Chronique d'Evariste
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Au 21ème siècle, le combat laïque est planétaire

par Évariste
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Dans le monde contemporain, la démocratie et le principe de tolérance sont nés contre l’État totalitaire en Angleterre au 17e siècle. Son philosophe de référence fut Locke. Le principe de laïcité quant à lui est né en France au 18e siècle pendant la Révolution française. Son philosophe de référence fut Condorcet. Son application institutionnelle concrète fut l’oeuvre de la partie de la Troisième République comprise entre 1881 et 1905.
De 1908 à nos jours, la laïcité a constamment reculé en France à l’exception les circulaires de Jean Zay de 1937 et la loi du 15 mars 2004 portant loi contre les signes religieux à l’école. Nous avons assisté à la croissance des financements publics des structures privées religieuses. Résultat : les écoles privées catholiques ont plus d’argent par élève que l’école publique ! La loi de 1905 ne s’applique toujours pas sur l’ensemble du territoire national.
Pourtant, beaucoup d’autres pays ont avancé en terme de laïcité : des éléments de séparation des églises et de l’État ont eu lieu au Portugal lors de la révolution des oeillets en 1974. Une constitution de séparation fonctionne en Suède depuis le 1er janvier 2000, la nouvelle Constitution de Bolivie possède des éléments de séparation, des pays comme les Pays-Bas, la Belgique ou la Suisse sont en avance sur certains dossiers de bioéthique et de société, la bataille politique au Bangladesh avance1, etc.

Quant à la société civile, partout dans le monde des organisations féministes, des syndicats, des partis se réfèrent explicitement au principe de laïcité. Les deux Rencontres laïques internationales organisées par l’UFAL ont permis de le montrer. Cette année, le printemps révolutionnaire arabe se développe avec de nombreux discours se référant au principe de laïcité. Le discours médiatique qui voit dans tout mouvement de révolte dans les pays arabes et/ou musulmans la main des islamistes est une fois de plus contredit par la réalité.

Mais vous entendrez toujours clamer que la laïcité n’est que franco-française alors même que la France n’est plus le phare de la laïcité qu’elle a été. À force de reculer depuis 1908, la France est largement dépassée par d’autres pays dans certains secteurs (de bioéthique et de société notamment). En France, le lobby communautariste et clérical a réussi à devenir une sorte de « directeur de conscience » des directions de partis surtout de droite, mais aussi de gauche avec la complicité de plusieurs associations naguère laïques, par exemple la Ligue de l’Enseignement, qui ont montré pour le moins des attirances pour le modèle communautariste anglo-saxon.

C’est pourquoi la France n’est plus un modèle de laïcité. C’est pour cela que ce numéro de ReSPUBLICA salue l’initiative du Parti de gauche (PG) qui jette, avec son projet de loi-cadre sur la laïcité, un pavé dans la mare du lobby communautariste et clérical. ReSPUBLICA salue également l’initiative algérienne de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) réalisée autour du Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD) et du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD).
Ce numéro est donc un spécial laïcité. ReSPUBLICA continuera à informer ses lecteurs sur le combat laïque en France et dans le monde et développera une campagne d’éducation populaire sur la promotion du modèle laïque de la république sociale.

  1. “Nous n’avons maintenant plus aucun obstacle au retour des quatre principes - démocratie, nationalisme, laïcité et socialisme - proclamés dans le statut de l’Etat de 1972”, a déclaré le ministre bengali. La Cour suprême a récemment confirmé une décision déclarant nul et non avenu le cinquième amendement qui avait supprimé la laïcité comme principe constitutionnel en 1975. (JDD 21 février 2010) []
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Laïcité : le Parti de Gauche sauve l'honneur de la gauche française

par Bernard Teper

 

Agnès Labarre, sénatrice du Parti de Gauche (PG) a déposé au Sénat une loi-cadre relative à la promotion de la laïcité et la clarification des règles de son application concrète.

Quelle est la situation politique de ce point de vue ?

Depuis plus de 30 ans, la gauche dans son ensemble est gagnée par une poussée de communautarisme tant da sa version sociale-libérale que dans sa version antilibérale. L’arrivée de la gauche en 1981 ne remettra pas en cause toutes les entorses à la laïcité depuis le scandale de l’Alsace-Moselle, des lois Debré-Guermeur et suivantes. Pire, elle propose avec Savary et Mitterrand en 1984 le maintien du caractère propre des écoles privées confessionnelles au sein d’un grand service de l’éducation. Rompant là avec la gauche laïque et donc n’ayant pas son soutien, elle subit néanmoins l’assaut du lobby clérical. Un désastre donc !
La flamme est cependant maintenue par le Grand Orient De France (GODF) qui organise pour lancer la campagne contre les signes religieux à l’école, un banquet républicain à Créteil avec 1500 participants. C’était le 21 octobre 1989, 3 semaines avant l’appel de la bande des 5 du Nouvel Observateur autour de Catherine Kintzler. De nombreuses retombées presse relatent cette initiative. La décision du GODF de restreindre l’impact de la célébration de la république le 22 septembre 1792 qui devait relancer cette bataille entraîne la création d’Initiative républicaine (IR) avec l’ensemble des intellectuels et personnalités qui ont participé à cette bataille. Ce fut fait lors du banquet républicain de la mutualité de décembre 1992 avec 900 personnes. Puis, l’UFAL prend le relais de cette bataille en 1996 lorsque IR décide pour étendre son réseau de présenter des candidats aux législatives de 1997.

Jusqu’à la tribune parue dans Libération en 2003 avec une signature électronique qui voit des milliers de soutiens, des réunions publiques nombreuses et bondées. La Mission parlementaire Debré qui reprend la proposition de l’UFAL. Le contre-feu de Chirac créant la commission Stasi pour contrer la Mission parlementaire. Le tournant positif du 17 octobre 2003 par l’audition de JP Costa, vice-président de la Cour européenne des droits de l’homme.
Durant cette période, l’UFAL a pu compter sur des intellectuels et personnalités comme Catherine Kintzler, Henri Pena-Ruiz, Gaye Petek et bien d’autres.
Mais force est de constater qu’en 1989, nous étions bien seuls sans aucun soutien d’aucun parti politique de gauche, d’aucun syndicat, d’aucune association. 15 ans de bataille pour créer un point d’ancrage, un marqueur de la république sociale chère à Jean Jaurès.
Entre temps, des avancées ont eu lieu sur la laïcisation du Code civil avec les 3 victoires et demie de l’UFAL et de nombreuses autres organisations associatives et féministes : transmission du nom à l’enfant, reconnaissance légale du concubinage en plus du PACS (avec le soutien actif de Robert Badinter contre la décision initiale du PS !), l’égalité des enfants légitimes, naturels et adultérins et la garde du dossier des accouchements sous X dans un Institut dédié.
Depuis le 15 mars 2004, date de la promulgation de la loi contre les signes religieux à l’école, nous avons enregistré de nombreux reculs de la laïcité en France et même des retards par rapport à d’autres pays notamment sur la bioéthique et d’autres problèmes de société. Même le recul des moyens fait que le droit formel de la loi sur l’IVG ne se concrétise pas en droit réel avec une augmentation du nombre d’IVG pour les adolescentes !
Aujourd’hui, la droite instrumentalise la laïcité dans une stigmatisation anti-musulmane et pire encore l’extrême droite modifiant sa ligne stratégique souhaite transformer le concept émancipateur de la laïcité en poison ultra-laïciste. Et personne ne réagit ?

La proposition de loi-cadre du Parti de Gauche

C’est dans ce cadre que la proposition du Parti de Gauche de loi-cadre sur la laïcité, présenté par la sénatrice Marie-Agnès Labarre sauve l’honneur de la gauche et permet de s’engager sur une voie qui mène vers les 4 ruptures de la république sociale : démocratique, laïque, sociale et écologique. Tout y passe :

  • le retour à la loi promulguée le 9 décembre 1905, c’est à dire débarrassée des régressions postérieures
  • la suppression des dérogations sur l’Alsace-Moselle, la Guyane et Mayotte
  • l’interdiction des financements détournés aux cultes et aux écoles privées très majoritairement confessionnelles
  • le rappel de la règle laïque : fonds publics à l’école publique, fonds privés à l’école privée
  • la fin du scandale des 500 communes sans écoles publiques
  • le retour au monopole de l’État pour la collation des grades et des diplômes
  • l’élargissement de l’application du principe de laïcité à l’ensemble de la sphère de constitution des libertés (école, services publics, protection sociale) jusqu’à y compris dans l’hôpital pour assurer la prise en charge des IVG.

Dans cette proposition de loi, n’apparaissent pas d’autres propositions par exemple les dates chômées et payées qui étaient pourtant dans le texte provisoire qui servit de base aux auditions que le Parti de gauche a réalisées.
Mais le principal y est. De quoi servir de base à une campagne d’éducation populaire tournée vers l’action. ReSPUBLICA rendra compte du suivi de cette campagne.

Réponses aux objections à la proposition de loi-cadre du Parti de Gauche

Nous ne parlerons pas bien sûr dans ce texte des objections des adversaires de la laïcité qui estiment que la démocratie anglo-saxonne communautariste est un bien meilleur idéal que la république sociale. Pour cela, il suffit de lire les nombreux articles de ReSPUBLICA qui s’est construit pour promouvoir la laïcité et la république sociale dans notre pays et bien au-delà.
L’objection la plus sérieuse vient des laïques qui estiment que le rapport des forces n’est pas favorable à une modification du droit positif actuel dans un sens plus laïque.
Ces camarades estiment qu’il est dangereux d’ouvrir la boite de Pandore dans laquelle les communautaristes et autres cléricaux pourraient s’engouffrer pour communautariser encore plus le droit positif actuel.
Nous estimons que cette remarque est sérieuse, car même avec un retour de la gauche au pouvoir, l’expérience de 1981, 1988 et de 1997 est dans toutes les mémoires et a montré le manque de courage pour ne pas dire plus de la gauche, de ses ministres et de ses élus. Le moment n’est sans doute pas venu de demander l’ouverture d’une procédure de révision du droit positif relatif à la laïcité. Mais le temps est venu de mener une campagne d’éducation populaire tournée vers l’action sur les 4 ruptures nécessaires au modèle de la république sociale : démocratique, laïque, écologique et sociale. Et pour cela, il nous faut des documents, des textes pour mener cette campagne. Et pour la rupture laïque, le texte du PG est aujourd’hui la version la plus aboutie pour mener cette campagne d’éducation populaire tournée vers l’action. Donc même s’il y a encore loin de la coupe aux lèvres, ne gâchons pas notre plaisir de voir que le combat de nos ancêtres mené depuis plus de trois siècles, que le combat plus récent mené dans la période 1989-2004 par le GODF, Initiative républicaine (IR) et l’UFAL, soit repris et amplifié aujourd’hui par un parti politique de la gauche française : le Parti de Gauche. Mais il n’est pas isolé, en Algérie, c’est aussi un parti politique qui mène ce combat : le Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD) issu, après une histoire mouvementée, du communisme algérien. Vous trouverez dans ce numéro le texte de la CNCD dans lequel travaille le PLD en Algérie.

