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Contre le quotient familial : aller au fond du dossier... et au-delà

par Évariste
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Grâce à Christiane Marty, coauteure du livre Un impôt juste pour une société juste (Syllepse, 2011), les lecteurs de Respublica auront d’emblée, en faveur de la suppression du quotient familial, un argumentaire simple et vigoureux dans le premier article de ce numéro. Dans le blog de Jean Gadrey sur le site de Alternatives économiques, on en trouvera une version plus longue et davantage chiffrée  sous le titre “Le quotient familial, un coûteux privilège de classe” qui a ouvert un débat d”économistes et suscité de nombreuses et immédiates réactions.En défense du quotient familial, on lira le texte de Henri Sterdyniak, et pour récapituler l’ensemble des arguments, celui de Gilles Ravaud “L’égalité, vous la préférez horizontale ou verticale ?

La redistribution horizontale, en matière familiale, c’est celle qui organise la solidarité des personnes sans enfants et des familles avec enfants. La redistribution verticale, elle vise à limiter les inégalités de revenus par le biais de transferts monétaires des  plus élevés vers les plus faibles. Henri Sterdyniak privilégie la première approche en remarquant que la suppression du quotient familial bénéficierait certes aux familles les moins favorisées mais qu’en revanche elle pénaliserait (toutes) les familles nombreuses.  Il faut lui faire justice d’avoir cependant envisagé et chiffré une réforme radicale portant à la fois sur la prise en compte de la situation familiale par l’impôt et de l’ensemble des prestations familiales qui pour la plupart sont sous conditions de ressources. Dans un article de janvier 2011 de la Revue de l’OFCE (n° 116), il montre ainsi que la suppression du quotient familial, mais aussi des allocations familiales, du complément familial, des composantes familiales du RSA et des allocations logement, soit 30,5 Mds€ (base 2009) permettrait de financer un revenu social à l’enfant et au jeune moyen de 155 euros par mois. On pourra comparer avec l’hypothèse du crédit d’impôt de 190 € par mois résultant des calculs de Landais, Piketty et Saez (Pour une révolution fiscale), ou avec le chiffrage de la Direction du Trésor cité par C. Marty sur la base de la seule redistribution du quotient familial (50 euros), sans oublier les simulations du Haut Conseil à la Famille, moduler ou non selon l’âge de l’enfant… il reste que l’on est très loin de la compensation du coût réel de l’enfant dont  Sterdyniak rappelle qu’il est de 559 euros en revenu médian.  Avec un seuil de pauvreté de 60 %, il note également que “une prestation uniforme de 335 euros par enfant assurerait qu’aucune famille ne se rapproche de la pauvreté du fait d’un enfant supplémentaire”. Ainsi la prise en charge actuelle à 155 € en moyenne est-elle bien éloignée de l’équité.

Nous donnons ces éléments, non pour complexifier de débat ou laisser croire que le jeu n’en vaut pas la chandelle, bien au contraire ! mais pour orienter la discussion vers une prise en compte plus large que la seule dimension fiscale et technique du dossier.

Et si la chancelière Merkel s’intéresse à notre exception française du quotient familial, ne soyons pas abusés par les grâcieusetés diplomatiques entre elle et le Président, lisons plutôt le discours de Lavaur du 7 février sur le bilan de la politique familiale de Sarkozy et son plus beau fleuron : avoir fait baisser l’absentéisme scolaire grâce au chantage aux allocations familiales. Pendant ce temps, les choses sérieuses sont en cours avec la TVA “sociale” : en fiscalisant le financement de la branche famille et quels que soient les “fléchages” prévus aujourd’hui, l’État se donne les mains libres pour se désengager et transférer demain au privé certaines dépenses.

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Le quotient familial, un privilège de classe bien plus qu’une aide aux familles

par Christiane-Marty
Membre de la Fondation Copernic.
Coauteure du livre Un impôt juste pour une société juste. Éditions Syllepse, 2011, 144 pages, 7 euros.

