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Pour une réorientation stratégique de la gauche de gauche

par Évariste
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Les citoyens français ont fourni par leur vote du premier tour des législatives du 10 juin 2012 un nouveau message. Il vient renforcer ceux, toujours valables, donnés lors des deux tours de l’élection présidentielle d’avril-mai 20121.

Participation médiocre et analyse des voix exprimées

Mauvaise nouvelle pour la démocratie mais significatif, le retour à une abstention massive principalement dans les couches populaires ouvriers-employés. Avec près de 43 % toutes classes confondues (contre 35 % en 2002 et 39 % en 2007 au premier tour), on voit qu’une partie du peuple, principalement les couches populaires (53 % de la population), s’est mobilisée contre Nicolas Sarkozy et sa politique pour ensuite s’abstenir aux législatives. Malgré cela, il est probable que le gouvernement PS-EELV obtiendra la majorité absolue et disposera de toutes les manettes pour appliquer la politique de son choix.
Notons aussi que la droite néolibérale UMP compte encore beaucoup de soutiens malgré sa politique désastreuse pour le pays et ses citoyens. L’implantation en conviction du FN se poursuit. Les candidatures « gauche de gauche » hors du Front de gauche et les candidatures communistes anti-Front de gauche (de type Gérin) ont été balayées.
Les saltimbanques de « l’extrémisme de l’extrême centre » nous ont montré a contrario que le centre ne relevait que de la croyance religieuse et que plus que jamais, c’est l’affrontement gauche-droite qui structurera la vie politique française. Les nostalgiques du gaullisme vont sans doute comprendre qu’ils ne peuvent plus avoir d’horizon depuis que les couches sociales qui en faisaient la base sont en extinction (petits commerçants, artisans, bourgeoisie nationale, etc.).
Bien que souhaitant la victoire du gouvernement PS-EELV au soir du 17 juin 2012 pour en finir avec le cycle Sarkozy (pas une voix ne doit manquer au candidat de gauche le mieux placé…), la question politique centrale va devenir très vite de savoir si ce gouvernement sera capable de tenir la barre dans le cyclone de la zone euro qui s’annonce. Car comme le dit Eric Toussaint, « le cyclone poursuit sa route dévastatrice ».
Malgré mille milliards d’euros prêtés pour 3 ans à 1 % par la Banque centrale européenne (BCE) aux banques privées travaillant pour leurs actionnaires pour garantir le calme lors de la présidentielle française, malgré 150 milliards pour l’Irlande et le Portugal, 250 milliards pour la Grèce, voilà les 100 milliards pour l’Espagne(4e puissance économique de la zone euro) et ses banques dans le trou noir du krach immobilier espagnol ; et la question commence à se poser pour la 3e puissance économique de la zone euro, l’Italie. Est-il besoin d’être bac +35 pour comprendre que cela ne pourra pas durer éternellement ? D’autant que tous ces prêts n’ont absolument pas réglé la crise des liquidités pour l’économie réelle. Et la planche à billets ne pourra pas fonctionner ad vitam pour colmater les dégâts dûs aux néolibéraux de gauche et de droite.
Eh oui, il ne suffit pas que la gauche gagne les élections (même si nous souhaitons la victoire de la gauche le 17 juin en France, faut-il le rappeler !), il faut rompre avec les politiques antisociales et austéritaires en Europe, ces politiques antidémocratiques et césaristes, ces politiques d’alliances internationales antilaïques et de soutien aux intégrismes religieux.
Tout va se jouer très vite. Le 17 juin, nous verrons si le peuple grec donne le bonus électoral des 50 députés supplémentaires à Syriza - gauche anti-austéritaire grecque s’opposant au bloc néolibéral formé par la Nouvelle démocratie (droite néolibérale) et le Pasok (gauche néolibérale) - puis ce qui se passera au Sommet européen de la fin juin.

L’arrière-plan de la crise en Europe

Car la triple crise économique, financière et de la dette publique est en développement exponentiel et les rebouteux néolibéraux de droite comme de gauche ne font que courir après elle. Ces derniers organisent en spirale une succession de coups d’Etat contre la démocratie et la souveraineté populaire. Car les termes fédéralisme, démocratie, mutualisation ne sont utilisés par les médias aux ordres du néolibéralisme (les « nouveaux chiens de garde ») que pour masquer la réalité : le nouveau César européen mène la lutte de classe contre les peuples européens. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) voté fin février 2012 grâce à un accord UMP-PS et le Traité pour la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG en cours de ratification et de discussion à la fois) sont les premiers éléments de cette politique césariste européenne. Des propositions encore plus liberticides et austéritaires sont en préparation au prochain sommet de fin juin 2012.
Il est important de dire ici que la nouvelle étape espagnole de la crise n’est en rien due à une dette publique provoquée par un Etat qui dépense trop, mais bien au transfert des dettes privées des banques à but lucratif pour leurs actionnaires vers la dette publique.
Ecoutons Eric Toussaint : « En 2007, au moment où la crise a éclaté aux Etats-Unis et avant que l’Espagne n’y soit entraînée, la dette publique espagnole ne représentait que 36 % du Produit intérieur brut. L’Espagne était l’un des meilleurs élèves de la zone euro avec un taux d’endettement public nettement inférieur au 60 % prescrit par le traité de Maastricht, son solde budgétaire était positif (+1,9 % du PIB alors que Maastricht impose un maximum de 3 % de solde négatif). La dette publique espagnole ne représentait que 18 % de la dette totale du pays. Ce n’est pas du côté de la dette publique qu’il faut chercher, car la crise qui affecte l’Espagne a été directement provoquée par le secteur privé : le secteur immobilier et le secteur du crédit. »
Une seule solution pour protéger l’épargne populaire des actifs toxiques - qui arrivent à échéance au fur et à mesure mais à flots continus - et financer l’économie réelle : il faut, entre autres, exproprier (sans indemnités pour les grands actionnaires mais en indemnisant tous les petits actionnaires) les banques privées à but lucratif pour les actionnaires et les transférer au secteur public sous contrôle citoyen. Et cet impératif va bien plus loin qu’un pôle public financier !
Est-ce que cela sera la position de François Hollande au sommet européen de la fin juin ? Nous le souhaitons mais admettez que nous pouvons nous interroger !

Quelles conséquences, quelles tâches pour la gauche de gauche  ?

