Chronique d'Evariste
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2012, début d’une ère nouvelle : un vent se lève !

par Évariste
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À la fin des années 1970, se mettent en place les politiques néolibérales qui engageront, entre autres, la déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salaires directs et socialisés et en faveur des profits. Les faiblesses du communisme soviétique ouvrent la voie à son implosion à la fin des années 1980. À partir de ce tournant, le capitalisme met le turbo en développant une nouvelle phase de son existence. En outre, les caractéristiques sont claires : harmonisation des systèmes de protection sociale et écologique par le bas, privatisation des profits et socialisation des pertes, nouvelle gouvernance mondiale et régionale, alliance nécessaire des néolibéraux avec les communautarismes et intégrismes ethniques et religieux pour détruire le principe de solidarité et d’égalité de la sphère de constitution des libertés (école, protection sociale, services publics) éradiquée par les néolibéraux pour le remplacer par la charité des communautarismes et intégrismes ethniques et religieux, austérité et recul des acquis de l’émancipation humaine.
Bien sûr, ces politiques néolibérales se développent, car la gauche tarde à penser cette nouvelle phase. Il faut attendre la fin des années 1990 en France, avec le lancement d’ATTAC par Ignacio Ramonet et Bernard Cassen du Monde diplomatique, pour voir développer un discours et une pensée sur cette nouvelle phase du capitalisme globalisé qui agit alors depuis près d’une vingtaine d’années dans le monde et depuis le tournant néolibéral de 1983 en France. Pire que cela, la gauche et y compris la gauche de gauche1 est influencée par l’hégémonie culturelle du nouveau cours de l’histoire. La chute du communisme soviétique entraîne la chute de la social-démocratie. En fait, la social-démocratie n’est qu’une des faces de la même pièce de monnaie dont le communisme soviétique fut l’autre face. Le partage des gains de productivité qui est à la base de la social-démocratie n’est plus possible depuis que les dirigeants du monde n’en ont plus besoin pour lutter contre l’attrait du communisme soviétique auprès de la classe populaire. La gauche de gouvernement devient alors social-libérale et professe un néolibéralisme en apparence plus « soft », mais tout aussi destructeur des acquis de l’émancipation humaine.

Mais les dégâts ne s’arrêtent pas là. La gauche de gauche est quant à elle largement infestée par l’idéologie communautariste, car elle développe l’idée que les ennemis (souvent en apparence) de mes ennemis sont mes amis. Pour cette frange politique, tout ce qui en apparence s’oppose à l’impérialisme étasunien devient un allié potentiel y compris l’obscurantisme et l’extrême droite islamistes. L’idéologie victimaire se développe alors et des circonstances atténuantes sont données aux crimes et délits s’ils sont perpétrés par des personnes appartenant à des ethnies ou des groupes religieux qui ont subi naguère le colonialisme. (Voir dans ce numéro l’article de Denise Mendez, militante altermondialiste spécialiste des gauches latino-américaines, qui fustige à juste titre des positions victimaires et antilaïques fortement minoritaires dans les milieux gauchistes, trotskistes franckistes et altermondialistes.)
Par ailleurs, cette gauche de gauche a été pendant longtemps très divisée en considérant souvent celui qui était le plus proche comme l’adversaire principal. « Last but not the least », cette gauche de gauche s’écartait des couches populaires majoritaires et recrutait alors de plus en plus dans les couches moyennes comme les sociaux-libéraux.

Quatre éléments ont modifié cette période sombre.

- D’abord, la sauvagerie néolibérale devient débridée. Le contrat de travail, déjà soumission du salarié à l’employeur, voit petit à petit s’accumuler les reculs des acquis sociaux, la souffrance au travail se développe avec la croissance du nombre de suicides, le chômage progresse plus vite que ce que disent les 20 heures de TF1 et de France 2, les déremboursements Sécu, les dépassements d’honoraires, la raréfaction de l’offre de soins ici et là, les refus de soins pour cause financière deviennent légion, l’école devient à plusieurs vitesses, les services publics sont démantelés, la politique sécuritaire est promue contre le droit à la sûreté, les inégalités sociales s’accroissent de façon exponentielle, la laïcité est bafouée par ceux qui estiment « le curé supérieur à l’instituteur » et qui souhaitent renforcer les dérogations aux principes émancipateurs (exemple le Concordat Alsace-Moselle), la justice est entravée, la souveraineté populaire malmenée, l’avenir énergétique obscurci par le refus de la transition énergétique et écologique, la démocratie confisquée par des structures d’experts nommés bourrées de conflits d’intérêts, etc.
- Puis, le mouvement social des retraites, bien qu’il n’ait pas abouti à bloquer la loi scélérate, a agi comme une pédagogie du rassemblement unitaire. L’intersyndicale unitaire a semé pour l’avenir. Le mouvement social a, par son rassemblement massif, tourné le dos aux chapelles sectaires et aux simplifications surplombantes pour engager une pédagogie de l’unité salariale.
- Enfin, le processus Mélenchon traduit dans le champ politique cette pédagogie du rassemblement unitaire autour du modèle politique de la République sociale et symbolise le chemin différent à prendre pour relancer le processus d’émancipation humaine.
- Petit à petit, aidés en cela par les différents acteurs de l’éducation populaire tournée vers l’action, les citoyens, les salariés, le peuple prennent goût à la force intrinsèque du vivre ensemble dans la lutte.
Petit à petit, ils prennent la mesure de la phase actuelle du turbocapitalisme et comprennent qu’il faut dépasser cette phase.
Petit à petit, le social-libéralisme est sur le « reculoir » (selon un terme rugbystique !), les citoyens, les salariés, le peuple redécouvrent les principes républicains et la nécessité d’en globaliser les combats sans en isoler un seul. Ils découvrent la nécessité d’effectuer les ruptures démocratique, sociale, laïque et écologique. Ils se détournent des organisations repliées sur leur nombril, sur leurs surplombances, sur leurs sectarismes. Et cerise sur le gâteau, la classe populaire (53 % de la population) formée par les ouvriers et les employés redécouvre le chemin d’une gauche de rupture qui rassemble. Il est probable que Jean-Luc Mélenchon aura le 22 avril prochain au moins 15 à 20 fois plus d’ouvriers et d’employés que Marie-Georges Buffet cinq ans plus tôt. Cette condition est décisive !
Petit à petit, les conditions de la transformation sociale et politique se mettent en mouvement.

Bien sûr, nous ne sommes pas encore au bout du chemin. Plusieurs conditions de la transformation sociale et politique ne sont toujours pas au rendez-vous. ReSPUBLICA reviendra ultérieurement sur ces manques. Il faudra encore de l’intelligence collective, de la sueur et du courage… Mais rappelons-nous, que de chemin parcouru depuis l’adresse de ReSPUBLICA à la constitution du Parti de gauche dans l’objectif du Front de Gauche ! En liaison avec le Réseau Éducation populaire (REP, 160 initiatives par an), nous formons un beau duo pour apporter notre pierre à la construction du chemin de la transformation sociale et politique.

  1. Nous employons là le terme de « gauche de gauche » forgé par Bourdieu et non l’avatar « gauche de la gauche » qui dénature la force de ce concept. []
Présidentielle 2012
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2ème partie : un menteur, un diseur de mensonges, deux néo-libéraux

par Michel Zerbato
Universitaire.
Auteur de "Néolibéralisme et crise de la dette, aux éditions "Osez la République Sociale"

 

Suite de l’article Le néo-libéralisme, entre menteurs et diseurs de mensonges (1ère partie)
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NDLR

La campagne pour l’élection présidentielle oppose deux protagonistes de manière plus tranchée sur l’axe gauche-droite que sur l’axe socialiste-libéral. Les deux acceptent l’euro de Maastricht et reconnaissent la nécessité de le sauver en rétablissant l’équilibre des finances publiques. Même si l’un, cependant, mise plutôt sur la réduction des dépenses, c’est-à-dire sur une moindre redistribution, tandis que l’autre prétend pouvoir mettre en place une « austérité juste », c’est-à-dire assise sur une hausse des impôts acceptée car bien répartie, qui n’empêchera pas de financer la relance de la croissance (formation, innovation, etc.)

