Chronique d'Evariste
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De quoi les événements qui secouent le monde arabe nous instruisent-ils ?

par Évariste
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« Il faut que ceux qui veulent prier puissent prier, mais il faut aussi que ceux qui veulent boire l’apéro puissent boire l’apéro ». Ainsi parlait un jeune Tunisien à qui un journaliste français demandait, quelques jours après le départ de Ben Ali, si la Tunisie ne risquait pas de basculer du côté de l’intégrisme islamique. Comment ne pas songer au célèbre passage de la chanson de Brassens, Les trompettes de la Renommée : « Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente / avec le Pèr’Duval, la calotte chantante / Lui, le cathécumène, et moi, l’énergumèn’ / Il me laisse dire merde, je lui laiss’dire amen ». Difficile de soutenir, après cela, que les sociétés arabo-musulmanes ne seront jamais mûres pour la laïcité. Ce jeune tunisien en a trouvé spontanément la pierre de touche : c’est en accordant le droit de blasphémer et, plus largement, le droit de ne pas respecter les interdits religieux que le politique, dans un même mouvement, se sépare du théologique, affirme l’autonomie de la sphère publique et rend les libertés individuelles compatibles entre elles. En éduquant son peuple, Ben Ali lui donné des armes qui se sont finalement retournées contre lui. Il aurait été bien avisé de lire Condorcet : qui veut asservir durablement un peuple a tout intérêt à le maintenir dans l’ignorance. Espérons que le peuple tunisien utilisera ces mêmes armes pour tenir en respect les intégristes islamiques.
manifLes événements qui se déroulent actuellement dans le monde arabe prouvent à eux seuls l’inanité de la théorie du choc des civilisations. Tunisie, Yémen, Algérie, Égypte : ces sociétés diffèrent les unes des autres, elles ne forment pas un seul bloc que l’on pourrait opposer, de manière globale et frontale, à un bloc occidental et chrétien. Pas plus qu’elles ne sont elles-mêmes monolithiques : ces sociétés, comme toutes les autres, sont traversées par des lignes de fracture et travaillées par des aspirations contradictoires. On y trouve des musulmans intégristes, mais aussi des musulmans modérés et laïques et des non-croyants qui aspirent à la démocratie.
Mais ces événements jettent aussi une lumière crue sur l’échec de la stratégie américaine en Afghanistan. Non seulement l’armée américaine s’enlise, mais la situation politique est telle que si celle-ci quittait demain le territoire afghan, il y a tout lieu de penser qu’Hamid Karzaï serait forcé de s’exiler aux États-Unis (en emportant le magot amassé grâce à la corruption) et que les talibans reviendraient tout naturellement au pouvoir. Si la Tunisie parvient, dans les mois qui viennent, à instaurer un système démocratique, elle infligera un cruel démenti à la thèse selon laquelle il est possible d’imposer la démocratie contre le peuple. C’est au peuple qu’il revient d’affirmer sa souveraineté en arrachant le pouvoir des mains de ceux qui le lui ont confisqué.
Ces événements soulèvent, enfin, une question : a-t-on oui ou non affaire à des mouvements authentiquement révolutionnaires ? Comme le souligne Jean-Marie Kintzler, on ne saurait confondre un putsch et une révolution. Celle-ci se reconnaît par une triple « inversion des marqueurs » qui caractérisent une dictature : distinction des pouvoirs au lieu de leur hyperconcentration, circulation des compétences et des mandats électifs au lieu de la captation de la souveraineté par une nomenklatura, liberté de conscience et d’expression au lieu d’une vérité officielle qui criminalise les divergences. Pour l’heure, l’avenir de ces soulèvements reste indéterminé. On ne pourra savoir que rétrospectivement s’ils sont authentiquement révolutionnaires. Néanmoins, la Tunisie donne d’ores et déjà à voir au moins deux signes encourageants : les « martyrs » tunisiens sont, pour ainsi dire, des « martyrs » laïques bien différents, en cela, de ceux qui se sacrifient au nom d’Allah ; on pouvait voir, dans les cortèges tunisiens, de nombreuses femmes dont la plupart n’étaient pas voilées. Les images des manifestations tunisiennes tranchaient avec celles des manifestants iraniens acclamant en 1979 Rouhollah Khomeini dans les rues de Téhéran tout en se flagellant.
Mais ce qui vaut pour la Tunisie ne vaut pas nécessairement pour l’Égypte : contre-manifestations, opposition politique incarnée par la branche la plus radicale de l’islamisme, la situation égyptienne est encore plus incertaine. Les Frères musulmans ne forment qu’une opposition de façade. En fait, le pouvoir en place et les Frères musulmans se renforcent l’un et l’autre. Loin d’affaiblir le pouvoir de Hosni Moubarak, les Frères musulmans lui confèrent sa légitimité en le faisant apparaître comme nécessaire. De même que Moubarak a besoin d’agiter la menace de l’islamisme pour se maintenir, les Frères musulmans ont besoin d’un dictateur corrompu pour étendre leur influence au sein du peuple. Le fait qu’ils refusent de se constituer en parti politique est un signe inquiétant. Il s’agit en effet d’un choix stratégique tout à fait pertinent, qui consiste, en quelque sorte, à adopter la stratégie des Lumières pour en inverser la finalité. Tout comme les Lumières, les Frères musulmans ont choisi d’irriguer la société tout entière. L’analogie s’arrête là : les philosophes des Lumières cherchaient à éclairer le peuple, les Frères musulmans cherchent, quant à eux, à l’islamiser ; les premiers préparaient le peuple à la démocratie, les seconds à un système théologico-politique fondé sur la charia ; les premiers se servaient de la raison et de l’instruction, les seconds de l’éducation religieuse et de la charité.

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Tunisie. Bochra Belhadj Hmida : « pas de démocratie l'égalité totale entre les hommes et les femmes »

par Hakim Arabdiou

Notre journal militant, ReSPUBLICA, poursuit sa campagne de solidarité avec le peuple et les démocrates tunisiens dans la révolution qu’ils viennent de déclencher dans leur pays, et qui s’est soldée en premier lieu par la fuite du président dictateur, Zine al Abidine Ben Ali.
Bochra Belhadj Hmida, figure de proue du féminisme en Tunisie a accepté de répondre de Tunis à nos questions, afin de mieux faire connaître à nos lecteurs la lutte des femmes tunisiennes et les enjeux actuels quant à leurs droits.


