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Suffit-il de déclarer la guerre à la finance ?

par Évariste
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Face au banditisme financier qui accompagne la phase actuelle du capitalisme, les néolibéraux de droite et les néolibéraux solfériniens n’ont qu’un mot à la bouche : « il faut réguler le capitalisme ». Pour accepter cela, il faut ne pas tenir compte des célèbres citations réalistes de Charles Pasqua : « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » et « les dirigeants politiques ne sont pas des croyants en politique » ! D’autant que la régulation du capitalisme est impossible à ce stade, au vu des intérêts de l’oligarchie dominante. Tout simplement parce que c’est une imposture de faire croire que les actuels dirigeants, de la droite et solfériniens, font une politique pour régler les problèmes du peuple, ils ne font que la politique de leurs intérêts de classe.

Comme dans les années 30, la conséquence de cette désastreuse situation entraîne de plus en plus des couches sociales non instruites politiquement à vouloir balayer au plus vite « les écuries d’Augias » que sont devenus les palais du pouvoir doré : le chemin du pouvoir est grand ouvert à l’extrême droite.
Et ce n’est pas la vacuité politique de la plus grande part de la gauche de la gauche qui peut éviter ce malheur ! Il suffit de voir en son sein, au nom de la liberté d’expression, les soutiens au raciste, antisémite et xénophobe Dieudonné. Il suffit de voir dans la gauche de la gauche politique, syndicale et associative les pans entiers de la gauche qui pensent qu’il suffit de combattre la finance ! Il suffit de lire et d’entendre les dirigeants idéalistes de celle-ci nous faire croire à la possibilité de transformer de l’intérieur l’Union européenne en Europe sociale. Il suffit de lire et d’entendre ces « brillants » économistes de la gauche de la gauche qui amusent la galerie en se « bagarrant » comme dans une cour de maternelle, pour être celui qui dit quelles sont les meilleures rustines techniques que l’on pourrait coller au système pour vaincre enfin la finance ! Triste galéjade ! Il suffit de voir une partie de la gauche de la gauche préférer la lutte des places à la lutte des classes et tenter de justifier une alliance au premier tour des municipales avec le parti solférinien ! Il suffit de voir les contorsions de la gauche de la gauche face aux politiques solfériniennes en matière d’école, de services publics, de protection sociale, de logement, de réforme institutionnelle, etc. Il suffit de voir comment les militants de la gauche de la gauche encensent l’éducation populaire sans jamais en faire une priorité ! Il suffit de voir comment la gauche de la gauche refuse de prendre en compte le phénomène de « gentrification » qui amène les couches populaires à vivre en dehors des lieux où habitent la majorité de ses militants !

Oui, nous ne sortirons pas de cette triste période sans mettre en cause aussi la gauche de la gauche en vue de construire une gauche de gauche. Pourquoi ne suffit-il pas de combattre la finance ? Remontons la chaîne de causalité. Pourquoi avons-nous des politiques austéritaires ? Parce qu’il faut payer la dette publique, qui augmente inexorablement. Pourquoi la dette publique augmente-t-elle inexorablement ? Parce que la montée de la dette privée a mis en danger le système bancaire et qu’il faut sauver les banques pour sauver le capitalisme. Pourquoi la dette privée des organismes bancaires et financiers du monde augmente-t-elle inexorablement ? Parce que le capital s’investit dans la finance plutôt que dans l’économie réelle. Pourquoi ? Parce que c’est pour lui le seul moyen de continuer à faire des profits ? Pourquoi le seul moyen ? Parce qu’il ne parvient plus à contrer la loi de baisse tendancielle du taux de profit en cassant suffisamment les salaires (directs et socialisés).
La bourgeoisie « tient l’État par la dette » avait déjà expliqué Karl Marx. Et endetter la nation est pour elle le seul moyen de se reproduire en tant que classe : elle doit donc rester dans le capitalisme et mener « au bout » le projet antisocial du néolibéralisme, soit avec la droite de type UMP, soit avec le parti solférinien, soit encore, en dernier recours, avec l’extrême droite, comme dans l’entre-deux-guerres. « Au bout » veut dire : totalement privatiser les profits et socialiser les pertes ; totalement supprimer les droits et les prestations universelles afférentes (champ du droit social) pour les remplacer par le champ du privé lucratif, allié à la charité institutionnalisée pour les « pauvres » (retour de la doctrine sociale de l’église, totalement compatible avec l’ordo-libéralisme). Ainsi, petit à petit, on terminera la reprise des acquis de 1945 : on fera la promotion de la CMU complémentaire en remplacement de l’accès partout et pour tous à la prévention et aux soins remboursés à 100 % par la Sécu ; on remplacera progressivement, à l’école, pour les couches populaires, les enseignants par des animateurs BAFA (décret Peillon sur les rythmes scolaires) ; on diminuera les droits des salariés (accord national interprofessionnel du 13 janvier 2013) ; on supprimera petit à petit la démocratie là où elle existe encore (actes I, puis II, III et bientôt IV de la décentralisation). Ainsi s’accroîtront les inégalités sociales de toutes natures, etc.
Voilà ce qu’il faut avoir en tête pour lire ce qui n’est pas écrit dans l’excellent papier de Laurent Mauduit de Médiapart « Vers une privatisation du n° 1 du logement social » que vous pourrez lire dans cette livraison de ReSPUBLICA.