Au-delà de cette différence, qui tient au type de néo-libéralisme qui fonde chaque stratégie et à la pesanteur des choix précédemment opérés, le fond commun est bien le même et l’on peut s’attendre in fine au même résultat : que l’austérité soit voulue ou subie, elle sera également brutale, car, faute d’être récusé, l’euro de Maastricht imposera sa discipline. Si l’ultralibéralisme n’est pas soluble dans l’euro de Maastricht, le fédéralisme économique ne l’est pas davantage.

a- Celui qui ment : la « sarkonomics », ou l’ultra-libéralisme à l’épreuve de l’euro

On peut parler de « sarkonomics » dans la mesure où le président nouvellement élu en 2007 voulut marquer sa rupture en faisant voter dès l’été une loi « en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat », dite loi TEPA. Cette loi était fortement inspirée par la doctrine de l’« économie de l’offre » (cf. 1ère partie) qui fonda dans les années 80 la « reaganomics ». Il s’agissait bien d’une politique de l’offre car les mesures phares qu’elle contenait étaient centrées sur l’abaissement de la fiscalité, d’où son appellation de « paquet fiscal », selon le principe que rendre le bénéfice de son effort à celui qui travaille ne peut que l’inciter à plus d’effort encore et entraîner un boom général de l’activité, donc le retour de la croissance. Les économistes de l’offre appellent cela « trickle down effect », effet de ruissellement, selon lequel l’enrichissement des riches rejaillit positivement sur les pauvres. A contrario, « quand le gros maigrit, le maigre meurt ».

Cette stratégie « de l’offre », en principe opposée aux monopoles et donc à la rente, favorise indistinctement, en fait, riches et rentiers en ne distinguant pas réellement revenus et patrimoine, les premiers étant sensés résulter du second. Ainsi de l’objectif d’une « France de propriétaires » pris en compte par le premier rapport Attali qui préconise de développer le crédit hypothécaire (c’est-à-dire des subprime à la française) et par la loi TEPA qui prévoit un allègement des droits de succession qui ne concerne que les patrimoines élevés.

La défiscalisation des heures supplémentaires, le renforcement du bouclier fiscal, l’adoucissement de l’ISF, etc., relèvent de cette même logique visant à « libérer la croissance » selon les prescriptions ultra-libérales. On n’entrera pas ici dans le débat sur l’efficacité de chaque mesure : le bilan est là et la crise de la dette a imposé le rabotage de la plupart d’entre elles, jusqu’à l’abrogation finale de la loi. Et c’était prévisible dès le vote de cette loi, on pouvait en prévoir l’issue, dans la mesure où la crise était déjà là, plus ou moins latente, et où la contrainte extérieure de l’euro ne permettrait pas des allègements fiscaux alors que les critères de Maastricht étaient déjà dépassés. L’euro a contraint le capitaine à rétropédaler.

En effet, l’euro n’est pas, comme l’ont prétendu ses promoteurs puis ses thuriféraires, un élément de développement de la coopération européenne, mais bien un moyen d’imposer aux peuples une rigoureuse discipline salariale au nom de la nécessaire compétitivité. La monnaie unique reproduit les contraintes qu’imposait l’étalon or pour maintenir la parité de la monnaie nationale, et en rajoute, puisqu’un pays en difficultés n’a plus la possibilité de dévaluer pour restaurer sa compétitivité et créer à nouveau des emplois. La référence à l’or exclut en principe le recours à la planche à billets, c’est-à-dire au financement de l’État par la banque centrale, parce que cela aurait pour conséquence la spirale inflation, désincitation à épargner et donc à investir, perte de compétitivité, déficits, chômage. La seule solution libérale est alors la baisse des salaires, avec le fort risque de déflation qui l’accompagne. La seule alternative possible est de couper le lien avec l’or, cette « relique barbare » qu’abhorrait Keynes, ce que firent l’Angleterre ou les Etats-Unis dès le début des années trente, lien qui fut malheureusement maintenu contre vents et marées par le bloc or constitué au même moment autour de la France, et qui ne tint qu’un temps.

L’euro est l’aboutissement d’une reproduction de cette expérience hasardeuse. Les pays européens mis en difficulté par la crise du système monétaire international et la déclaration d’inconvertibilité du dollar en 1971, avec les conséquences inflationnistes de la planche à billets américaine (via le système de l’eurodollar) résolurent de s’en protéger via la mise en place du « serpent monétaire » puis du « système monétaire européen » et finalement de la monnaie unique.

Le système de l’euro est en réalité un système d’étalon mark en plus contraignant, puisque la parité est « irrévocablement fixe ». La conséquence globale en est la nécessité pour chaque pays ayant adopté la monnaie unique de se caler sur la politique du pays le plus compétitif de la zone. En effet, les performances exportatrices de celui-ci déterminent les entrées de devises et fixent la parité de la monnaie unique. Les pays économiquement plus faibles subissent donc le handicap d’une monnaie forte qui induit un fort déficit commercial. Leur faible compétitivité leur fait perdre des emplois qu’ils ne peuvent compenser par une politique budgétaire active, leurs choix étant étroitement encadrés par les critères de Maastricht. Ils sont alors contraints de « tenir les salaires ».

La conséquence en est l’austérité généralisée à toute la zone et le retour du chômage de masse, la résistance des modèles sociaux évitant cependant une nouvelle déflation. Le ralentissement des rentrées fiscales et la tendance à la hausse des dépenses creusent partout les déficits publics et génèrent la crise de la dette, qui n’est autre que la manifestation de l’incapacité des économies à créer de la richesse.

Les « trente glorieuses » ont été celles de l’étalon dollar, mais, pour lutter contre l’inflation liée à sa crise et plus ou moins bien contenue, interdiction fut faite aux banques centrales de la périphérie, dès les années 70, de financer directement les États. Tel fut en France l’objet de la loi Pompidou-Giscard de janvier 1973 ; en Allemagne, point n’en fut besoin, le fondement ordo-libéral de l’« économie sociale de marché » mise en place par Ehrardt l’interdisait par avance, le principe en était inscrit dans le statut d’indépendance de la Bundesbank.

Ayant tenté sa rupture alors que la France était déjà en dehors des clous de Maastricht depuis 2003, le président Sarkozy se trouva vite en porte-à-faux et dut se résoudre à revenir à l’orthodoxie financière. L’Allemagne n’avait certes pas plus respecté les critères mais Schroeder avait pris le « bon » virage avec les plans Hartz de flexibilisation et de baisse des coûts salariaux. Le président français avait tenté le coup ultra-libéral de Reagan-Thatcher dans un contexte totalement hostile, l’appartenance de la France à la zone euro la contraignant à tenter de respecter les critères de Maastricht alors même qu’elle ne disposait plus de l’arme monétaire en face de la nouvelle Grande crise qui faisait déraper les finances publiques. À l’opposé, les EU de Reagan disposaient du dollar, qui leur a permis le « benign neglect », c’est-à-dire l’indifférence aux « déficits jumeaux », celui des paiements extérieurs et celui du budget. Quant à la G-B de Thatcher, elle pouvait s’appuyer sur la City et le pétrole de la Mer du nord.

De plus, dans les années 80-90, la filiation hayékienne des politiques structurelles fait rois les marchés financiers, tandis que l’anti-fiscalisme de l’économie de l’offre appelle à toujours « moins d’impôts sur les riches, qui créent la richesse » (S. Dassault ). Contrairement aux espoirs de l’économie de l’offre, dans cette économie financiarisée, l’enrichissement passe par la constitution de patrimoines fictifs, au sens où leur valeur repose sur les plus-values potentielles attachées à leur vente et non sur les revenus « d’activité » qu’ils pourraient générer. Les banques prêtent alors à découvert dans la perspective de capter une partie desdites plus-values, et ainsi grossissent ces « bulles de savon gonflées d’argent nominal » (curé Meslier, cité par Marx). Et quand les bulles éclatent, aucune richesse ne part en fumée qui n’était déjà de la fumée. La stratégie ultra-libérale est totalement inefficace dans la dimension réelle de l’économie.

