pas de mandat pour faire cela.»

Pourtant, après la remise en cause de la Sécurité Sociale, la réduction des remboursement des dépenses de santé, il continue à démonter les acquis sociaux, maintenant, la retraite par répartition. sur une contre-réforme dont il a fait le point d’orgue de son quinquennat. Dans quelques semaines, nouvel aggravation à l’occasion des votes du Budget et du financement de la Sécurité Sociale pour 2010.

Il faut relayer politiquement le mouvement social. Les citoyens et les familles n’en peuvent plus d’attendre 2012 que cette forfaiture sociale et politique doit être sanctionnée.

Dans cette situation, où est la légitimité ?

Un des éléments de la réponse peut se trouver dans les délibérations du 80 eme Congres de l’Assemblée des départements de France.

Congrès dont le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, annoncé, s’est désisté en dernière minute.

Le congres des 4182 conseillers généraux dont les 102 présidents viennent de refuser unanimement les projets et réformes du gouvernement, la mutilation de leurs mandats, les « lois territoire, la mise en coupe réglée des finances et des moyens des collectivités locales confirmés dans un projet de budget 2011 dans la ligne déjà inacceptable de ceux de 2008, 2009 et 2010.

Conseillers élus au suffrage universel direct dont les « conseils généraux » ont le double rôle de défendre l’unité de la république et la représentation des cantons et des communes.

Ils avaient pour l’essentiel échappé à la mise sous tutelle par la Présidence de la République comme l’est aujourd’hui le Parlement. Ils avaient sauvegardé leur compétence générale, maintenant la flamme de la République dans les profondeurs du peuple.

Ils refusent une « rigueur » supplémentaire insupportable par les électeurs dont les besoins sont accrus par une crise qui n’est pas de leur fait. Les dettes des collectivités ne sont que le dixième de celles de l’Etat : c’est à lui de payer ses dettes envers les départements et de compenser intégralement les charges reportées sur eux, fut-ce aux dépends des banques privées.

Dans cette perspective, le Président de cette Assemblée vient d’appeler de ses vœux la convocation des « Etats Généraux des collectivités locales ».

De ces « Etats Généraux », il pourraient bien n’y avoir qu’un pas qui pourrait les conduire, constatant l’intolérable l’impuissance constitutionnelle du Parlement et la « compétence générale » des Assemblées locales élues, de se transformer en « Etats Généraux » tout court et de se tourner vers les électeurs, comme en 1789 et 1945, en appelant à l’élection d’une assemblée constituante souveraine.

Cette perspective de « refonder la République » serait à la mesure de la volonté de millions de citoyens et des familles de mettre eux-mêmes un terme à l’impuissance du politique à prendre en compte leurs besoins et aspirations. Il ne s’agirait que de faire réellement, pour de bon et sans faire semblant, obstacle aux « contre-réformes » anti-sociales de tous types.

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Adresse au Congrès de l’Assemblée des Départements de France

par l'Association Pour une Constituante

Citoyens Conseillers Généraux et Présidents,

Vous êtes la représentation des cantons et de leurs communes.
Votre précédente Assemblée caractérisait en octobre 2009 les projets gouvernementaux : « d’une atteinte aux libertés publiques, liberté de voter les dépenses et les recettes de nos collectivités, liberté de choisir nos politiques territoriales en fonction de la spécificité de nos territoires, liberté de nous présenter devant les électeurs et de leur proposer des projets. ».

Le bouleversement de l’institution départementale et de son assemblée délibérative, le démantèlement des services techniques et financiers départementaux, la contestation de la « clause de compétence générale » laissent les communes et les citoyens éloignés et sans défense ni moyens d’intervention et de prévision contre de puissants intérêts privés et les catastrophes naturelles.

Les Régions s’avèrent incapables de dépasser leur rôle de déconcentration du pouvoir central et de donner un réel pouvoir aux élus face aux puissances financières.
Rejetées au référendum de 1969, leur élection est boudée par plus de la moitié des électeurs.

Le principe européen et verticaliste de « subsidiarité » étouffe la Compétence générale des Assemblées élues à appréhender, dans leur ensemble et dans leur cohérence, les problèmes collectifs des citoyens. La Nation se trouve ainsi morcelée, vos mandats limités, vos mandants désarmés.

Cette transformation se heurte à de très puissantes résistances dont vous êtes parties.