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Face à une offensive politique réactionnaire et factieuse, les républicains doivent (se) manifester !

par Christian GAUDRAY
Secrétaire général de l'UFAL
www.ufal.info

http://www.ufal.org

 

D’abord de nature conservatrice, la fronde contre les projets sociétaux du gouvernement s’est vite transformée en mouvement réactionnaire. Ces trois derniers dimanche ont vu successivement se dérouler des manifestations qui, bien qu’étant sans commune mesure avec les manifestations contre le mariage de personnes du même sexe de l’an dernier, étaient d’ampleur significative : contre l’interruption volontaire de grossesse, contre le Président de la République, et enfin contre la future loi famille. D’apparence très diverses, ces manifestations étaient toutes d’essence réactionnaire, et si certains ont arpenté la rue trois dimanches consécutifs, c’est bien qu’elles avaient des points communs.
Ces mobilisations se sont faites sur des slogans complètement irrationnels : il y a aurait un encouragement à l’IVG, présentée comme un génocide contre la vie ; la prétendue « théorie du genre » aurait pour but de rendre nos enfants homosexuels ; la gestation pour autrui serait le vrai objectif de la loi famille ; etc.
Les mouvements qui émergent depuis plus d’un an ont pour caractéristiques d’être contre-révolutionnaires, de contester la légitimité des élus et des institutions, et de défendre un ordre moral centré sur des stéréotypes patriarcaux. Le point commun est donc bien le rejet de la République, de ses principes et de ses valeurs.
On pouvait la croire disparue, ou, plus lucidement, réduite au silence. La droite factieuse, celle des ligues, de la révolution nationale et du nationalisme intégral de Maurras est de retour sur la scène publique et dans la rue. Réveillée par Sarkozy, elle a été réactivée par les hésitations, les maladresses et les lenteurs de Hollande pour faire adopter sa promesse électorale d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe.
Les moyens de mobilisation sont des plus classiques et consistent en un détournement, voire un retournement, des combats de toujours de leurs ennemis : contre la dictature, pour la liberté, pour « la vie », contre la christianophobie ou l’islamophobie, ce qui est toujours plus rassembleur que de se dire contre l’État républicain, contre l’égalité, contre le droit à disposer de son corps, contre les droits des femmes, ou encore contre la laïcité.
Mais les slogans entendus au sein des manifestations ont fait tomber le voile : le Président de la République serait illégitime, les juifs devraient quitter leur pays, les francs-maçons seraient aux manettes de l’État, les homosexuels devraient être pourchassés pour protéger nos enfants.
Il faut se poser la question de savoir pourquoi les outrances, les mensonges et les rumeurs parviennent ainsi à faire perdurer et se renouveler une mobilisation qui nous ramène de plus en plus dans les années 30.
Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux jouent une part active dans la mobilisation et les jonctions qui s’opèrent entre groupes d’horizons éloignés : les contre-vérités « buzzent », la désinformation se propage plus vite que l’information, qui est discréditée, et la superficialité des analyses transforment des opinions en vérités.
La jonction entre la bourgeoisie (Manif pour tous) et les classes populaires et moyennes (Bonnets rouges, dieudonnistes, etc.) est en train de s’effectuer, de même que celle entre les intégristes catholiques et les fondamentalistes musulmans.
Les passerelles qui ont permis de parvenir à cet amalgame sont peu nombreuses. Il y a tout d’abord les Associations familiales catholiques, très actives dans les mobilisations de la Manif pour tous, et ses relais cléricaux et cléricalistes. Une fois la figure médiatique Frigide Barjot remerciée, la droite catholique a repris en main le mouvement, qui s’est divisé pour ratisser plus large vers les identitaires et les intégristes catholiques. Antoine Renard, président de la Confédération nationale des associations familiales catholiques et de la Fédération des associations familiales catholiques en Europe est annoncé comme tête de liste aux élections européennes pour la région Est du parti « Force vie » de Christine Boutin (l’ancien frontiste Jean-Claude Martinez sera, lui, tête de liste dans