Totalement hors de propos, la « sarkonomics » n’était donc pas soluble dans l’euro. Néanmoins, fidèle à l’idée que tout découlait de la baisse des impôts, le président Sarkozy tenta de privilégier la baisse des dépenses : RGPP, etc. Cependant, il ne put en réalité que constater la résistance des dépenses et dut augmenter les impôts, les multiples hausses de ces dernières années apparaissant à chaque fois insuffisantes. D’où la succession de plans d’austérité et le saupoudrage de taxes et impôts nouveaux. À moins de se renier totalement et explicitement, le candidat Sarkozy ne peut proposer que de continuer dans la voie jusque-là suivie par le président, son discours privilégiant donc la baisse des dépenses. Mais s’il était réélu, il devrait aggraver l’austérité par de nouvelles hausses d’impôts inéluctables dans le contexte de généralisation des plans d’austérité pour tenter de résoudre la crise de la dette. La crise qui vient va à la fois accroître les besoins de protection sociale et réduire les rentrées fiscales.

Il semble qu’il s’y prépare, la crise lui servant paradoxalement d’alibi et d’aveu. Alibi : s’il n’y avait eu cette crise de 2008, sa stratégie aurait réussi, la crise imposant maintenant de rétablir les équilibres financiers, suivant le schéma macroéconomique classique de « l’offre » selon lequel la baisse des dépenses permet de ne pas augmenter les impôts et de libérer la croissance qui induira les rentrées fiscales nécessaires pour rétablir l’équilibre budgétaire. Aveu : la crise n’autorisait donc pas de parier sur les baisses d’impôts, la stratégie était mauvaise ; certes, l’aveu n’est qu’implicite car, dit le libéral, la crise n’était pas prévisible, ayant des causes externes à l’économie, mais le vrai économiste, lui, savait qu’elle l’était.

En cohérence avec le credo initial, il est donc logique d’insister d’abord sur la baisse des dépenses, mais c’est là s’attaquer de front à la redistribution et au salaire socialisé. Loin de faire le bonheur du « peuple » comme produit joint de celui des riches, réélu, le prétendu « candidat du peuple », des classes moyennes, en serait le fossoyeur. D’autant qu’il se propose de frontaliser structurellement le peuple suivant deux axes d’attaque jusque là abordés par divers biais : la flexibilisation du marché du travail (fin explicite des 35 heures, précarisation des emplois des jeunes, etc.) et la mise en cause des corps intermédiaires (les syndicats principalement).

La social-démocratie peut alors apparaître comme une alternative à l’impasse ultra-libérale, mais son arrière-plan ordo-libéral révoque en doute sa crédibilité.

b- Celui qui dit des mensonges : l’ordo-libéralisme et l’illusion socio-démocrate

Selon le candidat président, le candidat socialiste ne serait pas crédible : “Monsieur Hollande ne respecte pas les Français quand on est libéral à Londres et socialiste à Paris”. Cette accusation repose sur le déni de la possibilité de se prétendre à la fois ennemi de la finance (socialiste) et respectueux de l’initiative privée (libéral). Le libéralisme classique ne le permet pas, en effet, mais c’est bien cette opposition que veut dépasser l’ordo-libéralisme.

Dans le discours de F. Hollande, la redistribution n’est pas la cause des maux qui frappent le pays, ni évidemment les 35 h ou la rigidité du marché du travail. On peut y trouver deux grandes explications de ces maux : la finance et l’austérité qui toutes deux cassent la croissance et grèvent les budgets publics.

1. « Mon ennemi, c’est la finance », a-t-il proclamé au Bourget. Mais attention, pas la finance en général, seulement la finance spéculative, celle qui parasite le travail et la création de richesse et qui met à bas l’édifice social. Il a ainsi expliqué à Londres qu’il se garderait bien de s’en prendre à la saine activité bancaire, celle qui accompagne le jeu normal du marché.

F. Hollande entend donc séparer finance et spéculation, ou plus exactement la banque, qui serait utile, et la finance, qui, spéculative, serait nocive. C’est là une vieille histoire qui remonte à l’antiquité grecque. Alors qu’en son temps Platon s’indignait que l’enrichissement, n’allant pas nécessairement aux citoyens vertueux, sape les valeurs de la cité et proposait la solution communiste, Aristote, en bon social-démocrate, préféra chercher à concilier justice sociale et marché. À cette fin, il distingua deux chrématistiques (art de la recherche de l’enrichissement monétaire) : l’une « naturelle », tel le commerce de marchandises, légitime car favorisant le bon fonctionnement économique de la cité ; l’autre, « pure », le commerce d’argent pour faire de l’argent, illégitime car corruptrice des valeurs fondatrices de la vie sociale.

Cette distinction fut reprise par les théologiens du moyen-âge. Alors qu’Augustin avait fait de l’usure (le prêt à intérêt) un péché capital, le développement des villes et des foires, à partir du 10ème siècle, s’accompagna de celui de ladite usure, ce qui amena l’Église à canoniser son interdiction par le deuxième concile du Latran (1139). Mais les affaires continuaient d’aller leur train et Thomas d’Aquin entreprit de réconcilier l’irrépressible montée de l’argent (et de l’usure) et les valeurs chrétiennes. Il maintint la condamnation de l’usure en tant que telle, mais il considéra qu’il fallait bien dédommager le prêteur du dol subi à la suite de la séparation d’avec son bien. L’intérêt n’était pas le produit du commerce, rémunéré par le partage du profit, mais la compensation de la « préférence pour la liquidité », comme dirait Keynes. La doctrine sociale de l’Église s’est constituée dans cette ligne : oui à l’argent utile, qui fait fonctionner le marché, non à l’argent corrupteur, à l’argent qui fait de l’argent sans cause réelle.

Inscrit, on l’a vu, dans la continuité de cette doctrine chrétienne sociale, l’ordo-libéralisme réfute la finance qui met à mal la cohésion sociale. Quand F. Hollande dit qu’il entend éradiquer la mauvaise finance, produit de l’économie financière, et garder la banque, bonne puisqu’elle finance l’économie de marché, qu’il accepte, il est ordo-libéral.

Afin de vaincre l’ennemi, l’idée est de commencer par séparer banque de dépôt et banque d’affaires, à l’instar du Glass-Steagall Act de 1933 aux É-U. Cette doctrine ancienne, qui remonte au moins au 19ème siècle et au banquier Germain, renaît en fait à chaque grande crise du capitalisme, quand la course échevelée au profit pousse la finance à prendre les risques les plus extrêmes. La crise financière de 1929 avait bien des traits de celle commencée fin du 19ème avec la crise de la première mondialisation. Et la crise financière de 2008 a bien des traits de celle de 1929 : la dynamique des subprime des années 2000, spéculation immobilière, reproduit celle des prêts hypothécaires des années 20, spéculation foncière, avec le même résultat, un krach boursier. Et revoilà le Gass-Steagall Act.

Pourtant il n’a fondamentalement rien empêché avant son abrogation par W. Clinton en 1999, abrogation qui a certes ouvert les vannes pour gonfler la bulle des subprime, mais c’était d’abord une tentative de sortir par le haut de la bulle internet des années 90 proche d’éclater (ce qu’elle fit dès l’année suivante). La finance prend tous les risques spéculatifs quand le financement de l’économie réelle n’est plus profitable. Réguler la finance spéculative c’est empêcher la recherche du profit, c’est-à-dire s’attaquer à sa base, le rapport capitaliste. Dans le capitalisme industriel, la norme de profit financier est bornée par la productivité réelle de l’économie et il n’est pas grand besoin de réguler la banque d’affaires ; dans ce cas la régulation fonctionne ! Par contre, quand la crise du profit industriel, crise réelle, conduit à la financiarisation de l’économie, c’est-à-dire à la gestion des entreprises sur critères financiers dans un cadre mondialisé, les banques ne prélèvent plus une part du profit existant, mais elles le créent en captant de la valeur partout où c’est possible et par quelque méthode que ce soit. Dès lors, il n’y a plus de norme de profit autre que le maximum possible, fixé par convention : si d’autres font 10%, tâchons de faire aussi bien ou mieux, et on arrivera, pourquoi pas, aux 40 % que Louis XIV réclamait à Colbert, au motif que c’était ce que faisaient les hollandais. Et, autre conséquence, toute régulation sérieuse devient impossible.