Revenons à la France. Les institutions de la Ve république vont araser la représentation légitime du Front de gauche qui a fait plus de 11 % à l’élection présidentielle et qui sera très loin de la soixantaine de députés qui représenterait ce pourcentage. Mais l’autre raison de la faible représentation du Front de gauche dans la prochaine assemblée nationale est la faible intégration tant des centaines de candidats du Front de gauche que des partis constitutifs du Front de gauche dans la proximité populaire. Le ratio votes législatifs / votes des présidentielles est de 62 % pour le Front de gauche (malgré les bastions communistes municipaux et départementaux) contre 77 % pour le Front national (sans bastions municipaux). L’ancrage du Front de gauche est donc insuffisant par rapport à celui du Front national, et on voit que les bastions municipaux du PCF n’ont pas eu l’influence attendue. Voilà qui devrait faire réfléchir ceux qui ont pour seul horizon les municipales de 2014 !…
Il y a deux attitudes face à cette situation : soit arrêter la politique de rupture envers le néolibéralisme et rejoindre EELV, le PRG et le MRC et devenir un nouveau satellite du système PS, soit réorienter la stratégie du Front de gauche. Car c’est bien la stratégie qu’il faut réorienter et non pas la ligne politique sur le fond.
Cette réorientation stratégique appelle à définir l’éducation populaire comme priorité de la période avec comme objectif d’ancrer des centaines de candidats potentiels et des milliers de militants dans les couches populaires (53 % de la population) et les couches moyennes intermédiaires (24 % de la population). La gauche de gauche n’est plus crédible si elle pense qu’elle peut marquer sa différence sur le fond des sujets traités sans également repenser sa stratégie et donc la façon dont elle intervient. La priorité n’est pas de convaincre le gouvernement et ses clubs (Terra Nova ou similaires) d’idées meilleures. Il faut armer politiquement le peuple et donc commencer par s’armer soi-même.
Pour cela, quelques pistes :

  • Il faut répondre sérieusement aux demandes d’adhésion au Front de gauche qui ont pullulé dans la campagne présidentielle autour du candidat du Front de gauche Jean-Luc Mélenchon  et qui ne sont pas satisfaites de la réponse « il suffit d’adhérer à l’une des organisations du Front de gauche ». Et aussi donner à ceux qui ne se retrouvent pas dans les partis existants mais sont actifs dans les fronts de mobilisation ou de refus divers des raisons de croire aux possibilités d’action et de représentation de la militance.
  • Il faut ne plus se satisfaire de la distribution de tracts sur les marchés, de la réunion publique électorale sans suite et des « grands-messes » au coin du feu entre adhérents. C’est donc d’une vraie campagne multiforme d’éducation populaire dans la proximité - tant vers les responsables politiques, militants et adhérents que vers les sympathisants et citoyens éclairés - que nous avons besoin : clarification de la bataille pour l’hégémonie culturelle et pas seulement politique, stages de formation opérationnels y compris sur les formes d’intervention, multiplication des réunions de type “Tupperware” animées par un-e militant-e local-e formé-e, interventions culturelles et politiques sur tous les médias à notre disposition, élargissement vigoureux de l’action militante dans le mouvement social qui restera la base de la résistance au néolibéralisme dans les mois qui viennent, etc.

Nous lançons donc cet appel à nos lecteurs pour débat, et plus !

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Appel aux dons pour Respublica

 

Ami(e)s qui lisez Respublica,

Voici treize ans déjà que ReSPUBLICA alimente les réflexions et les débats de la gauche républicaine, laïque et sociale de façon objectivement indépendante des forces partisanes et a fortiori financières. Voilà pourquoi sans doute son audience n’a cessé de s’élargir auprès des militants.
Si, récemment, nous avons salué la création du Parti de Gauche et nous sommes montrés favorables à la stratégie du Front de Gauche contre le sarko-césarisme, notre objectif principal reste d’éclairer les crises de fin de cycle du capitalisme et de jeter quelques lueurs sur les changements de modèles économiques, politiques, écologiques, sociétaux… qui s’annoncent.

Ce qui nous guide sur ce chemin, ce sont les amorces de République sociale dont le passé nous a donné quelques exemples (sous l’égide de Jaurès, en 1936 et avec le CNR….) et légué plus particulièrement les principes de solidarité et de de laïcité. Mais la référence au passé sera stérile si nous échouons à diagnostiquer les récentes erreurs de parcours de la gauche, à prendre en compte les nouvelles exigences de la mondialisation et du développement écologique et social, bref si nous nous enfermons dans une analyse politicienne et franco-française sans donner place à une vison globale et internationale des luttes ni à l’imagination des lendemains. Comme nous nous plaisons à le dire “le chemin importe davantage que le bout du chemin” ! A cet égard, nous ne cesserons de lier l’objectif d’éducation populaire à l’exigence de formulation des débats de la gauche républicaine, laïque et sociale : c’est la raison d’être du Réseau Education Populaire avec lequel nous coordonnons un certain nombre d’initiatives et partagerons prochainement un agenda commun.

Pour cela, nous avons besoin de vous et d’abord de vos avis : si le site ne comporte pas de forum, nous tentons de répondre à vos commentaires. Nous sollicitons également des textes à publier de votre part.
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Réflexions sur l'euro

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Les ordolibéraux, qui ont pour l’instant tous les pouvoirs dans l’Union européenne et dans les Etats nationaux, organisent actuellement la fuite en avant vers l’abîme, lutte de classe oblige car quand on est au pouvoir, avec des intérêts, on change plus facilement de couleur de costume ou de tailleur que de politique économique. Malheureusement, beaucoup de ceux qui veulent leur résister pratiquent une politique simplificatrice de la prééminence, à savoir qu’une seule idée permet de tout résoudre et de fédérer. Il n’en est rien. Car pour y parvenir, il faut déloger la classe au pouvoir qui n’ y a pas intérêt. Et pour inverser le rapport des classes, dans un contexte de fin de cycle comme aujourd’hui, il convient de globaliser les combats et donc de proposer un modèle global alternatif au modèle actuel ordolibéral et ensuite avoir une pratique qui puisse produire la nouvelle hégémonie culturelle nécessaire. Dire par exemple « il suffit de sortir de l’euro » ou « il suffit de faire la révolution anticapitaliste », etc. est un mot d’ordre idéaliste qui mène dans une impasse totale (ce que le peuple a compris, il suffit de voir les résultats électoraux de la partie de la gauche de gauche qui pratique ce discours) car aujourd’hui, pour sortir de l’euro, il faut inverser le rapport des classes. Dire « il faut sortir de l’euro » sans dire comment on réalise l’alliance des classes pour y parvenir est un enfantillage.

Comme aujourd’hui l’implosion de la zone euro est plus probable que la sortie de l’euro à froid, il vaut mieux se préparer à cette implosion et définir les politiques de temps long et de temps court qui seront nécessaires, tout en disant comment construire l’alliance nécessaire à ces politiques.
Les majorités en place et les alliances de classe en vigueur au moment de la création de l’euro par le traité de Maastricht n’avaient pas intérêt à faire des transferts budgétaires du type de ceux que l’Allemagne a consentis lors de sa réunification. Elles souhaitaient enrichir les plus développés et les plus riches en développant l’euro plus le libre-échange et la concurrence libre et faussée. C’est pourquoi elles ont développé la fuite en avant de l’élargissement pour introduire des pays beaucoup moins développés qu’eux pour effectuer les sous-traitances au sein de la zone euro en lieu et place de la sous-traitance dans les pays moins développés sur d’autres continents. Bien évidemment, c’est l’Allemagne qui a été le vecteur de cet ordolibéralisme, variante du néolibéralisme mondial. Elles ont pris le risque de faire une zone de libre-échange à monnaie unique avec des économies divergentes, sans politique de relance salariale et budgétaire ni transferts budgétaires massifs, tout simplement car cela leur permettait d’augmenter rapidement les plus-values réalisées aux dépends des pays moins développés et des couches populaires des pays les plus développés.

