Chronique d'Evariste
Rubriques :
  • Chronique d'Evariste

Quelques enseignements du premier tour de la présidentielle : du court terme aux débats incontournables

par Évariste
Pour réagir aux articles,
écrire à evariste@gaucherepublicaine.org

 

Le peuple s’est exprimé, il est important de lire les enseignements du scrutin pour fixer notre futur cap et définir les débats nécessaires pour continuer sur le chemin de l’émancipation citoyenne.
Notons en préalable que les manipulations des instituts de sondage sont devenues manifestes. Les redressements opérés par ces instituts pour modifier les résultats qu’ils ont publiés restent secrets pour le grand public, ce qui est une tromperie manifeste. Mensonges sur le niveau de participation, bridage du vote Mélenchon en début de campagne, exagération ensuite (comme pour Chevènement en 2002), surestimation du vote Sarkozy au moment de sa déclaration de candidature, sous-estimation du vote Le Pen, surestimation du vote Bayrou, etc. Les informations que nous avons recueillies de l’intérieur des instituts de sondage montrent l’influence de plus en plus prégnante des intérêts de ceux qui les financent, par des achats de sondages de plus en plus fréquents. D’où la nécessité pour les mouvements sociaux et politiques de faire monter l’exigence démocratique de ce point de vue.

Le vote obtenu par Marine Le Pen est un dommage collatéral de première importance et permet la progression de l’ensemble Front national + UMP. Jamais l’extrême droite française n’a recueilli autant de suffrages (comme la participation fut forte, plusieurs millions d’électeurs nouveaux) et elle engrange de plus de nombreuses adhésions. Et déjà se profile une nouvelle ligne stratégique qui vise cette fois-ci la prise du pouvoir politique par recomposition d’une nouvelle droite nationaliste et xénophobe dirigée par l’extrême droite elle-même, faisant suite à une décomposition de la droite néolibérale consécutive à la défaite de Nicolas Sarkozy en rase campagne. C’est l’honneur du Front de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon d’avoir attiré l’attention sur ce risque durant la campagne.

La baudruche Bayrou — qui n’est que l’exutoire de la droite néolibérale et européiste effrayée par les conséquences de la politique de ses amis sarkozistes — va continuer à se dégonfler, car son discours est une impasse. Au final, ce sera soit le maintien honteux dans la nouvelle droite néolibérale en reconstitution, soit le soutien au candidat socialiste si celui-ci entre dans un processus de soumission à la finance et à la direction du turbocapitalisme de type Papandréou, Socrates, Zapatero et consorts.

Le score médiocre d’Europe Écologie — Les Verts (EELV) nous paraît lié à deux raisons : d’abord la prise en compte du combat écologique par d’autres acteurs politiques, si bien que EELV n’a plus le monopole du combat écologique, loin s’en faut, et le fossé croissant entre la pensée des militants EELV et leur électorat potentiel. Le vote a été beaucoup plus important dans les élections locales lorsque EELV a suivi la stratégie de réformes sociétales du néolibéral Cohn-Bendit souhaitée par une bonne partie de l’électorat.
Le score de Dupont-Aignan, qui a fait le plein de ceux qui ont la nostalgie du républicanisme de droite, corrobore notre analyse sur le fait qu’il n’y a aujourd’hui plus de combat républicain à droite du fait de l’écroulement sociologique des couches sociales qui assuraient la prégnance de ce courant politique (petit et moyen commerce, artisans, bourgeoisie nationale ne vivant que d’une économie nationale sans sous-traitance des firmes multinationales). Son électorat aura en fait le choix dans l’avenir entre le Front de Gauche et la nouvelle droite recomposée à forte prégnance de l’extrême droite.
Le score de Jean-Luc Mélenchon possède des caractéristiques qui en font aussi un point de départ. Il a rassemblé la gauche de gauche (qui était préalablement éparpillée) et il a réussi à multiplier par 15 les votes des couches populaires ouvriers/employés par rapport au vote de Marie-Georges Buffet. Ces deux points permettent enfin une ouverture sur l’avenir.