Dans la vraie vie, celle du capitalisme, qu’il soit industriel ou financier, on ne peut pas séparer une économie réelle aidée de la « finance naturelle », pilotée par le marché, d’une pure économie financière parasitaire, que l’on pourrait réguler. C’est ce qui distingue Marx de Keynes, qui, bien que plus radical que les ordo-libéraux, s’en tenait à l’euthanasie du rentier, sans aller jusqu’à la suppression du rapport capitaliste. L’expérience confirme qu’il est impossible de contenir la spéculation sans en abolir le cadre. Prenons l’exemple de la fin du règne de Louis XVI. L’arrêt du Conseil du roi du 7 août 1785 avertit du danger des ventes à découvert et les interdit, car elle mettent « au hasard les fortunes de ceux qui ont l’imprudence de s’y livrer, détourne les capitaux de placements plus solides et plus favorables à l’industrie nationale, excite la cupidité à poursuivre des gains immodérés et suspects, substitue un trafic illicite aux négociations permises et pourrait compromettre le crédit dont la place de Paris jouit à si juste titre dans toute l’Europe. » Et par son arrêt du 14 juillet 1787, le Conseil renonce : ce n’est pas « par la surveillance directe de Sa Majesté et celle de son Conseil que l’agiotage peut être arrêté… Semblables à ceux dont les actions sont contraires aux lois, [les agioteurs] doivent être abandonnés aux remords, à la honte, et aux malheurs que, malgré quelques exemples rares, entraînent tôt ou tard des spéculations auxquelles une extrême avidité ne permet pas de mettre de mesures… » Nihil novi sub sole ! Il n’est que de constater, dans la dernière décennie, l’impuissance des autorités de régulation à faire aboutir les multiples tentatives d’encadrement de l’activité bancaire : Bâle II et III, paradis fiscaux, etc.

Au total, cette vieille idée de séparer finance économique et finance spéculative est une vue de l’esprit. Il en est hélas de même de l’autre volet du projet, mener une politique industrielle de croissance sans sortir de l’euro de Maastricht, parangon de construction institutionnelle anti-sociale.

2. « Si l’Europe n’est pas capable d’avoir une politique de croissance, nous n’atteindrons pas les objectifs de réduction des déficits ». Cette déclaration de F. Hollande (France 2) indique bien le poids de la contrainte de l’euro sur sa stratégie macroéconomique consistant à concilier équilibre des finances publiques et redistribution. Pour être juste, la hausse de l’impôt devra peser sur les classes moyennes supérieures et surtout sur les riches, c’est-à-dire sur les revenus du décile supérieur, soit à partir de 5000 euros nets par ménage, selon l’INSEE. Mais pour qu’elle puisse financer les dépenses d’infrastructure et de formation-innovation-recherche qui relanceront l’activité, selon un schéma de croissance endogène rappelant celui de Lisbonne 2000, il ne faudra pas qu’une austérité généralisée dans toute la zone tire la croissance vers le bas et que le freinage induit des rentrées fiscales ne fasse capoter le plan.

Le projet de Hollande implique donc une initiative européenne de croissance coordonnée, ce que Delors avait fait espérer dans les années 80 puis 90 pour faire passer Maastricht. L’idée keynésienne en termes des mécanismes mis en jeu, est remise sur le devant de la scène par la non-reprise spontanée de l’activité depuis 2009. Il faut soutenir la croissance et donc écarter l’austérité qui ferait s’enfoncer encore plus dans la crise, mais sans déficit budgétaire, la situation de la dette ne le permettant pas.

La volonté du candidat socio-démocrate de rouvrir le débat sur le Pacte budgétaire qui vient d’être conclu et déjà largement ratifié commence d’être entendue en Europe, y compris par les dirigeants allemands. Car la crise de l’euro, qui semblait ces dernières semaines s’éloigner à mesure que les plans d’austérité se mettaient en place en se durcissant et rassuraient « les marchés », revient en force : les prévisions de réduction des déficits sont revues à la baisse, l’Espagne a eu du mal à placer son dernier emprunt, les taux d’intérêt sur la dette montent et accroissent les écarts avec l’Allemagne, y compris pour la France, etc.

Mais cela ne peut pas réellement déboucher sur des avancées concrètes, pas plus que l’insertion de l’ajout croissance au Pacte de stabilité négocié à Amsterdam, qui permit à Jospin de le ratifier sans ciller, en 1997. Cela nécessiterait un gouvernement économique de l’Europe, un budget de l’UE, des euro-obligations, etc., toutes choses discutées depuis des années, mais qui n’avancent pas, parce qu’elles ne peuvent pas avancer. La construction monétaire européenne est bancale dès le départ, puisque l’euro est une monnaie sans État, sans pouvoir politique institué pour le gérer. En fait, comme dans tout système monétaire international, la main qui tire les ficelles est celle du pays économiquement le plus fort, celui qui exporte et a les moyens d’imposer ses conditions pour financer les relations internationales. Ici, c’est celle de l’Allemagne, comme cela apparaît de plus en plus nettement depuis que la crise de l’euro s’approfondit.

Dès lors, vouloir que la BCE finance directement les États ou que l’on émette des euro-obligations, vouloir renforcer les mécanismes de protection de l’euro (FESF, MES), etc., sans transferts de souveraineté, c’est demander à l’Allemagne d’opérer des transferts économiques sans droit de regard sur leur destination. C’est utopique, rien ne peut réellement le justifier.

L’espoir d’un fédéralisme économique et fiscal sans le fédéralisme politique que très peu d’esprits sont prêts à envisager, est une totale illusion dans le cadre des traités actuels, car ils sont faits, on l’a vu, pour contraindre les pays les plus faibles à faire les efforts de compétitivité nécessaires pour se mettre à niveau. Les réformes structurelles exigées par les pays leaders (les exportateurs) ne sont pas des conséquences non voulues de la construction de la monnaie unique, elles en expriment toute la rationalité réelle.

Là réside le mensonge du socio-démocrate qui accepte le marché, dans l’illusion que l’on peut gouverner un système selon une rationalité intellectuelle qui, aussi bien construite soit-elle, est différente de la rationalité réelle qui assure la reproduction du système. L’ordo-libéralisme est dans l’économie-fiction du marché, de rapports entre individus, qu’il veut optimiser. Alors que le système réel, capitaliste, est un système de classes, dont la rationalité est la gestion de la lutte des classes en sorte que le système ne change pas, c’est-à-dire que les possédants le restent et que le peuple fasse de même.

Conclusion

Les deux candidats néo-libéraux en question ici font tous deux l’impasse sur la question de l’euro, l’un parce qu’il sait bien qu’il est le corset par lequel il peut contraindre les ennemis de classe, l’autre parce qu’il croit que bien gouverné il permettra de libérer le peuple. L’un ment effrontément, l’autre dit un (gros) mensonge.

La sortie de crise n’est pas dans la bataille idéologique entre deux néo-libéralismes, mais dans le renversement du rapport de classes. Derrière le marché il y a le capital, dont la logique, la loi, va toujours contre le peuple à la fin, parce qu’on n’y sort de la crise qu’en faisant payer le peuple, hier par par la déflation et la guerre, aujourd’hui plutôt par un marasme prolongé, à la japonaise. Mieux vaut oublier la socio-démocratie moderne et revenir à la vraie, l’archaïque, afin de profiter de la crise pour aller vers autre chose, pas pour gérer l’existant. Par exemple en instituant un pôle bancaire et financier public, en se remettant dans les pas du CNR à la Libération. Mais cela ne sera possible qu’au niveau européen. Quand la crise aura fait imploser l’euro de Maastricht, la reconstruction rationnelle d’une UE républicaine et sociale sera possible.

