Chronique d'Evariste
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A nouvelle séquence, une seule solution : la révolution… citoyenne. Et pour cela, devenez correspondant du réseau Respublica !

par Évariste
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Nous vous proposons notre dernière chronique avant la période estivale en trois points :

  • d’abord une synthèse du sommet européen des 28 et 29 juin où on a vu notre nouveau président de la République chausser les pantoufles du néolibéralisme ;
  • puis, une première réflexion sur la présentation de la politique du gouvernement par J.M. Ayrault
  • et enfin, pour engager effectivement la nouvelle lutte (différente de celle d’hier), la proposition de devenir, en plus de vos autres appartenances, correspondant du réseau Respublica. Citoyens éclairés, militants et responsables d’organisations, vous pourrez alors soutenir le journal Respublica, travailler à une globalisation des combats au travers d’un modèle politique et social alternatif au modèle politique actuel ; vous pourrez, à votre rythme personnel, travailler à l’alliance des couches populaires et des couches moyennes intermédiaires via leur armement idéologique par la formation et l’éducation populaire.

Le Sommet européen des 28-29 juin

On évite le krach à court terme, rien n’est réglé à long terme, le pire pour les couches populaires et les couches moyennes intermédiaires.
Deux à trois fois par an se tient le sommet européen de la dernière chance. Et à chaque fois, les « nouveaux chiens de garde » médiatiques le présentent enfin comme le sommet qui va sauver l’euro. Le vrai résultat de ces sommets est que l’on évite le krach à court terme en ne réglant rien sur le long terme. Mais chaque sommet avalise des reculs anti-républicains, à savoir la continuation de la mise sous tutelle de la démocratie et le développement des politiques austéritaires (baisse des salaires, précarité accrue, chômage à la hausse, etc.) pour financer les dégâts de la spéculation financière et de la crise du capitalisme.
Il n’y a eu que quatre mois entre le coup d’État des 21 et 28 février 2012 et ce nouveau sommet. En 4 mois, nous avons eu droit au Mécanisme européen de stabilité (MES), structure totalement opaque pour les citoyens, le Traité pour la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG), véritable tutelle anti-démocratique qui enlève aux États et donc aux citoyens le pouvoir de choisir leur politique budgétaire.
Tant que les investisseurs (représentant la bourgeoisie multinationale) se préoccupent des sauvetages à court terme, cela justifie l’amélioration de la tension des « marchés ». Mais quand, de façon inéluctable, ils se préoccuperont du long terme, plus dure sera la chute !
Examinons les résultats de ce dernier sommet. On verra que seules les banques spéculatrices et la grande bourgeoisie multinationale ont vu leurs intérêts défendus. La lutte de classe y est menée dans l’intérêt de la grande bourgeoisie multinationale avec le soutien des néolibéraux (on devrait dire des ordo-libéraux) de droite et de gauche.

Politique budgétaire. Il est mis définitivement fin à la souveraineté des peuples pour définir la politique budgétaire. Donc le maintien et la poursuite des politiques austéritaires et anti-sociales et donc de l’accroissement des inégalités sociales. Les spirales dépressives empêchant l’amélioration des finances publiques sont renforcées. Pire, elles s’auto-entretiennent1 ! Les dirigeants de chaque État n’auront d’autre possibilité que de se voir dicter la politique budgétaire décidée par la technocratie bruxelloise. Fin de la démocratie républicaine pour les peuples. Et on trouvera bien sûr des néolibéraux de gauche pour dire que nous ne pouvons pas faire autrement.

Pas de créations d’emplois nouveaux. Le chômage va donc augmenter de façon soutenue. Les emplois perdus suite à l’éclatement de la bulle immobilière, à la chute des exportations, de la construction, de l’activité économique, ne seront pas remplacés à court terme et à moyen terme.

François Hollande a capitulé en rase campagne. Il fut élu le 6 mai pour renégocier le TSCG. Le 28 juin, il entérine le TSCG sans une seule modification. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient.

Pacte de croissance. D’abord son montant est inférieur à 1 % du PIB de la zone euro (14 000 milliards d’euros). Ensuite, il est majoritairement constitué de montants déjà programmés (donc pour ces sommes, rien de nouveau). De plus, le déblocage de ces sommes est prévu sur plusieurs années. L’accroissement de l’austérité pour les travailleurs, c’est tout de suite et le déblocage de près de 60 milliards d’euros, c’est pour plus tard.

Union bancaire. Nous avions affaire là à une véritable innovation. Mais qui accouche d’une souris. C’est la Commission européenne qui doit proposer rapidement un mécanisme commun de supervision des banques à l’échelle européenne en impliquant la Banque centrale européenne (BCE). Il n’y a toujours pas de garantie européenne des dépôts ni de fonds bancaire d’urgence européen pour éviter les krachs ou le risque de « bank run », un retrait massif des dépôts dans les pays en crise. Tout cela ne verra le jour au mieux que vers la fin de l’année ou au début de l’année prochaine.

Aide à l’Italie, à l’Espagne, à l’Irlande, à la Grèce. L’Espagne a eu un traitement de faveur (est-ce que parce que ce pays a gagné l’Euro de football !) par rapport au Portugal, de la Grèce, de l’Italie et de l’Irlande. Leurs dettes vis-à-vis du FESF et du MES qui prendra bientôt le relais ne sont plus prioritaires par rapport aux dettes privées.

Il est acté que l’aide du FESF puis du MES ne se fera que sous condition de l’acceptation du TSCG (capitulation de François Hollande 7 semaines après l’élection).

Licence bancaire du MES. La possibilité pour le MES de se financer auprès de la BCE, c’est niet ! Donc le MES devra pour pratiquer l’effet de levier acheter ses titres sur la marché bancaire et spéculatif !

Mutualisation des dettes. Autre élément de la capitulation de François Hollande. Le débat sur les euro-obligations est renvoyé aux calendes grecques !

Architecture future de la dictature financière de l’Union économique et monétaire. Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, a présenté un rapport préparé par la  Commission européenne, le Conseil européen, la zone euro et  la BCE. Ce débat est renvoyé à plus tard. Pourtant, pour établir la future dictature financière (obligatoire pour les agents de la bourgeoisie multinationale pour remplacer la démocratie des peuples !), ce renforcement de la capacité décisionnelle des bureaucrates européens contre la démocratie est une nécessité : il doit être effectué d’ici la fin de l’année faute de quoi le MES entrera en fonctionnement sans ce renforcement du processus de décision politique.

La dette privée augmente sans qu’il y ait une contrepartie en actifs. La chute des prix des actifs se voit prise dans un effet ciseaux avec la hausse de la dette privée.