la région Sud-Ouest). L’autre passerelle, que personne n’avait vue venir, est Farida Belghoul. Connue en 1984 comme une des initiatrice de la deuxième Marche pour l’égalité et contre le racisme, elle est aujourd’hui proche d’Alain Soral et de son association Égalité et réconciliation, lui même proche de Dieudonné, et tout deux adeptes de transgressions antisémites sous couvert d’antisionisme. Farida Berghoul est à l’origine de l’initiative Journée de retrait de l’école qui incite les parents à retirer leurs enfants de l’école une journée par mois pour s’opposer à une supposée entrée d’une théorie du genre dans l’école. Or la lutte contre une « théorie du genre » fantasmée puis démonisée est le nouveau cheval de bataille des intégristes catholiques de Civitas et l’épouvantail agité par les Associations familiales catholiques pour conserver leurs nouveaux adhérents engrangés avec la Manif pour tous. Le ralliement de Farida Belghoul à l’extrême droite antisémite en fait la tête de pont de l’extrême droite pour pénétrer les quartiers où règnent un repli identitaire cristallisé sur la religion musulmane et un antisémitisme récurrent qui découle du conflit israélo-palestinien.
Les intégristes catholiques, dont certains ont été réintégrés dans l’Église catholique romaine par Benoît XVI, tentent d’affaiblir l’École laïque en répandant de fausses rumeurs. Ils tentent de semer le doute dans les esprits en faisant passer l’éducation à l’égalité hommes-femmes pour une théorie transhumaniste de création d’un être humain sexuellement non différencié. La vérité c’est qu’au nom de leur croyance, ils veulent conditionner la vie sociale à l’état de nature (appelée « loi naturelle ») alors que l’histoire de l’émancipation humaine a toujours été d’en sortir. Ces intégristes (de tous bords d’ailleurs, et il convient ici de rappeler les offensives des créationnistes protestants et musulmans) sont pour la stagnation de l’espèce humaine dans une société figée idéalisée et mythique où règne la domination masculine.
Pour terminer, il faut dire un mot du terreau qui a permis que tout cela se produise. D’abord une crise sociale violente et des amortisseurs sociaux qui arrivent à saturation, avec une pression néo-libérale qui menace de faire tomber les digues (la fiscalisation à 100% de la branche famille de la Sécurité sociale en est un exemple). Le ras-le-bol fiscal n’en est qu’une conséquence indirecte puisqu’il traduit en fait un rejet de l’injustice fiscale et de l’indécence de la régressivité de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés pour les plus riches, à un moment où la solidarité nécessaire est mise à la charge quasi-exclusive des classes moyennes. Avec un gouvernement qui s’est fait élire par la gauche, mais qui pratique une politique économique dont la droite a rêvé, les questions de société sont devenues le principal enjeu des joutes politiques. Mais il y a aussi un contexte européen, avec une montée de l’influence des cléricalismes et des courants réactionnaires en Europe de l’Est et du Sud. Il y a enfin une crise identitaire focalisée sur l’appartenance religieuse et un néo-racisme différentialiste unis dans le rejet de l’universalisme.
Ce ne sont donc pas des rassemblements pour défendre l’IVG, la PMA pour les couples de lesbiennes ou contre l’homophobie, l’antisémitisme qui, s’ils sont salutaires, sont les plus impérieux. Il faut aujourd’hui et maintenant que les républicains prennent conscience que la République, même si elle n’est pas menacée, est en proie à une offensive politique et qu’il est temps, ensemble et sans pour autant nier les différences ou constituer un Front, de lancer un signal fort d’affirmation des principes et valeurs qui fondent notre société et clamer que les comportement factieux sont un venin pour la cohésion sociale qui n’ont pas leur place dans la République !

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Vers une privatisation du n°1 du logement social

 

Alors que la Fondation Abbé-Pierre indique dans son bilan annuel que 10 millions de Français subissent la crise du logement, voilà un rapport de la Cour des comptes qui va faire scandale : il révèle que la Caisse des dépôts réfléchit à une privatisation partielle de sa filiale, la Société nationale immobilière, le principal bailleur social en France. Les magistrats épinglent aussi des dérives affairistes.