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Enfin, l’écologie sociale comme programme politique !

par Aurélien Bernier
secrétaire national du M’PEP, auteur de « Ne soyons pas des écologistes benêts » (Mille-et-une-Nuits)
http://www.m-pep.org

 

Le rassemblement populaire du 18 mars 2012 à la Bastille n’a pas seulement révélé l’ampleur de la dynamique du Front de gauche. Il a également montré à quel point les dirigeants « historiques » d’Europe‐Ecologie­‐Les Verts (EELV) se fourvoient. Que les principaux responsables de cette organisation se prêtent au jeu des commentaires désobligeants n’est pas surprenant. Mais la teneur des réactions, par contre, mérite qu’on s’y attarde.
Pour Cécile Duflot, « Jean‐Luc Mélenchon fait de la politique avec un rétroviseur » en se référant aux symboles de la République. Éva Joly évoque « de belles paroles franco-­‐françaises » émanant de « la gauche ancienne ». Pour Jean­‐Vincent Placé, les positions du Front de Gauche représentent « une forme de repli franco­‐français, de refus d’une Europe ouverte et plus démocratique » ; il accuse Jean­‐Luc Mélenchon de « démagogie » et lui reproche « un certain poujadisme sud‐américain à la Chavez ou Morales ».
Vexés par le camouflet électoral qui les attend, les dirigeants nationaux d’EELV ne comprennent pas qu’ils expriment là les raisons de leur propre échec. En effet, si la campagne d’Éva Joly est désastreuse, le véritable problème n’est pas sa seule personnalité. Avec un programme déconnecté des réalités politiques, sociales et stratégiques, les penseurs d’EELV montrent qu’ils n’ont toujours pas compris la vraie nature de la mondialisation et des enjeux écologiques et sociaux qui l’accompagnent.
Dans les années 1970, l’écologie politique française s’est fondée sur une culture libérale-­libertaire inspirée de la nouvelle gauche américaine née au cours de la décennie précédente. Elle s’est construite contre le nucléaire, sur la diabolisation d’EDF et de l’Etat. Rapidement, un raisonnement s’est imposé : puisque la pollution n’a pas de frontière, l’écologie ne doit pas en avoir non plus. Tout ceci s’est traduit par un rejet viscéral de l’Etat, des symboles de la République, de la Nation, assimilés au nationalisme. Pour contourner l’Etat par le local et par le supranational, les dirigeants écologistes engagés dans le combat électoral à partir de 1974 se sont forgé deux totems : le régionalisme et l’européisme.
Malheureusement, les principaux défenseurs de l’écologie n’ont pas compris qu’en même temps, et pour des raisons diamétralement opposées, les tenants de la mondialisation visaient eux aussi un affaiblissement et le déclassement conceptuel de l’Etat. Ronald Reagan, affirmant dès 1981 que « L’Etat n’est pas la solution, l’Etat est le problème », aurait du leur mettre la puce à l’oreille. Non seulement ce ne fut pas le cas, mais les déclarations récentes confirment que les dirigeants « verts » actuels s’enferment encore un peu plus dans leurs erreurs d’analyse.
Faute d’avoir clarifié la question de l’Etat, dont le renforcement est le seul moyen de rendre le pouvoir au peuple, et celle de la mondialisation, le mouvement écologiste n’a jamais percé durablement. Pour survivre, il lui faut s’allier avec les socio­‐démocrates ou « s’ouvrir » au centre­‐droit, ce qui amène inévitablement à dépolitiser la question écologique. Il ne leur reste alors qu’à exploiter les mirages européistes et régionalistes.
Après trente ans d’un euro­‐libéralisme forcené, après des mois de crise économique gravissime, malgré les vagues successives d’austérité qui s’abattent sur les peuples, les dirigeants d’EELV croient toujours dur comme fer en un fédéralisme européen appuyé sur de grandes Régions dont les compétences seraient renforcées. Un schéma qui conduit en fait à transférer le pouvoir à l’Union européenne pour qu’elle mène des politiques antisociales, et à confier aux collectivités locales la gestion des conséquences désastreuses de l’ultralibéralisme. Et l’insupportable Daniel Cohn‐Bendit, artisan de l’ouverture d’EELV au centre‐droit, va jusqu’à proposer aujourd’hui sa candidature à la présidence de la Commission européenne !
A côté des errances d’EELV, le programme défendu par Jean‐Luc Mélenchon donne la marche à suivre pour aborder de front les questions écologiques et sociales. En proposant de désobéir à l’Union européenne, de réguler le commerce international, de taxer les richesses, tout en se plaçant dans une logique internationaliste, le Front de gauche s’attaque aux vrais problèmes et donne enfin une perspective et une cohérence politique majeure : la rupture avec le capitalisme pour construire un socialisme du XXIè siècle. Bien-­‐sûr, le programme « L’humain d’abord » a ses limites. Il lui manque une dose d’antiproductivisme, un peu plus d’audace sur le protectionnisme écologique et social, ou encore la sortie de l’euro pour reprendre en main tous les leviers de la souveraineté populaire. Mais l’essentiel s’y trouve, c’est à dire la volonté de gouverner réellement à gauche et d’intégrer pour de bon la question environnementale.
Jusqu’à présent, à chaque élection, les citoyens de gauche devaient choisir : soit ils votaient pour l’écologie, sans perspective de rupture avec l’ordre capitaliste ; soit ils votaient contre le capitalisme, en renonçant au message de l’écologie. En 2012, pour la première fois depuis l’émergence de la crise écologique, le Front de gauche permet de ne pas avoir à choisir. Il permet, enfin, de voter pour une écologie sociale et solidaire, sans concession.

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Front national : une BD à administrer de toute urgence

 

Alors que les sondages indiquent des intentions de vote à raison de 26 % chez les 18-24 ans en mars (soit le double de ce qu’elles étaient au 4e trimestre 2011 !), et quoi qu’on pense de leur possibilité à influer significativement sur les résultats, il faut reconnaître que l’opération « dédiabolisation/médiatisation » de Marine Le Pen porte ses fruits chez les jeunes. Si ces intentions se traduisaient par un passage au vote effectif au détriment de l’abstention, il faudrait d’une part que les partis républicains s’interrogent sur leur discours, de l’autre que toutes les générations subséquentes se demandent quelle culture politique elles ont transmis à celle de ces 18-24 !

Donc d’urgence avant le premier tour, achetez la BD dont il va être question, offrez-la ou laissez-la négligemment traîner sur la table du salon à la vue des jeunes qui passent… tout en vous préparant à répondre à des questions sur les périodes qu’ils n’ont pu connaître et sur les égouts qui ont au fil du temps alimenté le FN : néo-nazis, royalistes, catholiques intégristes, OAS, néo-païens, skins et autres antisionistes extrêmes sinon négationnistes. Ce sera une oeuvre de salubrité.

Car il ne suffit visiblement plus de dire que le FN n’est pas un parti comme les autres ni de réfuter ses idées comme si elles se plaçaient dans un continuum de possibles acceptables. La nature même du Front national est à prendre en compte dans ses racines et c’est ce à quoi aide le livre de Caroline Fourest et Fiametta Venner (La vie secrète de Marine Le Pen, paru en 2011). Voici l’adaptation en bande dessiné du livre (sous le même titre, signé de Caroline Fourest et, comme dessinateur, de Jean-Christophe Chauzy, Grasset/Drugstore, 2012). Plus de 100 pages bourrées d’informations (et notamment de nombreuses notices bibliographiques sur les protagonistes de cette histoire - qui commence à la naissance de « l’héroïne » en 1968, mais n’omet pas de retracer les états de service du papa).

Si cette biographie de Marine Le Pen remet les pendules à l’heure sur les versions misérabilistes de son enfance et donne une image peu flatteuse de la femme « courageuse », sa personne n’est pas l’essentiel dans toute la période qui aboutit à la purge des mégretistes en 1998 : c’est bien d’un clan et de népotisme qu’il s’agit, d’un « cloaque familial » pour reprendre l’expression du rival malheureux purgé à cette époque faute d’avoir pu purger lui-même le Paquebot de Montretout. Les liaisons mafieuses ne sont pas esquivées et on ne sera pas surpris de voir la façon dont le FN tente de se sortir de la déconfiture financière où l’a plongé le résultat des élections de 2007.

La suite est mieux connue mais la façon dont la fille prend ses distances avec le père tout en restant dans l’admiration totale, la conquête de Hénin-Beaumont et l’évolution des courants internes (les rapports avec Bruno Gollnisch et le congrès de Tours du 15 janvier 2011) constituent à la fin du livre une apothéose dans le comique.

Car bien sûr c’est une BD qui vous fera éclater d’un rire (grinçant) sans complaisance et fournira bien des arguments annexes au débat de fond.