Pour les pays à industrie faible, le rétablissement de la balance courante impose un renforcement permanent de l’austérité. Sans processus d’industrialisation massive, il n’est pas possible pour des pays européens de prévoir ce rétablissement. Il convient donc pour ces pays d’accroître la pression austéritaire croissante2 . Jusqu’au jour où les travailleurs et les citoyens ne l’accepteront plus.

Premières décisions du gouvernement Ayrault : sans surprise !

Le gouvernement a déroulé les premières décisions découlant des propositions Hollande.
Le gouvernement dit vouloir légiférer, positivement selon nous, sur des sujets de société (droit au mariage et à l’adoption indépendamment du sexe des futurs mariés, etc.). Il va aussi voter l’abrogation de la TVA dite “sociale”, l‘instauration d’une contribution exceptionnelle sur l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), l’annulation de l’exonération des heures supplémentaires pour les entreprises de plus de 20 salariés, une taxe de 3 % sur les dividendes versés aux actionnaires, une taxe sur le secteur pétrolier, une contribution des banques, l’élévation du taux de la taxe sur les transactions financières de 0,1 % à 0,2 %, etc. Cela va dans la bonne direction mais reste insuffisant pour combattre la crise avec le soutien des couches populaires et des couches moyennes intermédiaires. Car refusant un programme de rupture avec le modèle précédent, c’est obligatoirement l’austérité qui va s’abattre sur ces couches sociales.
Déjà, le journal Les Échos s’est fait l’écho de la lettre de cadrage envoyée par le premier ministre aux ministères où celui-ci demande « le maintien en valeur » des dépense salariales des fonctionnaires. Par ailleurs la suppression de 65.000 postes sur 5 ans est toujours prévue dans tous les ministères autres que l’Education, la Justice et l’Intérieur, qui verront eux l’augmentation d’autant. Pour faire tout cela, le gouvernement pense toujours maintenir le gel sarkozien du point d’indice des fonctionnaires, diminuer les primes et indemnités pour tenter de maintenir quelques avancements ! Quant aux salariés du privé, ils ne voient toujours pas d’inflexion à ce qu’ils subissent : augmentation du chômage, baisse des salaires, etc. Belle tension en perspective avec le mouvement syndical revendicatif !

Devenir correspondant du réseau Respublica pour gagner en efficience dans la lutte nouvelle qui se prépare

Depuis plusieurs semaines, les chroniques d’Evariste et l’ensemble des articles de votre journal montrent bien que nous entrons dans une nouvelle séquence politique, avec des conditions nouvelles. Cette nouvelle séquence doit nous conduire à de nouvelles tâches politiques. Et ces tâches politiques sont à répartir entre les différentes organisations selon leur objet social: partis politiques de la gauche de gauche, syndicats revendicatifs, mutuelles solidaires et combattantes et associations de lutte diverses.
Pour notre journal, nous allons continuer à œuvrer dans notre cœur de métier à savoir le décryptage de l’actualité, l’analyse des lignes stratégiques à l’œuvre et l’armement philosophique, culturel, social, économique et politique des citoyens éclairés, des militants et des responsables d’organisations.
Pour cela, le journal Respublica, avec ses 53.000 abonnés, a commencé à se renforcer. Vous avez pu le voir ces dernières semaines et nous allons continuer à la rentrée de septembre. Nous recevons de plus en plus de courriels de nos lecteurs. De plus en plus, les lecteurs de Respublica, souvent membres d’organisations diverses, utilisent dans les réunions qu’ils peuvent organiser les outils et conférenciers du Réseau Éducation Populaire
Dès la rentrée de septembre, le REP pourra offrir une aide diversifiée pour monter des initiatives d’éducation populaire avec :

  1. des conférenciers pour réunions publiques et stages de formation, aussi bien sur les différents sujets culturels, économiques, politiques et sociaux que sur les grands auteurs de la pensée humaine
  2. des animations autour du cinéma, du théâtre, des actions culturelles, des livres grâce aux partenaires du Réseau que nous présenterons.

Voilà où nous en sommes. Nous avons besoin pour soutenir ce développement de mieux nous organiser notamment dans les différentes localités de notre pays, car le développement de notre activité tant dans la recherche de l’information que dans l’organisation d’événements dépendra de plus en plus du lien entre le local et le global. Nous avons donc besoin de correspondants de proximité dans le maximum de localités. Nous vous proposons donc d’intégrer notre réseau de correspondants en contactant evariste@gaucherepublicaine.org.
Nous vous proposerons alors tout un panel de liens : communication électronique, téléphonique y compris par Skype, réunions horizontales de discussion collectives, réunions de formation et d’information pour que vous puissiez démultiplier la diffusion de nos idées communes, etc.
Nous ne sommes forts que par vous. Nous ne nous développerons que par vous.
Mieux nous serons rassemblés, mieux nous œuvrerons pour une information et une éducation populaire refondée en vue d’une transformation culturelle, sociale et politique.
Amitiés et à bientôt.

  1. Le Réseau Éducation Populaire (REP, 200 initiatives par an, ]
  2. Sur ce point aussi (évolution de la valeur ajoutée industrielle), le Réseau Éducation Populaire est en mesure de présenterr des graphiques explicitant nos propos. []
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L'Allemagne ne paiera pas - 2 : L’impossible sortie de crise dans le cadre de l’euro de Maastricht

par Michel Zerbato
Universitaire.
Auteur de "Néolibéralisme et crise de la dette, aux éditions "Osez la République Sociale"

 

Voir la première partie de cette analyse.

L’échec constant des plans de sauvetage issus de la litanie de « sommet de la dernière chance » a fini par faire admettre jusqu’aux européistes les plus libéraux qu’il fallait sortir du cadre institutionnel actuel. Mais faute de bon diagnostic sur la nature de la crise, leurs propositions de changements sont tout aussi illusoires.

L’euphorie qui a suivi les annonces du « dernier » sommet des 28 et 29 juin s’est totalement dissipée en moins d’une semaine, et les taux auxquels ont pu emprunter les États espagnol et italien remontent, comme à chaque fois pour les pays au cœur de la tempête financière. Le président du Conseil italien Mario Monti peut fustiger les déclarations « nordiques », notamment finlandaises, qui décrédibilisent, selon lui, des accords durement obtenus et dont il réclame la mise en œuvre rapide, si les taux remontent, c’est bien que les marchés ont compris que la mutualisation de la dette des Etats européens, qu’ils réclament depuis toujours, est loin d’être acquise.