Déjà mis en cause en de nombreuses occasions – de la promotion express de Thomas Le Drian, le fils du ministre de la défense, jusqu’aux « notes blanches » écrites à destination de l’Élysée sous la précédent quinquennat proposant d’appliquer au logement social les pratiques spéculatives des promoteurs immobiliers –, André Yché, le patron de la Société nationale immobilière (SNI), va être au cœur de nouvelles controverses. La SNI est l’une des principales filiales de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et le principal bailleur social en France.

Dans un rapport, qui devait rester confidentiel mais que Mediapart comme Le Monde ont pu consulter, la Cour des comptes critique vivement l’affairisme dans lequel la société a versé et suggère, de surcroît, qu’elle chemine vers une privatisation partielle. Ce rapport constitue une véritable bombe car il laisse entendre que la société abandonne progressivement ses missions d’intérêt général et copie les mœurs du secteur privé, jusqu’aux plus détestables, et sera même peut-être un jour croqué par lui.

Ce projet de privatisation partielle de l’un des acteurs majeurs du logement social en France apparaît d’autant plus sulfureux que dans son dernier rapport, intitulé « L’État du mal-logement en France » et publié ce vendredi à l’occasion de la commémoration du 60e anniversaire de l’Appel de l’abbé Pierre lancé le 1er février 1954, la Fondation Abbé-Pierre estime que 10 millions de personnes sont touchées, de près ou de loin, par la crise du logement en France.

On peut télécharger ici ce dernier rapport de la Fondation.

Pour comprendre la gravité des alertes lancées par les magistrats financiers, il faut d’abord avoir à l’esprit le rôle majeur que joue la SNI dans le secteur du logement social, en même temps que les premières dérives dans lesquelles elle a été prise sous la houlette de son président, André Yché.

Cette importance, la Cour des comptes la souligne en de nombreux passages de son rapport. Elle rappelle que la CDC détient plus de 99 % de la société de tête du groupe SNI, et que celui-ci détenait très exactement 269 122 logements au 31 décembre 2011 et en gérait 274 499. Au total, la SNI loge près d’un million de personnes et a perçu 1,28 milliard d’euros de loyers en 2011. Le groupe « constitue donc un enjeu majeur pour la politique publique du logement comme pour la CDC », constate le rapport.

Or, sous l’impulsion de son président, le groupe SNI a déjà fait l’objet de vives polémiques que Mediapart a révélées dans plusieurs enquêtes (lire Le logement social dans le piège des mondanités et de l’affairisme et Le logement social entre privatisation et affairisme). Son président a fait scandale en préconisant un abandon des missions d’intérêt général dans le domaine du logement social au profit des logiques du marché. Dans un petit opuscule paru en 2011 sous le titre Logement, habitat & cohésion sociale, au-delà de la crise, quelle société voulons-nous pour demain (éditions Mollat) préfacé par le gendre de Jacques Chirac, Frédéric Salat-Baroux – nous verrons bientôt que ce détail a son importance –, il proposait ainsi que les organismes de logements sociaux soient à l’avenir régis par des règles nouvelles : « Ils doivent, de fait, devenir de véritables opérateurs immobiliers globaux et acquérir progressivement toutes les compétences de gestionnaires de portefeuilles d’actifs immobiliers qu’impliquent leurs nouvelles missions. »

« Gestionnaires de portefeuilles d’actifs immobiliers ». Pour dire les choses plus grossièrement : il y a beaucoup d’argent à se faire dans l’univers des HLM. « En définitive, ajoutait André Yché, la conclusion de ce tour d’horizon, c’est que la seule manière réaliste et pertinente de dynamiser le logement social, c’est d’instiller des mécanismes de gestion privée dans son exploitation. » Ce qui, là encore, avait le mérite de la franchise : vive le secteur privé ! Vivent les « plus-values latentes » !

Ces thèses n’auraient à l’époque pas retenu l’attention si elles avaient été défendues par un quelconque promoteur immobilier. Mais ce n’était évidemment pas le cas. Chacun avait bien compris que dans les plus hauts sommets de l’État, jusqu’à l’Élysée, on le laissait à dessein jouer ce rôle de boutefeu.

Quelque temps avant ce livre, André Yché avait d’ailleurs fait une première fois scandale, quand on avait appris qu’il était l’auteur de « notes blanches », sans en-tête ni signature donc, rédigées à l’automne 2009 à destination de l’Élysée. Voici une première de ces notes ; et en voilà une seconde.