Tout est fait pour les faire taire, les suborner, les diviser pour que les enjeux dont vous avez perçu l’importance et l’urgence soient cachés aux électeurs et à leurs 500 000 élus. Pour que ceux-ci puissent se trouver un jour surpris, désarmés, isolés, sans pouvoir justifier de l’exécution de leurs mandats devant leurs électeurs, pour que ceux-ci se détournent massivement des isoloirs et réduits à des actions isolées et brutales de protestation.

Citoyens Conseillers Généraux, d’une façon ou d’une autre, comme de nombreuses fois dans de nombreux pays, le peuple des communes de France se révoltera et sortira d’une apparente passivité. Il retrouvera le chemin de l’action citoyenne collective et, sous une forme ou une autre, d’une Assemblée constituante. Le plus tôt sera le mieux, les dégâts et les maux en seraient moins coûteux à réparer.

Nous pensons qu’il est plus que temps d’aider ce mouvement et de traduire en fait politique le refus majoritaire exprimé depuis un an par toutes les assemblées d’élus locaux.
En appelant à des Etats généraux chargés de convoquer une Assemblée constituante élue au suffrage universel, vous donnerez le prolongement logique à vos refus de 2009, à ceux des « lois territoires », des dettes unilatérales de l’Etat, de la suppression de la taxe professionnelle et de toutes les autres limitations du contenu de votre mandat politique.

Vous serez un instrument efficace pour que les citoyens se réapproprient la vie politique, alors qu’aujourd’hui les institutions les en excluent quand, à aucun moment, les partis politiques n’ont pu soumettre au suffrage universel leurs programmes pour sortir de la crise économique et sociale née en 2008.

Les institutions actuelles sont insupportables. Il est plus que temps que le peuple réaffirme qu’il est souverain et redonne leur place aux assemblées élues à tous les niveaux de la République.

Vous avez aujourd’hui toutes les raisons - et l’occasion - d’appeler à la réunion d’Etats généraux, dont vous êtes une section, pour exiger et organiser l’élection d’une Assemblée constituante. Celle-ci aura mandat de délibérer et de soumettre au suffrage universel, dans les délais les plus brefs, une nouvelle Constitution.

Dans cette attente, veuillez recevoir l’expression de nos salutations républicaines.

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Laïcité et sécularisation

par Hakim Arabdiou

La Laïcité est souvent confondue avec la sécularisation. Ce sont pourtant deux processus différents. Bien que se recoupant, convergeant et se nourrissant mutuellement, ils diffèrent néanmoins partiellement, tant par leurs objets et leurs champs d’expression, que par leurs modalités d’application.

On le sait, la laïcité est avant tout un ordre juridique ou institutionnel de séparation entre les Eglises et l’Etat. Toutefois, son objet concerne aussi les particularismes ethniques, linguistiques… ainsi que l’athéisme. La référence aux seules religions dans la définition de cet ordre juridique s’explique par des causes historiques : en Europe, l’Eglise fut de loin le plus sûr moyen d’oppression des consciences et parfois des corps (l’Inquisition).

C’est pourquoi, dans un Etat laïque, ce sont les lois civiles, qui sont en vigueur dans la sphère publique. Pour autant, le citoyen ne cesse pas nécessairement d’être croyant d’une quelconque religion, dans la sphère privée.

Quant à la sécularisation ou déconfessionnalisation, son objet consiste en la disparition progressive et définitive des religions de la vie des Hommes. Son champ d’application s’étend aussi bien à la sphère publique, avant tout par la substitution de lois civiles aux lois religieuses, qu’à la sphère privée.

Dans cette dernière sphère, et contrairement à la laïcité, la sécularisation consiste là aussi en un processus d’émancipation des consciences et des sociétés humaines, ainsi que des Etats, s’étendant sur des siècles, comme ce fut le cas des sociétés européennes, dont le phénomène s’est enclenché avec la Renaissance, il y a quelque six siècles, et s’est accéléré depuis le XVIIIe siècle, avec la révolution industrielle et l’avènement de la philosophie des Lumières.

De même qu’elle peut prendre des formes et des rythmes différents, voire contradictoires. Ainsi, des raisons historiques, socio-économiques et culturelles, l’ampleur et l’intensité des luttes politiques, sociales et féministes, ainsi que leurs impacts sur les consciences font qu’elle soit par exemple assez avancées chez telles couches sociales (généralement, les couches moyennes) et/ou dans tel pan du droit étatique, tout en coexistant pendant plusieurs décennies ou générations avec les pratiques cultuelles, et les pratiques sociales, d’inspiration religieuse.