Ils l’ont compris comme l’ont compris tous les européistes, de gauche ou de droite, qui reconnaissent enfin que l’UEM et la zone euro sont, sinon dans une impasse, du moins dans une passe difficile. Tous ceux-là partagent désormais une même vision globale de la manière d’en sortir : réformer la gouvernance de la zone pour avancer au moins à quelques-uns et construire cet espace de solidarité dont l’euro devait écarter le besoin. La crise grecque a vite montré qu’il fallait mettre en place des mécanismes d’assistance au sein de la zone euro, mais leur principe allant à l’encontre du mythe fondateur de l’euro selon lequel l’intégration monétaire préserverait les entrants de tout souci monétaire et financier (pourvu qu’ils respectent les critères de Maastricht), ils sont restés implicites, et présentés comme de la solidarité. Ainsi, la BCE est certes intervenue, mais de façon la plus minimale possible, quand il y avait le feu, les dirigeants préférant, selon la logique néo-libérale, prévoir des mécanismes de stabilisation de l’euro (FESF puis MES). Mais tout cela va à l’encontre des traités existants et relève du bricolage institutionnel. Et l’idée s’est imposée que l’on ne réglera réellement les problèmes de la dette qu’après refonte de la gouvernance de la zone.

On en est arrivé à cette remise en cause des traités d’union parce que l’échec à résoudre la crise de la dette dans le cadre institutionnel existant est tellement patent, et le besoin de sauver l’euro si prégnant, que le sujet n’est plus tabou. Depuis deux ans, les plans se succèdent, accompagnés d’innovations institutionnelles, mais cela n’a rien réglé jusqu’ici, seulement gagné du temps, et il n’en sera pas autrement à l’avenir, car cela reste dans la logique néo-libérale de l’euro : la stabilisation de l’économie dépend uniquement de l’austérité salariale, fond idéologique permanent des dirigeants conservateurs de l’économie de marché.

Beaucoup de commentateurs voient dans ces accords une avancée « fédéraliste », avancée que réclame l’Allemagne vers plus d’intégration, à la fois bancaire, budgétaire et donc politique, en échange de son aval à la réforme de l’euro. Mais, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, ce nouveau cadre ne prépare pas un espace de solidarité, dans lequel l’Allemagne accepterait de payer, parce qu’au contraire il s’agit, dans le prolongement de toute l’histoire de l’euro depuis 1992, de mettre en place un cadre institutionnel obligeant à faire payer les peuples. Ce qui exonèrerait l’Allemagne de toute responsabilité et qui relativise les hourras de victoire de la « bande des quatre » (les sudistes) à la sortie dudit sommet.

L’impasse du cadre austéritaire existant

Dans le cadre institutionnel existant, rien ne peut se faire sans l’aval de l’Allemagne, qui seule peut payer et qui n’a aucune raison de le faire, au contraire. Les pays relativement solides ne sont pas prêts à lui confier les rênes de l’UE en échange de sa solidarité, car un transfert explicite de souveraineté est, pour l’instant du moins, politiquement inenvisageable.

Devant l’incapacité des États premiers touchés à rétablir leurs finances et le danger subséquent de voir l’euro imploser, les dirigeants européens ont défini des plans d’aide successifs, visant, dans l’immédiat, à sauver le système bancaire, et, à plus longue vue, à en assurer la stabilité.

Sous la pression du FMI se faisant le porte parole de la « communauté » mondiale (en fait les É-U, mais aussi la Grande Bretagne, la Chine, le Brésil, eux-mêmes en crise et faisant fonctionner leur planche à billets), qui craint le chaos généralisé, l’UE a d’abord mis en place le FESF, qui passe maintenant le relais au MES, et collaboré au sein de la Troïka pour gérer les plans de restructuration (on ne dit pas « d’ajustement structurel ») des pays en difficulté. Cela n’a guère résolu les problèmes, dans la mesure où, la crise n’étant pas passagère, mais structurelle, cela revenait à endetter durablement les uns pour désendetter les autres, c’est-à-dire à remplir un nouveau tonneau des Danaïdes.

Les dirigeants de la zone sont alors convenus qu’il fallait restaurer la compétitivité des faibles en réimposant la discipline salariale que les critères de Maastricht ont échoué à maintenir. Divers accords intergouvernementaux ont construit des institutions à côté de celles prévues par les traités communautaires, et souvent en contravention desdits traités, à l’instar, par exemple, de l’article 125, dit de la clause de « no bail out », qui prévoit que l’Union ne renfloue pas un État en difficulté, qui doit assumer ses actes (problème de l’aléa moral). Parmi ces accords, le plus important aujourd’hui est le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UEM, prévu lors du sommet du 9 décembre 2011et désigné couramment par « Pacte budgétaire ». Important car il institue la règle d’or (en gros, obligation de l’équilibre des finances publiques avec sanctions automatiques) et compétence de la Commission européenne, qui reçoit donc une partie de la compétence budgétaire nationale. Mais cela est long à mettre en place et la crise s’aggrave de jour en jour, la hausse des taux touchant l’Espagne et l’Italie, nouveaux pions menacés.

Devant l’urgence, des voix se sont alors élevées pour réclamer que la BCE intervienne, à l’image des autres banques centrales. Mais ceux qui s’étonnaient du refus de la BCE d’acheter des obligations d’État sur le marché primaire, c’est-à-dire de prêter directement aux États de l’UE, comme la FED ou la Banque d’Angleterre prêtent aux leurs, faisaient semblant de croire que la BCE refusait seulement d’imprimer des euros par crainte des effets inflationnistes, si ce n’est par simple respect de ses statuts. En réalité, la BCE n’agit pas comme les autres banques centrales parce qu’elle ne le peut pas, parce qu’elle n’est pas véritablement une banque centrale. Demander le financement direct par la BCE, c’est demander à l’Allemagne de porter sur son dos toute la misère de l’UE.

En effet, la BCE est bien la composante centrale du SEBC (système européen de banques centrales), mais elle n’est pas la banque d’un État, encore moins d’une nation. Or, une banque centrale tient sa capacité d’agir de la souveraineté d’un peuple qui accepte, en tant que contribuable, de garantir les prêts, c’est-à-dire la création monétaire, de ladite banque centrale. En effet, une banque centrale est une entreprise comme une autre, dotée d’un actif et redevable d’un passif. Ses prêts s’inscrivent à l’actif de son bilan comme créance sur l’emprunteur et au passif comme engagement de payer. Si l’emprunteur fait défaut, soit la banque est mise en faillite, mais l’économie du pays ne fonctionne plus, et ce peut être la révolution ou la guerre, soit elle est recapitalisée par les actionnaires, c’est-à-dire la nation, concrètement les contribuables, en tant que citoyens-peuple, qui se serrent la ceinture, par l’impôt, l’inflation ou le chômage, selon le rapport de forces politique au sein du pays.