Ainsi, la crise actuelle n’est pas une crise de l’excès de dépense publique. Mais elle n’est pas non plus une crise dont la cause première est celle des dettes publiques. Car cette crise des dettes publiques a différentes causes : les déséquilibres commerciaux entre pays divergeant économiquement augmentés par la monnaie unique elle-même, la privatisation forcenée du crédit et de la création monétaire, les bulles financières, la profitabilité de l’économie réelle dans cette phase du capitalisme. C’est bien pourquoi nous disons que cette crise de la dette est directement liée aux politiques néolibérales mais également au capitalisme lui-même. Et que la seule perspective est bien de conduire une alternative en termes de modèle politique alternatif ; c’est dans ce but que nous proposons de travailler sur celui de la République sociale réactualisé pour le XXIe siècle.

Après le déni de démocratie du traité de Rome lui-même (voir le discours de Pierre Mendès-France du 18 janvier 1957 à l’Assemblée nationale), l’Acte unique européen puis le traité de Maastricht, il restait aux majorités en place et aux alliances de classe qu’elles représentaient à organiser une succession de coups d’Etat contre les peuples pour supprimer la démocratie - qui est une des armes dont les couches populaires et les peuples peuvent se saisir pour engager la lutte-  et faire qu’une instance extérieure aux peuples décide à la place des peuples.
C’est comme cela que l’on peut comprendre la séquence Traité constitutionnel européen, Traité de Lisbonne, MES, TSCG (et ce n’est pas fini) jusqu’à la dictature financière finale.
Il s’agit donc bien de mesurer l’affrontement de classe et non de savoir quelle est la meilleure mesure technique financière pour sortir de la crise.

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L’instrumentalisation du religieux, poison récurrent du Moyen-Orient

par Georges Corm

Source de l'article

 

NDLR - Cela fait quelques années que votre journal ReSPUBLICA met en avant comme l’une des caractéristiques de la phase actuelle du capitalisme - que certains appellent turbocapitalisme -  l’alliance entre les forces néolibérales d’une part et les communautarismes et intégrismes religieux d’autre part.
Cela fait des années que votre journal ReSPUBLICA “ferraille” sur ce point avec la partie de la gauche de gauche qui intériorise petit à petit qu’elle aussi pourrait, comme les néolibéraux, s’allier avec les communautarismes et intégrismes religieux.
Il manquait alors une analyse du temps présent sur la Libye et la Syrie. Voilà qui est fait avec l’article suivant, publié le 8 juin dans L’Humanité.  (Entretien réalisé par Pierre Barbancey)

Quel bilan tirez-vous de ce que l’on appelle les printemps arabes ?

Georges Corm. Il s’est effectivement passé de grands événements depuis un an et demi. Ce que j’ai appelé révolte arabe, plutôt que révolution, s’est déroulé en plusieurs phases. D’abord lorsque toutes les sociétés arabes, au cours de janvier, février et début mars 2011, se retrouvent dans la rue, toutes tranches d’âges et toutes classes sociales confondues, pour contester les pouvoirs en place. Elles dénoncent tout à la fois l’autoritarisme politique et le manque de liberté mais, surtout, les conditions socio-économiques et, notamment, le très fort taux de chômage qui caractérise les économies arabes. Celui-ci atteint les 30 % chez les 15-24 ans. Il y avait donc à la fois une demande de dignité sociale et une demande de libéralisation politique. Ces mouvements, qui se sont pratiquement déroulés d’Oman jusqu’à la Mauritanie, ont inspiré aussi différents mouvements européens contestant le néolibéralisme, les politiques d’austérité, la montée du chômage, la précarité de l’emploi des jeunes… On a eu là un très beau moment où les deux rives de la Méditerranée se sont mises à l’unisson pour contester des pouvoirs en place.

Dans une deuxième étape, malheureusement, va se réaliser ce qu’on peut appeler la contre-réaction. L’acte le plus extraordinaire, même si les médias occidentaux en ont très peu parlé, a été l’entrée des troupes saoudiennes à Bahreïn, pour mettre au pas les manifestants qui campaient sur la principale place de la capitale, Manama. Il y a un second dérapage qui a lieu au Yémen (où il faut saluer le rôle capital des femmes dans les manifestations), avec un président, Ali Abdallah Saleh, manifestement soutenu par l’Arabie saoudite. Par la suite, la situation va dégénérer à la fois en Libye et en Syrie. En Libye, il y a l’intervention de l’Otan, avec des bombardements massifs dont on peut se demander s’ils étaient vraiment nécessaires pour chasser le dictateur libyen.

Que se passe-t-il exactement en Syrie ?

Georges Corm. En Syrie, la bataille se déroule sur trois niveaux. Il y a des questions purement locales avec, là aussi, une détérioration des conditions socio-économiques, notamment dans les campagnes. Mais le pouvoir s’est mis dans une posture de déni de ce qui se passe chez lui. La question va ensuite devenir régionale avec des interventions extrêmement brutales de la part du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite. Des pays qui entendent donner des leçons de démocratie au régime syrien ! Enfin, le niveau international où brusquement la Chine et la Russie se révoltent contre l’instrumentalisation du Conseil de sécurité de l’ONU par les États-Unis et leurs alliés. À ce moment-là, la bataille pour la Syrie devient emblématique d’une volonté de briser l’unilatéralisme américain, européen et des pays de l’Otan dans la gestion de la planète. Donc, la situation syrienne devient extrêmement compliquée.

Où se trouve la solution ?

Georges Corm. Aujourd’hui, il n’y a pas de solution au problème syrien ! Vous avez une guerre médiatique, une guerre des images qui est presque sans précédent dans l’histoire des médias où l’on n’a que la thèse du Qatar, de l’Arabie saoudite, des États-Unis, de la France et des autres pays européens. Ce que peut dire le régime politique n’est pas entendu du tout. Bien sûr, même si l’on n’a pas de sympathie pour le régime syrien, ce que je comprends parfaitement, il faut quand même, dans une situation qui est déjà une guerre civile ouverte, écouter ce que disent toutes les parties et pas une seule, si on veut aller vers l’apaisement. J’ai dit déjà qu’il fallait distinguer les plans local, régional et international concernant le problème syrien. Au niveau local, vous avez deux types d’oppositions qui sont très différentes l’une de l’autre et qui s’écartent de plus en plus. Vous avez l’opposition dite de l’intérieur, qui est constituée de très nombreux militants de la première heure opposés au régime, qui ont pu faire parfois plus de dix ans, quinze ans ou vingt ans de prison, tel l’ancien dirigeant communiste Riad Al Turk qui a passé dix-huit ans en isolement. Cette opposition intérieure ne se laisse pas prendre dans les filets des diplomaties occidentales, comme le fait l’opposition de l’extérieur. Le régime a fait des ouvertures, timides, insuffisantes, mais il en a fait. Il a même organisé une séance de dialogue national qui, malheureusement, est restée sans lendemain. Puis, à l’automne dernier, il a permis à l’opposition de se réunir dans les faubourgs de Damas sans que personne ne soit emprisonné.