André Yché

Dans ces « notes blanches », André Yché explorait déjà les mêmes pistes. Déplorant que les quelque « 4,5 millions de logements » HLM, représentant « 200 milliards d’euros de plus-values latentes », soient sanctuarisés et échappent « pour l’éternité aux circuits économiques courants », il préconisait un véritable « big bang » : « Ce statut idéal n’est plus d’actualité », écrivait-il. En conclusion, André Yché recommandait d’activer une partie des plus-values latentes en organisant la cession de 10 % du parc de logements détenus par les sociétés anonymes de HLM. En résumé, il proposait de vendre 200 000 logements sur dix ans, ce qui rapporterait 10 milliards d’euros…

Plus récemment, comme l’avait révélé Mediapart, André Yché a encore alimenté la critique en cooptant au comité exécutif de la SNI Thomas Le Drian, qui est le fils du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian.

Le rôle prépondérant des « plus-values latentes »

Or, le rapport de la Cour des comptes présente le grand intérêt de montrer que ces divers dérapages n’ont rien d’accidentel et poussent la SNI vers une privatisation au moins partielle, sur fond d’affairisme croissant. Les magistrats financiers établissent de manière méticuleuse que les fameuses « plus-values latentes » chères à André Yché jouent un rôle croissant dans la vie du groupe : au fil des ans, ces plus-values ont explosé et deviennent le principal ressort de la vie financière de l’entreprise.

Les cessions d’actifs engagées par la SNI, qui avoisinaient 80 millions d’euros en 2008 et 2009, ont grimpé à 435 millions d’euros en 2010. Au total, elles ont atteint près de 921 millions d’euros de 2006 à 2011, période qui correspond à l’enquête de la Cour des comptes. Dans le même temps, les plus-values constatées (par rapport aux valeurs comptables des biens vendus), ont explosé atteignant 140 millions d’euros en 2010 et 399 millions sur la période sous revue.

Or, à titre de comparaison, le résultat avant impôt de la SNI en 2010 a été de 152,5 millions d’euros, soit à peine plus que les plus-values. Conclusion en forme de lapalissade de la Cour des comptes : « La contribution des cessions au résultat est devenue prépondérante. »

Dans le même temps, la Cour des comptes établit que l’endettement du groupe a explosé pour atteindre 8,4 milliards d’euros. Les magistrats soulignent que le groupe SNI est pris dans une sorte d’étau : comme ses marges de manœuvre pour se financer deviennent de plus en plus contraintes, il est de plus en plus amené à exploiter ces gisements de « plus-values latentes ». C’est une sorte de fuite en avant perpétuelle.

Certes, tous les pôles d’activité de la SNI ne butent pas sur les mêmes difficultés de financement. Même s’il est confronté à de fortes difficultés, liées aux effets de la banalisation du livret A et de l’appétit croissant des banques privées, le pôle qui intervient dans le domaine de l’habitat social est ainsi assuré d’être alimenté par le Fonds d’épargne, qui recueille la collecte du produit favori des Français. Mais le financement du pôle de logement intermédiaire est, lui, de plus en plus contraint, pour une cascade de raisons : parce que les marges de manœuvre de la Caisse des dépôts sont elles-mêmes contraintes ; parce que, sous les effets de la crise financière, les banques sont de plus en plus frileuses, et que « la SNI est aujourd’hui confrontée à l’impossibilité de lever des fonds sur plus de 20 ans amortissables dans des conditions économiquement acceptables », comme le dit le rapport.

À lire le diagnostic des magistrats financiers, on devine que la SNI est arrivée à un point de bascule de son histoire. Avec deux scénarios possibles : soit la SNI reste dans le giron public, et défend bec et ongles ses missions d’intérêt général ; soit elle devient une proie tentante pour le privé. Sous la houlette d’André Yché, la stratégie est déjà clairement choisie : ce sera la seconde option. Et cela transparaît clairement du rapport de la Cour : « Dans le secteur du logement, il est devenu de plus en plus difficile d’obtenir des financements bancaires de long terme et ceux qui subsistent sont très coûteux (…) La seule possibilité pour la SNI de continuer son développement en étant moins tributaire du marché financier serait de trouver de nouvelles sources de fonds propres, du côté des compagnies d’assurances, des fonds d’investissement. »

En clair, la Cour des comptes confirme que l’idée chemine de passer dans un premier temps une alliance stratégique avec de très gros appétits privés. De qui s’agit-il ? D’Axa ? D’autres groupes du CAC 40 ? En tout cas, c’est écrit noir sur blanc : « L’idée a été envisagée de créer un fonds dans lequel la CDC prendrait une participation à côté d’autres investisseurs. Ceux-ci pourraient être intéressés s’il leur était proposé un investissement suffisamment rentable et liquide. Le rôle de la SNI serait de leur apporter la garantie d’une rentabilité minimale et de la liquidité de leur investissement, par exemple au moyen d’une promesse de rachat à la demande moyennant une prime. » Dans cette première étape, selon le vieux principe libéral, les profits éventuels seraient donc privatisés ; et la SNI socialiserait éventuellement les pertes.