Dans le cas de la BCE, les actionnaires sont les pays de la zone, au prorata de leur part dans le PIB global. Il s’agit principalement, en gros, de l’Allemagne, pour 28 %, et de la France, pour 20 %. Mais l’engagement réel est bien plus important pour les contribuables allemands, pratiquement les seuls que l’on puisse croire capables de payer : les petits pays nordiques sont tout aussi crédibles, mais leur poids est marginal, sauf bien sûr en termes de vote quand l’unanimité est requise. Quant aux pays à secourir, ils auront du mal à fournir leur quote-part du financement des secours. On comprend donc qu’il soit politiquement difficile à l’Allemagne d’accepter que la BCE n’aille « trop » loin dans ses actions de sauvetage.

Condamnés à l’austérité, certains ont alors imaginé, pour le pas suivant, de mutualiser la dette sous la forme de l’émission d’euro-obligations (« eurobonds »). Mais cette forme de solidarité, plus explicite, était encore moins acceptable que la précédente : comment l’Allemagne pourrait-elle accepter qu’un pays emprunte au nom de l’UE, c’est-à-dire principalement en son nom, engageant ainsi la responsabilité de ses contribuables, sans avoir son mot à dire. Sans compter que les modalités juridiques ne pas évidentes dans le cadre des traités, de Maastricht à Lisbonne.

Au total, l’euro de Maastricht est sinon mort, du moins en soins palliatifs, définitivement condamné. Les critères de Maastricht ont sauté dès 2003, quand la France et l’Allemagne les ont écartés, la surveillance de la Troïka n’a pas empêché que la Grèce s’enfonce toujours plus, ni que l’Espagne et l’Italie soient les prochains dominos renversés. La BCE sans grands moyens, les fonds de secours (FESF puis MES) guère mieux lotis, les eurobonds repoussés à l’après-Merkel, l’euro enfin reconnu comme étant génétiquement monstrueux, le temps est venu de réformer l’UEM, ses institutions et sa gouvernance, afin de s’engager vers plus de cohérence. Mais, fondé sur une mauvaise analyse de la nature de la crise, le choix du « fédéralisme économique » des européens n’est pas plus viable.

L’illusion d’un fédéralisme bureaucratique

Le problème urgent de ceux qui veulent sauver l’euro est de trouver les moyens de sauver les banques sans endetter les États. Avec les instruments développés pour sauver l’Irlande, le Portugal et la Grèce, il s’agissait en effet de sauver les États pour sauver les banques (notamment allemandes et françaises) qui avaient financé ces États. Mais les plans d’austérité qui ont conditionné le sauvetage ont plombé l’activité et les recettes fiscales, obligeant les États endettés à s’endetter ! Pour éviter le désastre qui suivrait la faillite d’un pays, fût-ce la petite Grèce, quand son accès aux marchés financiers est devenu trop coûteux, ses partenaires n’ont pas d’autre choix que d’effacer une partie de sa dette, en obligeant leurs banques à abandonner l’essentiel de leurs créances (environ 80 % dans le cas de la Grèce). Et il ne leur restait plus qu’à s’endetter pour les recapitaliser.

Le système est au bout du chemin, car ce scénario est intenable dans le cas de l’Espagne ou de l’Italie, qui sont de bien trop gros morceaux à avaler. L’austérité commence à enfoncer l’UE dans la récession (- 0,1 % actuellement) et les pays déjà secourus commencent à demander des délais de mise en œuvre des plans qu’ils ont acceptés contre les aides reçues ou à recevoir.

D’où la pression sur le énième « sommet de la dernière chance », des 28 et 29 juin derniers. Le débat y opposait le nord et le sud, les tenants de l’austérité pure et dure et les partisans d’une initiative de croissance associée à la solidarité financière. Alors que l’Allemagne refusait sans appel les euro-obligations (A. Merkel : « moi vivante, jamais !»), elle acceptait de discuter toute solution « non gratuite », c’est-à-dire qui n’impliquerait pas un centime d’assistance sans, en contrepartie, un engagement bien assuré à une rigueur accrue, par l’acceptation de constitutionnaliser la règle d’or, c’est-à-dire la ratification du TSCG. Pas de « solidarité » sans règle d’or gravée dans le marbre. C’est ainsi qu’elle acceptait, seul résultat concret du sommet, que le FESF/MES puisse financer directement les banques en difficulté, sans passer par l’intermédiaire de leur État, ce qui évite d’accroître les dettes publiques, mais avec la contrepartie d’une « union bancaire », c’est-à-dire la mise en place d’une supervision directe des banques de la zone par la BCE.

Problème, comme ce système ne sera pas mis en place avant la fin de l’année et celui-ci devant donner son aval préalablement à toute intervention du MES, les décisions du sommet ne seront guère opérantes avant plusieurs mois. Or il y a urgence. Et ce n’est pas la maigre centaine de milliards du pseudo pacte de croissance qui va soutenir l’activité. Par ailleurs, quelles seront les garanties ? Ce n’est pas davantage réglé. Déjà la Finlande réclame un collatéral (des actifs en garantie) pour se protéger du risque de contagion à toute la zone et préserver son triple A : selon Mme Urpilainen, ministre des finances, « la responsabilité collective pour les dettes (…) et les risques d’autres pays n’est pas ce à quoi nous devons nous préparer ».

Au-delà des auto-congratulations des auto-proclamés « vainqueurs » du sommet, les pays du sud, il est rapidement apparu que rien n’est réellement fait. D’ailleurs, la BCE a dû intervenir dès les jours suivants en abaissant son taux d’un misérable quart de point (à 0,75 %), mais comme en marchant sur des charbons ardents, en refusant toute nouvelle injection de liquidités. En conséquence, les marchés ne sont pas convaincus que cette intervention minimaliste contienne la récession déjà là jusqu’à la mise en œuvre des mesures décidées. Mario Monti en est bien conscient, qui a déjà appelé, dès le 7 de ce mois, à agir vite, reprochant au passage aux pays du nord, Finlande et Pays-Bas en l’occurrence, des déclarations « inappropriées » car destructrices de confiance.

Les fédéralistes se consoleront en expliquant que cela exprime la volonté d’adosser l’euro à une union politique, tellement nécessaire pour stabiliser l’UEM. La solidarité prépare l’intégration. Mais il s’agit d’une intégration et d’un fédéralisme purement économiques et monétaires, qui visent à écarter les peuples des décisions politiques pour écarter toute velléité de redistribution. Le fédéralisme dont on nous parle est anti-social et par là anti-républicain.