Ainsi va la vie. Le témoin est aujourd’hui tenu en France par le Parti de Gauche et en Algérie par le PLD. ReSPUBLICA salue donc ces initiatives des deux côtés de la Méditerranée.

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Proposition de loi du Parti de Gauche sur la laïcité : 4 questions à Pascale Le Néouannic, secrétaire nationale du PG en charge des libertés et à la laïcité

 

ReSPUBLICA : Pourquoi aujourd’hui cette proposition de loi-cadre ?

Pascale Le Néouannic En déposant notre projet de loi nous sommes conscient du rapport de force actuel. Oui, la droite manipule ce principe si fondateur de notre vivre ensemble qu’est la laïcité. C’est d’ailleurs parce qu’elle est si essentielle à notre modèle Républicain que l’UMP veut l’adjectivé pour mieux la défaire. Oui, l’extrême droite s’est saisie du vocabulaire pour faire la chasse à l’étranger. Oui, la convention initiée par Jean François Copé, patron de l’UMP avait pour but de flatter ceux qui veulent nous faire croire qu’il y aurait un problème avec l’Islam qui ne serait pas soluble dans la laïcité. Oui et toujours oui, la droite est à l’offensive sur ce sujet. Oui et encore oui, le rapport de force est mauvais.

Surtout vu l’état de démobilisation à gauche ! Entre déshérence et désertion, depuis la défaite sur l’école en 1984, ce sont les tenants de la « modernité » qui ont occupé le devant de la scène. Quand localement, ce ne sont pas les élus eux-mêmes qui organisent les contournements de l’article 2 de la loi de 1905 pour financer tel ou tel culte.

Mais voilà, il ne faut pas reproduire les erreurs de la précédente présidentielle. En 2007, Sarkozy avait osé s’emparer de Jaurès pour s’attribuer l’idée de réforme, renvoyant la gauche au conservatisme… silencieuse sur le fond parce que « la politique ne peut pas tout ». Cette dernière s’était trop souvent contentée de crier au vol d’héritage sans parvenir, jamais, à réhabiliter l’idée que la politique sert à changer la vie. Aujourd’hui la présidentielle qui s’annonce met en débat qu’on le veuille ou non notre forme du vivre ensemble, un peu comme un fond de scène. La République, sa devise et l’une de ses principales lois, celle de 1905 de séparation des églises et de l’Etat, sont les cibles de la droite Sarkozyste. Et surtout ne pas croire qu’il s’agit d’improvisation, ce débat vient de loin, depuis le discours de Sarkozy aux Ambassadeurs, le 27 août 2007, nous savons le chef de l’Etat adepte de la théorie du choc des civilisations et de l’affrontement entre l’occident et l’Islam. Depuis qu’il a commis son livre La République, les religions, l’espérance (éditions cerf, 2000) nous savons avoir le Président de la République le moins laïque de notre histoire. Qui a dit « la meilleure défense c’est l’attaque » ?

La bataille laïque, dans le climat actuel impose donc de parler haut et fort, de planter un drapeau. Recommencer à dire non, cesser de reculer et passer à l’offensive. C’est ce que nous faisons en déposant cette proposition de loi qui affirme l’intangibilité du « noyau de sens » contenu dans les articles 1 et 2 de la loi de 1905.

ReSPUBLICA : Y aura-t-il une campagne politique d’éducation populaire autour de cette proposition ?

P.L.N. : Oui, évidemment car nous savons qu’on ne peut pas gagner la bataille politique sans mener le combat des idées… Cette proposition de loi n’est donc pas destinée à être rangée dans un tiroir. Elle va voyager, servir de boite à outil pour cette campagne politique d’éducation populaire. Permettre également d’établir une égalité entre citoyens devant la connaissance des mécanismes parlementaires et désacraliser la loi pour que chacun puisse s’en saisir, puisse la défendre et oser contester des arguties trop souvent avancés pour justifier quelques accommodements avec la laïcité.

Et puisqu’il n’y a jamais eu autant de laïques, c’est donc le moment de mettre enfin fin aux exceptions territoriales comme en Alsace Moselle avec le concordat, ou en Guyane où du fait de décret signé sous Charles X l’évêque continue d’être payé sur fonds publics. Et que l’on ne nous dise pas que c’est impossible, la toute récente départementalisation de Mayotte a eu comme conséquence immédiate de supprimer le droit coutumier local.

Faire de la pédagogie, c’est permettre de faire vivre la proposition de loi que Marie Agnès Labarre, Sénatrice de l’Essonne a déposée au Sénat, c’est pouvoir expliquer que le Concordat d’Alsace Moselle ne garanti en rien un traitement à égalité des citoyens. En effet seules quatre religions sont reconnues, mais surtout dans un régime concordataire l’agnostique et l’athée n’ont pas voix au chapitre, où le plus discrètement possible comme une opinion honteuse. L’égalité s’entend ici dans un cadre de concorde entre religions, le droit de celui qui n’en a pas ne peut être garanti et l’agnostique comme l’athée sont relégués dans l’espace privé.

Cette proposition de loi, c’est un drapeau qui donne le signal à tous les laïques abandonnés, isolés, déboussolés qu’il y a sur ce terrain matière à mener la bataille, et à gagner dans les esprits. Pour preuve, c’est en obligeant à débattre à gauche dans des collectivités comme la Région Ile de France que nous avons obtenu de voir diminuer de 40 % le budget facultatif aux établissements privés et d’avoir réussit à exclure du droit à subvention public des crèches confessionnelles au seul fait qu’elles ne respectent pas le principe de neutralité qui s’impose aux agents du service public du fait de notre régime de laïcité.

Et toujours pédagogiquement, c’est l’occasion de démontrer à qui l’aurait oublié que l’UMP n’est en rien attachée au principe de la laïcité, son double jeu s’est confirmé lorsque le groupe majorité présidentielle au Conseil Régional d’Ile-de-France, emmené par sa présidente Valérie Pécresse (également Ministre de l’enseignement supérieur), a voté contre l’amendement que notre groupe avait déposé pour exclure les crèches confessionnelles du droit à subvention.
Alors qu’une des propositions présentées par l’UMP lors de sa « convention de la laïcité » voulait « étendre les obligations de neutralité dans les structures publiques, aux structures privées des secteurs social (..) ou de la petite enfance chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général », deux jours plus tard, Mme Pécresse a déjà oublié cette proposition.

ReSPUBLICA : Comment cette proposition se lie avec les questions sociales ?

P.L.N. : La République sociale que nous appelons de nos vœux n’existe pas indépendamment de la laïcité. Ce sont les faces différentes d’un même projet… Et pour ceux qui l’auraient oublié, rappelez vous que les tenants de l’inégalité sociale ont besoin de développer le spirituel pour mieux faire oublier qu’on défait les services publics, la religion n’est pas un service public comme le dit très justement Henri Pena Ruiz. En effet, les services publics, par définition, doivent être utiles à tous et non seulement à quelques uns.
Prenons l’exemple d’une société totalement libéralisée, tous les citoyens devront payer l’école privée de leurs enfants, l’hôpital en cas de maladie… mais ils pourront bénéficier d’un lieu de culte financé par l’Etat. Au vu du coût de l’éducation privée ou de la santé privée et quant on connaît le taux de fréquentation des lieux de cultes, on voit très vite qui sera privilégié.
Il est impératif de ne financer avec l’argent public que les services publics qui servent à tous pour garantir une véritable égalité sociale. La laïcité est donc complètement liée aux questions sociales.

ReSPUBLICA : Les conférenciers de ReSPUBLICA disent souvent que la république sociale du 21ème siècle, c’est 4 ruptures : la démocratique, la laïque, la sociale et l’écologique. Peux-tu synthétiser les liens entre les questions sociale et laïque dont nous venons de parler et les questions démocratique et écologique?

P.L.N. : Le lien entre ces quatre ruptures est évident pour qui a pris conscience qu’il ne faut surtout pas les opposer et encore moins considérer que l’on pourrait se passer d’une de ses ruptures. Pas étonnant de la part d’un mouvement d’éducation populaire comme Respublica de faire ce lien.
Il s’agit en effet de prendre conscience que les questions écologiques comme sociales sont des questions démocratiques et que la démocratie sans l’éducation populaire n’est qu’un faux nez. Le devoir vis-à-vis des citoyens est de leur donner les moyens de délibérer en conscience… en résumé l’émancipation citoyenne dans une République sociale nécessite de ne jamais sous estimer l’urgence à lutter contre l’inégalité d’instruction qui est comme l’expliquait à raison Condorcet « une des principales sources de la tyrannie ». Comment sinon aborder des sujets aussi essentiels que le droit à mourir dans la dignité lorsqu’il est question par exemple des futures lois sur la bioéthique ou de la question de l’énergie et particulièrement du débat autour du nucléaire, alors que certaines données sont systématiquement dissimulées ou réservées a un cercle de pseudo initiés . Dans ce sens l’écologie politique est bien une rupture avec le modèle économique capitaliste d’accumulation des profits. Et certainement pas une reproduction mortifère d’identités uniques et figées qu’il faudrait préserver. Les tenants de cette « laïcité raisonnée » sont dangereux, car l’universalisme et ce qui nous ressemble disparaît derrière des différences qui seraient à les écouter indépassables…

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Algérie : plate forme pour le changement démocratique

par la CNCD
la Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie en Algérie

 