Hakim Arabdiou : Pouvez-vous vous présenter, et présenter rapidement votre association à nos lecteurs ?

Bochra Belhadj Hmida : Je suis avocate, cofondatrice et ex-présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates. Notre association a été agréée en 1989 et qui milite pour l’égalité totale entre les femmes et les hommes. Elle considère, qu’il ne peut y avoir d’égalité totale entre les hommes et les femmes sans démocratie et qu’il ne peut y avoir de démocratie sans égalité totale entre les sexes.

H. A. : Pouvez-vous nous retracer brièvement la situation qui règne actuellement en Tunisie.

B.B.H. La situation actuelle en Tunisie est assez complexe. Le peuple tunisien est soulagé du départ de l’ex-président et de sa famille. Un air de liberté plane sur mon pays, de réels changements sont en train de s’établir dans la relation des citoyen(n)es avec les institutions. Mais la construction de la démocratie, d’un État de droit démarre difficilement pour plusieurs raisons.

D’abord, l’opposition est divisée sur la légitimité du gouvernement actuel, sur les étapes et les priorités. Elle est souvent plus dans la contestation que dans l’initiative, alors que le Rassemblement constitutionnel démocratique (le parti qui a été au pouvoir depuis 1956) est implanté partout et continue à régner, et surtout à empêcher le gouvernement provisoire d’engager la Tunisie dans la transition démocratique.

D’autre part, ceux et celles qui ont fait la révolution, à savoir les jeunes et les régions ont, et à raison, l’impression que leur révolution risque de leur être confisquée ; ce qui crée des tensions.
Le calme n’est pas complètement rétabli. Ce qui peut nuire aussi à la situation économique. Ceci risque de devenir préoccupant ; ce sont les plus défavorisés qui vont encore payer.

H.A. : Respublica s’est fait l’écho de votre manifestation du 29 janvier dernier à Tunis au cours de laquelle vous avez exprimé vos craintes quant à la remise en cause des droits des femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

B.B.H. : Les mutations politiques et même les révolutions sont tentées de négliger les droits des femmes. Et c’est la position du gouvernement provisoire, dont le porte-parole a évoqué, mais en termes confus la levée des réserves du régime de Ben Ali envers la convention internationale pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes signée par la Tunisie.

Le plus important dans cette manifestation est que des femmes de différentes tendances se sont unies pour dire non à la régression des droits des femmes ! oui à l’égalité totale avec les hommes ! Maintenant, il faut que cet élan continue, élargit et renforce le mouvement féministe, en Tunisie.

H. A. : Les femmes et les démocrates arabes vous envient le Code du statut personnel, lequel reconnait de nombreux droits aux Tunisiennes. Pour autant, il est encore loin d’assurer l’égalité totale des droits entre les hommes et les femmes.

B. B. H. : Ce qui fait la spécificité du Code du statut personnel tunisien, est que depuis 1956, la femme est considérée comme un être disposant de lui-même, dès qu’elle atteint la majorité civile. De même qu’il interdit la polygamie et qu’il stipule l’égalité totale entre les femmes et les hommes en matière du divorce .Mais cela ne veut pas dire qu’il a mis fin à la discrimination envers les femmes. Cette discrimination persiste notamment en matière d’inégalité successorale, la tutelle paternelle.

H. A. : Quelles garanties réclamez-vous pour non seulement garantir vos acquis et gagner d’autres droits ?

B. B. H. : Tout d’abord que soit inscrit dans la Constitution le principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Que soient levées les réserves émises sur la convention internationale pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes et la promulgation d’une loi-cadre sur les violences faites aux femmes.

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Ouvrons la boite de Pandore !

par Jocelyne Clarke

Mais pas n’importe comment. C’est pour cela que nous étions réunis samedi dernier pour construire une vraie réflexion, un vrai débat sur la laïcité, pour monter un projet de loi clair face aux faux laiques en embuscade, de la droite et de l’extrême droite, prêts à détourner l’universalité de cette laïcité, ciment de notre République qui, bien que mise à mal, sera restaurée dans le cadre de la VIème.

Il apparait nécessaire de lier aujourd’hui le combat laïque et le vrai changement politique.