En effet, les transferts de souveraineté envisagés, quant à la supervision bancaire et budgétaire, ne sont pas des transferts d’une instance politique nationale vers une instance politique supranationale, mais vers une bureaucratie sans légitimité électorale : le principe du cri de ralliement des Insurgents des années 1770, « pas d’impôt sans représentativité », est ici violé. Une instance européenne à définir, non étatique, contrôlerait les dépenses des États ? Le principe en paraît inouï, mais quid de la faisabilité ? On a déjà vu comment, en 2003-2004, rien n’a pu s’opposer à ce que la France et l’Allemagne « oublient » les critères de Maastricht. Quelle pourrait être la force de loi d’une telle instance ? Un traité ? Dans combien d’années sera-t-il ratifié ? Et qui fera la police (la guerre) au(x) récalcitrant(s) ?

Un vrai fédéralisme suppose un Trésor public européen, une fiscalité européenne, un État-nation européen. Tandis que la Troïka aux commandes, ou la BCE seule, ce serait le gouvernement des peuples par les techno-bureaucraties financières : après les « gnomes de Zurich », voici ceux de Bruxelles. Historiquement, la bureaucratie a émergé pour gérer l’État pour le compte de la classe dominante, puisque, si l’État est toujours celui de la classe dominante, celle-ci peut déléguer son pouvoir quand son exercice devient technique. Mais ici, dans le cas de figure que nous préparent les élites européistes, le pouvoir irait à une bureaucratie sans État, c’est-à-dire une bureaucratie gouvernant une société sans classes. Encore une monstruosité.

À supposer que cela tienne, le résultat est inéluctable, une dépression générale, car casser les salaires ne restaure pas la compétitivité, mais déprime l’activité. La leçon de l’histoire de l’entre-deux-guerres est là : après 1929, il y a eu chômage et déflation jusqu’à ce qu’après 1939-1945 l’économie mondiale ne redémarre. Cependant, aujourd’hui le maintien des normes sociales de consommation et la résistance du modèle social font tampon, alors que la logique capitaliste est de les détruire ! Là est tout le dilemme du capitalisme : soutenir la consommation pour avoir des débouchés, mais tenir les salaires pour faire du profit. Avec l’approfondissement de la récession, les troubles politiques et sociaux seront à craindre, et les peuples dépouillés de leur représentativité politique, se retourneront alors contre ceux qui les en auront privés, ouvrant un boulevard au populisme, c’est-à-dire l’extrême droite.

Au total, les dirigeants européens nous vendent la « solidarité » et le « fédéralisme », mais ce n’est qu’un masque : en réalité il s’agit d’assister les États faibles pour éviter l’implosion immédiate du système, tout en leur imposant d’organiser la casse sociale pour tenter de le stabiliser dans la durée. Ils ne peuvent que chercher à gagner du temps pour accompagner la marche vers LA solution capitaliste : casser les salaires (d’abord la sécu, puis les fonctionnaires, etc). Et l’histoire nous a appris que cela résout rien : l’austérité crée l’austérité et le crash est inéluctable. Dès lors, le problème n’est pas, ou plus, de savoir s’il faut sortir la Grèce de l’UEM, ou si les nordistes vont la quitter (ils peuvent y avoir intérêt), mais comprendre que l’UEM est dans une impasse. Quand la crise sera trop aigüe, le repli nationaliste, déjà engagé, risque fort d’être le recours « naturel » des peuples. Avec tous ses dangers. L’autre branche de l’alternative sera la République sociale. Aux peuples de choisir.

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Sur la nature du taux de l’intérêt

par Michel Zerbato
Universitaire.
Auteur de "Néolibéralisme et crise de la dette, aux éditions "Osez la République Sociale"

 

Le taux de l’intérêt est problématique depuis que l’argent est apparu dans la société humaine, tant il semble opposer l’intérêt individuel et le bien commun. Le concernant, les doctrines ont précédé les théories, la théorie dominante à une époque n’étant en réalité que légitimation des idées qui gouvernent la marche de la société de ce moment, idées elles-mêmes déterminées par les besoins de la reproduction sociale.

Dans la Grèce antique, Platon était opposé à l’intérêt, parce qu’il enrichissait celui qui n’avait pas de vertu particulière pour le bien de la Cité. Contre les inconséquences de la propriété privée, il proposa une forme de communisme. Aristote, que l’on qualifierait aujourd’hui de social-démocrate, voulut concilier l’argent et la Cité en distinguant l’argent obtenu par le service du bien commun, le commerce apportant des marchandises commodes à la vie sociale, et l’argent recherché pour lui-même.

Au Moyen-Âge, les théologiens (Augustin, …) condamnent l’usure (l’intérêt) qui corrompt l’homme et le détourne de Dieu : l’intérêt est analysé comme le prix du temps, or le temps appartient à Dieu, l’homme ne saurait en faire commerce. Cependant, l’Église doit composer avec le développement du marché et de la place de l’argent. Thomas d’Aquin reprend, en quelque sorte, le projet d’Aristote de légitimer l’intérêt en expliquant qu’il ne rémunère pas le prêt (par le partage des bénéfices), mais qu’il compense la douleur (le dol) d’être séparé de sa propriété personnelle, l’argent prêté. Cependant, Thomas peine à expliquer le prix de cette séparation et donc le taux de l’intérêt, et il finit par considérer que le juste prix est celui qui a cours par convention sociale (communio estimatio).

Au 18ème, Adam Smith se pose à nouveau la question de l’usure : il considère que le taux de l’intérêt dépend du rapport de force entre créancier et débiteur, mais que par nature le rapport de force est trop favorable au créancier et que l’État doit le réglementer, pour le bien de la cohésion sociale. Adam Smith n’est donc pas le fou du marché et de l’initiative individuelle que l’on présente souvent. Pour lui, le prix du travail échappe également au marché, parce que l’offre et la demande ne sont pas en situation égale : la loi interdit l’association des travailleurs, tandis que « nul ne peut empêcher les maîtres du travail de dîner ensemble » ; le salaire sera donc maintenu au minimum vital (il reprend le « principe de population » énoncé par G. Botero au siècle précédent).