À court terme, deux mots d’ordre pour les 1er et 6 mai

Nous renvoyons à nos lecteurs à nos numéros passés pour comprendre que la triple crise économique, financière et de la dette publique va s’amplifier car la ligne Merkozy ne touche en rien aux fondamentaux de la crise financière et encore moins à la crise du capitalisme lui-même. Les lecteurs de ReSPUBLICA savent que la petite accalmie durant la campagne électorale a été « achetée » par la Banque centrale européenne (BCE) qui a créé en deux temps 1 000 milliards d’euros en prêts aux banques privées à but lucratif pour les actionnaires (le 31 décembre 2011 et le 1er mars 2012). Tout cela n’a qu’un temps et ne pourra pas se reproduire éternellement.
Il n’y aura donc pas de solutions sans une société mobilisée et sans un nouveau mouvement social et politique massif. C’est donc dans la préparation de ce mouvement que la nécessité de la mobilisation du 1er mai prend tout son sens.
Puis le 6 mai, pas une voix républicaine de gauche ne doit manquer à François Hollande pour « bouter » hors de l’État le sinistre Sarkozy. Et comme l’a dit Jean-Luc Mélenchon lui-même « sans traîner les pieds ». Et sans se laisser impressionner par les plans sur la comète concernant les reports de voix tirés par les instituts de sondage.

Il faut comprendre que le programme et les 60 propositions de François Hollande ne sont pas seulement insuffisants, mais qu’ils seront rapidement obsolètes. Ils n’engagent que ceux qui y croient, et donc pas les lecteurs de ReSPUBLICA… Dès la prochaine secousse de la triple crise, il y aura deux possibilités. Soit il copiera la politique de ses amis Zapatero, Papandréou, Socrates ou autres néolibéraux de gauche et il se « couchera » dans le lit du turbocapitalisme. Soit il rompra avec les billevesées de son discours d’antan et il prendra le cours du fleuve ouvert par la rivière du Front de Gauche. Même si ce dernier scénario est le moins probable, l’intérêt à court terme des couches populaires (53 % de la population française) et des couches moyennes intermédiaires (24 % de la population française) est de parier au sens de Pascal sur ce scénario.

Et comme nous sommes liés à ces couches sociales, très attachées à la propagande par l’exemple et porteuses du changement réel, comme beaucoup de lecteurs de ReSPUBLICA sont des cadres des organisations syndicales, politiques, associatives et mutualistes, nous disons clairement que nous ne sommes pas des « voyeurs » et des « commentateurs » d’une société du spectacle en cercle fermé, que nous sommes des acteurs du mouvement social et politique. Nous affirmons que nous avons intérêt à la défaite de Nicolas Sarkozy le 6 mai et donc à la victoire de François Hollande pour permettre ensuite une nouvelle majorité de gauche à l’Assemblée nationale et un nombre le plus élevé possible de députés du Front de Gauche.

Des débats incontournables pour la suite

L’imminence d’un approfondissement de la triple crise et de ses conséquences sociales terrifiantes nous oblige à débattre dès maintenant de la suite, car il faut engager la politique de temps long dès maintenant.

Le début du vote populaire en faveur du Front de Gauche le 22 avril reste insuffisant pour la transformation sociale et politique nécessaire à la sortie de la triple crise.

D’abord la pénétration des idées du Front de Gauche dans les couches populaires est encore insuffisante. Aujourd’hui, il n’y a que 11 à 15 % (suivant les études) de ces catégories qui partagent les idées du Front de Gauche. C’est un acquis de la campagne, mais il faut être conscient que pour aller au-delà, le relais doit être pris par le Front de Gauche lui-même. Or aujourd’hui les électeurs qui souhaitent intégrer le Front de Gauche ne le peuvent qu’en adhérant à l’une des 7 organisations constitutives. Malgré le fait que chacune des 7 organisations du Front de Gauche bénéficie de nouveaux adhérents, la grande majorité de ceux qui ont fait la campagne du Front de Gauche ne souhaite pas adhérer à l’une des organisations qui le constituent, mais au Front de Gauche lui-même. Le dépassement du Front de Gauche pour former une seule organisation n’est pas à l’ordre du jour à court terme à cause du fait qu’une partie des partisans PCF du Front de Gauche ne le sont que parce qu’ils considèrent le Front de Gauche comme un comité de soutien aux candidats du PCF. Il n’est pas sûr que ceux qui seraient ouverts au dépassement du Front de Gauche soient majoritaires dans le PCF.
Par ailleurs, la question de la forme parti est incontournable. La forme prise par les organisations telle qu’elles fonctionnent dans les organisations actuelles du Front de Gauche (PCF, PG, GU, FASE, RS, CA et PCOF) est-elle la plus efficace pour accueillir de nouveaux adhérents, notamment des couches populaires ? Le niveau de démocratie réelle dans ces organisations est-il de nature à rassurer les électeurs du Front de Gauche ? La forme actuelle de ces organisations est-elle compatible avec la prise en compte de la nouvelle géosociologie des territoires ? Les assemblées citoyennes qui ont été mises en place peuvent-elles perdurer et devenir plus que des comités de soutien éphémères à visée électorale ? Si oui, est-ce possible sans modification de la forme du Front de Gauche lui-même ou sans possibilité de devenir adhérent individuel du Front de Gauche ?