Néanmoins, les individus, les peuples et les Etats cesseront alors peu à peu de s’inspirer des religions dans leurs pratiques sociales, puis celui d’exercer leurs cultes, et finiront par perdre la foi.

En Occident, berceau et vecteur de la sécularisation et de la modernité, la déconfessionnalisation a entraîné historiquement l’émancipation de plusieurs domaines, en l’occurrence la science, la philosophie, le droit, les arts, une bonne partie de la morale, avec les libertés sexuelle, d’avortement et du libre choix de procréation ou non, de notables progrès en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, même s’il reste beaucoup à faire, etc.

Une étude prospective réalisée en 2 000 sur l’état de la France, nous apprend l’extinction d’ici à trente ans, du personnel ecclésiastique dans ce pays, faute de vocation. Cette crise de la vocation a d’ores et déjà commencé à atteindre aussi le judaïsme français. Elle ne manquera pas d’atteindre également l’islam en France, en Occident et dans les pays musulmans, d’ici à quelques génération, seulement.

Plus généralement, la déconfessionnalisation des Etats et des populations est appelée, dans les décennies et générations à venir, à se muer en phénomène planétaire, de plus en plus visible, même dans des pays où le poids des religions est encore étouffant, écrasant, comme dans les pays du golfe arabo-persique, l’Iran, le Pakistan… par exemple.

Ceci en dépit du regain des intégrismes, notamment musulman, que ses tenants nomment sahwa islamique (autre mystification politico-idéologique, car laissant croire à une innocente ferveur religieuse), et de leurs alter ego, en Europe, les partis populistes, version soft de l’extrême droite (soft et trompeuse, comme l’expression d’islamistes modérés).

Pour ce qui est de la perte de terrain amorcée de cette confession, ce ne sont pas les laïques, les agnostiques et les athées des pays musulmans ou originaires de ces pays, qui en sont les plus conscients, mais les idéologues islamistes, qui le sont. Ces petits soldats, aux consciences aliénés au service d’une fraction des capitalistes musulmans, tentent (vainement) de s’en prémunir en voulant « islamiser la modernité » (islamisation fondée sur la chari’a réactionnaire), notamment par la création d’une « science islamique ». Ils ont entre autres ouvert à cet effet, en 1981, en Amérique du Nord, l’Internationale Institute of Islamic Thought.

Combat féministe
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Une résolution honteuse du Conseil de l'Europe contre les droits sexuels et reproductifs des femmes

par l'IFE
Initiative Féministe Européenne
pour une autre Europe

Le Conseil de l’Europe a pour objectifs de favoriser en Europe un espace démocratique et juridique commun organize autour de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et d’autres textes de reference sur la protection des droits individuels” (site du Conseil de l’Europe)

Le 7 octobre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la résolution 1763 (2010) instaurant “LE DROIT À LA CLAUSE DE CONSCIENCE PAR LE CORPS MEDICAL” A l’origine, cette Résolution devait faciliter la possibilité pour les femmes d’avoir recours à l’avortement en toute sécurité, en particulier dans les pays où le droit des femmes à la santé est entravé par l’interdiction de l’avortement.