Au 19ème, ses héritiers néo-classiques (utilitaristes) vont théoriser le taux de l’intérêt afin de légitimer la doctrine libérale en raisonnant en termes de rationalité du consommateur : pour eux le taux de l’intérêt est le résultat de la confrontation de deux calculs. D’une part, celui qui a de l’argent compare ce que cela peut lui rapporter en plaisir futur grâce à la consommation supplémentaire que permettra le bonus de l’intérêt et ce qu’il lui en coûte, la peine de ne pas consommer maintenant ; ce calcul fixe le taux de l’intérêt demandé. D’autre part, le producteur, qui a besoin de cette épargne pour financer son entreprise, va comparer le coût de l’emprunt, l’intérêt à payer, au profit qu’il peut en retirer, grâce à la productivité des investissements opérés grâce à cette épargne ; ce calcul lui indique quel prix il peut payer, quel taux il peut accepter, pour chaque investissement possible. Désormais, le taux de l’intérêt devient « naturel », détaché du politique.
Le marché de l’épargne (des fonds prêtables) confronte alors les souhaits des uns et les possibilités des autres et fixe le taux qui les met d’accord. Ce taux dépend de l’acceptation des uns de renoncer à consommer et de la capacité des autres à produire suffisamment de richesse avec les machines que les premiers financent, pour rémunérer l’argent emprunté. En fait, dans la théorie du marché, tout se passe comme si les épargnants achetaient des machines plutôt que des biens de consommation immédiate, cela afin de pouvoir consommer encore plus dans le futur. C’est ce que l’on appelle la souveraineté du consommateur : ses choix déterminent son bien-être, qui s’accroît s’il renonce à la consommation présente au bénéfice de la consommation future.

Au 20ème, dans l’entre-deux-guerres, Keynes réfute totalement cette analyse en considérant comme Smith que salaires et taux de l’intérêt sont des prix sociaux, résultant de conventions sociales, pas des prix de marché au sens des économistes classiques. Pour lui le montant de l’épargne ne dépend pas du taux de l’intérêt (« je ne vais pas faire demi-tour alors que j’allais au restaurant parce que j’entends à la radio que le taux de l’intérêt a augmenté »), mais du revenu du consommateur, qui détermine son train de vie ( en proportion du revenu, le riche épargne plus que le pauvre). Ainsi, après avoir décidé d’épargner un certain montant de son revenu, l’épargnant a le choix entre le placer, ce qui l’immobilise, par exemple en achetant des actions ou une assurance-vie, ou le garder liquide, le thésauriser, sous la forme de billets sous le matelas, de pièces d’or ou d’argent sous le rosier, ou en le laissant sur son compte-chèque. Le liquide est sûr, mais ne rapporte rien ; le placement est risqué, mais c’est de l’argent gagné en dormant.
Pour Keynes, par suite de l’incertitude radicale sur ce que sera le futur, tout titulaire de revenu a « naturellement » une préférence pour la liquidité, tandis que le risque est d’autant moins grand que l’argent en circulation est abondant et que les marchés financiers (où il peut placer son argent) sont liquides, c’est-à-dire qu’il y est facile de revendre les titres achetés. Le taux de l’intérêt est donc le résultat de la confrontation de la préférence pour la liquidité des épargnants (quelle confiance ont-ils dans l’avenir ?) et de la quantité d’argent disponible dans le circuit de l’économie.
Cette quantité dépend de la politique des autorités monétaires, qui peuvent être laxistes (planche à billets) ou rigoureuses, suivant leur appréciation de la situation de l’économie, appréciation qui dépend de la doctrine à laquelle elles adhèrent. Des autorités keynésiennes accompagneront, voire stimuleront, si besoin est, la marche des affaires par une politique accommodante, l’abondance monétaire visant à inciter les uns à investir (pas cher) et les autres à financer (sans grand risque) ; mais en cas de crise de productivité (crise de l’offre) cela va surtout favoriser l’inflation, sans réduire le chômage. Des autorités monétaristes (néo-libérales) mettront l’accent sur la rigueur, feront monter les taux d’intérêt pour faire valoir la vérité des prix, car selon leur point de vue, l’argent artificiellement peu cher a permis de financer n’importe quoi, des activités non compétitives avec des salaires trop élevés, etc. D’où l’inflation sans croissance et l’impératif de revenir à la sagesse : financer les canards boiteux détourne les moyens des canards sains ; à vouloir assister les faibles, on affaiblit tout le monde.

Reste alors à se demander ce qui détermine l’orientation de la politique monétaire, c’est-à-dire quelle peut être la détermination réelle du taux de l’intérêt. Il ne faut pas croire que les autorités monétaires font ce qu’il leur plaît, laxistes ou rigoureuses selon leur bon vouloir, car elles sont elles-mêmes déterminées par la situation économique et sociale qu’elles doivent gérer. En tant que composante des élites étatico-bureaucratiques, leur fonction est de participer à la reproduction du système, capitaliste en l’espèce, et elles sont sélectionnées suivant que leurs idées sont porteuses d’une action compatible avec les lois de l’économie capitaliste. En période de reconstruction et d’offre dynamique, elles seront keynésiennes, car il faudra assurer les débouchés. À l’époque de la mondialisation, par contre, la compétitivité de l’industrie et des services d’un côté, l’attractivité financière de l’autre (tant pour les placements privés que pour l’emprunt public), seront des déterminants essentiels des taux d’intérêt. En cas de grande crise, cependant, c’est le pragmatisme qui l’emporte toujours : ainsi, ces dernières années, la BCE est allée à l’encontre de tous ses principes et a recouru à des « procédures non conventionnelles » pour imprimer des centaines de milliards d’euros ; de même, la Fed a injecté des milliers de milliards de dollars à taux quasi nuls dans ce qu’elle appelle « quantitative easing ». Les résultats ne sont pas probants, mais cela gagne du temps. L’examen des mécanismes d’interaction réel-monétaire sera une autre histoire.

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Oui, on peut être féministe et contre la pénalisation des clients !

par le Planning Familial

 

NDLR : Nous reproduisons ce texte en parallèle à celui du collectif Abolition 2012 car leur juxtaposition illustre bien le clivage qui, depuis longtemps, traverse l’opinion et le mouvement féministe plus particulièrement. Le point central étant bien sûr la façon de considérer le client de la prostitution et son éventuelle pénalisation. Or ce débat existe aussi au sein de la rédaction de ReSPUBLICA, une majorité d’entre nous privilégiant cependant la position du Planning Familial. Nous tenions à le dire à nos lecteurs en leur livrant les moyens de forger leurs propres choix.