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Monsieur Plantu et la Politique

par Polisset Pascal

 

Avec ce visage lisse et joyeux, ses quarante années au service du « Monde », il a le verbe haut et le dessin habile, l’Officiel et auto-proclamé dessinateur-éditorialiste, j’ai nommé Plantu.
L’ ”Homme de gauche qui s’impose de tirer sur tout le monde” est de ces gens-là qui peuvent se vanter d’une telle longévité dans une Entreprise, quand tant d’autres ont été envoyés se faire voir au Pôle Emploi, afin de redessiner leur propre projet de carrière.
Hors de question de critiquer son Art, il le maîtrise avec le soin utile que donne le temps qu’il y passe. Il s’offre même, lors de l’entretien de ce midi, sur France Inter, de se présenter comme mentor d’une nouvelle génération de dessinateurs de presse…
Cet homme, cet artiste a toutes les qualités, il est virulent mais généreux, il est caustique (son récit d’un 1er avril, en rédaction, d’une brutalité incroyaaable !!!) et très urbain : « Quand on me téléphone, je me rends à l’invitation qui m’est faite… ».
Alors, on apprend, sidéré d’une telle information, que Hollande l’aurait appelé, lui reprochant de n’avoir pas modifié sa caricature après que le futur candidat ait perdu vingt kilos.. Ouahhh, çà ravage… Cà saigne dans le Landerneau du tout petit monde qui le fait être.
Mais, reconnaissons-lui, cette qualité : jamais il ne se dérobe.
Quand l’animatrice de l’émission “Les Affranchis”, lui dit que sa diatribe contre Hugo Chavez a choqué nombres d’auditeurs, immédiatement désignés comme “Mélenchonistes”… Il les invitent à se rendre à Caracas !
Magistral ! Incontournable ! Essentiel !
D’évidence le dessinateur-journaliste Plantu a du talent. Force est de constater que , quand il a réuni nombre de dessinateurs du Magheb et de Palestine, des Amériques du Sud,  en lutte contre les censures et répressions dont ils sont toujours victimes, son engagement était lumineux. Mais à trop s’approcher des sun-lights de la scène, on se brûle les ailes.
Au risque de se prétendre enfant de “l’Assiette au beurre”, manquant de modestie, on finit par se nourrir dans “La Gamelle au caviar” !

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La double victoire de Mohamed Merah

par Denise Mendez
membre du Conseil scientifique d'ATTAC

 

Mohamed Merah reçoit toujours l’hommage de ses émules, mais, en contre point, des voix venues de la gauche multiplient les explications compréhensives de son geste. C’est la double victoire de Mohamed Merah.
Plusieurs de nos camarades de gauche, souvent doctes, se sont empressés d’expliquer ce comportement par l’injustice, la discrimination raciale, le terreau social… un grand journal a qualifié Merah de « gamin » victime d’une « dérive ».
Ce nouvel épisode d’aveuglement volontaire, trouve son fondement dans un vieux paternalisme caritatif de la gauche française sorte d’inversion de l’esprit colonial de domination. Ce paternalisme est empreint d’un angélisme qui interdit de voir l’autre, dans sa différence lorsqu’elle défie son regard égalitariste à prétention universaliste. Lorsque ce défi lancé par Merah aboutit au crime, le paternaliste s’interdit de chercher des explications dans des cadres de pensée différents des siens, en somme il ne peut voir dans Merah et ses amis des êtres parfaitement conscients et donc responsables. Le paternaliste préfère dévier le regard sur le contexte social et faire retomber la charge de la faute sur la société française qui n’offrirait pas à ces enfants français, fils ou petits fils d’immigrés les conditions de leur intégration sociale.
Certains de ces camarades de gauche sont volontiers complaisants à l’égard des particularismes culturels (même lorsqu’ils sont contraires à la déclaration universelle des droits humains) parce qu’ils voient dans ces descendants d’immigrés, les nouveaux damnés de la terre et surtout les alliés de la Révolution.
Certains de nos camarades de gauche qui restent figés dans une vision essentialiste des dominants et des dominés continuent à placer dans des cases, des groupes sociaux qui n’y entrent pas. Un raisonnement binaire, simplet a fabriqué une langue de bois qui interdit de penser la complexité et l’hétérogénéité des situations de descendants d’immigrés et son inscription dans les courants géopolitiques qui se forgent, avec ou contre, le capitalisme néollbéral.
Il existe pourtant des travaux de sociologie qui éclairent l’univers des descendants d’immigrés ; tel est l’ouvrage de Hugues Lagrange « Le Déni des cultures » ; ce livre dérange les schémas simplistes. L’ouvrage de Malika Sorel « immigration intégration » pointe le paternalisme de gauche qui depuis plus de 20 ans dé-responsabilise, enfants et parents au motif que leurs ancêtres ont été colonisés et qu’ils sont aujourd’hui « les Indigènes de la République » ; et que par conséquent ils ont tous les droits mais pas de devoirs…
À force d’entretenir une posture essentialiste qui a catégorisé les immigrés en alliés révolutionnaires, une certaine gauche « les yeux grand fermés » ignore la force des courants de droite parmi les descendants d’immigrés. Elle ignore la formidable adaptation au capitalisme marchand de diverses couches de cette population et l’importance des liens culturels communautaires et religieux dans le triomphe économique de nombre d’entre eux. Mohamed Merah, ne pouvait se contenter de son métier de carrossier tout en admettant que le patron de son garage était très gentil. Mohamed Merah voulait devenir riche et n’hésitait pas sur les moyens.
Une suggestion à nos amis de gauche qui cèdent à la mode victimaire : consulter le site internet de l’ANELD : association des élus municipaux de la diversité. On y trouve des français descendants d’immigrés, tout à fait décomplexés qui sans doute n’apprécieraient guère le regard paternaliste de nos amis. Les membres de cette association ont séjourné au mois de novembre 2011 à Doha à l’invitation de l’Émir du Qatar ; ils en sont revenus enchantés. Auparavant, au mois d’août ils avaient séjourné une semaine à Washington à l’initiative de l’ambassadeur des États-Unis en France Charles Rifkin. Cet ambassadeur, nommé par Obama a fait de fréquentes visites en banlieue. On trouve sur Wikileaks le compte-rendu qu’il a fait de ces contacts avec les gens de la « diversité » au département d’État.

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Syrie : vers une nouvelle donne

par Alain Billon
ancien député de Paris,
responsable Maghreb-Machrek au secteur International du PG.

 

Dans ce monde en profond changement, les certitudes anciennes sont ébranlées. Dans cette période de crise, l’avenir est incertain. Et pourtant, le désir de changement est profond. Car il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir.
Encore faut-il que les aspirations populaires rencontrent les conditions culturelles, sociales et politiques du changement et que le peuple, les citoyens, les salariés, aient une pleine conscience du modèle politique à construire.
En quelques mots, nous en sommes loin. Aussi, nous ne pouvons pas rester l’arme au pied et se taire devant le triste spectacle du monde. C’est pourquoi nous prenons le loisir de publier cet article d’Alain Billon sur la Syrie. Sa thèse est de séparer le temps court du temps long et d’estimer que le compromis est à court terme la moins mauvaise des solutions. D’aucuns dans la rédaction de ReSPUBLICA objecteront que nous ne pouvons pas passer par pertes et profits la volonté d’un peuple de se libérer au péril de leurs vies d’une dictature sanglante.
Mais nous estimons que ce débat ne doit pas se circonscrire à la rédaction de ReSPUBLICA mais embraser l’ensemble du lectorat du journal.
A vous de réagir
La rédaction de RESPUBLICA

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Syrie : vers une nouvelle donne
Confrontation jusqu’à l’apocalypse régionale ou recherche d’un compromis ?

La crise ouverte en mars 2011, lors du « printemps arabe » par les premières manifestations populaires contre le régime dictatorial de Bachar el Assad en Syrie, est une des plus graves et des plus complexes qu’aie connue cette région du monde. Elle combine en effet les éléments devenus « classiques » durant l’année écoulée, de soulèvement populaire contre un régime autocratique extrêmement verrouillé, évoluant vers une forme de guerre civile particulièrement meurtrière, avec des implications de politique extérieure remettant en cause tout les équilibres régionaux de cette région instable, notamment ceux touchant à la question palestinienne et à la question iranienne.

Héritière de riches civilisations depuis l’antiquité, grâce à sa situation de carrefour privilégié, la Syrie est aujourd’hui au sein du monde arabe, un pays d’importance moyenne, sans grandes ressources naturelles (peu d’hydrocarbures), peuplé d’un peu plus de 22,5 millions d’habitants (en 2011).