 

Un débat sur le bien fondé du quotient familial s’est engagé dernièrement sur la scène politique. Défendu à droite, critiqué à gauche, le quotient familial… divise. Rappelons que ce terme désigne le dispositif qui prend en compte les enfants dans le calcul de l’impôt sur le revenu. Il procure aux ménages une réduction d’impôt qui augmente - assez logiquement - avec le nombre d’enfants mais surtout - ce qui est problématique - avec le revenu. L’avantage fiscal est en effet très fortement concentré au bénéfice des ménages disposant des revenus les plus élevés : les 10% de foyers avec les plus hauts revenus se partagent 46% du total de la réduction d’impôt liée au quotient familial (soit 6,4 milliards d’euros en 2009) tandis que les 50 % les plus pauvres se partagent seulement 10 % de la somme (c’est-à-dire moins de 1,4 milliard).Il existe bien un plafonnement de la réduction d’impôt par enfant, introduit en 1982 par la gauche. Mais d’une part, il est fixé à un niveau très élevé et ne concerne que très peu de contribuables, environ 2 % d’entre eux. D’autre part, il ne modifie en rien la très inégale répartition de l’avantage fiscal sous le plafond : la réduction moyenne d’impôt par enfant approche de 300 euros par mois pour un enfant dont les parents appartiennent au groupe du 1 % des revenus les plus élevés, alors qu’elle se situe à 35 euros pour les ménages aux revenus médians, et à seulement 3 euros pour les ménages du premier décile, c’est-à-dire les 10 % de revenus les plus bas (ces chiffres traduisent le fait que près de la moitié des foyers n’est pas imposable et ne bénéficie pas de ce dispositif). Il est donc illusoire de penser remédier à l’injustice du système en abaissant le niveau du plafond : le nouveau seuil proposé par François Hollande fera simplement que 5 % (au plus) des familles les plus riches, au lieu de 2 % actuellement, verront leur réduction d’impôt plafonnée (à un niveau restant toutefois disproportionnellement fort par rapport à ce que « rapporte » fiscalement un enfant de foyers modestes). Proposer en parallèle une augmentation de l’allocation de rentrée scolaire s’apparente à une mesure de rapiéçage, très insuffisante, et signifie surtout renoncer à corriger l’inégalité fondamentale de ce dispositif.
Le quotient familial a pourtant des partisans. Ceux-ci le défendent au nom d’une conception de l’équité définie de la manière suivante : les familles avec enfants devraient avoir le même niveau de vie que les personnes sans enfant qui ont les mêmes revenus primaires (c’est-à-dire avant impôts), et ceci quel que soit le niveau de revenu. Pour prendre un exemple, un couple de cadres qui élève trois enfants devrait avoir le même niveau de vie qu’un couple de cadres de même revenu mais sans enfant. C’est tout à fait discutable. Passons sur le fait que la notion de niveau de vie est une affaire de convention qui n’a pas de fondement théorique et donne lieu à des évaluations discordantes. En ce qui concerne le coût des enfants, il n’est pas contestable que les familles riches dépensent plus pour élever un enfant que les familles modestes : qualité des vêtements, de la nourriture, du logement, loisirs, vacances, etc. Viser à assurer aux couples de cadres le même niveau de vie qu’ils aient ou non des enfants, signifie que la collectivité devra financer plus fortement leurs enfants que ceux des familles modestes. On aboutit ainsi à justifier le fait que des foyers modestes avec ou sans enfants contribuent à une prise en charge « de luxe » des enfants des classes aisées, qui n’ont assurément aucun besoin de cette aide !
C’est une étrange conception de l’équité que celle qui prétend expliquer pourquoi une prestation doit être plus importante pour les enfants de familles aisées afin de leur garantir un niveau de vie plus élevé. Cette conception ne fait que théoriser un privilège de classe. On lui préfère une équité qui cible les enfants et qui vise à procurer à chacun d’eux un niveau de vie convenable quel que soit le revenu des parents. Cette option, conforme au principe universaliste, se traduit par une réforme assez simple si on se limite au quotient familial : il doit être supprimé et remplacé, à enveloppe constante, par un forfait égal pour chaque enfant. Mais on peut aussi projeter de remplacer de la même manière l’ensemble des prestations familiales par une allocation unique par enfant, des modulations en fonction de l’âge étant envisageables.
Les partisans du quotient familial soutiennent aussi qu’y toucher mettrait à mal la natalité française. C’est confondre quotient familial et politique familiale. Il n’est pas question ici de réduire le montant global des dépenses publiques consacrées à la famille mais simplement de le redistribuer autrement. Mais surtout, si le taux de fécondité est élevé (il atteint 2) en France, c’est lié avec la disponibilité de modes de garde pour les enfants. Bien qu’insuffisante - de nombreuses femmes renoncent à un emploi ou optent pour un temps partiel, faute de solutions - elle est néanmoins bien plus importante que dans d’autres pays. En Allemagne, près de 70 % des enfants de moins de trois ans sont gardés par leur mère : les femmes doivent choisir entre avoir un enfant ou avoir un emploi, elles choisissent l’emploi et le taux de fécondité est de 1,36…
La question du quotient familial relève avant tout d’un choix politique. Au-delà, sa remise à plat doit prendre place dans une réforme concernant plus globalement l’ensemble de la fiscalité.