Le 1er novembre 1954, les Algériens se sont soulevés pour se libérer d’un colonialisme barbare condamné par l’Histoire. Notre peuple attendait de vivre dans un Etat démocratique et social, garantissant la liberté de conscience et les droits humains.
Après des sacrifices hors du commun, l’Algérie arrache le droit à l’existence dans le concert des nations en écrivant l’une des pages les plus glorieuses de l’Histoire du vingtième siècle. Cependant la libération du territoire national n’a pas entrainé celle des citoyens. Le système politique instauré en 1962 a confisqué à son profit exclusif l’indépendance en s’arrogeant tous les pouvoirs.
Notre peuple voit son histoire trahie, sa mémoire mutilée et sa parole confisquée. Tortures, répression sanglante, assassinats politiques, fraudes électorales, corruption, misère sociale et arbitraire rythment le drame algérien depuis un demi-siècle. A l’horreur du terrorisme islamiste le pouvoir a répondu par « la politique de réconciliation nationale », niant l’exigence de justice et de vérité.
Réprimée et exclue de la vie publique, la collectivité nationale oppose une résistance multiforme. L’émeute devient de plus en plus la seule forme de revendication et la rue l’unique espace d’expression pour arracher ses droits. Notre émigration, fidèle à ses traditions de lutte, suit et relaie avec ferveur le mouvement de contestation nationale.
Désormais, le statu quo est impossible à tenir. Mis face à ses échecs et confronté à une pression populaire continue, le pouvoir illégitime, usé, divisé et discrédité, recourt, une fois de plus, aux subterfuges pour essayer de dévoyer, comme en octobre 1988, les aspirations profondes de la société à la rupture radicale avec le système.
Les évolutions nationales, régionales et internationales rendent illusoires toute initiative visant à dérouter la lame de fond qui secoue le pays du nord au sud et de l’est à l’ouest.
L’Histoire est en marche et l’Algérie ne peut faire exception. Le changement de système politique est impératif.
Pour y parvenir dans les meilleurs délais et de manière pacifique, des personnalités, des militants politiques ou syndicaux et des animateurs du réseau associatif ont pris une initiative : créer la Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie (CNCD) afin de répondre à la demande de changement de système politique qui ne saurait se confondre avec un changement dans le système.
Cette structure a lancé des actions qui ont mis à nu les manouvres du système et qui confortent au plan politique les revendications populaires s’exprimant chaque jour dans la rue et à travers toutes les catégories sociales, notamment la jeunesse, principale victime du système et acteur majeur des luttes populaires.
La CNCD appelle les forces politiques et sociales à fédérer leurs énergies pour s’inscrire dans la perspective d’édification d’une république démocratique et sociale. Ses principes fondateurs seront ceux de l’Etat de droit, garantissant le respect des libertés individuelles et collectives, la promotion d’une société civile active, la séparation et l’équilibre des pouvoirs, la séparation du politique et du religieux, l’égalité homme-femme, la reconnaissance et la promotion de l’algérianité par l’affirmation du caractère national et officiel des langues arabe et tamazight, la justice sociale, une répartition équitable du revenu et des richesses nationales et l’alternance démocratique au pouvoir.
Sur la base de ces principes, la CNCD, en concertation avec les autres forces du changement démocratique, propose :
1) Une conférence nationale qui aura pour mission de désigner un Conseil National de Transition Démocratique (CNTD).
2) Le CNTD sera composé de personnalités résolument engagées pour le changement démocratique. La durée de son mandat ne saurait excéder douze (12) mois. Ses membres ne pourront postuler à aucune candidature ou responsabilité après la phase de transition.
3) Le CNTD aura à :

  • Dissoudre toutes les institutions élues.
  • Nommer un gouvernement de transition pour gérer les affaires courantes.
  • Engager le pays dans une refondation nationale dont la clé de voute sera la rédaction d’une constitution qui sera proposée au peuple algérien par voie référendaire.

4) Les priorités pour la reconstruction des autres institutions élues seront définies lors des conférences tenues sous l’égide du CNTD. Ces institutions seront issues d’élections balisées par un dispositif politique et juridique qui s’imposera à toutes les candidatures. La préparation et la mise en œuvre des consultations électorales devront se faire en toute transparence et sous une observation internationale obéissant aux règles qui ont présidé à tous les scrutins ayant suivi la fin des systèmes autocratiques,
5) Le CNTD mettra en place une commission indépendante qui proposera les modalités de restitution du sigle « FLN » à la mémoire collective. Cette commission aura aussi pour mission d’établir la vérité et la justice sur toutes les atteintes subies par les Algériennes et (les) Algériens depuis l’Indépendance.
6) Durant cette phase de transition, l’Armée et l’ensemble des services de sécurité seront placés sous l’autorité du CNTD. Ils auront pour mission la défense du territoire et du caractère républicain et démocratique de l’Etat.
7) L’Algérie démocratique et sociale inscrira son destin dans l’actualisation des principes fixés par la conférence de Tanger qui stipulait, dès 1958, que la fédération des Etats nord-africains est le parachèvement naturel des indépendances de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc ;
Cette plate-forme de la CNCD est ouverte au débat. La CNCD appelle la société et les forces fidèles à l’esprit de Novembre et de la Soummam et des luttes démocratiques depuis l’indépendance, à se rassembler pour le changement démocratique. C’est ainsi qu’elles pourront peser pour édifier une république démocratique et sociale.

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André Gomar : « la population d’origine maghrébine est victime d’amalgames au faciès, par ceux-là mêmes, qui parlent de laïcité « ouverte », « positive » ou « tolérante

par Hakim Arabdiou

 

André Gomar est Président de l’Observatoire de la laïcité de Saint-Denis, une ville de la région parisienne, où il réside depuis une dizaine d’années. Il est retraité de la SNCF, et a un long passé militant politique, syndical et associatif, notamment sur les questions culturelles au sein du Comité d’entreprise de la gare de Saint-Lazare, à Paris. Il est, depuis dix-huit ans, président de l’association des cheminots cinéphiles, présente chaque année au Festival de Cannes. L’intéressé se fait un point d’honneur de préciser que, sans même de concertation entre sa composante, l’Observatoire se retrouve avec une quasi-parité entre les femmes et les hommes. Ses membres sont issus de divers horizons de la gauche et de pays.


Hakim Arabdiou : la laïcité est-elle à ce point mise à mal à Saint-Denis au point de susciter la création d’un Observatoire de la laïcité, spécifique à votre ville ?

André Gomar : L’Observatoire de la laïcité de Saint-Denis a été créé sur l’initiative d’un groupe de militants laïques qui en avaient ressenti la nécessité. Il faudrait toutefois préciser que Saint-Denis n’est pas la seule à disposer d’un Observatoire de la laïcité. Il en existe dans d’autres communes et départements, en France. Si notre Observatoire est spécifique à notre ville, ce dernier ne s’interdit pas, le cas échéant, de prendre position contre les atteintes à la laïcité ou d’impulser activement cette dernière dans d’autres villes, département et dans le monde.

Il a par exemple cosigné avec l’Initiative Féministe Européenne (IFE) un texte contre les attaques que subissait Alicja TYSIAC, jeune femme polonaise, de la part de l’Église et des médias catholiques fondamentalistes, parce qu’elle avait esté en justice l’État polonais, qui lui avait refusé de recourir à l’IVG, pourtant légale, ayant mis sa santé et sa vie en danger. Il en a été de même pour la comédienne algérienne, Rayhanna, qui avait été agressée, près de la Maison des Métallos, rue J.P. Timbaud, à Paris. Nous avons relevé à Saint-Denis, comme dans les villes environnantes, un certain nombre d’atteintes à la laïcité, en particulier dans les services publics. Par exemple, les enseignantes et les enseignants sont désemparés face à la contestation, pour des considérations religieuses ou politico-religieuses, de certains de leurs enseignements littéraire, scientifique ou philosophique, par certains élèves, sous influences. Il est également porté atteintes aux principes fondamentaux de la laïcité : liberté de conscience, égalité des droits et autonomie du politique, la création d’un parti politique chrétien intégriste, et opposé au droit à l’avortement… Par conséquent, les objectifs de notre Observatoire sont tout à la fois de défendre la laïcité et de faire œuvre de pédagogie, quant à l’histoire et aux fondements de la laïcité, de la distinction entre le culturel, le religieux et le politique, entre l’intérêt général et l’intérêt particulier, etc. Toutes ces notions ou questions sont ignorés par beaucoup d’habitants de notre commune.

H.A. : A quel type de contraintes par rapport à son environnement, votre
association est-elle confrontée ?

A. G. : Notre association est confrontée à une méconnaissance de la laïcité. Il est également primordial de redire que la laïcité n’est pas synonyme d’athéisme. La laïcité a aussi été galvaudée et instrumentalisée. C’est pourquoi, dès que des militants laïques entreprennent une initiative en faveur du respect de la laïcité, aussi bien cette action qu’eux-mêmes sont immédiatement l’objet de suspicion. Ils sont alors calomniés, en se voyant qualifiés de sectaires, d’intolérants, de laïcards, d’intégristes, voire de racistes. Cela montre l’existence un véritable blocage de la critique et du débat libre, que nous ne pouvons pas faire semblant de ne pas le voir. Tout l’enjeu est de concilier la liberté d’expression et respect des opinions.

H. A. : Quelles sont les réactions des pouvoirs publics, notamment des élus, face aux atteintes à la laïcité ?

A. G. : Notre observatoire existe depuis plus d’une année. Il y a quelques semaines, nous avons été reçus par le maire, communiste, de la gauche pluriel) et son chef de cabinet, dans un contexte politique tendu, en raison des élections cantonales. Cette réunion a constitué une prise de contact et permis un échange d’informations, avec la promesse de se revoir, afin de discuter de l’élaboration d’une Charte de la laïcité, dans les services publics à Saint-Denis. Il n’est pas simple de débattre de laïcité sur la place publique, de crainte justement de «stigmatiser» selon le mot détourné de son sens. Des desseins de clientélisme électoral en vue des municipales sont aussi derrière les non-dits du débat. À mon avis, la population d’origine maghrébine est victime d’amalgames au faciès, par ceux-là mêmes, qui parlent de laïcité « ouverte », « positive » ou « tolérante ».


H. A. : Quelle est la position de votre Observatoire par rapport à l’initiative récente de l’UMP de débattre de la laïcité et de la place de l’islam en France ?

A. G. : La laïcité est mise à mal partout sur le territoire. La loi de 1905 a été rognée, depuis un siècle, par et sous différents gouvernements. Les derniers soubresauts de l’UMP et de l’extrême droite se sont réclamé de la laïcité, pour ouvrir un débat, ne peut être qu’inacceptable, car il risque d’aboutir à des amalgames dangereux, et de constituer surtout un prétexte pour remettre en cause l’un des principes de la loi de 1905, sur le non-financement des cultes par l’argent public. Les représentants des six religions monothéistes ne s’y sont pas trompés. Ils ont, dans un texte récent, refusé à juste titre ce débat, mais ils ont tout de même souligné la nécessité de relancer le rapport Machelon, lequel préconise le financement des cultes par des fonds publics. Ceci en violation de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, instituant la séparation entre les Églises et l’État. Ce qui est assourdissant dans ce contexte, où les principes fondamentaux de la laïcité sont visés, c’est le silence de la gauche française, qui s’est contentée de rejeter ce débat. Elle a préféré ni voir, ni débattre sur ce qui se trame derrière ces manœuvres.

Propos recueillis par Hakim Arabdiou, pour ReSPUBLICA

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La question laïque en 2011 : un débat peut-il en cacher dix autres ?

par Audrey Baudeau
Docteur en Sciences de l’Education
Mention Histoire

 

Bien que ne partageant pas toutes positions d’Audrey Baudeau notamment sur les accompagnatrices des sorties scolaires (nous estimons que ces sorties sont parties intégrantes du cursus scolaire, les accompagnatrices remplaçant des professionnels de l’Education nationale et qu’elle doivent donc être soumises aux mêmes obligations qu’eux), nous publions ce texte car il remet bien des pendules à l’heure sur différents sujets. NDLR

Le vrai-faux débat sur la laïcité

Nous proposons de poser quelques interrogations en lien avec la laïcité et de laisser apparaître celles sous-jacentes qui ont d’autres enjeux que la laïcité à travers trois exemples d’actualité absolument différents.

1 - Doit-il appartenir au gouvernement républicain laïque de s’occuper des religions ?

Le débat sur la laïcité n’a pas débuté qu’il est déjà mal engagé. Il serait en effet question en partie de l’islam et de sa compatibilité avec les lois de la République. Pourquoi parler d’une religion en particulier alors que le sujet de la laïcité a cet avantage majeur de pouvoir traiter de toutes ? De quoi voulons-nous parler, de laïcité ou d’islam ?