Ensuite se pose la question des alliances à gauche dans toutes les collectivités (du gouvernement aux municipalités en passant par toutes les autres collectivités territoriales). Il y a un large consensus au Front de Gauche sur la nécessité vitale de l’alliance à gauche dans le processus électoral, mais pas sur la participation ou de la non-participation aux exécutifs (appelons exécutif l’ensemble de ceux qui ont une délégation précise). Comment peut-on participer au même exécutif, dans quelle collectivité locale que ce soit, si on n’a pas la même analyse sur les questions cruciales (combat contre les politiques néolibérales, contre le traité de Lisbonne, contre le MES et le TSCG, etc.) ?
Le travail très « éducation populaire » des discours de Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne ne devrait-il pas être continué sous une forme plus organisée et plus socialisée, d’autant que les médias seront moins « disponibles », une fois la présidentielle passée, aux propos de Jean-Luc Mélenchon et de ses amis responsables nationaux du Front de Gauche, ainsi qu’aux préoccupations du peuple et des couches populaires en particulier ? Est-ce que l’organisation actuelle du Front de Gauche permet de répondre à cette exigence ? Pour un travail d’éducation populaire, le document « L’Humain d’abord » est-il suffisant ? Est-il est possible de poser la question de l’éducation populaire si la formation des militants et des responsables eux-mêmes n’est pas portée à la hauteur des enjeux ?

Débats politiques
Rubriques :
  • Débats
  • Débats politiques
  • Elections
  • Nicolas Sarkozy
  • Politique
  • Politique française
  • ReSPUBLICA

Hollande et Sarko...

par Jean-Paul Beauquier

 

Le double vote utile :

Les ravages du vote utile se font sentir aussi bien à gauche qu’à droite : beaucoup d’électeurs heureux de la campagne de Mélenchon, qui remettait la politique dans le débat, ont finalement pensé que son élection étant improbable, il valait mieux donner de l’élan à celle de Hollande ; le résultat n’est pas sans intérêt puisqu’il fait du président-candidat le premier sortant arrivé deuxième au premier tour. Un désaveu de sa politique et de sa personne assez cinglant pour que ses affidés, s’efforçant de cacher cette vérité, parlent d’un « vote de crise », éléments de langage à l’oeuvre…

À droite, il ne faut pas se leurrer non plus, même si une partie de ses voix de 2007 provenait d’une gauche bo-bo sans exigence doctrinale particulière et peu attirée par la capricante Royal,  les ambigüités de Bayrou, son hésitation d’entre-deux tours lors de la précédente élection présidentielle, sa campagne contre les deux favoris des sondages, ont amené une partie de son électorat à voter Sarko  sans états d’âme le 22 avril ; il est vrai dès lors que ceux-là ne seront pas une réserve de second tour.

Le FN vs UMPS :

Reste le cas des électeurs du FN : 18 % en moyenne nationale et des pointes vers 30 %, un département (le Gard) dans lequel la candidate arrive en tête avec un quart des votants, cela devrait faire réfléchir les politiciens, politologues et militants divers.

Une première raison à un tel score semble évidente : la dénonciation du bloc UMPS a été confortée par les affrontements feutrés, quant au fond des politiques alternatives qui devraient être conduites ; quelques dérapages de l’UMP ou quelques traits d’humour du candidat PS, contre celui de l’autre camp, ne suffisent pas à persuader l’électorat souffrant de la crise, même s’il « se trompe de colère », comme l’a redit le soir même la candidate EELV, que les partis de gouvernement sont prêts à « renverser la table » et à proposer des solutions crédibles pour redonner de l’emploi et du pouvoir d’achat aux classes populaires, « petits blancs » compris ».

Jean-Luc Mélenchon a été le seul à rappeler que le pouvoir des financiers ne peut s’exercer que moyennant des règles validées par un système étatique, donc d’abord politique ; en revanche quand Marine Le Pen dénonce dans l’UMPS « les deux partis de la finance et de la banque », nul ne croit à la volonté du FN de mettre fin au règne du système sauf précisément une partie de son électorat. C’est à ces électeurs abusés qu’il faut donner un signal fort de volonté réelle de changement.