1) Une mosaïque de communautés

Peuplée à 90% de populations arabes (y compris 400000 réfugiés palestiniens), la Syrie compte environ 10% les kurdes auxquels le régime ne reconnaissait pas la nationalité syrienne jusqu’à un décret récent publié après le début du soulèvement populaire, installés au nord et au nord-est du pays. Si elle a été très fortement marquée depuis l’aube du XXème siècle par le nationalisme arabe, la population syrienne se caractérise, comme nombre de pays du Proche-Orient, par une mosaïque de communautés religieuse très jalouses de leur particularisme, où les musulmans dominent largement (90% de l’ensemble de la population).

Parmi ceux-ci, les sunnites sont largement majoritaires (environ 60% de la population totale) ; les 30% restants se répartissent entre alaouites, druzes et divers groupes chiites. Les alaouites (une petite moitié de ces 30%), dont font partie les membres du clan Assad accaparent l’essentiel des principaux rouages du pouvoir, politiques, militaires/policiers et économiques.

Les chrétiens, répartis entre plusieurs confessions, représentent environ 10% de la population, et constituent globalement une minorité urbaine prospère, associée économiquement au pouvoir des alaouites.

Les kurdes, majoritairement musulmans, comptent également une minorité chrétienne et une autre yazidie1 .

2) Le pouvoir baasiste et le clan Assad

La rupture de l’union avec l’Egypte en septembre 61, a été suivie d’une période d’instabilité politique, ponctuée de coups d’Etat, qui à partir du 08/03/1963, vont permettre l’ascension du Baas, un parti nationaliste progressiste et panarabe à l’origine, qui prendra également le pouvoir en Irak la même année. Un second coup d’Etat le 23/02/66 permet de chasser les fondateurs du parti comme Michel Aflaq, et d’abandonner de fait le panarabisme en se recentrant sur la Syrie (« rectification »). Enfin un nouveau coup d’Etat permet au général d’aviation Hafez El Assad, de prendre le pouvoir à son tour le 13/11/70 et de maintenir un état d’urgence qui durera jusqu’aujourd’hui. Issu de la minorité alaouite, il va méthodiquement asseoir son pouvoir à partir de cette communauté, sur le Baas, et sur l’Etat. Le Front national progressiste qui unit sept autres partis au Baas, n’est qu’une coquille vide.

Erreur de « casting » ? A la mort de Hafez El Assad, le 17/07/2000, c’est son fils cadet Bachar qui se destinait à la carrière d’ophtalmologiste qui lui succède, et qui ne s’était préparé à cette tâche que depuis la mort de son frère aîné Bassel survenue en 1994 dans un accident automobile Après les quelques mois de timide libéralisation politique du « printemps de Damas », la chape de plomb retombe sur la pays, et le « clan Assad » accentue encore sa mainmise sur celui-ci, ajoutant au pouvoir politique et sécuritaire, la prédation économique, à la faveur du tournant libéral de l’économie qui s’accélère ces dernières années. Ce tournant libéral qui concentre les secteurs économiques les plus rentables, comme les télécommunications, entre un nombre restreint d’oligarques liés le plus souvent au régime, fera un nombre de plus en plus élevé de déçus, que ce soit du côté des possédants ou des plus pauvres, touchés de plein fouet par la libéralisation, tout cela mêlé aux questions confessionnelles et répressives. La multiplicité de ces déçus expliquant l’hétérogénéité et la virulence du soulèvement actuel.

3) Une politique extérieure subtile, complexe et changeante

Après la guerre du Kippour en 1973, où la Syrie est amputée du plateau du Golan par Israël, elle s’implique de plus en plus dans la guerre civile libanaise à partir de 1975. Les relations avec l’Irak, pourtant baasiste lui aussi, deviennent détestables. Dans les années 80, la Syrie signe un traité d’amitié avec l’URSS, et soutien l’Iran dans sa guerre contre l’Irak. Les bases de ses futures alliances sont ainsi posées.

En 1989, les accords de Taef consacrent la mainmise syrienne sur le Liban, et la réalisation du vieux rêve de la « même nation », qui se retrouve dans le traité d’amitié et de coopération signé avec le Pays du cèdre deux ans plus tard. La participation inattendue de Hafez el Assad à l’alliance occidentale contre Saddam Hussein durant la première guerre du Golfe lui permet de sortir de son relatif isolement du moment, et de garder la mainmise sur le Liban, tout en consolidant son régime.

Mais après le 11 septembre 2001, le monde change. Les relations avec les USA se gâtent. La guerre avec l’Irak et son occupation par les USA n’arrangent rien. C’est dans ce contexte que survient le 14/02/05, l’assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri, où la Syrie et le Hezbollah sont clairement mis en cause. Un mois plus tard, l’armée syrienne doit évacuer le Liban. La Syrie, malgré les poursuites du Tribunal spécial sur le Liban, saura rompre son isolement après la guerre entre son allié le Hezbollah chiite et Israël en 2006. Elle noue de bonnes relations avec la Turquie, bénéficie de la « neutralité bienveillante » d’Israël pour qui elle le « meilleur ennemi » possible, d’une embellie avec les USA qui recherchent désormais une entente avec la Syrie et l’Iran pour sortir du bourbier irakien, de la reconnaissance par la France à partir de 2008, et de son rôle incontournable au Proche Orient pour gérer l’impasse israélo-palestinienne.

La Syrie se retrouve à l’orée de 2011 au centre de l’alliance du « croissant chiite » qui comprend le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais, la majorité chiite irakienne et l’Iran, amie ou bénéficiant d’une neutralité positive de la part de pays aussi différents que la Chine, la Russie, Israël, la Turquie, la France, les USA etc…Le temps où la Syrie était l’avant-garde de la « ligne du front » anti-impérialiste n’est pratiquement plus qu’un lointain souvenir…Les soulèvements arabes de 2011 partis de Tunis vont en quelques mois, profondément ébranler cette construction qui suscite beaucoup de crainte et d’hostilité, particulièrement dans les pays aux populations à majorité sunnite..

4) Le soulèvement populaire

Il faudra attendre le 15 mars 2011, pour que la Syrie deviennent le dixième pays touché par les intifadas qui bouleversent le monde arabe, tant est forte la crainte que suscite le régime, et particulièrement le souvenir de la terrible répression de l’insurrection des Frères musulmans à Hama en 1982 qui hante encore les mémoires syriennes… Les premières manifestations qui se déroulent à Damas et surtout à Deraa dans le sud, sont immédiatement et sauvagement réprimées avec l’intervention de l’armée et de ses chars, faisant des dizaines de morts, sans décourager les manifestants. Une terrible épreuve de force s’engage contre le régime, qui n’a cessé de s’amplifier tout au long de l’année jusqu’à aujourd’hui. Les bilans les plus modérés font désormais état de près de 10000 morts, dont une part croissante de partisans du pouvoir, notamment des forces loyalistes. Chaque jour qui passe augmente le risque de deux dangers majeurs, interférant l’un avec l’autre :

a) le passage à un conflit militarisé, évoluant vers une véritable guerre civile à l’intérieur, depuis l’apparition de l’ALS, l’Armée libre syrienne, formée d’officiers et de soldats déserteurs, qui bénéficie d’aides et de soutiens extérieurs, notamment de la Turquie, du Quatar, et de services secrets occidentaux, mais encore en quantité limitée.

b) l’éclatement d’un conflit régional majeur, voir d’un embrasement général à l’extérieur, provoqué soit par une intervention militaire en Syrie, soit par les développements de la crise iranienne, soit par toute autre cause dont la région regorge.

En attendant, devant la détermination jusqu’à présent sans faille de la Russie et de la Chine à opposer un veto à toute résolution du Conseil de sécurité condamnant le régime de Bachar el Assad, et a fortiori toute intervention, l’ONU a affiché son impuissance La situation a pu ainsi sembler totalement bloquée.

5) La mission des observateurs de la Ligue Arabe en Syrie.