Il s’agirait notamment de savoir « Comment organiser l’islam en France ? », est-ce bien là le rôle d’un gouvernement républicain ?

Et comment, ceux concernés, les musulmans acceptent-ils qu’un gouvernement se permette de vouloir organiser leur religion ?

Il serait donc question d’examiner : le nombre et l’organisation des lieux de culte, la formation des imams, le contenu de leurs prêches, la langue utilisée pour s’adresser aux fidèles, … Depuis quand appartient-il au gouvernement de s’intéresser à cela ? Ne devrait-il pas plutôt se préoccuper de la formation des enseignants, du contenu des cours ?

En réalité, il semble aujourd’hui difficile de ne pas se soucier de religion. Simplement ne pas s’en soucier. Il est évident que l’attitude du Président de la République laisse perplexe. Dans son ouvrage intitulé « La République, les religions, l’espérance », Nicolas Sarkozy n’hésite pas à opposer les valeurs religieuses aux valeurs républicaines : « Je suis convaincu que l’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté […] On aurait tort de cantonner le rôle de l’église aux seuls aspects spirituels […] On ne peut pas éduquer les jeunes en s’appuyant exclusivement sur des valeurs temporelles, matérielles, voire même républicaines […].1 Lors de sa visite officielle au Vatican en décembre 2007, il précisait que « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. »2

→ Quel intérêt cela cache t-il ? Comment considérer l’annonce de ce débat sur la laïcité avec bienveillance ?

2 - Faut-il repenser la laïcité ou bien l’appliquer ?

Promenez-vous en avril près de Notre Dame dans le 5e arrondissement de Paris et assistez à la procession catholique « notre Seigneur dans la rue », vous constaterez qu’elle mobilise autrement et qu’elle bloque autrement la voie publique que quand les musulmans prient en pleine rue. Alors quel est le problème ?

Le fait que des musulmans prient dans la rue pose la seule question de l’utilisation de la voie publique pour des manifestations religieuses. La laïcité est bien faite, il n’est pas nécessaire de parler d’une religion, il est possible de traiter cette question au sens général.

Il s’avère qu’en France, la législation soumet à la déclaration préalable pour toute manifestation religieuse. Le principe est la liberté. L’interdiction ne peut intervenir que si la manifestation est « de nature à troubler l’ordre public ».3

Il appartient à la police municipale « d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». Elle comprend [notamment] : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (…) ; 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique (…) ; 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes (…) »4

La police ne peut donc pas intervenir si cela dérange seulement « philosophiquement » le voisinage, elle le peut si l’autorisation préalable n’a pas été déposée ou si cela trouble l’ordre publique.

→ Pourquoi ne pas s’en tenir à l’application de la loi ? Et surtout, pourquoi stigmatiser une religion alors qu’il est pertinent de traiter cette question au sens général ?

3 - La laïcité concerne t-elle et traite t-elle équitablement toutes les religions ?

La question du financement indirect des lieux de culte se pose actuellement.

« La République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte”5. L’article 2 de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat est clair. Il stipule que l’Etat français renvoie le religieux à la sphère privée, et ne finance donc aucun culte sur son territoire, et ce, quelle que soit la religion.

L’Etat est propriétaire des édifices anciens donc les édifices religieux (synagogues ou églises) bâtis avant 1905 sont devenus propriétés de l’Etat, qui les prête gratuitement aux églises. De fait, l’Etat est tenu de financer la restauration et l’entretien des bâtiments à ses propres frais.

Il n’en va pas de même pour les édifices érigés après 1905, dont l’entretien revient en revanche aux organisations cultuelles concernées.6

Mais il existe des moyens de contourner cette loi simple et claire. On pourrait s’interroger sur la pertinence de vouloir contourner la loi alors qu’elle permet un traitement équitable des citoyens. Le manque de lieux de culte, notamment musulmans, est une des raisons.

La législation française autorise ainsi l’Etat à financer des associations culturelles, loi de 1901. Des locaux, qui ont une vocation culturelle, mais qui hébergent un lieu de culte, peuvent alors recevoir des financements publics. Ainsi, un Centre d’art sacré, situé dans l’enceinte de la cathédrale d’Evry, avait bénéficié en 1990 d’une subvention d’Etat de 5 millions de francs (899.350 euros).

→ Il est possible de se demander si la somme est justifiée ou s’il ne serait pas pertinent d’interdire dans ce cas précis les subventions à des associations culturelles qui hébergent un lieu de culte mais soit pour l’interdire à toutes les associations soit pour continuer ainsi en faisant confiance au bon sens de l’Etat.

Le bail emphytéotique administratif est une autre manière de contourner la loi. C’est un bail destiné à permettre à une collectivité territoriale propriétaire d’un bien immobilier de le louer pendant une longue durée (jusqu’à 99 ans) pour un modique loyer dans le cas notamment de l’ « accomplissement d’une mission de service publique » ou de la « réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence »7 . L’ordonnance du 21 avril 2006 permet que soit conclu un bail emphytéotique avec une association cultuelle en vue de la construction d’un édifice du culte ouvert au public.

Diverses municipalités font le choix de conclure des baux emphytéotiques pour la construction d’édifice religieux à Marseille, à Montreuil, … Ces mesures, que l’on soit pour ou contre, ne concernent pas seulement une religion et peuvent là encore être questionnées sans stigmatiser l’une ou l’autre des religions.

Avant 2006, il était possible de s’interroger sur la notion « d’intérêt général » ou de « mission de service publique » que revêtait la construction d’un édifice du culte. Depuis 2006, il est possible de se passer de cette interrogation.

→ La question sous-jacente qui semble se poser c’est la confiance que l’on place dans les responsables politiques qui doivent juger de l’intérêt général ou de la nuisance à l’ordre public (dans le cas des prières en pleine rue).

Vouloir compenser le dit déficit des lieux de culte autres que catholiques soulève un certain nombre de questions. Faut-il compenser le manque de lieux de culte de toutes les religions existantes en France ? Comment procéder ? Faut-il construire au prorata des croyants ? Dans ce cas il faudrait que chaque citoyen s’exprime sur sa pratique ou que cela soit inscrit sur sa carte d’identité sinon c’est du « grosso modo ». Or justement nous avons choisi une société laïque dans laquelle la religion n’est pas inscrite sur la pièce d’identité. Assumons nos choix de société. Cela ne veut sûrement pas dire qu’il faut compenser avec les églises construites au Moyen-Âge. Que cherchons-nous à compenser en définitive ?

4 - La question laïque ne révèle t-elle pas bien souvent un manque de discernement ?

Des exemples pas si isolés que ça donnent à voir des municipalités qui laissent les animateurs jeunesse faire leur prière sur leur temps de travail à côté des enfants dont ils ont la charge tandis qu’elles poussent à la démission une jeune femme compétente qui porte le voile dans la sphère privée uniquement. En France, il n’y a ni un problème de laïcité ni un problème d’islam, il y a surtout un problème de discernement. Quand une municipalité laisse des fautes professionnelles se commettre mais que dans le même temps elle exclue sur des jugements de vie privée, se cachent - mal d’ailleurs – de sérieuses interrogations.

→ Des questions de société intéressantes par ailleurs : faut-il acheter la paix sociale ? Quelle réelle acceptation de la femme compétente en milieu professionnel ?

La question des mamans voilées qui accompagnent les élèves en sortie scolaire pose à la fois la question de l’application des textes juridiques en la matière et celle du discernement.

Tout d’abord, la loi du 17 mars 2004 relative au port de signes religieux à l’école ne concerne pas les parents d’élèves et aucun autre texte ne le stipule. Pourquoi ne pas s’en tenir à cela ?

La qualité de collaborateur bénévole auquel sont assimilées les mamans ne peut emporter reconnaissance du statut d’agent public, avec l’ensemble des droits et des devoirs qui y sont rattachés8. Il est faut de dire que les mamans qui accompagnent les élèves en sortie scolaire sont comme assimilées à l’équipe enseignante. Les mamans aident seulement à l’accompagnement. Elles n’accompagnent jamais seules, il y a toujours un éducateur qui a la charge du groupe. Sinon, leur fait-on passer un test pédagogique ? Pourquoi serait-il plus gênant une maman qui porte le foulard qu’une maman exprimant un total désaccord avec les programmes d’histoire de l’école primaire ? Il ne faut pas tout confondre et une maman voilée ne devient pas enseignante parce qu’elle accompagne un groupe d’élèves. En revanche, si lors d’une sortie, une maman voilée tenait des propos prosélytes cela pourrait lui être reprochée mais tout autant (ni plus ni moins) qu’une maman qui dénigrerait le contenu des programmes d’histoire. Ni les enfants ni les parents ne sont idiots. Ils peuvent comprendre qu’il s’agit d’abord d’une maman qui donne du temps pour accompagner des élèves parce que la sortie pourrait bien ne pas se faire si l’enseignant n’est pas épaulé dans l’encadrement. Et c’est bien cela la réalité du terrain.

5 - La politique doit-elle se résumer en un nuage de consensus sans que ne rayonne le moindre projet de société ?

A partir du moment où l’on choisit de vivre en société, il faut accepter les droits et les devoirs, les garanties et les contraintes. Il n’y a pas de société qui satisferait pleinement toutes les consciences et toutes les pratiques. Mais la laïcité garantit un vivre ensemble pour tous. Avec des contraintes. Un Etat impose des lois qui forcément obligent les citoyens à faire des compromis avec leurs convictions. S’il en était autrement alors c’est tout le code civil qui serait remis en question tant sur la question du mariage, du divorce, …

Appliquer la laïcité c’est vouloir traiter de la même manière tous les citoyens sans se soucier ni même voir leur appartenance religieuse.

Ce qu’il ne faudrait pas oublier c’est que si les citoyens doivent accepter les devoirs qui vont avec les droits, l’Etat lui aussi doit honorer ses responsabilités. Tout en assumant le cadre sociétal qu’il pose, tout en imposant des règles, il se doit d’offrir à ses citoyens l’envie et les moyens de se sentir citoyen d’une République laïque française.

→ N’y a t-il pas derrière les exemples précédemment cités comme un malaise que les gouvernants tentent de compenser ? Au final, est-il tant question de laïcité ou d’islam ? N’est-il pas question de l’incapacité des politiciens à tenir un cadre sociétal (préférant acheter une paix sociale), à prendre le risque de traiter équitablement tous les citoyens (préférant acheter les voix de quelques groupes), à penser une politique positive d’intégration, à combattre le racisme et toutes les discriminations, à offrir un projet de société à tous ceux qui habitent en France ?

Pour la seule question de l’intégration, comme il est étrange de penser qu’elle se résoudrait par une adaptation de la laïcité ! Ne faut-il pas plutôt sur ce sujet travailler à des mesures concrètes et politiques d’accueil, d’accompagnement et d’intégration (accompagnement des nouveaux résidents tant sur l’apprentissage du français que sur le plan administratif, scolaire, professionnel, remettre au cœur du système scolaire un projet citoyen pour chaque élève, …).