La CDC «n’exclut pas une ouverture à terme » du capital de la SNI

Mais on découvre, à la lecture du rapport, qu’une fois le loup entré dans la bergerie, il pourrait avoir un appétit beaucoup plus grand. En clair, après une alliance stratégique avec des fonds d’investissement ou des grands groupes privés d’assurance, une deuxième étape pourrait être franchie, conduisant à une privatisation, au moins partielle, de la SNI.

Le rapport dit que cette réflexion chemine : « Ces perspectives pourraient se traduire par une évolution de la composition du capital de la SNI. Si la CDC entend la conserver en son sein (sic !), elle n’exclut pas une ouverture à terme de son capital, surtout dans l’hypothèse où la contrainte financière demeurerait forte et où la SNI voudrait néanmoins conserver des projets de développement opérationnels. » On sent que la logique de l’intérêt général est en train d’être progressivement reléguée au second plan, au profit d’une autre, celle du profit. Avec toutes les convoitises que cela peut déchaîner.

C’est un autre aspect important que révèle ce rapport de la Cour des comptes : il suggère que la SNI, avant même son éventuelle privatisation partielle, est la proie d’un spectaculaire affairisme. Comme Le Monde l’a révélé (l’article est ici – lien payant), la Cour des comptes s’arrête en particulier sur une affaire grave, celle de la cession du patrimoine résidentiel locatif qui appartenait à Icade, une autre filiale de la Caisse des dépôts. À la cession de ce gigantesque parc locatif résidentiel, « localisé en quasi-totalité dans huit départements d’Île-de-France, dans une cinquantaine de communes » et « largement financé sur apports publics ainsi que par le 1 % logement et les loyers versés pendant des décennies par des locataires modestes »– ce sont les mots de la Cour des comptes –, Mediapart a déjà consacré de nombreuses enquêtes, sous la plume de ma consœur Martine Orange, que l’on peut retrouver ici.

Or, la Cour des comptes vient confirmer que ce projet de cession, qui portait initialement sur 31 453 logements, 742 commerces, 59 bureaux, 1 859 logements en copropriété et divers autres biens, soit un actif net évalué à 2,2 milliards d’euros, s’est déroulé dans de stupéfiantes conditions. La solution retenue, au début de 2009, a été que la SNI devienne le chef de file d’un consortium regroupant divers investisseurs, dont les « ESH » concernées (les entreprises sociales pour l’habitat des différentes collectivités), pour racheter ces biens à Icade (filiale de la CDC, comme la SNI). D’entrée, la procédure était viciée : « La SNI était donc, en tant que chef de file du consortium, de manière patente, en situation, sinon de conflit d’intérêts, du moins de conflit de missions. »

Mais il y a plus grave. En des termes elliptiques, la Cour des comptes laisse entendre que les avocats choisis par la SNI pour piloter l’opération étaient eux-mêmes en grave conflit d’intérêts. Les magistrats se bornent à donner le nom du cabinet concerné, Weil, Gotshal & Manges, sans indiquer précisément quel est le signe distinctif de ce cabinet. Étrange discrétion de la Cour des comptes !

Mais avant de percer ce mystère, lisons : « Selon les propres termes de la SNI, ces conseils “choisis d’un commun accord avec la CDC” “ont été désignés de gré à gré notamment par rapport à leur connaissance du groupe CDC, à leur dimensionnement suffisant (…)” Même en tenant compte de l’appartenance commune d’Icade et de la SNI au groupe CDC, il est surprenant de voir le conseil de l’acheteur potentiel désigné de fait par le principal actionnaire du vendeur (lequel actionnaire, la CDC, avait recours par ailleurs aux services de ce conseil). Le conflit d’intérêts du côté des conseils était patent. »

Traduisons. Le patron de la CDC, à l’époque, était Augustin de Romanet, ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée du temps de Jacques Chirac et actuel PDG de Aéroports de Paris. Et si le conseil du cabinet d’avocats Weil, Gotshal &Manges n’est pas nommé, il n’est guère difficile de savoir qui il est : il s’agit de Frédéric Salat-Baroux (ici sa biographie sur le site du cabinet), gendre de Jacques Chirac, et ancien secrétaire général de l’Élysée.