Autour de H. Pena Ruiz et de E. Khaldi, invités par le Parti de Gauche, sous la présidence de Pascale Le Néouannic et d’Alexis Corbière, cet après-midi a été jalonné par les discours de Jean-Luc Mélenchon et de François Delapierre, et par les propositions des participants apportant leur pierre à l’édifice de ce projet qui prend corps.
Ce qui est remarquable, c’est le contenu des propositions, c’est aussi une assemblée composée d’athées, de croyants et d’agnostiques, promouvant le principe de laïcité. Martine Billard et d’autres féministes ont su rappeler que
le combat laïque et féministe est indissociable. Les femmes sont sujets de plein droit, c’est là le sens de ce qu’on appelle « l’émancipation » des citoyennes et des citoyens. L’émancipation des peuples ne pourra se faire sans celle des femmes.
La laïcité est un acquis indispensable, fruit d’âpres luttes, à visée universelle, le peuple tunisien en est l’exemple le plus récent.
Ici, en France, nous devons revenir sur les accords concordataires d’Alsace, Moselle (simple exemple: celui des logements et presbytères dont le coût est assuré par les finances publiques, par tous les citoyens) : abrogation du concordat.
Ici, en France, fer de lance de la laïcité, il est urgent d’arrêter l’hémorragie des deniers publics vers le financement des lieux de culte et vers les écoles privées. Le curé, le rabbin, l’imam doivent rester dans leurs lieux de culte, financés par leur communauté, et non par les subsides publics appartenant à tous et devant être utilisés au seul bénéfice de l’intérêt commun.
La laïcité économique n’est pas en reste, loin de là : H. Pena Ruiz a d’ailleurs dénoncé « le dieu-marché à défataliser » : oui, le néolibéralisme n’est pas une fatalité, le Front de Gauche est là, en train de se construire pour désacraliser cette crise dont on nous dit qu’on ne pourrait pas en sortir. Ce système mortifère s’appuie sur l’émiettement organisé des acquis de la République, système en marche tel un rouleau compresseur impulsé par les finances spéculatives et les religions qui demandent des droits particuliers, tuant ainsi la solidarité, les luttes convergentes, l’intérêt général protecteur pour tous.
C’est ainsi que main dans la main, ils ont mordu et ne lâchent pas leurs proies que sont l’École publique et la Santé publique.
Quand, dans une manifestation, on entend « ça va péter », je ne peux m’empêcher de penser que ce sont ceux du camp d’en face, les apprentis sorciers néolibéraux et communautaristes, qui ont grandement commencé à « faire péter » les valeurs instaurées pour le seul intérêt général, celui du peuple, faisant vivre les mots de liberté et d’égalité. Doit-on redire que le peuple, c’est le plus grand nombre, toutes couches sociales confondues, celles-là même que les affameurs sont en train d’affaiblir tels des vampires se gorgeant jusqu’à plus soif ?
Pourquoi les soins palliatifs sont-ils majoritairement pris en charge par le privé, où la présence des catholiques est prépondérante ? Pourquoi l’hôpital public devrait-il planifier son personnel en fonction des desiderata des intégristes musulmans refusant la mixité ?
Chaque religion a un projet politique sur la société, chacune tirant de son côté pour attraper les subventions publiques. L’application de la loi de 1905 est aujourd’hui un panier percé, il faut ouvrir ce grand chantier et promouvoir nos propositions afin de les concrétiser : un projet, une loi, son application.
C’est aussi parce que la laïcité a fait ses preuves, en France et dans tous les pays qui avancent d’un pas ou de plusieurs vers elle, que, si elle ne prétend pas s’ériger en modèle, elle porte un flambeau universel, levé et relevé sans cesse. La laïcité émancipatrice est seule capable de structurer l’esprit critique des futurs citoyens, est seule capable de rassembler la diversité des composantes d’un pays. Nous avons, à ses rencontres sur la laïcité, beaucoup évoqué les crèches et leur besoin de protection face aux attaques visibles (foulard d’un islam affiché) ou moins visibles (subventions publiques aux crèches loubavitch) ; ces coups de canif dans les principes laïques ne seront plus possibles quand sera mis en place un grand service public de la petite enfance. Vous voyez bien le lien entre le combat politique et le combat laïque ?
Nous avons beaucoup évoqué l’école pointant la dangerosité des financements « facultatifs » ; soyons clairs : à école privée, fonds privés, à école publique, fonds publics. Que dire des multiples menaces de séparations : celle des filles et des garçons dans les activités sportives, la remise en cause d’une mixité acquise par nos ascendants, celle des tables isolées des autres dans les cantines sous prétexte de ne pas se mélanger aux autres, les « différents » , les « impurs » (le repas est pourtant une belle occasion de discuter ensemble), la séparation des « carrés religieux » dans les cimetières, celle des jours fériés variant d’une religion à l’autre, celle qui se fait jour dans les entreprises privées avec la demande de salles de prière, dans des espaces tels les aéroports ? Si la loi n’est plus adaptée à ces demandes, alors, il faut assurer son efficacité en la modifiant, après en avoir débattu avec les laïques, et non pas en y travaillant chacun de son coté ou en créant une commission qui aménagera et ménagera les exigences des partenaires religieux. Quand le Parti de Gauche demande l’abrogation de la loi de 1942 par laquelle Pétain a dénaturé la loi laïque de 1905, il a raison. La laïcité ne se bricole pas et aujourd’hui, nous devons faire cesser cette négociation permanente qui aboutit à des compromissions vidant peu à peu de son sens la loi laïque.
Ce n’est pas cette série de découpes dans le tissu républicain qu’il nous faut, c’est une seule partition : celle de la séparation des Églises et de l’État qui garantit les droits de tous, à égalité, qui garantit la liberté de conscience de tous, qui propulse une protection pour tous. Oui au droit à la différence, non à la différence des droits !
Faire droit à chacun, sans savoir si celui-ci ou celle-ci appartient à telle ou telle communauté.

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Ce que Zemmour veut dire.

par Dominique Sistach
Juriste et sociologue, enseignant-chercheur à l'UPVD.

Zemmour, un symptôme politique du temps présent.

Les faits et les maux.

Le 6 mars 2010 sur Canal plus, puis sur France Ô, Éric Zemmour défrayait la chronique médiatique par des propos à connotation raciste. Dans l’émission de Thierry Ardisson « Salut les terriens », il s’était indigné après une intervention d’un débatteur sur les contrôles de police au faciès : « Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont Noir et Arabe, c’est comme ça, c’est un fait ». Le même jour, sur France Ô, il avait également tenu des propos controversés en affirmant que les employeurs « ont le droit » de refuser des Arabes ou des Noirs. « Discriminer, ça n’a rien d’infamant. On choisit ses employés, ses amis, ses amours… La vie humaine est une machine à discriminer. On a choisi ce mot pour nous imposer une certaine pensée ». Le polémiste en a profité pour demander la suppression de la Halde, responsable, selon lui, d’« incitation à la délation ». Immédiatement, Zemmour a été cité en justice pour diffamation et provocation à la discrimination raciale par SOS Racisme, la Licra, le MRAP, l’UEJF et J’accuse. Il se rétracte à moitié, dans une lettre adressée au président de la LICRA, regrettant que ses propos aient « pu heurter », tout en les maintenant sur le fait, selon lui qu’il n’y avait « pas eu de dérapage » (AFP). Réuni à la mi-janvier 2011, le parquet a demandé au tribunal correctionnel de Paris de condamner le chroniqueur pour diffamation à caractère racial et provocation à la discrimination raciale.

Cette affaire n’est pas la première. Zemmour avait déjà déclaré sur Arte le 13 novembre 2008 - alors qu’il était invité de l’émission Paris/Berlin : le débat - que Noirs et Blancs appartiennent à deux races différentes et que cette différence est faite par la couleur de la peau. « S’il n’y a pas de race, il n’y a pas de métissage. » (…) « À la sacralisation des races, de la période nazie et précédente, a succédé la négation des races. Et c’est d’après moi, aussi ridicule l’une que l’autre. » Ce premier incident médiatique n’appelait pas demande de sanction judiciaire, mais à un appel à la prudence salutaire du directeur adjoint des programmes de la chaîne Arte qui s’interrogeait sur une prochaine invitation de l’intéressé. Enfin, et surtout serait-on tenté de dire, il reste l’œuvre de Zemmour, soit sa prose qui martèle ses obsessions sans que cela puisse prêter à quelques ambigüités sur ses accointances idéologiques. Dans son livre, le Premier sexe (2006), il assène des vérités révélées sur l’effondrement du monde, sur la décrépitude de l’Occident féminisé, sur le rejet d’une société civilisée par sa faiblesse. Le discours est viriliste, son monde sexué est celui de la prédation. Ce monde est définitivement conçu comme un état de nature qui doit se retrouver pour se pérenniser. Zemmour est un homme qui ne pense pas que le monde puisse changer autrement que par ses fondements sociobiologiques. Il est de ce point de vue, et pour tant d’autres, politiquement bio-centré. Dans un ouvrage plus récent, Petit frère (2008), il utilise le prétexte du roman pour se répandre contre cette « homosexualisation » du monde, contre cette faiblesse de l’homme perdu à s’abandonner à des penchants féminins (sic). Dans son univers, la castration semble être une obsession, tout autant que le métissage.