A la question de l’intégration, il ne faut pas des demi-réponses d’aménagement du cadre sociétal, il faut des réponses entières, politiques et positives.

Assumons notre choix de société laïque ou bien assumons d’en changer. Mais le compromis sera forcément compromettant pour ce principe aussi noble qu’est la laïcité.

6 - Mais qu’est-ce que la laïcité ?

Sans être contre l’idée de parler de la laïcité, il faudrait déjà l’appliquer pour en parler. Les lois en la matière n’ont pas été si mal pensées et la laïcité garantit quand elle est simplement appliquée, un juste traitement des citoyens. C’est son application partielle, donc injuste, qui crée des tensions, des discriminations, des replis communautaires, des besoins de s’affirmer en tant que musulman, catholique, juif, … parce que la laïcité n’a pas pu jouer son rôle d’équité et d’unité. Il y a peu de problème de laïcité, mais il y a beaucoup de malins qui l’utilisent pour noyer d’autres enjeux politiques. C’était déjà ainsi en 1924, pourrions-nous évoluer un peu ?

La laïcité est le cadre le mieux pensé pour vivre ensemble parce qu’il a le grand mérite de traiter équitablement les citoyens. Aujourd’hui, sous couvert de laïcité et d’islam, se faufilent de réels manques de courage politique, de discernement, et de projet de société.

Mais si vous voulez toujours parler de la laïcité : alors parlons de l’introduction de la législation laïque en Alsace et en Moselle, de l’enseignement d’une morale laïque à l’école, du financement des associations culturelles qui hébergent des lieux de culte, … Ayons un débat non pour estomper les contours de la laïcité mais pour la promouvoir.

Conclusion

Si la question laïque est en lien avec la question religieuse, elle n’est pas pour autant l’affaire des religions. La question laïque est une question politique. Une ou encore plusieurs religions émergeraient que cela ne changerait rien aux principes juridiques et à l’idéal que la laïcité propose. La laïcité mérite d’être affirmée au contraire par une unité d’application.

  1. La république, les religions, l’espérance », Nicolas Sarkozy, 2004. []
  2. Discours de Nicolas Sarkozy au palais du Latran, le 20 décembre 2007. Nicolas Sarkozy précise également que « La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres, n’ont pas rendu les Français plus heureux. C’est une évidence. » []
  3. Décret-loi du 29 octobre 1935 soumet les manifestations religieuses à la déclaration préalables et opère une distinction entre les manifestations seulement religieuses qui n’ont pas de caractère coutumier, ni régulier et les manifestations cultuelles. Ces dernières ont un caractère traditionnel, coutumier et régulier et ne sont pas soumises à la déclaration préalable. []
  4. Les cérémonies, processions et autres manifestations du culte sont réglées conformément aux dispositions combinées de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales et l’article 27 de la loi du 9 décembre 1905. S’y ajoute le décret-loi du 20 octobre 1935 précédemment cité. []
  5. DURAND-PRINBORGNE C. La Laïcité, Paris, Coll. Connaissance du droit, Editions Dalloz, 1996, p. 58. []
  6. DURAND-PRINBORGNE C. La Laïcité, Paris, Coll. Connaissance du droit, Editions Dalloz, 1996, p. 107. []
  7. Le bail emphytéotique administratif est régi par l’article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales auquel s’ajoute l’ordonnance du 21 avril 2006. []
  8. Délibération du 14 mai rendue publique le 6 juin de la Halde. []
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Grandes écoles : le coup de l’Elysée contre la laïcité

 

Sur demande de l’Elysée, quelques étudiants juifs pratiquants pourront passer les concours d’entrée à des grandes écoles (Mines, Ponts, Centrale et Supélec) pour partie en dehors des sessions normales d’examen. Des sessions secrètes de nuit ont été prévues, avec un confinement préalable des candidats. Alors que le chef de l’Etat orchestre une campagne de stigmatisation des immigrés d’origine arabe, l’affaire met en évidence que la défense de la laïcité, avancée pour justifier cette politique, n’est qu’un prétexte.
par Laurent Mauduit
Lire la suite sur le site de Médiapart (Payant)

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La laïcité, la catalyse de l'alchimie du vivre-ensemble

par Ghaleb Bencheikh
président de la conférence mondiale des religions pour la paix,
animateur de l'émission islam sur France 2

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Comment faire vire la laïcité aujourd’hui ?

Le débat est un signe de vitalité démocratique quand il a lieu au sein de la nation et nous en sommes demandeurs. Or, à quoi assistons-nous actuellement ? Une formation politique s’approprie les valeurs qui sont celles de la République pour appeler d’abord à un débat sur l’islam, mot-valise dans lequel il y a tout et le contraire de tout, eu égard à la fantasmagorie ambiante. Puis se livre à un rétropédalage hypocrite, vu le tollé à l’annonce de ce débat. après celui sur l’identité nationale. Lequel débat a suscité une parole raciste, islamophobe, misislamique (au sens de misogynie, de l’hostilité avérée). La notion d’identité française est pourtant à creuser : est-elle bijective, est-elle isomorphe, n’est-elle pas en mutation. Quelle est la notion même de la nation à laquelle nous contribuons ?

La laïcité, c’est la loi qui garantit le libre exercice de la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi. Nous sommes pour le primat du droit positif sur toute législation dite d’inspiration métaphysique, religieuse, transcendante. La laïcité devient alors la catalyse de l’alchimie du vivre-ensemble. Inutile de la qualifier d’une quelconque épithète : positive, négative, ouverte, fermée, indifférente, intelligente, tolérante ou de combat. Inutile d’ajouter un qualificatif à un concept aussi fondamental, clé de voûte de nos institutions que nous avons arrachée dans le temps à la suite de querelles (doux euphémisme) à travers l’histoire. Agir ainsi trahirait l’idée que la laïcité n’est plus autosuffisante. Et que chacun, parmi nous, concitoyens, pourrait lui accoler avec une épithète un signifiant qui n’est pas forcément celui de la nation. C’est pour cela qu’il faut être extrêmement vigilant, lucide et qu’il ne faut pas laisser telle ou telle formation politique, pour des considérations purement électoralistes, s’accaparer ce symbole, ces valeurs.

Fustiger et récuser ce débat galvaudé ne veut pas dire qu’il n’y a pas des problèmes à résoudre dans la vérité, la transparence, le sérieux, la responsabilité. Ainsi, l’incurie organique des hiérarques musulmans a fait en sorte qu’on n’a pas su régler l’affaire de deux fillettes à peine nubiles qu’on a emmitouflées dans un foulard en compromettant leur scolarité. Et de démission en démission, on se retrouve deux décennies plus tard avec l’affaire dite de la burka.

Malheureusement, si on a su dire avec autorité aux musulmans qu’en l’absence de lieux de culte, ils ne devaient pas prier dans la rue mais chez eux, on n’a pas mis avec la même vigueur les élus devant leurs responsabilités pour que soient construits des lieux de culte dignes, visibles, transparents. Nombre d’entre eux ont refusé de délivrer des permis de construire ou, au mieux, les ont donnés pour la ZAC, la ZI, devant la déchetterie ou à côté de l’aéroport.

Y veiller donnera plus de poids à cette exigence de vouloir construire une société commune, prospère, fraternelle et solidaire. C’est une quête solidaire du sens de l’avenir pour notre nation à laquelle nous sommes appelés. Sans elle, il ne saurait y avoir d’avenir de paix, voire pas d’avenir du tout pour cette nation.

Laïcité et féminisme
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Les deux grandes oubliées du nouveau manifeste féministe des 343

par Nicolas Gavrilenko
Membre du Bureau National de l'Union des FAmilles Laïques (UFAL)
http://www.ufal.org

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Il faut saluer l’heureuse initiative du manifeste “343 femmes s’engagent, l’égalité maintenant” publié dans le journal Libération le 2 avril dernier. Ce texte se veut l’équivalent en 2011 de ce que fut, en 1971, le Manifeste des 343 qui conduisit à la légalisation de l’IVG. Les 343 signataires ont raison de souligner que 40 après, le combat féministe est toujours d’actualité. Les inégalités entre les hommes et les femmes n’ont pas disparu, et c’est sans doute dans la vie professionnelle qu’elles sont le plus criantes : il faut dénoncer avec vigueur la précarité, les temps partiels subis, mais aussi la scandaleuse inégalité des salaires à laquelle aucun gouvernement n’a eu le courage de s’attaquer.
Si relancer le combat féministe doit, en effet, être une priorité, ce combat ne peut aboutir qu’à condition d’identifier ce qui fait réellement obstacle à l’égalité entre les hommes et les femmes et de s’armer efficacement. En passant à côté de deux questions centrales, celle de la petite enfance et de la laïcité, le Manifeste situe le combat féministe sur le seul terrain idéologique et se prive d’une arme précieuse.

Pas d’égalité réelle dans la vie professionnelle sans droit opposable à la garde d’enfant

On peut comprendre que les auteurs du Manifeste aient voulu éviter l’écueil qui consiste à identifier la femme à la mère, surtout dans une période où la figure de la femme maternante est à nouveau valorisée et où les femmes sont incitées à retourner dans leur foyer. Mais on peut aussi regretter que le texte tombe dans l’écueil inverse, en passant totalement sous silence la question de la garde des enfants. Cette question matérielle est pourtant déterminante pour les femmes. D’une part, parce que la majorité d’entre elles ont des enfants. D’autre part, parce que c’est dans la sphère domestique et familiale que la domination patriarcale (que les 343 dénoncent à juste titre) est la plus sensible.

Partant de ce constat, l’Ufal a toujours défendu la nécessité d’un service public de garde d’enfants digne de ce nom. Pour en finir avec les inégalités dans l’accès à l’emploi et à la formation, les carrières interrompues, les annuités de cotisations retraites perdues et les temps partiels subis, il faut commencer par mettre en place un plan ambitieux permettant à toutes les familles d’avoir un libre accès au(x) mode(s) de garde correspondant à leurs besoins.

Les femmes étant davantage précarisées dans leur travail que les hommes, ce sont presque toujours elles qui renoncent à travailler pour s’occuper des enfants.  Mais comme elles sont moins présentes sur le marché du travail, elles ne peuvent aspirer, à talent égal, aux carrières professionnelles auxquelles les hommes peuvent prétendre. Pour rompre ce cercle vicieux qui reconduit mécaniquement les femmes à la maison et qui reproduit tout aussi mécaniquement la structure patriarcale et les inégalités salariales, il faut que la décision de s’occuper des enfants ne soit plus un choix subi. Il faut donc que le droit à la garde d’enfants soit opposable. Ainsi l’Ufal a-t-elle toujours milité en faveur du droit à avoir une place en crèche collective ou familiale dès lors qu’une demande est déposée. L’égalité réelle entre les hommes et les femmes, tout particulièrement à l’intérieur des classes populaires où les choix sont les plus contraints par la question budgétaire, est à ce prix.
L’Ufal va plus loin : elle exige aussi la mise en place d’un service public de garde d’enfants à domicile pouvant répondre à tous les besoins des parents. Les femmes ne sont pas assez représentées dans les partis politiques ? Commençons par leur donner la possibilité de participer à des réunions en les débarrassant du souci de trouver une baby sitter. Multiplions les halte-garderies.1

Les 343 signataires de ce nouveau Manifeste ont tort de privilégier le combat idéologique et d’abandonner, du même coup, cette question de la garde des enfants qui, pour être bassement matérielle, n’en est pas moins déterminante pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Car d’autres forces ont fort bien compris, elles, les enjeux des questions liées à la petite enfance. En premier lieu, les forces néolibérales, appâtées par la perspective de l’ouverture d’un nouveau marché. Les crèches privées et les jardins d’éveil poussent comme des champignons, tout particulièrement dans les grandes villes où le manque de places dans les crèches municipales se fait cruellement sentir et les crèches parentales, qui sont des structures lourdes à mettre en place et à faire vivre, ne suffisent pas à combler le manque, loin s’en faut. En second lieu, les intégristes de tout poil qui ont intérêt à garder les jeunes enfants au sein de leur communauté religieuse afin de mieux s’occuper de leur édification morale.