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Merci pour LEJABY !

par Jacques Duplessis

 

C’était à la fin de l’émission-débat sur France 2, entre Martine AUBRY, première Secrétaire du Parti « socialiste », et le ci-devant François FILLON, Premier Ministre de son état (de son État ?). Croyant faire moderne et voulant visiblement trancher avec les habitudes ou l’agressivité généralement de mise dans ces rendez-vous télévisés de campagne électorale entre « personnalités » politiques, la première des socialistes français a subitement quitté le ton rogue avec lequel elle éreintait à intervalles réguliers les propos de son vis-à-vis, et s’est avisée d’adresser tout à trac au chef du gouvernement, un satisfecit des plus spontanés pour l’intervention des pouvoirs publics qui a « permis de sauver l’emploi » des 92 salariées jetées à la rue une semaine plus tôt par le Tribunal de Commerce de Lyon. Merci pour LEJABY…

La France au travail appréciera. Voilà une centaine d’ouvrières qui triment depuis tente ans dans une usine d’Yssingeaux pour subvenir chichement aux besoins de leur famille et parvenir à élever leurs enfants, voilà une centaine de malheureuses qu’on renvoie « ad nutum » dans leurs foyers sans la moindre considération pour leur fidélité et leur dévouement multi décennal à leur entreprise (merci LEJABY), et qui se retrouvent tout à coup sans avenir aucun ni soutien plus marqué qu’un très fragile CSP (Contrat de sécurisation professionnelle) d’un an. Mais qu’à cela ne tienne, cela ne pose apparemment pas de problème majeur à Madame la première Secrétaire du PS ! Il doit s’agir d’une quasi-fatalité, ce doit être dans la nature des choses. En tout cas, merci pour LEJABY, merci mille fois d’avoir tiré ces malheureuses in extremis de l’enfer moderne qui leur était promis.

Car le souci premier de Mme la première secrétaire ne fut pas en effet de revenir sur cette nouvelle manifestation de barbarie sociale. En tout cas, ce n’est pas ainsi qu’elle souhaita immédiatement commenter la chose, dans une saillie si consensuelle, si empreinte de bons sentiments, de béatitude confite et de compassion sous-entendue qu’elle devrait faire date, contrairement à ce que l’on constate ces jours-ci dans les gazettes, dans les annales de la télévision et des campagnes électorales présidentielles. Merci pour LEJABY ! Non, ce qui motiva l’intervention subite et le joli coup de chapeau de Martine – gratuit au demeurant - c’est que, merci patron, merci pour LEJABY d’avoir éloigné l’orage, d’avoir éteint l’incendie et conjuré la mort professionnelle qui s’avançait déjà, avec son cortège de désespérance et de pauvreté rampante. Tout va bien, Madame la Marquise, les emplois sont aujourd’hui sauvés grâce à l’intervention miraculeuse d’un beau chevalier blanc, sorti tout droit du chapeau du Président de la République. Mais qu’importe puisque c’est un happy end. Merci à lui ! Je me souviens avoir entendu Martine AUBRY, évoquer un jour le rôle de Scarlett O’Hara dans « Autant en emporte le vent » et son goût pour cette saga fleurant bon le Sud des États-Unis. Je ne la savais pas à ce point sentimentale qu’elle puisse apprécier les charmes de la magie électoraliste ou des tours de passe-passe effectués dans le dos des travailleurs de son pays. Ni surtout qu’elle put en oublier les causes, en occulter à ce point la terrible mécanique, ni encore oublier toute retenue pour communier en direct et sans pudeur, donnant au passage au diable lui-même, son onctueuse et complice bénédiction de mère supérieure de la maison socialiste.