Zemmour : symptôme médiatique ou politique ?

Le positionnement de Zemmour dans l’espace public ne semble pas faire difficulté : c’est une vigie médiatique réactionnaire. Il est à lui seul la sentinelle droitière du paf, contre ce qu’il appelle la « pensée unique » des « droits de l’hommisme », et semble ainsi endosser les oripeaux médiatiques des anti-lumières que décrit Zeev Sternhell. Il le revendique, il pense et il parle en homme du passé. Pourtant, Zemmour n’est pas un conservateur, focalisé sur l’autorité de l’État, la préservation de la famille, et la fonction élémentaire de la liberté individuelle. Il s’érige plus volontiers en romantique, en réactionnaire qui s’accorde sur les grands axes du conservatisme, mais se refuse à accepter les formes politiques décadentes qui remettraient en cause l’ordre établi. Le réactionnaire est ainsi toujours en défense et en rupture du conservatisme : il légitime l’ordre institué, mais sa présence est toujours le signe d’une menace.

Son histoire perdue est celle d’un peuple français glorieux. Le retour en arrière qu’il propose est de nous faire refluer vers un peuple imaginaire, un monde de pensée et une esthétique politique particulière, d’un populisme plébéien qui s’inscrit dans la volonté (tout du moins apparente) de rejeter des élites de notre temps, bureaucratique et managériale, pour s’enraciner dans une multitude humaine que tout pouvoir nie. Il n’attaque pas les Noirs et les Arabes, il défend les Blancs, c’est toute la différence. Il incarnerait dans le PAF une figure, une posture, et surtout, une parole libre d’une certaine France, cette France blanche et moyenne qu’on enchaîne et qu’on fait taire. Comme le connurent les États-Unis post-affirme action, la majorité blanche française semble s’ériger comme victime et minoritaire ; Zemmour s’en fait la voix, et l’ensemble des institutions médiatiques et politiques semble convenir de son utilité. C’est ce populisme de plateaux de télévision qu’interprète Zemmour sur tous les tons. Le racisme culturel et institutionnel s’élargirait alors dans l’espace politique et social. Ce racisme là, résonnant dans le champ médiatique comme un écho sans source de départ, se détermine dans l’ordre des justifications par les risques migratoires, ou plus encore, par le désordre du monde, en bref, depuis le 11 septembre 2001.

La position médiatique de Zemmour est ainsi d’autant plus singulière, non qu’il n’y eut jamais de tels personnages, notamment dans la presse écrite d’une certaine droite et de l’extrême droite, mais plus justement, parce qu’il représente dans l’ensemble des médias une posture professionnelle, et simultanément politique, de journaliste, d’éditorialiste, de polémiste, et d’amuseur. D’aucuns y verront la confusion des genres, d’autres la monopolisation déformante des médias pour un personnage « incontournable », tous nous restons sans solutions face à la contagion d’un système médiatique de rentabilité, toujours soumis à l’emprise de la décision publique. En ce sens, Zemmour est définitivement l’enfant de l’ORTF et de la publicité.

Une question demeure pour éclaircir l’affaire amenée face au juge : à quel titre agissait-il ? Le personnage est personnellement et professionnellement singulier, et riche par ailleurs, mais que représente ce laissez-parler dont il dispose ? Qui était-il lors des émissions de Canal plus ou de France Ô ? Un journaliste qui rend compte d’investigation ? Certainement pas, il ne fait que témoigner sur la base d’indicateurs institutionnels, sur lesquels, récemment, il n’a commis aucune recherche ou enquête particulière (précisons que dans l’émission Le grand Débat qu’anime Michel Field, il fait preuve de beaucoup plus de pondération. Il argumente à raison, et l’aréopage de spécialistes qui l’entoure l’honore d’une courtoisie qui l’assimile à leur rang). S’il ne tient pas parole de journaliste, serait-il alors un amuseur, un représentant de l’Entertainment ? Probablement, au vu de l’émission que présente Thierry Ardisson, mais pas totalement, au vu de la teneur du débat en cours qui mettait en cause « l’honneur de la police républicaine », dixit Zemmour, et surtout qui voyait notre homme se transformer en commissaire politique pigiste, pour une cause perdue qu’il affectionne tout particulièrement : la défense de l’ordre. Dans la forme, son seul leitmotiv semble sorti de la bouche de Charles Denner, l’un des personnages de L’aventure, c’est l’aventure, de Claude Lelouch : « la clarté dans la confusion ». Dans le fond, l’homme est multiple. Il est légion. Le diable est un menteur, ne l’oublions pas.

Zemmour : représentant du chaos ?

Cette dernière controverse judiciaire montre qu’il n’est pas une simple voix dissonante du discours médiatique permettant d’animer et de tendre les débats politiques et sociaux, en étant ce que souhaite toute force politique voulant activer des discours idéologiques réactionnaires, soit un vecteur de tension des débats par la droite de la droite, Zemmour est aussi celui qui créé des points de rupture du discours. Il parle au nom de la France, et non au nom de ses représentants. Il pense avoir ainsi ce privilège populaire de pouvoir franchir le Rubicon de la légalité. Investi de cette charge mystérieuse, fondamentalement antirépublicaine, il pense avoir « le droit » de pouvoir faire l’apologie de la discrimination, et de violer la loi donc, au nom du droit d’opinion que lui réservent nos institutions libérales. En l’état, ses conceptions historiques sur l’institution des règles prohibant les discriminations sont fausses. Zemmour semble obnubiler par les mouvements de revendications des Maghrébins des années quatre-vingt. Ce serait ce temps chaotique du mitterrandisme quand l’on grossissait les rangs du Front national en faisant monter cette revendication identitaire, et quand la lutte contre les discriminations devenait ainsi le creuset de la société communautaire. Je résume, mais les idées essentielles sont là. Zemmour efface l’origine historique de cette lutte par les organisations internationales. Que se soit par le biais de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en 1948, ou par l’institution de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme de 1950, la lutte contre les discriminations est l’affirmation d’un refus catégorique contre tout usage politique des races. Les directives communautaires instituant cette lutte découlent de l’autorité de l’Union à reprendre cet interdit. Ce n’est donc pas une histoire française qui est en jeu, mais le destin continental et mondial qui nous lient, depuis, pour tenter de ne plus reproduire l’horreur. En journaliste amnésique, Zemmour oublie cette histoire de la guerre raciale (ainsi que l’histoire du colonialisme et de l’esclavagisme), puisqu’il voit dans la discrimination, la définition usuelle de la langue française qui ne développe que la capacité de distinguer. Là, où une majorité entend et voit la monstruosité humaine, Zemmour voit une simple capacité individuelle de choix.