Le nécessaire lien entre féminisme et laïcité

On peut déplorer, par ailleurs, l’absence de référence au principe de laïcité. Ce sacrifice a sans doute été le prix à payer pour rassembler sur un même texte les diverses tendances qui composent le mouvement féministe, dont certaines défendent encore une approche essentialiste et communautariste.

La laïcité n’est pas une marotte de vieux barbons athées. Elle est une arme dont les féministes doivent s’emparer. Celles qui militent dans les pays du Magreb ne s’y trompent pas : elles savent fort bien que la laïcité les protègent contre l’intégrisme religieux, toujours particulièrement féroce à l’égard des femmes. Elles savent aussi que la laïcité permet de briser le cercle par lequel patriarcat et religion se renforcent mutuellement. Les femmes qui vivent dans les quartiers populaires, où l’exacerbation du communautarisme religieux est particulièrement sensible, font chaque jour l’expérience du recul de la mixité, de la misogynie ordinaire et, heureusement plus rarement, des crimes sexistes.

Plus généralement, les femmes ont tout intérêt à vivre dans une société où la loi n’est pas une affaire de foi et où les règles qui régissent le droit commun ne sont pas dictées par la religion. Sous un régime théologico-politique, les femmes n’ont pas le droit d’avorter, de décider ce qu’elle veulent faire de leur vie et de leur corps. Or la séparation du théologique et du politique, seul le régime de la laïcité peut la leur garantir.
Le combat féministe n’est pas un combat seulement idéologique. C’est aussi un combat social et politique. Avant de vouloir changer les mentalités, éduquer les individus, modifier les représentations, ménageons d’abord et surtout les conditions matérielles qui permettront aux femmes de conquérir davantage de liberté et défendons les conditions politiques qui les protègent de l’intégrisme religieux.

  1. L’ensemble des revendications sont disponibles dans l’article]
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Déjouant le sentiment fataliste, des laïques montrent la voie du combat

 

Après la séquence, menée par l’UFAL, se terminant sur la victoire significative de la loi du 15 mars 2004 portant contre les signes religieux à l’école, le courant laïque a beaucoup tourbilloné en rond.
Partout dans le monde, le combat laïque a repris force et vigueur dans des dizaines de pays dont les pays arabes et, ou, musulmans ou encore la Bolivie. En France, un fatalisme petit bourgeois a envahit le mouvement laïque. Mais le bon grain était semé. 2011 voit le combat laïque français sortir du trou noir. Après la sortie par le PG de la proposition de loi-cadre sur la laïcité, voici une victoire partielle significative. Contre l’UMP et sans le PS, voilà une décision laïque prise par le Conseil régional d’Ile-de-France. Nous saluons le vote des groupes PRG-MUP et des deux groupes Front de gauche.

Évariste

Laïcité, le double jeu de l’UMP, la déshérence du PS

Jean-François Copé voulait avec sa journée du 5 avril faire croire que l’UMP était attachée au principe de la laïcité. Moins de 2 jours après, son double jeu se confirme ! Ce jeudi 7 avril 2011, le groupe majorité présidentielle au Conseil Régional d’Ile-de-France, emmené par sa présidente Valérie Pécresse, a révélé au grand jour sa vision toute particulière de la laïcité.

L’UMP a voté contre l’amendement déposé par le groupe Front de Gauche & Alternatifs (élus du Parti de Gauche et des Alternatifs) et PRG & MUP réservant aux seules structures non confessionnelles d’accueil
collectif des jeunes enfants le droit à financement public de la part de la Région. Avec l’UMP la laïcité est toujours à géométrie variable.

Si prompte à exiger de l’usager une neutralité qui revient à remettre en cause le principe de liberté de conscience, l’UMP défend notamment le versement de subventions publiques aux 14 crèches confessionnelles Loubavitch ultra orthodoxes déjà financées par la ville de Paris.

Isolé, le président Huchon a tenté jusqu’au bout d’empêcher l’adoption de notre amendement. Mais au moment de voter avec la droite les élus PS ont préféré s’abstenir. Notre amendement a donc été adopté. Les élus du Parti de Gauche et des Alternatifs se réjouissent que l’intérêt général ait prévalu. C’est la preuve que les laïques peuvent l’emporter pour peu qu’ils relèvent la tête et affichent clairement leurs couleurs.

par Pascale Le Néouannic
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Condition de la femme en Tunisie : les enjeux d’une révolution

par El-Watan

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La vague de contestation que vivent actuellement un certain nombre de pays arabes entraînera-t-elle nécessairement une amélioration de la condition de la femme ?

C’est à cette question, à la fois complexe et cruciale, que le quotidien El Watan a tenté de répondre vendredi à travers l’organisation, à l’hôtel Sofitel d’Alger, d’une conférence-débat à laquelle ont été conviés Belhaj Hmida, avocate auprès de la Cour de cassation de Tunis et cofondatrice de la section tunisienne d’Amnesty international, Nourredine Saâdi, professeur de droit public et de science politique à l’université d’Artois en France, Fadhila Boumendjel-Chitour, ancien chef de service d’endocrinologie du CHU de Bab El Oued et membre du réseau Wacyla d’aide aux femmes et enfants victimes de violences, et Sihem Habchi, présidente de l’Association française Ni putes ni soumises. Evoquant le cas de la Tunisie, Belhaj Hmida a d’emblée regretté le fait qu’au-delà d’avoir dénoncé le régime en place, condamné la corruption et prôné la fin des discriminations et des inégalités, la révolution, qui a actuellement cours dans son pays (la révolution du Jasmin, ndlr), ne porte pas de projet de société.

Cela l’amènera d’ailleurs à parler de «révolution muette». Pour l’intervenante, le constat n’est pas fait pour rassurer dans la mesure où «chacun confère aujourd’hui à cette révolution muette les objectifs qu’il veut». La situation, ajoute-t-elle, est inquiétante d’autant plus que les islamistes tunisiens structurés notamment autour du mouvement Ennahda cherchent, en catimini, à remettre en cause le code de statut personnel adopté en 1956 et les lois promulguées sous Ben Ali qui concèdent à la femme tunisienne un certain nombre de droits. «Les islamistes ont été victimes de toutes les formes de répression pendant des années. Maintenant, ils bénéficient de tous leurs droits et ont une liberté d’action. Cela est valable aussi pour ceux qui étaient en exil ou en prison. Pour le moment, ils tiennent un discours modéré. Ils se sont mêmes engagés à respecter le code de statut personnel.

D’ailleurs, leur direction a promis de ne pas toucher aux droits des femmes. Ça c’est un fait», mentionne Mme Belhaj Hmida. Mais celle-ci a tout de même tenu à préciser tout de suite après que «ce que dit Ennahda publiquement est tout à fait différent du discours qui est tenu dans les réunions restreintes».

A ce propos, l’invitée des Débats d’El Watan – qui est aussi l’une des fondatrices de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) – a fait savoir que «le mouvement Ennahda prend de l’ampleur tous les jours et qu’il contrôle déjà toutes les mosquées du pays». «Le mouvement Ennahda a des moyens financiers dont ne dispose aucun autre parti. Je puis vous assurer que le discours tenu par son porte-parole n’est pas du tout celui que nous lisons tous les jours dans les journaux. Il y a là un double langage. La presse qui lui est proche ne cesse d’ailleurs d’appeler à ouvrir un débat sur cette ‘’vache sacrée’’ qu’est le code portant statut personnel», a-t-elle révélé.

La conférencière s’est ainsi fait un devoir d’énumérer les acquis importants que ces lois ont permis d’engranger et les risques qu’il y aurait à les annuler.

Elle rappellera, entre autres, que le code portant statut personnel, qui a été voté avant même la promulgation de la Constitution tunisienne, a aboli la polygamie, instauré l’égalité entre les hommes et les femmes en matière de divorce et octroyé au couple avec ou sans enfant le droit à l’adoption. «Ce code a donné aux femmes une certaine citoyenneté et une certaine liberté dont elles ont pu jouir au fil des années. Mais il s’est avéré que cela était insuffisant. C’est pour cela que les Tunisiennes ont continué à batailler pour obtenir plus de droits», a-t-elle mentionné.

Mme Belhaj Hmida a ajouté que «même sous Ben Ali, les Tunisiennes ont obtenu des acquis en matière de divorce et de nationalité». C’est aussi sous Ben Ali, a-t-elle poursuivi, que les violences conjugales sont devenues une infraction passible de sanctions. Mais dans tous les cas, elle a dit ne pas être dupe et ne pas ignorer aussi que les droits des femmes ont été instrumentalisés et utilisés par le pouvoir de Ben Ali comme un rempart contre l’islamisme politique qui risquait de le concurrencer.

Aussi, Belhaj Hmida a invité à considérer le cas tunisien sans euphorie surtout que parmi les acteurs de la révolution du Jasmin, certains se sont montrés allergiques au débat sur les droits de la femme. Dans ce contexte, la conférencière – tout en se refusant à faire dans l’alarmisme – n’a pas manqué d’appeler à la vigilance. «Je ne pense que nous n’ayons pas le droit de ne pas être vigilants et nous n’avons pas le droit de banaliser la réalité tunisienne», a-t-elle soutenu, tout en regrettant le fait que l’opposition démocratique reste sourde aux revendications des femmes. «Pour l’opposition démocratique aujourd’hui, l’enjeu des droits des femmes est considéré comme quelque chose de très secondaire. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de parti politique en Tunisie porteur d’un projet différent de celui d’Ennahda. Certes, il y a bien des groupuscules (progressiste, ndlr). Mais ceux-ci sont plus occupés par la prise de pouvoir que par la construction d’un véritable projet de société», a-t-elle martelé.

Compte tenu de l’évolution de la situation, Belhaj Hmida a prévenu aussi que «la bataille pour l’égalité entre les hommes et les femmes ne sera pas facile». «Si nous perdons cette bataille, cela ne sera pas la faute d’Ennahda. Nous n’aurons pas pris en considération toutes ces données. Nous aurons négligé la réalité», a-t-elle insisté, avant d’appeler «les forces progressistes et démocratiques à unir leurs forces et à mettre de côté leurs ambitions personnelles pour que cette Tunisie et cette Algérie se construisent sur la base de la citoyenneté, de l’égalité et de la justice sociale».