Les valeurs

Il est singulier que le patriotisme puisse aux yeux de certains être incarné par Nicolas  Sarkozy et que celui-ci ose invoquer « l’amour de la patrie au-dessus de toute considération partisane et au-delà des intérêts particuliers » sans que la France entière s’écroule de rire. Éva Joly, relayée dans une seule expression par Ségolène Royal, mais la remarque judicieuse de celle-ci n’a pas été reprise dans la campagne de François Hollande, a été la seule à dire clairement que dans un système de droit et de démocratie le président-sortant aurait d’abord des comptes à rendre à la Justice. Tout fut fait comme si la situation de justiciable potentiel de Nicolas Sarkozy ne devait pas être évoquée. Ce qui en dit long sur les connivences que Marine Le Pen peut dénoncer. Il est vrai que traînent quelques affaires qui éclaboussent, semble-t-il, le PS et l’UMP, mais du moins ne s’agit-il pas de faits touchant des candidats à la première charge de l’État !

Les Français seraient donc jugés par ceux qui aspirent à les gouverner comme assez désabusés pour ne pas être choqués par la collection de scandales inouïs qui caractérise le quinquennat ? Inouïs, car ce que rappellent les uns et les autres, qui contre Mitterrand, qui contre Chirac, n’est rien par rapport à ce qui est en marche accélérée depuis cinq ans, volumes financiers sans commune mesure, blocage et manipulation de l’appareil judiciaire compris. C’est donc bien aussi, une révolution citoyenne qu’il convient de provoquer.

Gagner vraiment contre ce qu’incarne Sarkozy

La personne de Sarkozy n’est rien : même si, dans le rôle de président de tous les Français, il est une erreur de casting manifeste, c’est bien sa politique qui est désavouée par une majorité de Français. Prétendre avoir mis la France à l’abri de la crise, alors que les services publics et les solidarités collectives sont les seuls amortisseurs efficaces et que c’est précisément ces caractéristiques du modèle français que Sarkozy and Co veulent détruire, n’est pas la seule imposture des cinq dernières années. Avoir revigoré le FN essentiellement pour occulter ce bilan fut un jeu d’apprenti sorcier

Le dernier traité européen doit être la dernière trahison d’une classe politique qui se passerait volontiers de toute légitimation électorale par le « souverain ». La post-démocratie ne doit pas avoir d’avenir.

Il est certain qu’une partie des électeurs du FN exprime une souffrance ou une colère, mais il ne faut pas confondre les deux ; lorsque Gilbert Collard dit que ces électeurs en ont assez d’être méprisés, il se conduit bien sûr en populiste, mais il pointe aussi une représentation sociale prégnante dans ce corpus de citoyens. Autrement dit écouter et comprendre n’implique pas une réponse identique pour la souffrance et pour la colère.

Être le président de tous les Français ne se limite pas à dire qu’on s’adresse à eux alors que le concurrent s’adresserait exclusivement à son camp ; Sarkozy est peu crédible comme rassembleur, car il est peu crédible comme candidat du peuple : cela ne doit pas dissuader de mettre en évidence la contradiction évidente entre sa politique constante et son discours actuel. De même la multiplication d’affrontements télévisés, outre la détestable habitude qu’ont les protagonistes de surparler qui rend le spectacle difficilement supportable, revient à discréditer à l’avance l’image de président rassembleur en multipliant les clivages et les oppositions, aussi bien sur des questions de fond que sur des sujets sociétaux, quelquefois secondaires…

Le 6 mai : un jour plus décisif qu’il n’y paraît…

Sarkozy ne cherche qu’à rallier des électeurs, nullement à porter un projet d’unité nationale et de construction de solidarités collectives. D’ailleurs, s’il avait eu un projet pour la France, nul doute qu’il en aurait fait état avant le 22 avril.

Le devoir de François Hollande est donc de répondre à toutes les attentes : celles  qui sont au coeur d’une vie sociale harmonieuse, comme l’emploi, le pouvoir d’achat, l’éducation, la protection sociale. Cela ne peut se faire que par une réhabilitation du politique, combattre la crise avec cette arme-là, en France, en Europe, à l’OMC, etc. Celles qui restaurent les « valeurs » de la République dans les réformes institutionnelles nécessaires : indépendance de la Justice, non-cumul des mandats, limitation de durée dans la fonction élective, non-cumul d’emploi et de mandat législatif, y compris pour la rémunération continuée d’une pension de retraite, respect du partage des fonctions entre exécutif et législatif, transformation de la composition du Conseil constitutionnel, allègement du gouvernement, réhabilitation de la Fonction publique, outil au service de la nation.

Le 6 mai, une page doit être tournée, vraiment.