Car comment parvenir à y croire, même en se frottant les yeux, non seulement Martine AUBRY n’a pas souhaité faire le moindre commentaire sur le caractère totalement arbitraire, ultra discrétionnaire et légèrement féodal de l’évènement, mais Madame la première Secrétaire préféra s’empresser de saluer la divine surprise que constitue la réapparition miraculeuse de 100 emplois, là où une semaine auparavant, tout n’était que désolation, rage et début de résignation. Pour Martine, mieux vaut applaudir le monarque qui nous a fait si peur, ouh là là, que de s’attarder sur les tenants et les aboutissants d’un système qui licencie comme il respire et ne sauve qu’exceptionnellement la mise, et encore de justesse quand c’est pour les besoins d’une campagne électorale particulièrement mal engagée ! Pour paraphraser Jacques Brel, je trouve que Madame est gentille…

Voilà où en est rendu le Parti Socialiste. On le dit souvent coupé de sa base et plus encore du monde ouvrier. Martien AUBRY qui le dirige depuis le départ de l’actuel candidat socialiste, vient d’en administrer une preuve magistrale. Sa priorité, leur priorité, c’est la mendicité. Celle des emplois, cette denrée rare que le patronat français a si bien réussi à rendre telle, au point qu’on se prosterne, merci pour LEJABY, dès qu’un mécène ou un potentat daigne en laisser un cent en pâture à de pauvres manants, totalement enclavés dans les monts du Velay. Et Martine d’applaudir. Et la classe politique de tressaillir de joie et de se congratuler pour cent emplois prétendument sauvés. Mais de se pincer le nez à l’odeur de tous ceux qui fondent et frappent pauvres gens sans défense ou militants en déroute. Mais qui se préoccupe de leur dignité ? Ceux-là mêmes qui ont abdiqué de la leur en absolvant par avance ces tractations et ces manœuvres d’un autre âge sur le dos de pauvres salariés ?

Le mot est lâché. Ils ne sont que salariés. En tant que salariés, ils n’ont le droit que de regarder, pas de toucher. Pas de jouer, pas de participer. Et sûrement pas de décider. D’un bout à l’autre, tout les concerne. C’est leur vie qui est en jeu. Leurs familles, leur revenu, leur survie. Eh bien non. Ce qui compte, au sens de ce qui décide, ce sont ceux qui détiennent le capital. Celui de l’entreprise qui s’écroule, ou celui de l’entreprise qui achète. Les achète. Les rachète. Oui, vous avez bien entendu, les rachète. Ceux qui parlent, ceux qui peuvent agir et s’en targuer, pour une fois qu’ils le font dans le sens qu’on attend d’eux, contraints qu’ils sont par la peur de perdre leurs privilèges, ce sont les autres. Pas les salariés. Pas ceux qui sont au cœur. Cherchez l’erreur…

L’erreur, et nous ne le dirons jamais assez, c’est cette infirmité organisée, cette condition de modernes intouchables, cet apartheid qui les maintient dans un rôle de figurants à vie et de souffre-douleurs endurants et muets, quand bien même ce serait leur existence qui serait en jeu, à Yssingeaux ou à Paimpol, à Continental ou à Roscoff, à Métaleurop ou à Seafrance. Stop à ce statut inique qui circonscrit aux bornes de la vie sociale, aux limites de la partie, en lisière du pouvoir et à la porte de la démocratie. Ce statut de salarié qui ne vaut que moyennant le silence et l’acceptation, pour que soit maintenue la pitance, et servie la rente fragile qu’un souffle venu d’on ne sait où, et sur lequel on n’a aucune prise, peut mettre à mal ou détruire du jour au lendemain. C’est cela qu’il faut casser, cette impossibilité congénitale d’avoir voix au chapitre, d’être acteur de son travail, de son entreprise, de sa vie, alors même que l’on représente l’essence même (ce sont les comptables qui le disent) de la valeur ajoutée créée. Et pourquoi celle-ci ne donnerait-elle pas droit au pouvoir, c’est-à-dire aux parts et aux actions, au même titre que l’autre facteur de production qu’est l’argent ?

Alors merci pour LEJABY ? Oui si c’est pour y réfléchir, mais ne comptons pas sur Madame AUBRY, faisons le par nous même. Elle, elle y a renoncé par avance. C’est une perspective dans laquelle elle ne s’inscrit même pas. C’est une perspective qui lui est totalement étrangère et qui n’est au mieux qu’angoisse, incertitude, danger. Mieux vaut dire merci pour LEJABY et passer à autre chose, détourner la tête et se retrancher dans la commisération. Merci bien pour LEJABY et bonjour chez vous. Martine la socialiste vous salue bien, travailleurs de tous les pays.