Zine Cherfaoui

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Il vaut mieux être riche et bien portant, qu’être pauvre, étranger et malade.

par Raymond MARI

 

La solitude du lanceur d’alerte.

Devant l’apathie de nos concitoyens,  le découragement gagne parfois ceux qui maîtrisent relativement certains  domaines essentiels et qui constatent et dénoncent  les dégradations qui les affectent.  Les évènements récents (scandale du Médiator, l’accident nucléaire au Japon) démontrent pourtant qu’il conviendrait d’accorder quelque attention aux manifestations des « lanceurs d’alerte » (c’est le terme à la mode pour qualifier ceux qui expriment leurs inquiétudes et cherchent à informer des dangers qui nous guettent).

En ce qui concerne la santé et la protection sociale, nous sommes quelques -uns à attirer l’attention sur les atteintes  à ce qui constituait le plus beau dispositif de solidarité mis en œuvre à la Libération  et qui plaçait la santé au rang des priorités sociales

Le droit à la santé est inscrit dans notre Constitution (11ème alinéa du préambule). Non seulement parce que cette santé est la condition sine qua non de notre réalisation individuelle, mais parce qu’elle est également le facteur prépondérant d’une collectivité sereine et dynamique.

On peut comprendre la défection des citoyens devant ce qui peut leur paraître de l’agitation ou du pessimisme. Or, dans les exposés que nous proposons, nous nous attachons à apporter les preuves de nos analyses et de nos alertes.

C’est ce que nous allons faire en démontrant que droit à la santé devient de plus en plus une fiction.

L’exclusion des pauvres par le système de santé libéral

A cet effet, nous nous appuierons sur le rapport réalisé par l’Institut droit et santé de l’université Paris Descartes et présenté devant la conférence nationale de santé (assemblée des associations d’usagers), bénéficiant de l’imprimatur du Ministère de la Santé et des Sports.

L’enquête consistait à relever tout ce qui peut entraîner un « refus » de soins. Encore aurait-il été préférable de parler de « renoncements » aux soins, car les enquêteurs ont recensés les obstacles  au-delà des refus explicites ou implicites des acteurs de la santé (malades et professionnels de santé) pour identifier les éléments culturels ou économiques qui dressent un écueil pour l’accès aux soins.

En ce qui concerne les professionnels de santé, plusieurs dispositions législatives  définissent leurs devoirs  pour dispenser les soins qu’implique la pathologie d’un  malade. Toutefois, un certain nombre de circonstances permettent au médecin de se libérer de ses obligations (incompétence, agressivité du malade, clause de conscience, etc…).

La discrimination est bien entendu proscrite dans l’exercice médical. Plusieurs textes d’origine nationale ou Européenne le précisent. Pourtant le législateur a estimé nécessaire (Art L. 1110-3 du code de santé publique) de préciser que cette règle s’appliquait aux titulaires de la CMU  (couverture médicale universelle réservée aux personnes démunies - 4,2 millions de personnes fin 2008 -) et à ceux de l’AME (aide médicale de l’Etat aux étrangers - autour de 200 000 personnes -).

Les plaintes exprimées par les titulaires de la CMU et de l’AME ont attiré l’attention des associations d’usagers et des pouvoirs publics. Plusieurs enquêtes se sont déroulées au cours des dernières années. Leurs résultats concordant sont affligeants :

Les refus de soins sont considérables et affectent les populations les plus fragiles

Le rejet des titulaires de la CMU et de l’AME

Quels sont les professionnels de santé qui refusent de recevoir  les patients défavorisés ?

Principalement, les dentistes, les médecins du secteur 2 (qui pratiquent les dépassements tarifaires), surtout les spécialistes, en particulier les gynécologues et les ophtalmologues.  Les taux de refus auxquels sont exposés les bénéficiaires de la CMU ou de l’AME peuvent atteindre plus de 50%. Ces refus  sont notablement plus élevés  dans certains centres urbains, Paris se distinguant dans cette triste situation.

Mais que penser des motivations de ces professionnels qui rejettent davantage les étrangers ? Une enquête de Médecins du monde relève que les taux de refus des titulaires de la CMU s’élèvent globalement à 21% chez les médecins du secteur 2 contre 8% chez les praticiens du secteur 1, mais pour les étrangers titulaires de l’AME,  ces rejets atteignent 59%  chez les médecins du secteur 2 et 34% chez les praticiens du secteur 1…!

Effarant… !

Lorsqu’on interroge les ségrégationnistes, les médecins du secteur 2 invoquent l’impossibilité de facturer des dépassements d’honoraires (La loi interdit les dépassements pour ces malades. Pourtant,   selon l’IGAS, 1/3 des bénéficiaires de la CMU se sont vu imposer un dépassement pour des consultations en chirurgie ou en urologie en Ile de France). Les praticiens prétendent subir des « lourdeurs » administratives,  alors que ce sont ceux qui s’opposent à l’utilisation de la carte vitale -  elle allège considérablement les charges de cet ordre - qui rejettent le plus ce type de patients. En réalité, mis à part les arguments financiers (dépassements interdits - en principe), il semble que les motivations ressortent plutôt  de la volonté  de sélectionner la clientèle en éliminant des malades présentant des pathologies plus lourdes et étant peut-être moins valorisants pour le standing du cabinet.

Les renoncements aux soins pour raisons économiques

Nous l’avons précisé ci-dessus, le rapport présenté devant la conférence Nationale de santé a recensé l’ensemble des facteurs qui s’opposent à l’accès aux soins. Parmi ceux-ci, les dépassements d’honoraires qui représentent près de 7 milliards d’euros par an (2,6 Mds pour les médecins et 4,2 Mds pour les dentistes) et pèsent principalement sur les ménages (la Sécu ne les rembourse pas et les assurances complémentaires n’en couvrent que 30%), ce qui dresse un obstacle considérable pour tous les patients, plus particulièrement dans certaines régions (Ex : Ile de France, PACA, etc…).

Or, cet énorme écueil n’est développé que dans une demi-colonne des 50 pages du fascicule édité par le Ministère de la santé et des sports… ! Même si l’on y manie l’euphémisme : « les dépassements peuvent parfois s’avérer prohibitifs pour certains patients ne disposant pas de ressources suffisantes », on y précise toutefois (ce que nous ne cessons de démontrer)  que « les sanctions envisageables à l’encontre des médecins pratiquant des dépassements d’honoraires sont multiples ». On évoque les sanctions du Conseil de l’Ordre, celles du code de Sécurité Sociale et de la convention, en omettant cependant  de citer la sanction la plus sévère (l’exclusion de la convention).

Faut-il parler de courage ou d’honnêteté lorsque le rapport indique discrètement que « les sanctions sont peu nombreuses » ? Faut-il parler d’hypocrisie, lorsqu’à la suite de cette hardiesse, on indique que « …les caisses qui opèrent sur un territoire où l’offre de soins est plus faible qu’ailleurs pourraient renoncer à prendre des sanctions par crainte de diminuer une offre de soins estimée comme insuffisante… » ? Parce qu’il faut savoir qu’un des organismes les plus inertes est la caisse de Paris où la densité des médecins est la plus forte et le phénomène des dépassements est le plus considérable… !

La démission des organes de contrôle

L’enquête du Ministère confirme l’illégalité de la ségrégation visant les titulaires de la CMU et de l’APE. Elle rappelle également les sanctions qui peuvent être prononcées à l’encontre des médecins qui ne respectent pas les règles dans la fixation de leurs honoraires.

Alors, faut-il croire les lanceurs d’alerte lorsqu’ils ne cessent de dénoncer la démission des organes de contrôle ?

En ce qui concerne l’Assurance Maladie qui dispose de tous les moyens pour connaître les pratiques financières des professionnels et pour agir, les organismes pouvant instruire les plaintes il est vrai peu nombreuses des patients rejetés (malheureusement, les malades s’expriment très peu sur les excès des praticiens), le rapport analyse les 205 plaintes reçues par les caisses à la fin de l’année 2008 (on mesure l’énorme décalage entre le phénomène évalué ci-dessus et les réactions des assurés), pour constater que ces plaintes n’ont donné lieu qu’à une seule saisine du Conseil de l’Ordre… !

A propos des Conseils de l’Ordre (médecins et dentistes), le bilan des affaires concernant les refus de soins relevés entre septembre 2007 et septembre 2008 s’établit à 9 décisions rendues par les chambres disciplinaires du Conseil des médecins (quelles sanctions ?) et 0 (zéro) par le Conseil des dentistes… !

Edifiant !

Mais ces organismes défaillants ne sont-ils pas inspirés par des pouvoirs publics qui ne cessent  de dégrader la protection sociale en encourageant l’édification d’un marché de la santé de plus en plus libre où il n‘existerait plus aucune contrainte, ni sur les conditions d’exercice, ni sur les prix, en laissant « la main invisible » faire le tri entre les riches  et les pauvres, la chance ou le bon dieu -  pour ceux qui y croient - laissant à ces derniers le choix de s’adresser à l’hôpital public qui finira bien par ne plus être que  le recours des défavorisés, lorsque la politique de démantèlement qui est en cours aura fait son œuvre.

La réponse est évidente lorsque l’on sait que le gouvernement a éliminé toutes les mesures qui auraient permis de réguler les refus de soins ou les honoraires irréguliers1 . En ce qui concerne les refus de soins le projet de loi sur la Sécurité Sociale prévoyait notamment que l’on développe des actions de testing (sollicitations téléphoniques pour vérifier l’attitude des cabinets médicaux). Ces projets et d’autres ont disparus du texte de loi… ! Mais après tout, l’élimination de l’étranger fait partie des « valeurs » d’une droite (la plus cynique du monde ?) qui essaie par des moyens divers de refuser ce qu’aucune société civilisée ne devrait contester : porter secours aux hommes malades, quelle que soit leur race ou leur condition.

Mais, si l’on ne peut se faire aucune illusion sur le pouvoir politique actuel qui est en train de détruire les services publics (protection sociale, école, justice, etc…), structures de notre pacte social, comment ne pas s’étonner, se révolter, devant la neutralité de ceux (syndicats, Conseillers des caisses primaires, représentants des usagers, partis politiques de substitution, médias) à qui on présente ce type de scandale et qui, au mieux, se satisfont d’en être désolés… ?