Malgré la gravité des mots, et les enjeux idéologiques sous-jacents, les soutiens n’ont pas manqué. Cette époque est celle de la mésalliance et du commerce chaotique des idées comme des soutiens. Les contradictions de Zemmour semblent pouvoir rencontrer toutes les possibilités de connexion politique, aussi étranges soient-elles. Il ne faut pas simplement y voir l’écume quotidienne d’une classe politique rassemblée derrière des idéaux légitimes ou illégitimes. Il ne s’agit pas non plus d’une simple question d’amitiés que l’on traduit souvent en politique, comme une connivence d’intérêts, un jeu de réseau. Dans un univers politique ravagé par l’absence de modernité possible, il ne peut y avoir d’ordre idéologique clair et net qui oppose ceux qui s’engagent pour un progrès légitime et ceux qui le refusent au nom d’un conservatisme légitime. C’est en cela que Zemmour est un syndrome politique particulièrement intéressant : il révèle les frontières de la parole légitime. Lui aussi, fait « bouger des lignes », fait « sauter des verrous », et trouve ces postures multi-usage et multifonction, pour provoquer et revendiquer que les discriminations soient normales et légitimes, et pour au final, nous faire discuter de choses que nous pensions vaincues.

Zemmour : lecteur du réel ?

« J’essaie de décrire une réalité et la réalité, c’est que (…) une grande majorité de ces délinquants sont d’origine maghrébine ou africaine ». Voilà l’objet du litige. C’est cette déclaration de Zemmour qui pose le problème juridique, face au juge, et le problème de fond, face à nous tous. Hors quand le zélé défenseur de l’ordre se fait sociologue, il confond la réalité judiciaire avec la réalité sociale. Quels que soient les chiffres, produits des interpellations, des condamnations et des incarcérations, il n’en reste pas moins que nous n’avons là que l’instant judiciaire, pour un phénomène qui dépasse largement les seuls chiffres des forces de l’ordre et de justice.

On le sait, le trafic de drogue ne peut pas être simplement résumé aux fonctions économiques des producteurs et des consommateurs, encore moins, à des fonctions raciales. Il existe avant tout des réalités sociales de la consommation et de la production qui s’interpénètrent. La réalité sociale est plus fine qu’il n’y paraît selon les entrées et les évidences de la population carcérale ou de la population interpellée. Zemmour rêve des années soixante, mais il vit dans les années quatre-vingt. En effet, il est presque fini le temps où l’acheteur de cannabis, « Blanc et innocent », se procure sa « barrette de shit » à un « Noir ou un Arabe » dans une rue obscure. Désormais, les réseaux criminels organisés de la production et de la distribution correspondent à des réseaux sociaux d’achat et de revente, avec ou sans plus-value : un membre d’un groupe achète un pain de cannabis d’environ 200 grammes qu’il revend à deux, trois ou quatre amis. Ces jeunes, dont la majorité est non criminalisée et surtout totalement indifférenciée ethno-racialement, ne perçoivent pas qu’ils commettent un délit, et même selon la qualification des faits, un crime. D’où bien entendu, cette double incompréhension : incompréhension des prévenus, accablés par leur mise en examen ; mais aussi, incompréhension des pouvoirs publics de ne pas pouvoir finaliser les opérations de prévention, les institutions devant faire répéter les risques sanitaires encourus par les consommateurs ainsi que les risques judiciaires encourus par les vendeurs. Ce que ne sait pas l’apprenti sociologue Zemmour, c’est que les indicateurs, judiciaire et policier, ne saisissent que la part sociale immergée de notre imaginaire de la criminalité totalement racialisée par les institutions répressive et médiatique. Selon les sources quantitatives de l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, les derniers chiffres indiquent que les expérimentateurs de cannabis seraient 12,4 millions, dont 3,9 millions seraient des consommateurs actuels. 1,2 million d’individus seraient des consommateurs réguliers. Vu l’ampleur de cette consommation, et selon les pratiques d’échanges économiques qu’imposent « ces commerces », il semble inconcevable de dire que les dealers sont des afro-européens. Le deal serait un comportement fort développé dans tous les interstices de la classe moyenne, de la partie la plus basse jusqu’à la partie la plus haute. C’est dire l’impasse de tout usage de critères raciaux pour comprendre un phénomène social aussi complexe que la toxicomanie. Le petit bout de la lorgnette criminelle ne réduit pas que le champ de vision, il semble, également, signifier le refus de voir les siens comme ceux que l’on dénonce.

L’assertion erronée de Zemmour contribue à répandre et à conforter cet imaginaire racial comme étant une réalité. Zemmour n’est peut-être pas un raciste, mais son univers imaginaire est celui du racisme. En réactionnaire, il oppose à la modernité abstraite de la fraternité républicaine, une conception de l’altérité qui ne passe que par l’identité visible des races. Ce n’est donc pas une identité de tradition qui est en jeu, mais plus précisément, une identité en conflit qui s’impulse en réaction politique d’opposition, pour transformer un monde en paix en monde de luttes, pour peut-être enfin retrouver la source de l’héroïsme. Comme l’exposa Castoriadis, l’imaginaire politique n’est pas une rêverie individuelle, ou une conscience collective, c’est ce qui permet de s’ériger en institution, en l’occurrence, vers cette institution imaginaire du racisme pénal que Zemmour façonne à dessein. De ce seul point de vue, ces propos incitent à la discrimination raciale. Cependant, soyons là encore prudents, le régime juridique de protection pénale est en ce domaine très faible, pour ne pas dire neutralisé, par le souci de protéger la liberté d’expression.