L’opposition externe est composée de réfugiés politiques ou tout simplement de Syriens établis à l’étranger qui ne se sont pas – pour certains – directement frottés à la rugosité du régime puisqu’ils étaient dehors, et qui se sont tout de suite laissé prendre dans les filets, notamment de la diplomatie turque puis de la diplomatie française, puisque deux figures majeures de cette opposition de l’extérieure sont Burhan Ghalioun, universitaire bien connu en France, et Basma Kodmani, qui a été chercheur à l’Ifri pendant de longues années. Et vous avez des Frères musulmans et des personnalités très hétéroclites, dont souvent on entend parler pour la première fois, qui n’ont pas vraiment de passé politique. Vous avez un Observatoire des droits de l’homme qui s’est mis en place à Londres et qui n’est pas directement sur le terrain. Vous avez cette impression de désordre extraordinaire. On a bien vu aussi de quelle manière ils étaient instrumentalisés avec la constitution d’un groupe dit des « amis de la Syrie », qui s’est réuni en Tunisie d’abord puis en Turquie, maintenant aux États-Unis et bientôt en France. Le Conseil national syrien (CNS), qu’a créé cette opposition à l’étranger, est paralysé aussi par les querelles internes. Par ailleurs, il semble n’avoir aucune influence sur ce qu’on appelle l’Armée syrienne libre (ASL) qui reçoit massivement des armes et une bonne partie d’entre elles à partir du Liban.

Le deuxième volet est évidemment le volet régional. Il n’est un secret pour personne que la diplomatie de l’Otan a un objectif majeur et massif, dissuader l’Iran d’enrichir de l’uranium, couper les liens de la Syrie avec l’Iran et du Hezbollah avec l’Iran. Et, évidemment, assurer la sécurité d’Israël puisque le Hezbollah, par deux fois, a réalisé des exploits militaires contre l’armée israélienne, l’obligeant à se retirer du sud du Liban après vingt-deux ans d’occupation, en 2000, et l’empêchant de revenir réoccuper cette même zone en 2006. Le Hezbollah est d’une certaine façon une puissance militaire considérée comme extrêmement dangereuse pour l’État d’Israël. Donc, l’objectif de la bataille pour la Syrie au niveau régional est évidemment, en cas de changement de régime, de couper l’approvisionnement en armes du Hezbollah à partir de l’Iran, de séparer la Syrie de l’Iran, et donc d’affaiblir considérablement l’Iran en attendant qu’on puisse opérer un changement de régime à Téhéran.

L’aspect international maintenant. La Russie et la Chine estiment que le Moyen-Orient est un carrefour géographique et stratégique trop important – il représente le plus grand réservoir d’énergie du monde – pour qu’ils le laissent à une gestion exclusive des États-Unis et des membres de l’Otan. Ils ont donc décidé de miser le tout pour le tout pour saper l’unilatéralisme américain et européen au Moyen-Orient. En tout cas, ils ne veulent pas les laisser mettre la main sur l’ensemble de la région parce qu’on sait très bien, ici, que les mouvances de type Frères musulmans et fondamentalistes ont donné plus d’un signal aux gouvernements occidentaux sur le fait qu’ils n’étaient pas hostiles à l’Occident. Ils ne parlent pratiquement pas de la question palestinienne, de la souffrance des Palestiniens. Ils sont très souvent néolibéraux en matière de doctrine économique. Vous avez donc cette alliance qui est en train de se cimenter très fortement : Arabie saoudite-Qatar, États-Unis-Europe et forces islamiques diverses sur le terrain dans les pays qui ont connu des révolutions. Voilà où nous en sommes.

La crise syrienne va-t-elle affecter durablement le Liban ?

Georges Corm. Il était clair qu’il serait affecté, notamment à partir du moment où la Turquie ayant largement fait marche arrière par rapport aux positions d’avant-garde qu’elle avait prises sur la question syrienne, on s’est tourné vers le Liban. Pays où les mouvements dits djihadistes ou takfiristes sont en train de prospérer, toujours avec des aides en provenance d’Arabie saoudite et du Qatar, et qui a une frontière commune avec la Syrie, notamment au nord du Liban, qui est à moins de 30 kilomètres de la ville de Homs. On savait, depuis des mois déjà, que des combattants en armes partaient vers les éléments armés syriens anti-régime. Ce qui explique que la bataille de Homs ait été aussi longue. Il est clair que le nord du Liban sert de couloir pour ravitailler en armes les insurgés syriens.

Quel est le rôle du Qatar et de l’Arabie saoudite ?

Georges Corm. Dans le cadre de la contre-réaction, on a une constellation qui est très claire : les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), à la tête desquels se trouvent la très puissante Arabie saoudite et le très dynamique Qatar qui, brusquement, est partout. Cette coalition est composée de ces États qui financent très généreusement, depuis des décennies, toutes les mouvances de type fondamentaliste (salafistes, Frères musulmans…), qui vont les pousser à l’occasion des élections, en Tunisie puis en Égypte. Finalement, on assiste au rapt de ces deux révolutions. C’est d’ailleurs au moment de cette opération de contre-révolution que le Conseil de coopération du Golfe invite les deux autres monarchies arabes, la jordanienne et la marocaine, à devenir membres du CCG. C’est ainsi que, finalement, s’organise toute cette contre-réaction qui rassemble Arabie saoudite, Qatar, Frères musulmans, États-Unis et Europe, là pour confisquer les révolutions. On a d’ailleurs vu, au mois de mai 2011, le sommet du G8, qui s’est tenu à Deauville, consacrer une grande partie de ses délibérations à soi-disant appuyer les révoltes arabes. Ce sommet est passé assez inaperçu alors que tout le monde aurait dû lire attentivement le document du Fonds monétaire international (FMI) qui y a été soumis et approuvé. Il prévoit 30 milliards de dollars d’aide aux deux révolutions, égyptienne et tunisienne, lesquelles aides sont conditionnées, comme d’habitude, par encore plus de réformes de type néolibéral, c’est-à-dire les réformes mêmes qui ont fini par mettre les Égyptiens et les Tunisiens dans la rue !

Peut-on dire que la stratégie des États-Unis est une stratégie pragmatique, prête à composer avec qui prendra le pouvoir pour autant que leurs affaires continuent ?

Georges Corm. La stratégie américaine est toujours dans le sillage de la politique néoconservatrice de George W. Bush. C’est un remodelage du Moyen-Orient qui convient et tranquillise les États-Unis et sécurise définitivement l’État d’Israël sans que ce dernier n’ait à faire des concessions douloureuses. Quiconque aurait écouté attentivement le discours de Barack Obama au Caire, en juin 2009, aurait compris que, en dépit de la citation de quelques versets du Coran et de quelques paroles aimables sur la souffrance des Palestiniens et sur la protection des minorités, il continuait sur la même ligne que son prédécesseur, à part sur l’Irak où il a accéléré le retrait pour mieux se concentrer sur l’Afghanistan. Le rêve d’un Moyen-Orient totalement soumis aux intérêts géostratégiques et économiques de l’Occident politique, qui est incarné par l’Otan, est toujours là. La politique des États-Unis est une politique visant à créer le maximum de dissensions entre sunnites et chiites à l’échelle régionale. Nous en souffrons au Liban, en Syrie, à Bahreïn, partout où vous avez des groupes musulmans qui ne sont pas sunnites mais qui peuvent être alaouites, chiites de différentes obédiences. Au Moyen-Orient, malheureusement, l’instrumentalisation du religieux est installée depuis bien longtemps.

Politique française
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La cosmétique diversité

 

Le quotidien Libération, phare de la pensée bourgeoise de gauche, vient de frapper fort, et dur. Dans son édition du 31/05, le journal se fend en effet d’un dossier sur la parité et la diversité du gouvernement et des cabinets ministériels. En bref : pas assez de femmes, mais surtout pas assez de membres « issus de la diversité ».