Communiqué de presse du 28 juin 2012

Le discours abolitionniste qui prévaut aujourd’hui, largement repris dans la presse, ne signifie plus l’abolition de la réglementation de la prostitution mais la suppression pure et simple de la prostitution. Or ce discours hautement symbolique n’apporte aucune réponse ni aux causes du système prostitueur ni aux personnes en situation de prostitution. Au contraire, et l’on ne peut purement et simplement décréter du jour au lendemain la fin de la prostitution ! La prostitution se développe aujourd’hui du fait des conditions d’injustices économiques croissantes, notamment l’écart croissant entre riches et pauvres, et de l’impact désastreux sur les conditions de vie des femmes, toujours en première ligne. La prostitution est l’un des aspects de cette injustice économique sur la forme exaspérée du terreau des rapports de domination du masculin sur le féminin.
Les politiques successives mises en place pour enrayer les systèmes d’exploitation sexuelle ne protègent pas les victimes voire les fragilisent un peu plus : très peu de condamnations de proxénètes, surexposition des personnes prostituées… Et si les femmes sont incitées à dénoncer leur proxénète, elles ne bénéficient pas des protections et des droits promis en échange.
La répression par le délit de racolage passif, rétabli dans le cadre de la loi de sécurité intérieure de 2003 a fait la preuve de ses effets délétères sur les conditions de vie des personnes qu’elle est censée protéger. Leur relégation loin des centres villes, leur exposition plus grande aux violences, l’augmentation des risques de contracter des maladies infectieuses faute d’accès aux associations et aux outils de prévention ne met absolument pas en péril les réseaux de proxénétisme.
La pénalisation des clients procède de cette même illusion. Comment peut-on imaginer régler par la répression des situations qui relèvent des conditions économiques et des rapports sociaux de sexe ? Tout au plus, parvient-on à invisibiliser le phénomène ou à le déplacer géographiquement.
Le Planning Familial, en tant que mouvement féministe, replace la prostitution dans ce continuum de la domination masculine et à ce titre, lutte contre les violences de genre. Les alternatives qu’il propose visent, dans toute la société, à prendre en compte les rapports de domination, à lutter contre les inégalités femmes/hommes et à développer l’éducation sexualisée pour construire d’autres représentations du masculin et du féminin. Fidèle à son engagement de mouvement d’éducation populaire, il agit pour que la parole des personnes concernées soit prise en compte pour, avec elles, refuser la discrimination subie dans l’application des lois sur les violences sexuelles, d’agression, de voies de fait et de harcèlement.
L’Etat doit sortir de la posture répressive qui est la sienne depuis trop longtemps pour jouer son rôle de protecteur en garantissant aux personnes en situation de prostitution, les droits sociaux communs à tous, en mettant en place des aides réelles pour celles qui veulent se sortir du système prostitutionnel. A ce jour, c’est loin d’être le cas !
Pour Le Planning Familial, cela n’épuise évidemment pas le travail global à mener contre ce système d’exploitation des êtres humains qu’est la prostitution pour peu que l’on sorte de l’opposition sclérosante entre abolitionnisme et réglementarisme, dans une impasse moralisante.
Tout au moins ouvrons ce débat en inscrivant, comme le suggère le sociologue Lilian Mathieu, la prostitution en tant que question sociale et économique.

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Féministes, et donc pour une politique cohérente et entière contre la prostitution !

par Collectif Abolition 2012
http://www.abolition2012.fr

 

NDLR : Nous reproduisons ce texte en parallèle à celui du Planning Familial car leur juxtaposition illustre bien le clivage qui, depuis longtemps, traverse l’opinion et le mouvement féministe plus particulièrement. Le point central étant bien sûr la façon de considérer le client de la prostitution et son éventuelle pénalisation. Or ce débat existe aussi au sein de la rédaction de ReSPUBLICA, une majorité d’entre nous privilégiant cependant la position du Planning. Nous tenions à le dire à nos lecteurs en leur livrant les moyens de forger leurs propres choix.

Communiqué de presse du collectif Abolition 2012

Nous serions-nous fait mal comprendre ? Nous sommes d’accord avec l’essentiel de l’analyse posée par le Planning Familial sur la prostitution : symbole de la domination masculine, question sociale et économique dont les femmes les plus précaires paient le prix fort. Il ne s’agit évidemment pas de décréter du jour au lendemain la fin de la prostitution ! Mais, en tout réalisme, d’engager une politique à même de faire reculer cet archaïsme indigne de nos démocraties. Et cette politique comporte de multiples entrées. D’où vient que les médias, et maintenant le Planning, aient une seule obsession, la pénalisation du client ? Le client est-il vraiment celui qu’il faut prioritairement protéger ? Ce que nous demandons, comme le Planning, avec le même sentiment d’urgence, c’est d’abord la fin de la répression qui pèse sur les personnes prostituées et pour elles un véritable Plan Marshall à même de les aider à accéder à tous les droits humains - notamment à la santé - et à sortir d’une voie sans issue. Ce que nous demandons, c’est un vrai travail de prévention, une éducation solide à l’égalité entre les femmes et les hommes, à une sexualité respectueuse de l’autre. Pour nous, cet édifice ne peut se construire en continuant de fermer les yeux sur le comportement sexiste du client prostitueur qui fait son marché parmi une catégorie de personnes - des femmes en immense majorité - reléguées dans la prostitution, non seulement en raison de leur précarité économique ou du coup de pouce des trafiquants, mais surtout du fait de parcours souvent fracassés, marqués par toutes sortes de violences, physiques, psychiques et sexuelles. Ce qu’ils achètent - et c’est ce que nous refusons -, c’est l’impossibilité qu’ont ces personnes d’exercer la liberté de leur dire non.
Si la prostitution, comme l’affirme le Planning, s’inscrit dans le continuum des violences faites aux femmes, pourquoi le client prostitueur, premier agresseur des personnes prostituées (comme le montrent toutes les enquêtes), n’aurait-il pas à en répondre ? Pour éviter une clandestinité accrue ? Mais la clandestinité est déjà là et elle est le fait d’Internet ! Pièce maîtresse du système, le « client » ne peut plus faire semblant d’ignorer qu’il est le moteur d’une traite des femmes en pleine expansion. Tous les textes internationaux sur la traite posent désormais pour première exigence de « décourager la demande ». Ce n’est pas avec quelques incantations qu’on y parviendra. Mais hélas avec des mesures fortes. Seuls, les radars, douloureux et controversés, ont été capables d’éviter des milliers de morts sur les routes.
Non, le débat entre abolitionnisme et réglementarisme n’est pas « sclérosant ». Il relève d’un choix politique capital pour le statut - symbolique et réel - des femmes dans nos sociétés.