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Pourquoi il faut fermer Fessenheim

par Thierry de Larochelambert
Chaire Supérieure de Physique-Chimie
Docteur et chercheur universitaire en Énergétique
Membre fondateur et ancien président du Projet Alter Alsace
Vice-président d'Alter Alsace Énergies

 

Alors que Nicolas Sarkozy vient de déclarer qu’il n’est pas question de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim, nous vous proposons cet article de Thierry de Larochelambert. Nous souhaitons, avec cette première contribution, lancer un débat dans nos colonnes sur les différentes politiques énergétiques possibles. Bonne lecture, la rédaction.

Les deux conditions imposées à EDF par l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) pour le redémarrage du réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Fessenheim – renforcer le radier d’ici le 30 juin 2013 ; installer des refroidissements de secours avant le 31 décembre 2012 –, si elles représentent un coût et des contraintes importants pour l’exploitant, ne sont pas suffisantes et ne doivent pas cacher les risques que présenterait la remise en service pour dix années supplémentaires d’un vieux réacteur qui a divergé il y a près de 34 ans, ainsi que celle du second réacteur de la centrale.

Alors que les réacteurs de Fukushima montés sur un radier en béton armé épais de 8m n’ont pas résisté au séisme majeur du 12 mars 2011, quelle garantie de résistance à un tel séisme offrirait un simple rehaussement du radier des réacteurs de Fessenheim qui présente actuellement une épaisseur de 1,5 m, la plus faible de tous les réacteurs PWR construits en France ? Aucune : les magmas radioactifs (corium) des cœurs nucléaires fondus à plus de 2500°C des réacteurs 1, 2 et 3 de Fukushima, après avoir percé leurs cuves en acier ont réussi à percer les enceintes fissurées en béton et peut-être aussi les radiers eux-mêmes malgré leur épaisseur car le béton fond à 800°C, incapable de tenir au flux de chaleur incroyable dégagé par la radioactivité et les réactions nucléaires en chaîne qui se poursuivent dans le corium non refroidi, laissant se répandre les produits de fission hautement radioactifs et dangereux à l’extérieur de la centrale.
Il est évident que les mêmes causes produiraient les mêmes effets à Fessenheim, avec le risque supplémentaire de contaminer pour des siècles la nappe phréatique exceptionnelle qui affleure sous les réacteurs.
Comme aucun renforcement des parois latérales des enceintes de confinement en béton de Fessenheim n’est exigée par l’ASN, il est évident que le problème de leur percement par les coriums à très haute température et leur fissuration sous l’effet d’une explosion d’hydrogène dégagé par le contact entre l’eau et le corium ne peut pas être résolu.
Quant au dispositif supplémentaire de refroidissement de secours à installer en cas de défaillance des circuits principaux, il risque tout simplement d’être immédiatement détruit ou bloqué par la violence du séisme, comme cela s’est passé dans tous les réacteurs de Fukushima, car c’est toute la conception anti-sismique des centrales nucléaires qui est en question, au regard des ruptures de canalisations, de la destruction interne des pompes, du blocage des soupapes et des grappes de commande des barres de contrôle, etc. !
De plus, dans son rapport du 4 juillet 2011, l’ASN ne demande aucun renforcement des protections de la centrale nucléaire de Fessenheim face à une rupture possible de la digue du grand canal d’Alsace dont le niveau d’eau est pourtant situé 9 m au-dessus. Or le récent rapport hydrogéologique de G. Walter prend en compte la possibilité d’une telle rupture consécutive à un séisme majeur en Alsace, même si EDF la considère négligeable. Mais la catastrophe de Fukushima nous a appris l’inanité des prévisions probabilistes en matière d’accidents nucléaires majeurs. Il est certain qu’un renforcement des digues du canal sur des dizaines de kilomètres serait tellement coûteux qu’il n’est tout simplement pas envisagé, comme il est certain que la prudence aurait demandé de ne pas construire ces réacteurs à cet endroit.

Ne nous cachons pas la vérité : quand on sait qu’un réacteur nucléaire de 900 MW contient environ 900 fois la quantité de produits de fission radioactifs (tels que le césium 137) répandus par la bombe d’Hiroshima, et que c’est cette quantité terrifiante de radioéléments que l’explosion de Tchernobyl a dispersée sur l’Europe, autoriser l’exploitation de Fessenheim pour dix années de plus dans une région aussi sismique pourrait exposer tout le pays des Trois Frontières et bien au-delà à des risques de catastrophe de type nucléaire incommensurables et irréversibles.