Les délires multiculturalistes

Passons l’épineux problème de la parité, qui fait débat même entre républicains intransigeants (Mélenchon est pour, Badinter est contre), pour en venir à cette fine analyse du quotidien bobo. Pratiquant ainsi la statistique ethnique, Libé tenta de comptabiliser tant bien que mal la quantité de diversité, dans la digne lignée des associations multiculturalistes (Indivisibles, Indigènes de la République, Terra Nova, etc.). A défaut de pouvoir mesurer les crânes, les auteurs sont donc allés calculer de manière assez hallucinante le nombre de prénoms « non-francophones ». Conclusion choc : mon Dieu! Il n’y pas assez de « membres issus de la diversité ». Et il ne suffit pas d’aller observer le gouvernement pour Libé, non, il faut aussi aller jeter un coup d’oeil sur les membres des cabinets, ces gens qu’on ne voit jamais nulle part. Désormais, ce qui compte avant tout c’est le patronyme et la couleur de peau, même chez les hommes de l’ombre. Exit les compétences, exit la classe sociale!

Toute cette mascarade pose néanmoins de sérieux problèmes de principes. S’il est évident que c’est a priori un bien non négligeable qu’apparaissent petit à petit des visages nouveaux, reflétant la diversité des origines ethniques du peuple, faut-il pour autant en faire un si gros sujet de préoccupation jusqu’à en faire l’objet de « rigoureuses » analyses statistiques et de trois grosses pages? Cette logique n’a en effet aucun sens en République, car en République le citoyen, excusez la tautologie, est citoyen, ni plus, ni moins. Il n’est ni Blanc, ni Noir, ni juif, ni chrétien, car dans l’espace public de la politique nul n’est défini par ses particularismes.

Que dirait-on par ailleurs si l’on inversait la formule et affirmait qu’il y a « trop de Blancs »? Cet exemple montre ô combien un tel procédé se révèle in fine indigne. Comment réagirait-on en outre si à l’inverse l’on allait dénoncer le manque de Blancs dans certains secteurs de la société? Ah pardon, ça on le sait déjà de manière empirique depuis l’affaire de l’équipe de foot française : les mêmes qui encensent « la diversité représentative », dans cette cohérence notoire qui caractérise si bien la gauche libérale, prennent au contraire des postures de vierges effarouchées - « comment peut-on se demander cela? » - sans pour autant se soucier des conséquences de leur mode de pensée. Car c’est bien à cela qu’aboutit la logique du gâteaux avec ses ingrédients – un peu de Noir par-ci, un peu de Jaune par-là, à croire que nous parlons de légumes –, les quotas demandés à certains endroits sont voués à être demandés à d’autres.

La diversité comme refuge et subterfuge

Cette terrible logique fait partie de ces fléaux hérités de ces folles années 80/90 (« la diversité ne préoccupe que depuis les années 90 » dira Alain Garrigou dans l’entretien accordé pour le dossier), quand la gauche, convaincue désormais de son incapacité à modifier l’ordre socio-économique établi (tournant de la rigueur oblige), se mit soudainement à penser sociétal plutôt que social, et race plutôt que classe. Pour citer Julien Landfried, auteur d’un excellent livre sur le communautarisme, « Le grand impensé de cette réponse positive à la demande de visibilité des minorités, c’est qu’elle cache avant tout une préférence pour le communautaire face au social, et participe donc à la mutation idéologique qui a caractérisé les entreprises de médias et le milieu journalistique depuis les années 1970 dans les pays développés. »1.

En effet, la logique de la diversité sert aujourd’hui bien souvent de refuge et de subterfuge d’une gauche acquise au système capitaliste libéral. Comme l’a très bien montré dans son livre Walter Benn Michaels2, la diversité est devenue par la force des choses l’adversaire de l’égalité : ne réfléchissons plus en terme de classes, cette notion désormais archaïque, pensons plutôt race, cette notion cosmétique, et donnons aux « minorités visibles » quelques arbres pour cacher leur forêt, en ayant la bonne conscience de l’antiracisme « pour faire bien de gauche » pendant qu’à côté la misère sociale, fruit des politiques libérales, perdure aussi bien chez les gens qui en sont issus que chez les autochtones de longue date. Après tout, n’entend-on pas généralement l’intégration dans le système capitaliste donnée en exemple de preuve de l’intégration? « Regardez, lui au moins a réussi sa vie, il est intégré, il est devenu un riche patron d’entreprise/trader/…! ».

En outre, il n’est venu à l’idée de personne chez nos brillants plumitifs de Libé de compter le nombre d’ouvriers, de paysans ou d’employés au sein du parlement ou du gouvernement. Nooon, assurément l’idée même de questionner la classe sociale des dirigeants ne peut que susciter risées et persiflages, voire un indémodable rappel à l’ordre anti-populiste. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les références au think tank Terra Nova jalonnent ce dossier : c’est lui-même qui, déjà en 2011, avait émis un appel, non pas en faveur d’une « France métissée » mais bien à un recours aux minorités comme substitut à la crasse populaire. Oui, désormais chez les libéraux de gauche, vous êtes sûrs d’avoir au moins le libre choix de la couleur de vos maîtres, et l’on ira constater les prénoms ou les faciès pour choisir les dirigeants afin de satisfaire les bien pensants et les lobbys communautaires. La diversité, c’est bien, mais au sein de la bourgeoisie S.V.P.

Ceci conduira Benn Michaels à se poser la question : « Mais, au fond, notre engouement pour les questions ethnico-culturelles ne camoufle-t-il pas notre indifférence aux questions de classes? Nous aimons à penser que les différences qui nous divisent n’opposent pas ceux qui ont de l’argent à ceux qui n’en ont pas, mais les Noirs (ou les Asiatiques, ou les Latino-Américains, et ainsi de suite) et les Blancs. Un monde dans lequel certains d’entre nous n’ont pas assez d’argent est un monde où les différences nous posent un problème : celui de devoir remédier aux inégalités, ou les justifier. Un monde où certains d’entre nous sont noirs, d’autres blancs – ou métis, ou amérindiens, ou transgenres – est un monde où les différences nous donnent une solution : celle d’apprécier notre diversité. »3

Cette machine est enfin un profond moteur de dépolitisation. Car qu’a-t-on à fiche des idées politiques à partir du moment où le facteur primordial devient l’inné, à savoir l’ethnie? Même le généralement pertinent président de SOS Racisme (association qui après avoir vanté le multiculturalisme tout au long des années 80 et 90 a subi un changement en faveur d’un antiracisme républicain), Dominique Sopo, en vient à parler de « différents points de vue » pour désigner non pas les points de vue politiques (en matière d’économie par exemple), mais bien la couleur de peau. Lapsus révélateur ou non, le fait d’amalgamer un point de vue à une origine ethnique n’est pas sans rappeler quelques errements du passé, jusqu’à prendre des consonances maurassiennes dans l’édito de Vincent Giret, où celui-ci ne se gêne pas pour parler de « scandaleuse « exception française » dont ce pays ne parvient pas à s’extirper : une incapacité aussi crasse que chronique à accorder ses élites au pays réel. » Un tel fonctionnement de pensée en vient alors à aveugler les commentateurs politiques au fait véritablement marquant, et véritablement politique pour le coup, qui est l’omniprésence remarquée par Tefy Andriamanana4 de membres ou de proches du think tank Terra Nova - dont l’attachement au libéralisme tant économique que culturel n’est plus à démontrer – au sein des cabinets ministériels.