Frédéric Salat-Baroux

En clair, Augustin de Romanet avait pris son ancien supérieur hiérarchique à l’Élysée comme conseil de la CDC et, en accord avec le même Augustin de Romanet, André Yché n’a rien trouvé de mieux que de prendre le même Frédéric Salat-Baroux, celui-là même qui a fait la préface de son livre, comme conseil pour le consortium. Des conflits à tous les étages, avec à la clef d’immenses honoraires pour le cabinet concerné.

Entre mondanités et vie des affaires, André Yché a donc su, au gré des alternances, naviguer au mieux. […]

La SNI sur les traces sulfureuses de Dexia

Et sans doute n’est-ce qu’une partie seulement du scandale car la Cour des comptes prend soin de préciser qu’elle ne traite ce dossier que sous l’angle de la SNI et qu’un nouveau rapport verra bientôt le jour sur le même sujet, dans le cadre d’un contrôle de la société Icade. Dans ses enquêtes sur Mediapart, ma consœur Martine Orange avait ainsi apporté de nombreuses autres révélations sur l’opération. Elle avait en particulier dévoilé que le patron déchu de Vivendi, Jean-Marie Messier, reconverti en banquier d’affaires, avait aussi dispensé ses conseils aussi bien à Icade qu’à la SNI pour un montant global de commissions de 5 millions d’euros (lire Et maintenant, Jean-Marie Messier réorganise le logement social).

La Cour des comptes relève d’autres irrégularités. Les membres du consortium (les organismes HLM, les collectivités…) n’ont bénéficié que d’informations « lacunaires » sur les détails de l’opération. De surcroît, la SNI a fait le jeu de son actionnaire, la CDC, au détriment du consortium dont elle était pourtant le chef de file, en acceptant que la valorisation des biens cédés (l’actif net réévalué) passe subrepticement de 2,2 à 2,8 milliards d’euros, au moment même où le marché immobilier entrait dans une phase d’effondrement, forçant des offices HLM à jeter l’éponge et sortir du consortium ou alors à accepter ces prix surévalués.

« Dans cette affaire, la SNI aurait dû en tant que chef de file du consortium s’attacher en priorité à la défense des intérêts de ses mandants, qui l’ont payée pour cela », note la Cour, soit 6,7 millions d’euros, qui ont été en bonne partie rétrocédés aux conseils. Or, la SNI a fait le jeu d’Icade.

Ce n’est pas la seule opération pointée. Au fil des pages du rapport, on découvre d’autres critiques visant des opérations différentes, comme la vente à prix cassé d’un immeuble dans le VIIIe arrondissement de Paris au profit de Gecina, un groupe foncier qui détient un patrimoine immobilier de 11 milliards d’euros en Île-de-France ; et bien d’autres opérations encore. Les magistrats financiers multiplient aussi les critiques à l’encontre du système de gestion domanial des agents du ministère de la défense (10 000 logements environ), que ce dernier a alloué à la SNI…

Bref, si la Cour des comptes admet que « le groupe SNI apparaît globalement bien géré, notamment en matière de gestion locative », elle délivre dans tous les autres domaines une avalanche de critiques. Et puis surtout, il y a cette alerte rouge : au cœur du logement social, un projet très inquiétant de privatisation fait son chemin. Un projet, selon ce que suggère la Cour, qui a la bénédiction des instances dirigeantes de la CDC.

C’est d’ailleurs là la clef. Car, dans les premiers mois après l’alternance, on pouvait se demander pourquoi l’État ne se débarrassait pas du si encombrant auteur des « notes blanches » à Nicolas Sarkozy, André Yché. Mais sans doute dispose-t-on désormais de la réponse. En vérité, l’ancien ministre sarkozyste qu’est Jean-Pierre Jouyet, actuel patron de la CDC, est vraisemblablement sur la même longueur d’ondes. Tout comme son meilleur ami, François Hollande, qui mène avec ardeur sur tous les fronts une politique clairement néolibérale…

En quelque sorte, à lire la Cour des comptes – et même si elle ne formule pas les choses de manière aussi abrupte –, c’est une sorte de nouveau « hold-up » qui se profile, au sein même de la Caisse des dépôts, un peu à la manière de celui du Crédit local de France, le banquier des collectivités locales, qui, dans le courant des années 1990, s’est progressivement désarrimé de la CDC, puis a été privatisé, et se transformant en Dexia, a copié les mœurs de la finance, arrosé ses mandataires sociaux d’abondantes stock-options, avant de connaître une faillite retentissante, l’une des plus graves de l’histoire bancaire française.