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« Panorama sur l'histoire des syndicats » par A. Graux, en souscription

par Monique Vézinet

 

Je ne vous proposerai pas en cette veille de vacances le roman de l’été mais un investissement indispensable bien que modeste : il s’agit en effet d’avancer 20 € pour permettre la publication du « Panorama sur l’histoire des syndicats » écrit par Allain Graux [1]. Pourquoi une souscription alors que rien d’équivalent n’existe ? Aucun éditeur ne serait donc à l’affût d’un ouvrage aussi bien renseigné, peut-être par crainte que le sujet ne passionne pas un public suffisant ? Ou que la forme ne rentre pas dans les catégories habituelles de la monographie, de l’encyclopédie, de l’essai ou de la thèse ?
Puisque j’ai eu le privilège de lire son manuscrit, je voudrais d’abord situer l’auteur : d
épanneur d’ascenseurs, Allain Graux se syndique à la CGT en 1962 et devient rapidement secrétaire général de l’Union des métallos de la région parisienne, jusqu’en 1969. Il sera de nombreuses fois victime de la répression patronale avant de se stabiliser dans une entreprise dans laquelle son activité syndicale sera constante. Adhérent du PSU, puis du PCF et du PS (de 1977 à 2005), puis à PRS, il milite à présent au Parti de Gauche en Côte-d’Or. C’est à l’Université de Bourgogne que, retraité, il approfondit sa connaissance du mouvement syndical pour rédiger ce « Panorama ».
Les deux tiers de l’ouvrage sont consacrés aux neuf principaux syndicats « généralistes » actuels : CGT,
FO, CFTC, CFDT, Solidaires, CGC, FSU, UNSA, CNT. Avec, nécessairement, pour comprendre les évolutions et reclassements, de longs développements sur les périodes de rupture comme la création de la CFDT, la perte d’adhérents de celle-ci à la suite de la réforme Fillion de 2003 et des départs vers SUD et la CGT.
Pour la compréhension de l’existant, le chapitre sur la Fédération de l’Education nationale (FEN) est particulièrement riche : les conflits ont été permanents de 1971 à 1992, année des exclusions, non seulement sur des bases idéologiques mais sur les projets éducatifs, pour conduire à partir de 1993 à la constitution de la FSU et de l’UNSA.
Pour chacune des centrales, des syndicats, l’auteur recourt à toutes les sources possibles : présentation des mouvements par eux-mêmes, résultats des élections prud’homales[2] ou de comités d’entreprise, notices biographiques des principaux dirigeants, déclarations phares, chronologie des événements, mode de fonctionnement, sociologie et chiffrage de l’adhésion. Tout ceci étant subordonné à la capacité des organisations de renseigner le chercheur en fournissant leurs chiffres… L’analyse des prises de position sur les grandes réformes sociales des dernières décennies et les enjeux de société (y compris l’Europe et la laïcité) n’est pas évitée.
Outre les dix organisations mentionnées ci-dessus on trouvera également des développements sur le syndicalisme étudiant (l’UNEF) et sur le syndicalisme international dont j’extrais le tableau suivant pour montrer que l’affaiblissement de la mobilisation syndicale ne frappe pas seulement la France, en rapport clair avec
l’offensive néolibérale des années 1980 :

année

Suède

Italie

G-B.

Allemagne

Espagne

France

Etats-Unis

1970

67,7 %

37 %

44,8 %

32, %

21,7 %

23,5 %

1980

78

49,6

50,7 %

34,9 %

12,9 %

18,3 %

19,5 %

1990

80,8

38,8

39,3 %

31,2 %

12,5 %

10,1 %

15,5 %

2000

79,1

34,9

29,7 %

25, %

16,1 %

8,1 %

12,8 %

2004

74

34

29 %

23 %

15 %

10 %

12,3 %

Source : Jelle Visser, “Unionmembeship statistics in 24 countries , in Monthly labor review,janvier 2006

Les enjeux de la mondialisation sont bien évoqués : « Faut-il politiser davantage les luttes syndicales contre les effets néfastes du néolibéralisme à l’échelle mondiale, pour une amélioration des conditions de travail et de vie, et pour cela construire des alliances avec le nouveau mouvement politique mondial, altermondialiste, et les syndicats des pays du Sud, en affirmant davantage les rapports de classe et l’identité des salariés, avec une solidarité internationale mieux affirmée, des actions à des échelles internationales et mondiales ? »

On appréciera aussi les développements consacrés aux syndicats « indépendants » c’est-à-dire « jaunes », en particulier dans l’industrie automobile, et l’historique du mouvement syndical français avec le rappel de documents fondamentaux comme la réponse de J. Guesde concernant la grève (Le Socialiste du 16 octobre 1992), la Charte d’Amiens de 1920 ou encore les positions des « Lip » post-68.

La partie la plus prospective de l’ouvrage reste concentrée dans les chapitres sur « La représentativité » et sur « Le dialogue social ».

  • La loi du 25 juin 2008 (« portant modernisation du marché du travail » signée par quatre syndicats - CFDT, FO, CFE-CGC, mais non la CGT – et qui comporte des enjeux importants à l’horizon 2013 : FSU, Solidaires et l’UNSA, exclus jusqu’à nouvel ordre de cette représentation peuvent estimer que « les nouveaux critères permettent de s’implanter dans les entreprises mais ferment la porte de la représentativité interprofessionnelle »);
  • celle du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique (mise en oeuvre des accords de Bercy, conclus le 2 juin 2008, non signés par FO et la CFTC : 8 organisations représentées au Conseil supérieur de la fonction publique de l’État ).

Ces textes sont analysés avec pour conclusion : « Désormais, aucun syndicat ne sera plus présumé représentatif de manière irréfragable : c’est le critère objectif de l’audience du syndicat auprès des salariés qui est le critère essentiel de la démonstration de la représentativité. »

Sur le contexte néolibéral conduisant à la régression sociale, les dernières pages sont sans ambiguïté. Si, sans manier pour autant la langue de bois, Allain Graux reste discret sur les failles de la Confédération dont il est issu, on sent dans son propos en filigrane l’obsédante question des rapports entre les syndicats et les partis, jamais résolue (et pourquoi le serait-elle ?), ainsi que les questions que la gauche de gauche se pose déjà mais doit surtout faire partager aux travailleurs de tous horizons partout où elle le peut…

Pour finir, un seul réflexe : commander cet ouvrage dont je peux vous assurer que vous retirerez information et matière à réflexion militante.

[1] Télécharger le bon de réservation pour commander l’ouvrage.
[2] Elections prud’homales du 3 décembre 2008 (Source
Institut supérieur du Travail)
Taux de participation : 25.5 %
CGT : 33.8% + 1,6 %
CFDT : 22.1% - 3%
FO : 15,9% - 2,3%
CFTC : 8.9% - 0,7%
CFE-CGC : 8.2% + 1,2% - Première place chez les cadres devant la CFDT, avec 27,9%.
UNSA : 6.2% + 1,2%
Solidaires : 3.8 % + 2,3% - Plus que le doublement de son résultat précédent.