Le masque d’une réalité

Pendant que Libé s’amuse à compter les têtes blondes, le véritable « pays réel », lui, continue à subir l’acharnement libéral qui n’a pas de couleur tant dans ses causes que ses effets. Le peuple, grand absent des lieux de décision (parlements, gouvernement, etc.) et des médias5, et qui se désintéresse de plus en plus de la chose publique, se voit proposé en guise de solutions une attention plus poussée au caractère bariolé de ses prétendus représentants. Pourtant, si le « pays réel » ne trouve aucune représentation dans ses élites, ce n’est peut-être pas parce qu’elles sont insuffisamment bigarrées, mais bien parce qu’elles se foutent éperdument des opinions du premier. Cette « révolte des élites » (Lasch), celle qui les poussa à se liguer en masse en 2005 contre le non au TCE, et à voter en masse pour le traité de Lisbonne en 2008, est bien plus préoccupante que les éternels débats sur la couleur de leur peau ou de leurs chaussettes. Mais ce n’est pas demain la veille que l’on verra Libération consacrer 3 pages à ce problème de représentativité là…

  1. Julien Landfried, « Contre le communautarisme », éditions Armand Collin, p.125 []
  2. Walter Benn Michaels, « La diversité contre l’égalité », éditions Raisons d’Agir []
  3. Ibid, p.28 []
  4. ]
  5. ]
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L’immigration en France : de la rhétorique xénophobe à la réalité des chiffres

par Salim Lamrani
Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

 
En France, l’instrumentalisation de la question migratoire a historiquement été le fait de l’extrême droite. Désormais, la digue républicaine a été rompue par la droite traditionnelle qui n’hésite plus à reprendre cette thématique et à stigmatiser les immigrés. Face à ce discours de conviction ou de circonstance destiné à désigner un bouc émissaire à la crise économique et sociale qui ravage l’Europe, il est intéressant de confronter la rhétorique à la réalité des chiffres.
En France, en pleine campagne électorale pour les législatives du 10 et 17 juin 2012, la droite et l’extrême droite ont axé leur discours sur le thème de l’immigration et la peur de l’étranger. Marine le Pen, présidente du Front National (FN - extrême droite) et l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP - droite) sont unanimes à ce sujet : le principal problème de la France serait l’immigré, responsable des difficultés économiques et sociales du pays, à savoir le déficit public et le chômage.
De façon classique, Marine le Pen accuse l’immigration, officiellement évaluée à 200 000 entrées par an, d’être responsable de tous les maux : « L’immigration représente un coût important pour la communauté nationale[1] ». Elle s’est donc engagée à la réduire de 95%, c’est-à-dire à la limiter à 10 000 entrées par an[2].
Lors de la campagne présidentielle, le candidat de l’UMP, Nicolas Sarkozy, dont le conseiller privilégié Patrick Buisson est un transfuge de l’extrême droite, n’avait pas hésité à reprendre le discours de l’extrême droite et à dénoncer l’invasion migratoire en provenance d’Afrique : « Si les frontières extérieures de l’Europe ne sont pas protégées contre une immigration incontrôlée, contre les concurrences déloyales, contre les dumpings, il n’y aura pas de nouveau modèle français et il n’y aura plus de civilisation européenne. Si nous avons fait l’Europe, c’est pour être protégés, pas pour laisser détruire notre identité et notre civilisation[3] ».
Pour l’UMP, les problèmes de la France s’expliqueraient par la présence trop nombreuse de la population étrangère en France. Le président-candidat Sarkozy avait insisté à ce sujet : « Nous subissons les conséquences de cinquante années d’immigration[4] ». Selon l’UMP, qui s’est engagé à diminuer par deux le chiffre de l’immigration légale[5], « il y a trop d’immigrés en France[6] ».
Les chiffres de l’immigration
Ainsi, selon les thuriféraires de « l’identité nationale », le chômage et les déficits publics seraient dus au nombre trop élevé d’immigrés en France. Il convient à présent d’analyser les chiffres de l’immigration légale afin d’évaluer la validité de cette assertion.
Tout d’abord, contrairement à ce qu’affirme Marine le Pen, la France n’est pas la première destination des immigrants en Europe mais la cinquième, derrière le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne[7].
Par ailleurs, l’immigration européenne, le regroupement familial et les étudiants étrangers représentent 80% de l’immigration totale en France. Il est ainsi impossible pour l’Etat français d’agir sur les deux premiers groupes sans contrevenir aux conventions internationales et notamment à la Convention européenne des droits de l’homme pour ce qui est du regroupement familial. La seule marge de manœuvre possible concerne le nombre d’étudiants. Or il est difficile d’imaginer la nation française fermer ses portes à cette catégorie et à se priver ainsi de ce qui fait son rayonnement international, à savoir l’attractivité de ses universités. En effet, 41% des doctorants en France sont des étudiants étrangers[8].
Selon les chiffres de l’Office français pour l’immigration et l’intégration, parmi les 203 017 étrangers (hors Union européenne) accueillis en 2010, se trouvaient 84 126 personnes concernées par le regroupement familial (41,4%), 65 842 étudiants (32,4%) et 31 152 immigrés économiques (26,2%). On découvre ainsi que l’immigration économique n’arrive qu’en troisième position[9].
 En réalité, l’immigration est une nécessité économique pour la France. En effet, les allégations concernant l’impact négatif des flux migratoires sur l’économie française (chômage et déficit) sont contredites par la réalité des statistiques. Une étude du Ministère des Affaires sociales portant sur le coût de l’immigration sur l’économie nationale révèle que les immigrés, loin de plomber le budget des prestations sociales, rapportent chaque année aux finances publiques la somme de 12,4 milliards d’euros, contribuant ainsi à l’équilibre du budget national et au paiement des retraites. Ainsi, ces derniers reçoivent de l’Etat 47,9 milliards d’euros (retraites, aides au logement, RMI, allocations chômage, allocations familiales, prestations de santé, éducation) et versent 60,3 milliards (cotisations sociales, impôts et taxes à la consommation, impôts sur le revenus, impôts sur le patrimoine, impôts locaux, contribution au remboursement de la dette sociale – CRDS et contribution sociale généralisée – CSG). Ce solde amplement positif détruit l’argumentaire du FN et de l’UMP au sujet de l’immigration[10].
Les professeurs Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, auteurs de l’étude, se montrent même favorables à une « politique migratoire plus ambitieuse » laquelle « contribuerait à une réduction du fardeau fiscal du vieillissement démographique » :
L’immigration a bien des effets sur les finances de la protection sociale en France. Ceux-ci sont globalement positifs. […] L’immigration, telle qu’elle est projetée dans les prévisions officielles, réduit le fardeau fiscal du vieillissement démographique. En son absence, le besoin de financement de la protection sociale à l’horizon du siècle augmente de 2 points de PIB, passant de 3% à environ 5% du PIB[11].
En outre, selon cette étude, il convient d’ajouter à ce solde positif net de 12 milliards d’euros par an d’autres revenus non monétaires d’une grande importance économique et sociale. Ainsi, les 5,3 millions de résidents étrangers établis en France (11% de la population) occupent dans leur immense majorité des emplois dont les Français ne veulent pas. Par ailleurs, 90% des autoroutes ont été construites et sont entretenues avec de la main-d’œuvre étrangère. Enfin, les prix à la consommation pour les produits agricoles, par exemple, seraient bien plus élevés sans les immigrés, ces derniers recevant souvent un salaire inférieur à celui des citoyens français[12].
De la même manière, dans le domaine de la santé, plus de la moitié des médecins hospitaliers présents dans les banlieues françaises sont d’origine étrangère. Il en est de même dans d’autres secteurs. Ainsi, 42% du personnel des entreprises de nettoyage est issu de l’immigration et 60% des ateliers de mécanique automobile de la région parisienne appartiennent à des entrepreneurs étrangers[13].
Le Comité d’orientation des retraites note, au contraire, que « l’entrée de 50 000 nouveaux immigrés par an permettrait de réduire de 0,5 point de PIB le déficit des retraites[14] ». L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui regroupe les 34 pays les plus développés, estime de son côté que les immigrés jouent un « rôle décisif dans la croissance économique à long terme[15] ».
Ainsi, la rhétorique xénophobe visant à stigmatiser les populations issues de la diversité ethnique de la planète ne résiste pas un seul instant à l’analyse scientifique. L’immigration, loin d’être un fléau pour la société française, est au contraire une nécessité économique vitale.
Le Front de Gauche contre le Front National
Le Front de Gauche (FDG), qui est devenu en l’espace de trois ans la quatrième force politique du pays, dénonce ouvertement la stigmatisation des populations immigrées et affronte le FN et l’UMP sur ce terrain. Jean-Luc Mélenchon, porte-parole du FDG, a condamné les positions de la droite et de l’extrême droite : « Le problème de la France, ce n’est pas l’immigré, c’est le financier. Ce n’est pas l’immigré qui ferme l’usine. Ce n’est pas l’immigré qui condamne les autres à la pauvreté. C’est le capital financier et ses chiens de garde du Front national[16] ».
Dans son rapport annuel, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, organe du Conseil de l’Europe, a dénoncé la banalisation du discours hostile aux immigrés de la part des hommes politiques. « La réduction des prestations sociales, la diminution des offres d’emploi et l’augmentation conséquente de l’intolérance à l’égard des groupes d’immigrés et des minorités historiques » constituent des « tendances inquiétantes[17] ».
Au lieu d’aborder les questions fondamentales du partage des richesses et de la réduction des inégalités économiques et sociales, l’extrême droite française – désormais rejointe par la droite – préfère surfer sur la haine de l’étranger. En se basant sur des convictions racistes, elles stigmatisent ainsi une population, nommément celle originaire d’Afrique du nord et d’Afrique subsaharienne, et la rendent – à tort – responsable des ravages engendrés par l’application dogmatique de la doctrine ultralibérale.