Cependant à la suite de la proposition de la Ligue Arabe d’envoyer une mission d’observation en Syrie après avoir l’avoir suspendue de cette instance, la Syrie a accepté la proposition le 06/12/11, et 160 observateurs se sont déployés dans le pays à partir du 26/12/11. En dépit des multiples difficultés rencontrées par les observateurs, de leurs dissensions internes et des tentatives du régime syrien de les instrumentaliser, le déploiement de ceux-ci a marqué un tournant dans la crise syrienne. Le 22 janvier, la Ligue a décidé de reconduire la mission pour un mois, tout en présentant une « feuille de route » calquée sur le scenario yéménite, pour une transition. Celle-ci prévoit l’effacement de Bachar El Assad au profit de son vice-président, l’ouverture rapide d’un dialogue entre l’opposition et le régime, et la formation sous deux mois, d’un gouvernement d’unité nationale chargé d’organiser des élections présidentielles et législatives libres et pluralistes. Ces propositions, avalisées par la Ligue Arabe ont certes rencontré le scepticisme des diverses organisations de l’opposition (CLC, CCNCD, CNS, ALS2 ) et ont été catégoriquement rejetées par le régime. Mais certaines des lignes d’une issue négociée et pacifique de la crise syrienne n’en sont pas moins ainsi tracées3 .

6) Les dernières évolutions.

L’aggravation de la situation depuis le début de 2012, notamment du fait de l’amorce de militarisation du conflit avec l’apparition de l’ALS, les prises de positions très hostiles à la Syrie de la Ligue arabe, de la Turquie, le durcissement des positions occidentales, notamment de la France, l’approfondissement de la crise avec l’Iran et les déclarations belliqueuses d’Israël etc…, tous ces éléments sont constitutifs d’une situation qui doit être considérée comme littéralement explosive.

A la suite des deux doubles vetos opposés aux projets de sanctions contre la Syrie par la Russie et la Chine au Conseil de Sécurité, le 5 octobre 2011 et à nouveau le 4 février 2012, on a pu parler de « permis de tuer » accordé au régime de Bachar el Assad. En dépit d’une extension continue de la rébellion et de l’apparition de véritables « zones libérées » insurgées dans certaines villes comme Homs ou Idlib, l’appareil politico-militaire du pouvoir ne s’est pas effondré et on a enregistré peu de défections jusqu’ici, de personnalités de premier plan du régime. Inversement, si les forces gouvernementales ont pu reconquérir - au prix de véritables opérations de guerre dévastatrices- les centres urbains insurgés, il n’a pu aucunement venir à bout du soulèvement populaire qui vient d’entrer dans sa deuxième année. Il apparait donc que dans l’état actuel des forces en présence, aucun des deux adversaires ne soit en mesure de l’emporter à l’intérieur du pays. Cette situation devrait logiquement conduire les deux parties à rechercher les voies d’un compromis. Et les vrais amis du peuple syrien devraient oeuvrer dans ce sens. Mais beaucoup de sang a coulé, et dans les deux camps ce sont les bellicistes qui dominent. Devant la poursuite de la répression, de plus en plus d’insurgés se rallient à l’option militaire en réclamant des armes de l’étranger. Ce faisant ils tombent dans le piège tendu par le clan Assad qui joue depuis le début la politique du pire en poussant à une guerre civile totale. Or cette issue est bien évidemment d’abord mortifère pour la Syrie, et ensuite pour les pays limitrophes et l’ensemble de la région. Pourra-t-elle être stoppée ? C’est encore possible.

Selon la formule de l’opposant Michel Kilo, depuis les vetos de la Russie et de la Chine, « la Syrie est globalement passée d’une situation où l’intérieur commandait l’extérieur, à une situation où c’est l’extérieur qui commande l’intérieur ». De fait, l’évolution du contexte régional et international va peser d’un poids décisif dans l’évolution de la crise syrienne.

La cohésion du « croissant chiite », est clairement mise à mal par l’insurrection populaire syrienne, majoritairement emmenée par sa majorité sunnite. La direction du Hamas, pragmatique, a déjà quitté Damas, pour s’installer au Caire, tandis que l’aide apportée au régime syrien par le Hezbollah, l’Irak et l’Iran se fait discrète. Les pays occidentaux cherchent naturellement à favoriser cette évolution qui affaiblit l’Iran, dans la confrontation majeure qu’ils ont engagée avec ce pays pour l’empêcher de devenir une puissance nucléaire militaire. Mais le souvenir de la guerre libyenne et ses conséquences désastreuses actuelles, continuent de hanter la scène internationale, et, pour des raisons différentes, les grandes puissances militaires occidentales sont résolues (ou résignées ?) jusqu’à présent, à ne pas intervenir militairement, au moins de façon directe. l’Arabie saoudite et le Quatar seuls, poussent à l’intervention ou a minima, cherchent à aider les insurgés de l’ALS par l’envoi d’armes, mais les pays limitrophes (Liban, Jordanie, Irak, peut-être la Turquie ) hésitent à trop favoriser ces envois, de peur d’être aspirés dans le conflit qui ne cesse de gagner en intensité. Quant au gouvernement israélien, il semble hésiter sur l’attitude à suivre vis-à-vis de son « meilleur ennemi », tant il apprécie de le voir affaibli, mais redoute de le voir imploser. La clef d’un déblocage éventuel est bien dans les mains de la Chine, mais surtout de la Russie, qui sans lâcher son seul véritable allié dans la région, a ouvertement critiqué ses « erreurs » pour la première fois, et encourage la médiation en cours de l’envoyé de l’ONU, Kofi Annan. Il conviendrait de tenir compte de cette donnée essentielle.

7) Pour une politique de paix : une voie étroite pour sortir de l’impasse actuelle

La paix n’est cependant pas nécessairement et mécaniquement au bout de cette situation d’équilibre provisoire entre les protagonistes, la tendance dominante aujourd’hui étant celle d’une militarisation toujours accrue du conflit, voulue par le pouvoir qui joue délibérément la guerre civile en s’appuyant sur les minorités face à la majorité sunnite, tandis que le CNS affiche son impuissance et que l’opposition tend à se diviser de plus en plus. Plusieurs scenarii sont dès lors possibles :

  • Le pouvoir réussit finalement à l’emporter militairement par la reconquête des zones urbaines » libérées » (Homs, Idlib etc.. et organise une « Syrie utile » de la région littorale au nord, à la région de Damas au sud, avec une partition de fait du pays, avec d’inévitables et tragiques conséquences pour les pays voisins.
  • L’ASL, aidée militairement de l’extérieur, arrive à constituer une force capable de tenir tête à l’appareil politico-militaire du Baas, et finir par le briser. Ce scénario est moins crédible aujourd’hui, mais il ne signifierait sans doute pas le retour à la paix. Il laisserait une Syrie exsangue, en proie à des troubles internes graves, les différentes factions de l’opposition se déchirant pour garder le pouvoir.
  • Le troisième scenario est celui de l’attaque israélo-américaine contre l’Iran, dont nul ne peut prévoir les conséquences aujourd’hui, mais qui pourraient se révéler apocalyptiques pour la région.

Face à ces perspectives désespérantes, une ligne de conduite cohérente et positive est possible pour notre pays. Celle de la recherche d’un compromis sous l’égide des Nations-Unies pour la promotion d’une politique de paix dans la région :

  1. en rappelant que les évènements dramatiques de Syrie constituent une partie intégrante du grand mouvement d’émancipation qui soulève depuis plus d’un an les peuples du monde arabe contre les régimes autocratiques et corrompus qui ont accaparés le pouvoir avec la complicité active des pouvoirs occidentaux. Emancipation qui doit être soutenue dans son principe.
  2. en réclamant la fin des violences du régime syrien oppresseur et tortionnaire contre son propre peuple, soulevé légitimement contre lui .
  3. en rejetant toute tentation d’aventure militaire directe ou indirecte du type de celle engagée l’an dernier en Lybie. Les sanctions, économiques ou autres, utiles pour faire pression sur les dirigeants, ne doivent viser que ces derniers, et non l’ensemble indifférencié de la population.
  4. en affirmant sa détermination à rechercher dans le cadre de l’ONU, la mise en œuvre d’une solution pacifique et négociée, impliquant nécessairement le départ du clan Assad, respectant l’intégrité de la Syrie, et aboutissant à un régime viable, respectueux de la sécularisation, de la justice sociale et de la démocratie.
  1. religion syncrétique d’origine iranienne []
  2. CLC : Comités locaux de coordination ; CCNCD : Comité de coordination nationale pour le changement démocratique ; CNS : Conseil national syrien ; ALS : Armée libre syrienne. []
  3. Le 28/01, devant la recrudescence des violences en Syrie, la Ligue Arabe a décidé de suspendre sa mission d’observateurs. Le 04/02, le nouveau projet de résolution présenté devant le Conseil de sécurité, s’est vu opposer le double veto de la Russie et de la Chine. []