  1. Derniers  exemples  de la culpabilité de ce gouvernement et de sa sensibilité aux lobbys médicaux :
    - Le Sénat qui avait engagé fin 2009 une véritable bataille avec Madame Bachelot alors ministre de la santé pour imposer la transparence en matière de prix des prothèses dentaires (indication du prix d’achat par le dentiste au prothésiste), vient à l’instigation des élus de la droite libérale et sous la protection de X. Bertrand d’annuler cette disposition  en rétablissant l’opacité des prix (Cf. notre article du 1 janvier 2010 - L’émergence d’un marché vraiment libre en matière dentaire - publié dans UFAL Flash et dans Respublica).
    - A propos des zones sous équipées en professionnels de santé, plus particulièrement les médecins, la même majorité Sénatoriale rétablit les majorations de tarif totalement inefficaces mais particulièrement onéreuses et, en outre, élimine les sanctions prévues pour les médecins qui refuseraient d’exercer en territoires  défavorisés. []
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"Laisse chérie, je vais le faire" (2)

par Corine Goldberger

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Suite de l’article, Il ne fait rien à la maison. Comment gagner le combat quotidien ?

Le tableau n’est pas si noir. Les hommes coopératifs existent. Souvent jeunes, diplômés et cadres, ils seraient les meilleurs garants de la solidité du couple. Qui sont ces mutants qui font rimer bonheur et aspirateur? Enquête chez les couples égalitaires. Et pistes pour les imiter.

Homme au ménage = couple sans orages ? C’est ce que semblent démontrer deux études étrangères 1. Une enquête de la London school of Eonomics, a donc radiographié les pratiques ménagères de 3500 couples britanniques restés au moins cinq ans ensemble après leur premier enfant né en 1970. Il en ressort qu’un homme qui participe aux tâches domestiques aurait moins de risques d’être quitté par sa femme. En revanche, le risque de rupture serait beaucoup plus élevé dans ces familles tradi où Madame est au foyer, et Monsieur a mieux à faire, qu’à mettre la main à la pâte. D’après les conclusions de l’étude, même la perspective de se retrouver sans ressources n’arrête plus les desperate housewives britanniques! Cette tendance va t-elle traverser la Manche? Et dans une très sérieuse étude californienne, on apprend que plus les hommes partagent les corvées ménagères, plus les femmes sont heureuses, plus les couples font l’amour (si si!), et moins ils se disputent pour des histoires de rangement ou de vaisselle. Heureux ceux qui savent faire rimer passion et Paic citron…

En France, les “perles” qui font leur part à la maison existent aussi. Leur portrait type selon les diverses études qui les ont pistés? Un jeune cadre diplômé, qui ne veut plus sacrifier ses responsabilités familiales sur l’autel de la réussite professionnelle. Mais, notent les sociologues, il est surtout flanqué d’une compagne à profil équivalent: mêmes études, même type d’entreprise, un travail à plein temps, qu’elle est bien décidée à conserver, enfants ou pas. Soit environ 15% des couples2. Autre facteur méconnu d’égalité, le divorce, qui réveille parfois … un potentiel ménager inexploité. Antoine, éditeur, séparé, trois filles: ” J’avais l’image d’un homme incapable de se débrouiller seul à la maison. Séparé, j’ai appris à cuisiner, à m’arrêter au marché pour acheter des légumes de saison. J’ai même publié un livre à partir de mon expérience : La cuisine du divorcé3. J’ai appris à démystifier les travaux ménagers. Je suis incollable sur le Mir Black pour mes jeans noirs, et je ne fais plus rétrécir mes pulls. Si un jour je me remets en couple, plus jamais une femme n’aura le droit de s’occuper de mon linge. Car je ne veux pas d’une relation basée sur des échanges de services.” Le divorcé auto-rééduqué serait-il l’avenir de celles qui refusent de tout assumer? Quoi qu’il en soit, nous avons rencontré des couples de partageurs pour comprendre les secrets de leur égalité ménagère…A copier sans modération!

Camille et Benjamin, 24 ans, jeunes diplômés:
On partage tout comme en coloc !

Benjamin, ex-handicapé du ménage/ fils à sa maman, a appris à se débrouiller dans une coloc d’étudiants, où il était impensable qu’un membre ne prenne pas sa part de travail.

Camille: ” Nous avons gardé les bonnes habitudes de sa bande: un tableau hebdomadaire des tâches de chacun, et surtout, des tours de ménage scotché sur le frigo. Pour les corvées les plus rebutantes, nous alternons chaque mois. Exemple: les toilettes. Il n’y a pas de raison pour que ce soit toujours le ou la même qui s’y colle. De même, pour éviter un déséquilibre dans les dépenses pour l’appart, nous avons, outre nos propres comptes bancaires, un compte commun destiné entre autres, à l’achat des produits d’entretien. Mais rien n’est écrit dans le marbre, et nous nous adaptons aux imprévus en tous genres. Ainsi, pour connaître les horaires de l’autre au jour le jour, très variables, dans nos jobs de commerciaux, pots d’entreprise inclus, nous avons aussi affiché les emplois du temps de chacun, également accessibles en temps réel sur un agenda électronique partagé. Ca n’a rien d’intrusif: pour le moment, nous nous entendons bien, et n’avons rien à cacher à l’autre” (rires).


Agnès, 29 ans, assistante maternelle, et Julien, 30 ans, agent de planification
Nous sommes interchangeables!

L’égalité ménagère, ça peut aussi se décider à deux, question de principe, tout simplement.

Julien: “Je “n’aide” pas Agnès à faire le ménage : nous en faisons autant l’un que l’autre, nuance. Lessive, repassage, vaisselle, nous sommes totalement interchangeables. Tout en nous adaptant à l’emploi du temps de l’autre, ayant des horaires très différents: celui qui est en congé en fait plus que celui qui travaille. Tout vient de mon éducation. Nos parents nous ont élevés mon frère et moi ,avec deux idées fortes. Primo: les femmes et les hommes sont totalement égaux. Secundo: conséquence logique, tout le monde doit participer aux différentes tâches ménagères. Et puis, comme mes parents ont divorcé assez rapidement, je les ai observés dès l’âge de huit ans vaquant à leurs tâches ménagères chacun de leur côté. J’ai donc bien retenu qu’un homme est parfaitement capable de tenir une maison, et qu’une femme a besoin d’être aidée, pour avoir plus de temps pour elle. Et puis comme je m’ennuyais très vite, j’ai pris l’habitude de demander à ma mère si je pouvais l’aider pour m’occuper…” De son côté, aînée d’une fratrie où elle jouait le rôle d’une petite maman adjointe pour aider sa mère elle aussi divorcée, Agnès, qui a dû s’éduquer elle-même à l’égalité domestique n’en est pas revenue… “Mon souvenir le plus marquant? C’est un peu intime, mais parlant: mes rêgles venaient de débarquer, et j’ai eu la surprise de voir Julien prendre naturellement ma culotte tâchée de sang et la passer sous l’eau pour enlever le plus gros, avant de la mettre à la machine à laver…”

Gaëlle, 36 ans, cadre sup dans une agence de pub, et Pierre-Jean, 40 ans, directeur marketing dans l’édition:

Chacun son boulot à la maison !

Parce qu’on n’a pas tous les deux les mêmes goûts et compétences…

Pierre-Jean: ” Gaëlle travaille beaucoup. Pas question pour elle comme pour moi qu’elle se transforme en Bobonne. Et puis je crois que la voir torchonner, ça tuerait mes fantasmes” (rires). Une femme qui ne se tue pas au ménage est beaucoup plus disponible pour son homme et ses enfants. Issu moi-même d’une famille nombreuse, je voulais avoir beaucoup d’enfants (nous avons quatre filles!) sans que leur mère soit professionnellement pénalisée. Nous avons donc fait un deal: partager le travail, mais à chacun son boulot. Nous sommes complémentaires: à moi les sorties piscine avec la petite dernière, les courses au supermarché, les plantes vertes, les machines à laver, étendage du linge compris. Ma femme de ménage m’a même demandé mes secrets pour obtenir un tel blanc (rires). Gérer le linge de la famille, mettre les culottes sales des filles au panier, c’est une des multiples manières de m’occuper d’elles.

A Gaëlle la cuisine, le rangement des chambres de nos filles, et la gestion de leur scolarité». D’où vient cette attitude exemplaire? ” Au départ, je suis un ex étudiant très autonome, une vraie fée du logis, marié à une fille d’ambassadeur qui avait tout à apprendre côté tâches domestiques (rires). Mais il y a plus “fondateur”: ma mère, une féministe, a décidé de retravailler le jour où elle a découvert que mon père, un pater familias à l’ancienne, avait une liaison. Moi-même, je ne cesse de répéter à mes filles qu’elles ne doivent être au service de personne. ”


Caroline, enseignante, et Joël, commerçant, 50 ans tous les deux.
Bien observer l’autre avant de (re)tenter la vie à deux

Souvent partants pour dépoussiérer leurs habitudes ménagères: les couples qui recomposent…

Caroline: ” Nous sommes ensemble depuis deux ans, mais nous avons gardé chacun notre appartement: un délicieux va et vient entre deux maisons, deux lits, et… deux façons de ranger/nettoyer… Ce qui permet d’observer discrètement l’autre avec l’œil d’une anthropologue - son territoire, ses habitudes ménagères,- et d’en déduire si ça vaut le coup de tenter un jour de cohabiter, ou s’il est préférable de rester dans ce confortable entre-deux. Pour le moment, j’ai constaté de visu que Joël ne s’en sort pas trop mal chez lui, mais à tendance à se couler dans le moule traditionnel et à se conduire en invité quand il est chez moi (souvent, parce que j’ai un ado à la maison, et qu’il n’est pas question que je sorte tous les soirs pour retrouver mon chéri). Au début, il y a donc eu quelques tensions, chacun arrivant avec sa propre expérience ménagère de couple. Du coup, j’ai pris quelques mesures, pour rééquilibrer les tâches et faire à deux le ménage du week-end, “dans la joie et la bonne humeur”: par exemple laisser en plan quelques tâches ciblées, comme débarrasser la table et la nettoyer, et aussi emplir/vider le lave-vaisselle. Quand il n’y a plus une seule assiette propre, ni un coin de table disponible, en général Joël, même en râlant finit par entrer en action. La leçon vaut aussi pour mon fils. Je compte sur l’effet d’entraînement à deux… Quelques astuces perso: Joël déteste le contact de l’éponge mouillée, pire gluante. J’ai donc disposé des lingettes pré-imbibées multi-usages un peu partout. Ca marche! Et puis des accessoires de ménage sympa: gants humoristiques, balai aux couleurs psychédéliques. Très important, pour motiver les troupes, des ustensiles propres, neufs (un peu comme les fournitures scolaires de la rentrée). Et puis comme je déteste moi-même le travail domestique parce que je ressens, toutes ces corvées comme une perte de temps absolue, nous écoutons des trucs sympas tout en faisant le ménage: musique à fond ambiance concert de rock, ou bien émission intéressante, philo, économie, billets d’humeur, podcastée sur France Culture, histoire de se cultiver tout en lavant les sols.

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Pour en savoir plus sur les petits arrangements domestiques dans le couple: “L’injustice ménagère”. Sous la direction de François de Singly. Armand Colin.

  1. London School of Economics: Men’s Unpaid Work and Divorce. 2008. Et Université de Riverside en Californie: contemporaryfamilies.org []
  2. Etudes et Résultats N° 570. Entre maison, enfant(s) et travail : les diverses formes d’arrangement dans les couples. []
  3. Antoine Isambert. Editions Ulmer. []