Article original en portugais : http://operamundi.uol.com.br/conteudo/opiniao/22276/imigracao+na+franca+da+retorica+xenofoba+a+realidade+dos+numeros+.shtml

Notes

[1] Front national, « Immigration : stopper l’immigration, renforcer l’identité française ». http://www.frontnational.com/le-projet-de-marine-le-pen/autorite-de-letat/immigration/  (site consulté le 1er juin 2012).
[2] Samuel Laurent, « Sarkozy-Le Pen : ce que rapproche leurs programmes, ce qui les sépare », Le Monde, 26 avril 2012.
[3] Nicolas Sarkozy, « Discours de Nicolas Sarkozy, Place de la Concorde », 15 avril 2012. http://www.lafranceforte.fr/medias/presse/discours-de-nicolas-sarkozy-place-de-la-concorde-dimanche-15-avril-2012  (site consulté le 2 juin 2012).
[4] Nicolas Sarkozy, « Discours de Grenoble », 30 juillet 2010. http://videos.tf1.fr/infos/2010/le-discours-de-nicolas-sarkozy-a-grenoble-dans-son-integralite-5953237.html  (site consulté le 2 juin 2012)
[5] Le Point, « Sarkozy répète qu’il y a ‘trop’ d’immigrés en France », 1er mai 2012.
[6] Le Monde, « ‘Il y a trop d’immigrés en France’, a déclaré Sarkozy sur RMC/BFMTV », 1er mai 2012.
[7] Cédric Mathiot, « Non, la France n’est pas le pays d’Europe qui accueille le plus d’immigration », Libération, 28 mars 2012.
[8] Le Monde, « Les étudiants étrangers constituent 41% des doctorants en France », 31 mai 2012.
[9] Office Français de l’immigration et de l’Intégration, « Rapport d’activité 2010 », juin 2011, p. 50. http://www.ofii.fr/IMG/pdf/OFII-RapportActivites_2010-Client-150DPI-FeuilleAF.pdf  (site consulté le 2 juin 2012).
[10] Juan Pedro Quiñonero, « Les très bons comptes de l’immigration », Courrier International, 2 décembre 2010. http://www.courrierinternational.com/article/2010/12/02/les-tres-bons-comptes-de-l-immigration  (site consulté le 26 avril 2012).
[11] Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, « Immigration, vieillissement démographique et financement de la protection sociale : une évaluation par l’équilibre général calculable appliqué à la France », Centre d’études prospectives et d’informations internationales, mai 2011, n° 2011-13, p. 41. http://www.cepii.fr/francgraph/doctravail/pdf/2011/dt2011-13.pdf  (site consulté le 2 juin 2012)
[12] Juan Pedro Quiñonero, « Les très bons comptes de l’immigration », op. cit
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Organisation de coopération et de développement économique, « Perspectives des migrations internationales », 2010. http://www.oecd.org/document/42/0,3746,fr_2649_201185_45626986_1_1_1_1,00.html  (site consulté le 2 juin 2012).
[16] Jean-Luc Mélenchon, « Discours de Strasbourg », 22 mai 2012. http://www.dailymotion.com/video/xr0h1l_j-l-melenchon-discours-de-strasbourg_news  (site consulté le 2 juin 2012).
[17] Le Monde, « Le Conseil de l’Europe s’alarme de la montée des discours xénophobes », 3 mai 2012.

 

A lire, à voir ou à écouter
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Aller voir Gramsci dans le texte !

par Monique Vézinet

 

Antonio GRAMSCI, Guerre de mouvement et guerre de position, Textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, La fabrique éditions, 344 pages, 17 €, février 2012.
Les premières traductions en français de Gramsci datent des années 1950, suivies d’anthologies aujourd’hui épuisées et des Cahiers de prison en 5 volumes. C’est dire que l’accès direct aux textes est peu répandu parmi les militants qui pourtant savent l’importance de ce théoricien. Un ouvrage accessible, composé d’extraits des Cahiers, est non seulement un pari éditorial à saluer mais surtout l’occasion d’inviter le plus grand nombre à « aller voir »…
Les références à l’hégémonie, aux intellectuels organiques, à la forme-parti, au césarisme, au bloc historique…. parsèment les discours, à commencer par ceux de votre journal ! Il est temps, pour ceux qui en éprouvent le besoin mais pourraient se sentir « intimidés » ou se contenter de lire Alain Badiou, de se plonger dans ces textes. Il restera quelques difficultés pour le lecteur français, dues au fait que les références immédiates de Gramsci sont mal connues, qu’il s’agisse de la pensée de Croce, en particulier, ou de l’histoire de la péninsule italienne depuis Rome. Il faudra compter avec l’aide de la présentation et des notes de R. Keucheyan (maître de conférences à Paris IV) et d’un index thématique indispensable pour faire le lien entre des notions reprises d’un cahier à l’autre à des stades différents (on se souvient que Gramsci a fait sortir les feuilles de sa geôle au coup par coup, de 1928 à sa mort en 1937).
En revanche, les prolongements de ces textes sont innombrables pour stimuler notre analyse de la situation présente. Pour l’illustrer, je me bornerai à faire trois citations correspondant à trois moments des « Cahiers ».