Au coeur de ce processus , le cas d’une femme polonaise enceinte, morte suite au refus du médecin de l’opérer, invoquant le risque encouru par le foetus . Quand la Résolution a été votée dans l’ après-midi, la majorité des 313 membres de l’Assemblée Parlementaire étaient absents et les membres anti-avortement du Conseil de l’Europe ont profité de cette situation pour mofifier totalement l’orientation du texte qui a été voté par 56 voix pour et 51 contre. Ce texte étend le droit à l’objection de conscience pour l’avortement à tout le personnel de santé en Europe: “Aucun hôpital, personne ou Institution ne peut être poursuivi ou tenu pour responsable ou attaqué pour un refus d’exécuter, d’assister ou de subir un avortement.” Le mouvement anti - avortement jubile . L’Eglise catholique se réjouit. Le mouvement féministe démocratique est atterré par cette nouvelle . L’un des huit objectifs du Millenaire pour le Développement adoptés au Sommet du Millénaire en 2000 est l’amélioration de la santé maternelle notamment pour réduire la mortalité des mères à la naissance. L’avortement non sécurisé est l’une des principales causes de cette mortalité. Aujourd’hui plus de 500 000 femmes meurent chaque année pour des causes liées à la grossesse, à l’ accouchement ou à l’avortement non assisté.
La Résolution du Conseil de l’Europe va à l’encontre des Résolutions de l’ONU et des objectifs du Millénaire. Elle va à l’encontre de la législation de certains pays, où l’avortement est libre et légal. Elle s’oppose aux droits sexuels et reproductifs des femmes , droits fondamentaux dont le droit à l’avortement est part entière. Ces droits et la vie même ne peut pas être remis en cause pour des raisons de conscience de gynécologues ou d’infirmières. S’ils ne veulent pas respecter ces droits inhérents au système de santé publique , ils doivent changer de profession.
Le mouvement fanatique ”pro-life” apprécie cette victoire comme un début et se prépare pour le “ triomphe de la morale catholique” : interdiction de l’avortement, de la fécondation in vitro, de la contraception etc.
L’Initiative Féministe Européenne (IFE-EFI) condamne avec force cette grave atteinte aux droits sexuels et reproductifs des femmes, droits qu’elles ont acquis au prix de combats acharnés durant des décennies. Nous ne pouvons interpréter la résolution du Conseil de l’Europe que comme la preuve que, pour ce Conseil les droits des femmes ne sont pas partie intégrante des droits humains ! .Nous ne laisserons pas les forces de la réaction nous priver de nos droits et faire régresser l’histoire du mouvement de libération des femmes .
Nous appelons les féministes et l’ensemble du mouvement démocratique à protester contre la Résolution 1763(2010) et à s’élever contre l’évolution anti démocratique du Conseil de l’ Europe.

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« Cheminots » (film- 80 minutes – sortie nationale 17 novembre 2010) : la vraie vie des travailleurs du rail...

par Rémi AUFRERE
www.miroirsocial.com/

Le documentaire « social » est assurément un art difficile. Mais avec un sujet comme le transport ferroviaire, nul doute que le spectateur curieux trouvera un fort intérêt à regarder sans jamais s’ennuyer le film (80 minutes) réalisé par Luc JOULE et Sébastien JOUSSE qui a pour titre un mot qui résonne fort à l’oreille de n’importe quel(le) citoyen(ne).
Au moment où d’aucuns accusent cette profession de les « prendre en otage » au pire ou d’être des « privilégiés » au mieux, ce morceau de vie brut sans maquillage est riche d’enseignement pour n’importe quel curieux de voir le monde tel qu’il est et non plus à travers des médias souvent contrôlés (et commandés) pour nous faire accepter l’air du temps, celui de la résignation.

Les cheminots seront bien sûrs intéressés mais l’ouvrage a une vocation plus large que cet auditoire déjà important. « The Navigators » réalisé par Ken LOACH, avec un scénario écrit par Rob DAWBER (cheminot syndicaliste) nous montrait le cauchemar bien réel de la privatisation désastreuse des chemins de fer au Royaume-Uni et le formidable gaspillage humain et financier encore d’actualité aujourd’hui.

Sans scénario, sans comédiens, « cheminots » nous dévoile la vraie vie de cheminots sur la région P.A.C.A. Ils et elles sont filmés souvent en plan resserré, choix privilégiant l’inclusion du spectateur dans le film. Choix délibéré bien sûr mais qui n’est pas manipulatoire car il n’y a pas là de textes ni de scènes écrits et prescrites.

Une seule modeste « préparation » : la présentation du film de Ken LOACH à des cheminots travaillant sur les voies. Le passage montre combien la France se rapproche du « modèle anglais » : les visages se ferment, blanchissent et la colère s’affirme devant la réalité de leur situation. Voilà …nous y sommes, il n’y a (presque) plus de différence entre nous et eux !

Le film est bien monté car il ne montre pas de signe de faiblesse dans le rythme. Il nous rappelle la naissance des chemins de fer avec une convention collective commune aux compagnies au début du XXème siècle et une fraternité ouvrière sans faille. Il est aussi la marque de l’attachement des cheminots au service public ferroviaire républicain.

Les travailleurs du rail l’ont bien prouvé. Par une fierté d’agir pour la collectivité nationale ce qui forme le fond du « service public » au service de l’intérêt général.