Au moment où la France devrait investir annuellement plusieurs dizaines de milliards d’euros dans l’efficacité énergétique, les économies d’énergie, les énergies renouvelables, les réseaux électriques décentralisés intelligents (smartgrids), il n’apparaît pas raisonnable d’engloutir des centaines de millions d’euros dans un rafistolage de fortune des vieux réacteurs fissurés de Fessenheim dont les générateurs de vapeur en bout de course doivent en outre finir d’être remplacés pour plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaires !

L’enjeu autour de la fermeture ou du redémarrage de Fessenheim n’est cependant pas seulement celui de la sécurité des populations environnantes et de la protection de l’environnement. Il porte sur des aspects cruciaux de notre société, de sa démocratie et de son avenir énergétique :

  • les élus locaux (conseillers municipaux, départementaux et régionaux, sénateurs et députés) français, allemands et suisses sont-ils consultés sur le redémarrage de Fessenheim ? Les populations locales d’Alsace, du Baden-Württemberg, du canton de Bâle se sont-ils prononcés par référendum sur le prolongement de Fessenheim ? Non, à aucun moment et cela n’est même pas envisagé ;
  • quand le secret d’État est systématiquement opposé à toute information publique sur les conditions de travail dans les centrales nucléaires, sur les transports des matières radioactives, sur les activités des organismes nucléaires, sur les contaminations radioactives usuelles ou accidentelles générées par les industries nucléaires ; quand les lois sur la communication au public des actes et documents administratifs et sur la qualité de l’eau sont  rendues inapplicables à tout le domaine nucléaire depuis une loi de juin 2006 ;  quand les grands organismes de santé mondiale comme l’OMS sont tenus au silence sur tout ce qui touche au nucléaire par l’accord du 28 mai 1959 qui l’oblige à se soumettre à l’AEIA (agence internationale de l’énergie atomique) ; quand c’est par un décret de 1963 que la construction des 58 réacteurs nucléaires, de l’usine de retraitement de la Hague, du surgénérateur Superphénix a été autorisée, mettant le Parlement français devant le fait accompli ;
  • quand les responsabilités des services de protection et de sûreté nucléaire français dans l’absence de mesures de protection de la population française contre les retombées radioactives dans les semaines qui ont suivi l’explosion du réacteur n°4 de Tchernobyl en 1986 sont systématiquement rejetées par les tribunaux du fait de l’absence d’étude épidémiologie, de suivi sanitaire, de registres des cancers pouvant servir de preuves objectives ;

la conclusion s’impose d’elle-même, brutale et sans appel : il n’y a pas de démocratie en nucléocratie !

Quant à l’avenir énergétique et industriel de notre pays, comment ne pas voir que le prolongement coûteux d’installations nucléaires obsolètes et dangereuses s’apparente à de l’acharnement thérapeutique pour maintenir en survie une industrie nucléaire sous perfusion permanente, financée par le budget de la Nation depuis le début jusqu’à aujourd’hui, et dont le démantèlement dispendieux (les études internationales aboutissent à des coûts de démantèlement des centrales au moins égaux aux coûts de leur construction) et la gestion des déchets nucléaires devront être supportés par les contribuables français pendant des décennies pour les premiers et des siècles pour les seconds ?

Comment ne pas voir que le nucléaire est une énergie à l’image du XXème siècle, centralisée, technocratique, militarisée, capitalistiquement lourde et dépendante des Etats qui la soutiennent à bout de bras ?

Comment ne pas voir que la dépendance nucléaire de notre production électrique rend le réseau électrique national incapable d’absorber les énergies renouvelables décentralisées et intermittentes, car la puissance des centrales nucléaires n’est pas facilement modulable (si ce n’est au prix d’injection coûteuse et polluante de bore ou de variation de flux neutronique inhomogène et dommageable dans les barres de combustible par enfoncement des barres de contrôle, avec production d’effluents radioactifs supplémentaires) et parce que l’injection massive des énergies renouvelables éolienne et photovoltaïque nécessite la mise en place de réseaux décentralisés intelligents avec stockages (piles à combustibles, stations de pompage, batteries chimiques) et de cogénérateurs décentralisés renouvelables ?