Racisme d’expression vs délit d’opinion

Si l’on fait l’état du droit, il semble en l’espèce difficile de reconnaître une qualification juridique des faits contre les propos de Zemmour. Les raisons en sont simples. À l’opposé de ce qu’énonce Zemmour et ses défenseurs, la loi devant servir à lutter contre le racisme d’expression est limitée par un régime d’exception dont l’effet pratique est de neutraliser la protection du public. L’infraction se constituant par deux éléments, l’un matériel et l’autre moral, le premier impose aux juges de trouver une incitation manifeste dans les propos ou les écrits incitant à la haine raciale ou à la discrimination, le second élément impose aux juges d’identifier la mauvaise foi de l’auteur des propos. Dans les deux cas, comme en atteste la jurisprudence, on limite l’usage de la sanction à des expressions explicites et violentes. Les marges de manœuvre sont faibles, voire dérisoires (le fait d’affirmer que : « il y a des différences entre les races » ne tombe pas sous le coup d’une qualification pénale comme l’a affirmé la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence en 1998). Zemmour est certes de mauvaise foi (ou il est un journaliste incompétent), mais il semble difficile pour les juges de trouver des éléments d’incitation manifeste à la haine raciale et la discrimination dans le contexte et les mots de l’intéressé. En effet, les mots doivent initier des violences, ce qui implique d’en trouver des victimes. En l’espèce, cela semblera difficile. En résultat, il ne s’agirait que d’opinion raciste échappant à toute sanction. À l’inverse, la condamnation n’est pas impossible, si le juge considère, à l’identique de sa jurisprudence que les mots attentatoires aux afro-européens sont en lien direct avec le mépris racial que on leur oppose. Avec bon sens, les juges peuvent apprécier l’explication donnée par l’auteur des propos litigieux. On peut alors légitiment s’interroger sur les justifications données par Zemmour, notamment par le courrier qu’il adressa pour se justifier auprès des associations requérantes. Sera-t-il suffisant de ne pas déclarer être un provocateur ? Est-ce que la posture « d’observateur fidèle de la réalité » suffira à convaincre les juges ?

Plaisons-nous à penser que ses juges auront l’initiative de faire prévaloir le droit d’être protégé d’une telle charge des mots, dont on sait qu’elle ne préfigure souvent que des violences physiques que d’autres, beaucoup moins civils, substituent à la simple performation des mots. Fort de sa seule posture médiatique, Zemmour joue sur du velours. Assis dans son confortable fauteuil médiatique, la liberté d’expression qui lui est confiée, lui permet d’imposer un discours contre la liberté d’existence normale des victimes de discrimination qu’ils désignent comme coupables de la déchéance de son pays. Nous sommes au cœur du problème. Nous le savons, si la liberté d’expression est un droit politique essentiel, garant de la construction permanente de la démocratie, elle ne peut toutefois pas outrepasser les limites que la démocratie se donne pour se prémunir des doctrines qui veulent la détruire (c’est l’essence contradictoire des articles 10 et 17 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme). Si d’aucuns considèrent la liberté d’expression au dessus du système qui l’instaure et la garantie, si beaucoup regrettent que l’on ait judiciarisé la parole, c’est aussi parce que la réalité politique de la diffusion de l’information politique est sans règle et sans devoir-être déontologique. Le procès contre Zemmour est aussi le procès d’un appareil d’information a-démocratique qui ne se régule plus seul (ce n’est pas le fait d’une américanisation judiciaire de l’hexagone qui est en jeu ; c’est plus simplement, la neutralisation du corporatisme régulateur - en l’occurrence journalistique - qui est en cause). De plus, la ré-institution contemporaine du délit d’opinion ne porte plus, comme à l’origine, sur la liberté d’expression conquise contre les prétentions des religions à imposer une Vérité. L’apologie du nazisme, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre, de l’incitation à la haine raciale, religieuse, sexuelle, sont des interdits de parole pour protéger l’ordre public et l’ordre sociopolitique de toutes dérives de langage qui réintroduirait un mal que certains rappellent de leurs vœux. Face à Zemmour, je serais, au vu de notre époque, plus proche de Saint-Just que de Voltaire.

*

Quelle que soit la décision judiciaire, cela ne fait et ne fera pas de lui un raciste, comme ont probablement raison de le défendre certains de ses amis ou soutiens lors de cette déconvenue judiciaire, mais par contre, cela fait de lui, d’ores et déjà, un idéologue, puisqu’il s’arroge cette capacité - cette puissance ? - d’être un observateur et un garant de la réalité qu’il usurpe. Par delà le vrai et le faux, Zemmour est un Joseph de Maistre contemporain qui a trouvé dans l’espace médiatique un nouveau Saint-Pétersbourg, dans le peuple une nouvelle source de l’aristocratie plébéienne qu’il veut incarner, dans la race et le sexe une origine de la décadence à stopper.

On connaît le principe debordien : les faits idéologiques ne sont jamais de simples chimères, ils sont toujours plus ou moins la conscience déformée des réalités. Le principe de ces doxas réactionnaires et populistes invite toujours à positionner la croyance au-dessus du réel, tout en revendiquant le leadership total sur la réalité, et par voie d’incidence, la main mise sur la vérité. C’est pour cela que Zemmour doit être combattu mot à mot.

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Algérie : une pensée pour la féministe Nabila DJAHNINE

par Hakim Arabdiou

Les féministes et les démocrates algériens auront une pensée particulière, en ce 15 février 2011, envers leur camarade, femme de gauche et féministe, Nabila DJAHNINE, assassinée, le 15 février 1995, par les tueurs du Front islamique du salut. Elle avait trente ans.

Son assassinat avait été précédé et avait succédé à l’assassinat de beaucoup d’autres Algériennes, parfois transformées, pendant des jours ou des semaines, en esclaves sexuelles d’une section entière d’islamoterroristes, avant qu’elles ne soient décapitées ou qu’elles perdent la raison.

Nous citerons pour mémoire l’assassinat, de Katia Bengana, lycéenne de 17 ans, le 28 octobre 1994, sur le chemin de l’école à son domicile, à Meftah, une ville de la banlieue algéroise. Son seul tort avait été de refuser de se plier aux injonctions de porter l’uniforme politico-religieux et rétrogrades des islamistes, en dépit du harcèlement et des menaces de mort en ce sens, dont elle faisait l’objet.