Sur les crises du capitalisme dans un contexte de division internationale du travail, après avoir considéré que le développement du capitalisme constitue une « crise continuelle » ponctuée d’événements traduisant des déséquilibres plus ou moins graves, il écrit avec prescience : « Mais le problème fondamental est celui de la production ; et, dans la production, le déséquilibre entre industries en expansion (dans lesquelles le capital constant est allé en augmentant) et industries stationnaires (où la main-d’œuvre immédiate a beaucoup d’importance). Une stratification entre industries en expansion et industries stationnaires se produisant aussi au niveau international, on comprend que les pays où les industries en expansion surabondent aient davantage ressenti la crise, etc. De là, diverses illusions dues au fait qu’on ne comprend pas que le monde est, qu’on le veuille ou non, une unité, et que tous les pays, vivant sur un certain type de structure, passeront par certaines ”crises”. » (p. 251)

Sur les rapports de la théorie et de la pratique : « Si se pose le problème d’identifier théorie et pratique, il se pose en ce sens : construire, sur une pratique déterminée, une théorie qui, coïncidant et s’identifiant avec les éléments décisifs de la pratique elle-même, accélère le processus historique en acte, en rendant la pratique plus homogène, plus cohérente, plus efficace dans tous ses éléments, c’est-à dire en la renforçant au maximum ; ou bien, étant donné une certaine position théorique, organiser l’élément pratique indispensable à sa mise en œuvre? L’identification de la théorie et de la pratique est un acte critique, par lequel on démontre que la pratique est rationnelle et nécessaire ou la théorie réaliste et rationnelle. Voilà pourquoi le problème de l’identité et de la pratique se pose surtout dans certaines périodes historiques, dites de transition, c’est-à-dire au mouvement de transformation plus rapide […] » (p. 258)

Sur la « nouvelle culture » que peuvent diffuser les intellectuels, c’est-à-dire précisément sur le rôle d’éducation populaire tel que nous l’entendons ici : « Créer une nouvelle culture ne signifie pas seulement faire individuellement des découvertes ”originales”, cela signifie aussi, et spécialement, répandre de façon critique les découvertes déjà faites, les ”socialiser” pour ainsi dire, et par conséquent faire qu’elles deviennent autant de bases pour des actions vitales, en faire un élément de coordination et d’ordre intellectuel et moral.. Qu’une masse d’hommes soit conduite à penser de façon cohérente et sur un mode unitaire le réel présent, c’est un fait ”philosophique” bien plus important et ”original” que ne peut l’être la trouvaille, de la part d’un ”génie” philosophique, d’une vérité nouvelle et qui reste le patrimoine des petits groupes intellectuels. » (p. 102)

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Le néoliberalisme propose un avenir de chômage

par Zohra Ramdane

 

Le taux de chômage dans la zone euro a atteint en avril le niveau record de 11 % de la population active.17,40 millions de personnes étaient au chômage en avril soit 110.000 de plus que le mois précédent. Et, la réalité est bien pire que ne l’indique ce chiffre. Tout simplement parce que les dirigeants néolibéraux éradiquent certains chômeurs des statistiques. Prenons l’exemple français. Ce qu’on appelle le chiffre du chômage est en fait le chiffre de la catégorie A qui élimine des statistiques médiatiques, les temps partiels, les précaires,les seniors, le chômage des départements d’outre-mer (qui font pourtant partie intégrante de la France) et ceux qui n’ont pas suivi les règles bureaucratiques de Pôle emploi. Par exemple, pour la France métropolitaine sans les seniors, si on n’en reste pas aux chômeurs de catégorie A , et si on regroupe les catégories A,B,C,D,E, nous arrivons à plus de 4,9 millions de chômeurs au lieu de près de 2,9 millions de la catégorie A. Si on rajoute les seniors et les DOM, nous sommes à près de 6 millions de chômeurs.
En fait, voilà ce qu’on vous cache:

  • Catégorie A: Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi (cherchant un emploi à plein temps et à durée indéterminée (CDI) - 2.888.800 chômeurs sans les seniors et les DOM
  • Catégorie B: Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte
    (cherchant un CDI à temps partiel ) - 575.500 chômeurs sans les seniors et les DOM
  • Catégorie C: Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite longue (cherchant un emploi à durée déterminée (CDD), temporaire ou saisonnier) - 854.200 chômeurs sans les seniors et sans les DOM
  • Catégorie D: Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emplo pour diverses raisons (stage, formation,maladie, etc.), sans emploi - 238.100 chômeurs sans les seniors et sans les DOM
  • Catégorie E: Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés)- 369.200 chômeurs
  • Catégorie ABC: Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi
  • Catégorie ABCDE: Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi

Toujours avec les mêmes manipulations, en ne comptant que l’équivalent de la catégorie A en France, sachez qu’en Espagne le chômage officiel est de 24,3 % et en Grèce de 21,7 %.
Bien évidemment, l’approfondissement de la crise va amplifier ces chiffres déjà désastreux.

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Harcèlement sexuel : incurie et déni de justice

par Monique Vézinet

 

Ce n’est qu’en 1992 que la France a pénalisé le harcèlement sexuel, encore l’a-t-elle fait avec réticence, ne retenant que les faits à l’initiative des supérieurs hiérarchiques ; en 1998, la possibilité d’incriminer les collègues fut acquise… puis annulée en 2002. Malgré l’action résolue de l’AVFT - Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail – une qualification imprécise du harcèlement sexuel a subsisté, motivant la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai dernier de déclarer inconstitutionnelles les disposition du code pénal le régissant. La situation catastrophique résultant de cette « suspension » du droit est agravée par le fait qu’elle s’applique sans délai et que, malgré la bonne volonté des sénateurs et du nouveau gouvernement, il faut attendre l’adoption d’un nouveau texte. Du projet de loi annoncé pour le 13 juin, il faut espérer qu’il mette fin à cette longue période d’incurie du parlement et des gouvernements – rappelons que la France a négligé de transposer en droit français les dispositions de la directive européenne de 2002 sur ce sujet.

De l’avis des professionnels, le dispositif pénal précédent a été peu dissuasif : les peines maximales (un an de prison et 15 000 euros d’amende) ont rarement été prononcées et les dommages-intérêts restent insuffisants. Même si la situation s’améliore, la formation des officiers de police judiciaire et des magistrats reste limitée dans un domaine encore marqué par l’esprit machiste.

Qu’on se reporte au communiqué de l’AVFT relatif à la dernière affaire venue devant le tribunal correctionnel de Paris, le 8 juin dernier, pour comprendre la situation impossible devant laquelle se retrouvent les victimes depuis l’abrogation du délit de harcèlement sexuel, malgré une circulaire de la Chancellerie invitant procureurs et magistrats – en vain jusqu’à ce jour – à une requalification des faits. A suivre donc…