Comment ne pas voir que les investissements mondiaux des Etats et des industriels vont dans les énergies renouvelables, les économies d’énergie et de matériaux, l’efficacité énergétique, les transports collectifs souples et efficaces, quand les lobbies nucléaires français s’entêtent à enfoncer la France davantage dans le gouffre financier et écologiquement risqué de l’EPR, d’ITER, des pseudo-réacteurs de IVème génération qui ne sont que des avatars des surgénérateurs sodium-plutonium déjà condamnés par le passé ?

Sait-on que le combustible MOX utilisé partiellement dans une partie des réacteurs PWR et en totalité dans les réacteurs EPR en construction est un combustible de 7% à 11% de plutonium hautement dangereux et réactif, pouvant donner lieu à des processus neutroniques de réaction en chaîne instables de type explosif car le plutonium 239 produit plus de neutrons que l’uranium 235 et moins de neutrons retardés qui permettent de régler les réactions en chaîne dans les réacteurs, conduisant à des temps de réaction trois fois plus courts que dans les réacteurs PWR ordinaires ?

Sait-on que le nucléaire n’est pas une industrie décarbonée comme veut nous le faire croire la propagande habituelle ? La plupart des publications internationales scientifiques qui établissent les analyses de cycle de vie complètes du cycle nucléaire aboutissent à des émissions moyennes de gaz à effet de serre de 65 gCO2 équivalent par kWh ?

Sait-on qu’il faut entre 5 et 10 ans de production électrique pour qu’un réacteur nucléaire rembourse la dépense énergétique de sa construction, de son fonctionnement et de son démantèlement, alors qu’une éolienne de 2 à 5 MW le fait en 6 mois en moyenne ?

Comment ne pas voir que les investissements dans le prolongement des vieilles centrales nucléaires, dans la construction de nouveaux réacteurs nucléaires empêcheront de faire les investissements massifs indispensables dans le nouveau système énergétique renouvelable et efficace qu’il faut engager dès maintenant ?

Comment ne pas voir que le nucléaire ne sera jamais une énergie sûre et non dangereuse, et qu’elle n’arrivera pas à temps pour faire face aux défis climatiques immenses et imminents ? Les réserves d’uranium connues et exploitables à prix raisonnable sont limitées et seront épuisées d’ici moins de 50 ans ; il faut 8 ans pour construire un EPR (mais fonctionne-t-il?), alors que c’est maintenant qu’il faut abaisser drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre :  le nucléaire ne sauvera pas le climat !

Sait-on que tout l’uranium consommé par les 58 réacteurs nucléaires en France est importé comme le pétrole et le gaz, de sorte que le taux d’indépendance énergétique réel de notre pays est de l’ordre de 11%, loin des 50% revendiqués officiellement ! Maintenir ou accroître la production nucléaire ne ferait qu’aggraver notre dépendance. De plus, encourager le gaspillage électrique (chauffage électrique, climatisation, pompes à chaleur, éclairage public, affichages publicitaires lumineux, généralisation des écrans, veilles des appareils électroniques, etc.) et augmenter la surcapacité nucléaire ne fait qu’augmenter les importations d’électricité de la France pendant les mois de fortes pointes : le nucléaire n’assurera pas non plus notre indépendance énergétique !

Le temps du choix est venu, et non pas des choix : celui de la continuation du nucléaire, au détriment de toutes les solutions énergétiques et écologiques alternatives, qui conduira inévitablement à l’impasse, à l’inertie, à l’inadaptation et conduira très rapidement notre pays à l’obsolescence et l’inefficacité ; ou celui de la réorientation complète de notre société productiviste de consommation insensée vers l’efficacité et la sobriété énergétiques, équilibrées, renouvelables, durables, démocratiques, qui nécessite de sortir du nucléaire rapidement et intelligemment.

Ce choix d’un développement soutenable sans énergie nucléaire ni fossiles, qu’un pays aussi moderne que le Danemark a engagé dès 1985 en renonçant au nucléaire et qu’il poursuit sans faiblir en visant 62% de production électrique renouvelable en 2020 (dont 45% d’énergie éolienne) et une couverture 100% renouvelable de ses besoins énergétiques en 2050, un grand pays comme la France est capable de le faire en y mettant tous ses atouts scientifiques et industriels.

Pour engager sans tarder cette transformation, il faut fermer Fessenheim.