Et ces enseignantes de l’ouest de l’Algérie, qui furent, durant les années 1990, égorgées devant leurs élèves dans la cour de leur école, parce qu’elles avaient refusé de porter le hidjab et d’arrêter de travailler.

Nabila DJAHNINE, fille du peuple de Béjaïa, en Kabylie, et architecte, fut de toutes les luttes estudiantines et féministes des années 1980 et de la première moitié des années 1990. « Nabila s’était engagée à fond et avec beaucoup de sincérité dans les luttes démocratiques de cette période, singulièrement dans la lutte pour l’entièreté des droits des femmes Algériennes. » nous confia l’une de ses camarades de l’association, Cri de femmes.

Membre des Comités de cités universitaires de l’université de Tizi-Ouzou, où elle avait poursuivi ses études supérieures, N. DJAHNINE participa à la fondation du Syndicat national des étudiants algériens, comme elle contribua, dans les années 1980, à la préparation et au déroulement des Deuxièmes Assises du Mouvement culturel berbère, pour la reconnaissance par le pouvoir politique de la langue et la culture berbère.

Elle a également été cofondatrice de l’Association pour l’Émancipation de la femme, et en 1990, de l’association, Thighri n’Tmettout (Cri de femmes), dont elle était présidente, avant de tomber sous les balles de ses assassins.

De même que Nabila DJAHNINE fut un temps, vers la fin des années 1980, membre de la direction du Parti socialiste des travailleurs (PST) et de la Commission femmes de ce dernier. Le PST, de tendance trotskiste, est naturellement anti-islamistes pour un parti de gauche, contrairement au Parti des travailleurs (P.T), de Louisa HANOUNE, de tendance trotskiste également, qui s’était gravement compromis avec le Front islamiste du salut (FIS), parti fasciste et pire ennemi de la classe ouvrière.

Le P.T avait soutenu ce parti, dès sa légalisation, en 1989, ensuite durant le terrorisme d’une intensité et une ampleur inégalées dans le monde, que ce parti avait déclenché pendant de longues années, contre l’Algérie et le peuple algérien.

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Quand Habiba Menchari réclamait l'abolition du voile

par Hakim Arabdiou

Serge Moati, journaliste et animateur de télévision, et français d’origine juive tunisienne, relate dans, Villa Jasmin1, son autobiographie romancée, un événement singulier qui eut lieu, au cours d’une conférence organisée, vers 1930, à Tunis, par l’Essor, une association culturelle de gauche, à laquelle son père, socialiste, libre penseur et laïque avait été convié.

Une femme tunisienne, Habiba Menchari, prit la parole à cette occasion pour réclamer l’abolition du voile, imposé aux femmes musulmanes, puis s’était soudainement découverte. Une telle audace était impensable à cette époque ! Promptement, le père Moati soutint énergiquement la jeune femme au nom des idéaux universalistes, qui étaient les siens.

Tout aussi promptement, un jeune avocat prit lui aussi la parole, mais pour s’opposer avec fougue à l’abolition immédiate du voile pour des raisons de priorité politique.

Le voile fait partie selon lui de la personnalité tunisienne, personnalité qui constituait le dernier rempart de résistance au colonialisme français. Plus tard, dans une Tunisie indépendante et laïque, les Tunisiennes seront libres de l’enlever.

Mohamed Noman, journaliste dans Tunis socialiste, organe du Parti socialiste tunisien, lui répliqua avec virulence en le traitant d’hypocrite, et en lui reprochant son mode de vie à l’Européenne et le fait que sa femme, qui était française, n’était pas tenue, elle, à le porter… tandis qu’il voudrait le maintenir pour les musulmanes. Les débats n’ont alors pas manqué de s’envenimer. Ce jeune avocat s’appelait Habib Bourguiba. Celui-ci était marié à une Tunisienne d’origine européenne avant d’épouser Wassila.

  1. In Serge Moati, Villa Jasmin, roman, édition Fayard, Paris, 2003. Ce roman fut adapté au cinéma, Villa Jasmin, par son compatriote, le réalisateur, Férid Boghedir. []
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Têtes rondes et têtes pointues, de Bertolt Brecht

par Marie-Thérèse Estivill

De Bertolt Brecht à Naomi Klein

Monter les Tchouques contre les Tchiches, les têtes rondes contre les têtes pointues, faire de ces dernières les boucs émissaires de tous les maux du pays. Telle est la solution trouvée par le vice-roi de Yahoo1 pour mettre fin à la montée de la Faucille et satisfaire les cinq grands propriétaires qui ne veulent pas renflouer les caisses de l’état tant que le calme ne sera pas revenu. Pour l’appliquer et pouvoir revenir comme le sauveur, il choisit de fuir un temps et de mettre à la tête de l’état un homme nouveau, issu des classes moyennes, Ibérine. A celui-ci de présenter la situation à la population sous un angle différent : si lutte il doit y avoir, elle ne doit plus opposer les riches aux pauvres mais les têtes rondes aux têtes pointues. Voilà le point de départ de ce conte noir, de cette « parabole » telle que la nomme le directeur de théâtre dans la scène d’exposition toute en distanciation chère à Brecht. Le propos est limpide, didactique : le dramaturge allemand commence à écrire sa pièce en 1934 et ce qu’il vise, c’est bien évidemment la montée du nazisme. Mais comment ne pas voir dans cet état en crise le monde actuel ? Dans la pièce, l’homme est présenté comme une marchandise, tout est affaire de négociation ; le pouvoir en place, menacé par l’union des exploités, a recours à la propagande pour désigner un coupable imaginaire ; le personnage de Callas, un métayer qui se sépare de la Faucille pensant qu’il peut s’en sortir seul, représente l’individualisme, responsable de l’échec révolutionnaire ; au pays de Yahoo, le pouvoir politique et les riches propriétaires sont intimement liés. Que de similitudes avec le monde capitaliste actuel : Christophe Rauck et la dramaturge, Leslie Six, ne s’y sont pas trompés, qui, dans leur travail de préparation, se sont penchés sur la Stratégie du choc de Naomi Klein.