Leur preuve de républicanisme a été aussi concrétisé par leur engagement dans tous les mouvements politiques et syndicaux progressistes, y compris dans la résistance passive et active durant la période noire de la dictature de Pétain et de l’infâme « Etat Français ».

Nonobstant celles et ceux qui aux Etats-Unis (et aussi en France) pris par leurs intérêts commerciaux (et religieux) assumés s’attachent à opérer une nouvelle écriture de l’histoire confinant au révisionnisme abjecte lorsqu’il conduit à affubler les cheminots et la SNCF de l’ignominieux « crime contre l’Humanité ». Raymond AUBRAC apporte utilement la marque de son engagement de résistant, et de fervent défenseur des idéaux, principes et programme formidablement modernes du Conseil National de la Résistance. Principes qui gênent tant les « marchés financiers » et ses flamboyants thuriféraires Alain MINC, Denis KESSLER et bien d’autres.

Mais le film a aussi une autre vertu très actuelle : celle de nous demander quel chemin de fer nous voulons aujourd’hui et demain.

Le film montre des cheminots « du terrain » et à une seule reprise l’expression de la Direction (durant une remise de médailles du travail). C’est aussi un logique choix des réalisateurs. La communication d’entreprise est suffisamment habituelle et bien financée pour ne pas trouver ici un nouveau support. Mais cette Direction n’est point agressée. On notera toutefois le zèle méprisable de certains dirigeants de la SNCF comme sur l’établissement de la gare de Montdauphin-Guillestre. Le dirigeant de l’établissement a ordonné aux cheminots de la gare de ne pas répondre aux questions des réalisateurs lors du tournage. Et comme le principe retenu fut celui de filmer les agents sur leurs lieux de travail durant leur temps de travail, le spectateur ne verra que quelques images du quai de cette gare.

Il est vrai que la première réaction du service national de communication de la SNCF fut un refus ferme pour toute autorisation de tournage car il y avait des « éléments compromettants » (sur les effets de la libéralisation et les coûts réels). Avant de comprendre (ou plutôt d’accepter à regret) l’objet du film et le partenariat cinématographique avec le Comité d’Entreprise Régional de la Région P.A.C.A. qui poursuit très utilement son activité d’éducation populaire par la résidence d’artistes qu’il engage chaque année.

Méconnaitre (ou ne pas percevoir) le rôle des institutions représentatives du personnel montre combien le fossé s’agrandit entre dirigeants et salariés de l’entreprise publique ferroviaire et que la communication interne s’effectue sans la plus grande partie de ses salariés.

Le film « cheminots » intervient d’ailleurs à un moment très propice. La Direction de la SNCF s’apprête à diffuser à tout son encadrement un film de « motivation – ouverture du débat » (propagande) s’affichant pédagogique sur l’évolution de l’entreprise, la nécessité d’une plus grande compétitivité, d’une mobilité durable multimodale et déployée, et du chiffon rouge de la concurrence agité fort à propos.

Au-delà du « métier » de cheminot, le film nous montre que le sens du travail est remis en cause par des organisations du travail et des stratégies managériales qui méprise la femme et l’homme au travail dans les entreprises privées et publiques. Cette impression funeste de n’être devenu qu’un « tourne-bouton », de ne plus connaitre le « travail de l’autre » pour l’aider dans le cadre du collectif de travail bien indispensable à l’efficacité du chemin de fer par la nature « réseau » et « service public », des mots absents du vocabulaire managérial actuel.

Libéralisation, cloisonnement, externalisation, privatisation, patrimoine publique, partenariat public-privé, solidarité, individualisme, autant d’adjectifs qui atteignent souvent le spectateur de « cheminots » comme des claques qui frappent de plus en plus fortement.

Le film place le spectateur-citoyen au bord du précipice. Là où il faut prendre la décision d’accepter, suivant le fatalisme ambiant, de marcher (en sombrant) ou de réfléchir et de décider de rebondir par le réveil de notre conscience comme le constat des réalités économiques qui s’opposent à la libéralisation et la privatisation de notre chemin de fer.

Et retrouver ainsi l’optimisme des générations en marche…
 —  — -
CHEMINOTS – 80 minutes – 35 mm – Dolby SR – France – 2010 (Visa N°12539)
Réalisé par Luc JOULE et Sébastien JOUSSE

cheminots-lefilm.fr
Coproduction : CE cheminots PACA, Shellac Sud avec Copsi vidéo production, Conseil Régional PACA, Conseil Général 13