Mais si monter cette pièce n’avait pour but que de délivrer un message, si louable soit-il, où serait le plaisir du spectateur, où serait le théâtre ? Le metteur en scène évite cet écueil. Il rappelle dans ses notes d’intention que Brecht a foi dans le théâtre. Lui aussi, et le spectateur qui a passé trois heures captivé l’en remercie ! Sa foi dans le théâtre, le directeur du TGP l’a déjà montré dans ces spectacles précédents, il le prouve à nouveau, et de façon magistrale. Pour ne pas tomber dans un didactisme plombant, il privilégie le sous-titre de la pièce : « Un conte noir ». Que d’inventivité pour ramener la pièce vers la fable : la légèreté des décors avec des panneaux mobiles représentant des façades de maison permet tout un jeu subtil de « champ-contre-champ », de « gros plans » et une grande rapidité des entrées et des sorties, des apparitions et des disparitions. Dans le direction des comédiens, le metteur en scène, refusant un psychologisme simpliste, a mis l’accent sur les situations, sur les relations qui définissent les personnages. Des masques accentuent l’irréalité et le grotesque de ces clowns noirs. Grâce à ces mille et une trouvailles, les neufs comédiens (Myriam Azencot, Emeline Bayart, Juliette Plumecoq-Mech, Camille Schnebelen, Marc Chouppart, Philippe Hottier, Jean-Philippe Meyer, Marc Susini, Alain Trétout) qui interprètent à eux seuls plus de vingt personnages se livrent un ballet virevoltant et haletant. Le spectateur en sort estomaqué, ragaillardi : heureux d’en avoir eu plein les yeux et convaincu que le combat n’est jamais vain. Puisse cette prise de conscience salutaire être partagée. Et alors le théâtre et la culture auront une fois de plus prouvé leur raison d’être.

Nouvelle traduction Eloi Recoing et Ruth Orthmann
Mise en scène Christophe Rauck
Musique originale Arthur Besson
Dramaturgie Leslie Six
Scénographie Jean-Marc Stehlé
Lumière Olivier Oudiou
Costumes Coralie Sanvoisin
Masques et objets Judith Dubois
Répétition chant Jean-François Lombard
Collaboration chorégraphique Claire Richard

La pièce Têtes rondes et Têtes pointues s’est jouée du 10 janvier au 6 février au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis et sera en tournée :

  • du 15 au 20 février 2011 - Toulouse, TNT
  • du 5 au 15 avril 2011 - Lille-Tourcoing, Théâtre du Nord
  • 29 avril 2011 - Théâtre de Suresnes
  • du 3 au 7 mai 2011 - Mulhouse, Filature
  • du 11 au 23 octobre 2011 - Carouge, Atelier-Théâtre de Carouge
  1. en référence aux Aventures de Gulliver de Jonathan Swift []

Agenda

samedi 12 - samedi 12 février 2011
Appel au rassemblement pour la démocratie en Algérie

Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie en Algérie – Coordination France

Le 12 février 2011 à 11H, les Algériennes et les Algériens manifesteront à Alger à l’appel de la Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie en Algérie (CNCD), pour exiger :

  • Le changement et la démocratie
  • La levée de l’état d’urgence
  • La libération des détenus des émeutes
  • Une Algérie démocratique et sociale
  • L’ouverture des champs politiques et médiatiques
  • Le travail et la justice sociale

La CNCD – Coordination France – appelle la Communauté algérienne établie en France à un Rassemblement à la même heure:

Place de La RÉPUBLIQUE, Paris
12 février 2011 à 11h, M° République

Premiers signataires :

  • PLD, Parti pour la Laïcité et la Démocratie
  • RCD, Rassemblement pour la Culture et la Démocratie
  • ONG ENA, ONG Etoiles Nord-Africaines
  • ACB Paris, Association de Culture Berbère de Paris
  • ENAF, Association des Etudiants Nord-Africains de France
  • AFB, Amitié Franco Berbère
  • AFEMCI, Association des Femmes Euro-Méditerranéennes Contre les Inégalités
  • ANPLA, Association Nationale Pour la Promotion de la Laïcité en Algérie
  • CEBP, Collectif des Enseignants du Berbère de Paris

Signature de l’appel et contact : cncd.afr@gmail.com

lundi 14 - lundi 14 février 2011
Appel à rassemblement : solidarité du peuple iranien avec les soulèvements populaires

Liberté Dignité
Tunisie Égypte Algérie Iran …
La même lutte Le même combat
Contre la Dictature
Pour la Démocratie

Appel à rassemblement

Solidarité du peuple iranien avec les soulèvements populaires
Contre les pouvoirs autoritaires du Maghreb et du Moyen Orient,
En solidarité avec les peuples tunisien et égyptien

IRAN-VOTE-UNREST
Toutes et tous épris de liberté !

A l’origine du mouvement actuel exprimant la colère populaire, il y a les flammes qui ont emporté Mohammad Bouazizi, jeune Tunisien qui s’était immolé. Ce feu s’est étendu avec une vitesse sans précédant à tout le Moyen-Orient, en passant par l’Afrique du Nord, ébranlant ainsi les lieux du pouvoir.

Un hiver long, sombre et froid semble enfin s’achever alors qu’un printemps de la liberté, faisant éclore mille bourgeons, commence à poindre : démocratie, justice, égalité sont devenues possibles pour les habitants de la région !

Les peuples ont encore montré que l’appareil du pouvoir, en s’appuyant sur la répression, la prison, la torture et la peine de mort, ne tenait pas longtemps face à l’étincelle allumée par des peuples en colère. Ceux-ci n’ont laissé d’autre choix aux tenants du pouvoir que la soumission aux revendications populaires et la fuite.

Le peuple héroïque d’Iran, en lutte depuis plus de 100 ans pour la liberté et l’égalité, et qui a obtenu quelques succès malgré des revers douloureux, accompagne les forces démocratiques et éprises de liberté des pays arabes. Le 14 février 2011 (25 Bahman 1389), en Iran et à travers le monde, Il manifeste sa solidarité avec les peuples de la région, plus particulièrement avec les tunisiens et les égyptiens, démontrant ainsi la force du mouvement vert iranien.

Le comité indépendant contre la répression des citoyens iraniens appelle les Iraniens et ceux épris de liberté à participer massivement au rassemblement qui se tiendra à Paris sur la place Saint-Michel. Des rassemblements auront lieu simultanément en Iran et à travers le monde pour exprimer la colère et la haine du peuple iranien envers la dictature et l’oppression, et affirmer sa solidarité avec les mouvements pour la liberté et l’égalité des peuples de ces régions.

En présence des personnalités tunisiennes, égyptiennes, algériennes, françaises et iraniennes

Lundi 14 février 2011 – 18h-20h – Place Saint Michel

Comité indépendant contre la répression des citoyens iraniens
www.whereismyvote.fr