Avec le logement social, l’histoire semble bégayer. À ce rythme-là, une fois que le capital de la SNI aura été ouvert, André Yché pourra à son tour être couvert de stock-options. En remerciements des services rendus au CAC 40 et à la finance. À bas le logement social ! Vivent les plus-values latentes…

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« Penser la laïcité » de Catherine Kintzler

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Pour tous les citoyens éclairés et militants, la sortie de ce livre (Éditions Minerve, 2014, 22 €) est un événement à ne pas « louper ». Condensant et prolongeant les ouvrages antérieurs de l’auteure, il vient à point nommé pour ceux qui sont abasourdis par les zélateurs du juridisme, par le mouvement réformateur néolibéral et ses dérives, par les dictateurs du simplisme ou encore par ceux qui croient résoudre tous les problèmes avec des rustines inopérantes. Il renoue avec une théorie philosophique lumineuse qui demande quelques efforts néanmoins. Selon une métaphore montagnarde, lire ce livre de façon raisonnable, c’est bien se préparer à atteindre un sommet !

Avant d’exprimer nos critiques sans concession, nous allons saluer l’ouvrage qui lie une théorie philosophique puissante et son application dans de nombreux cas concrets compréhensibles par tous les citoyens éclairés.

Commençons néanmoins par nous étonner d’une « coquetterie » de l’auteure quand elle explique sa préférence pour le mot tolération plutôt que tolérance, préférence qu’elle justifie par une traduction qu’elle juge plus précise du texte écrit en latin par le grand Locke ! Nous continuerons par commodité à parler de régime de tolérance plutôt que de régime de tolération.

Lumineux, son propos qui montre l’insuffisance d’une définition universelle de la laïcité par la liberté de conscience et par la séparation des églises et de l’État. Analyse très convaincante d’y adjoindre la nature du lien politique auto-justifié face au régime de tolérance où le lien politique se définit à partir des liens religieux. Cela nous permet alors de bien comprendre la citation célèbre de Jean Jaurès : « Nous ne sommes pas le parti de la tolérance – c’est un mot que Mirabeau avait raison de dénoncer comme insuffisant, comme injurieux pour les doctrines des autres -, nous n’avons pas de la tolérance, mais nous avons, à l’égard de toutes les doctrines, le respect de la personnalité humaine et de l’esprit qui s’y développe. »(Congrès du PS, 1910).

Lumineuse, son analyse que la supériorité du principe de laïcité provient du fait qu’il permet tout autant de vivre séparé que de vivre ensemble avec les mêmes droits et considérations.

Lumineux, son propos sur le fait que la laïcité ne peut se justifier que par le surcroît de liberté qu’il procure pour tous et toutes. D’où sa critique de deux dérives : la laïcité “adjectivée” de la gauche communautariste d’une part et l’ultra-laïcisme de droite ou d’extrême droite d’autre part. Notons que nous apprécions moins le nouveau vocable d’ « extrémisme laïque » utilisé par l’auteure alors qu’elle avait dans de textes antérieurs parlé d’ultra-laïcité ou d’ultra-laïcisme, qui nous paraissaient plus explicites et plus justes.

Lumineux, le lien qu’elle théorise entre le principe de laïcité et l’école publique dont la finalité doit rester principalement l’instruction du futur citoyen.

Lumineuse aussi, sa démonstration sur la nécessaire extension de la loi du 15 mars 2004 portant interdiction des signes religieux ostensibles à l’école, tant dans les sorties scolaires qu’à l’Université (uniquement dans les moments où un enseignant est en situation d’enseignement ou de recherche avec des étudiants,et non étendue à tous les lieux universitaires !).

Lumineuse, son analyse sur l’affaire du gîte d’Épinal où elle montre que le principe de laïcité ne peut pas être invoqué car le principe de laïcité ne peut l’être que dans la sphère de l’autorité publique ou dans la sphère de constitution des libertés (école, services publics, protection sociale). Hors de ces sphères, c’est le droit commun et l’ordre public qui seuls permettent une interdiction. Elle montre de fait que cela est nécessaire pour que le principe de laïcité permette le plus haut niveau possible dans l’application du principe de liberté, placé de façon ordonnée en tête du triptyque républicain.

Lumineuse, son analyse sur les langues régionales (dont la paternité aurait pu être reconnue à… Jean Jaurès) dont le développement doit se faire sans signer la charte européenne régressive sur les langues régionales.

Lumineux, son rappel que l’école n’est pas faite pour la société mais pour la République ! Que la pédagogie de l’enseignement d’une matière est indissolublement lié à la discipline considérée, alors que pour les pédagogistes, il existerait une théorie pour « apprendre à apprendre », indépendante de la discipline considérée. Ou encore sa critique de la pédagogie par « objectifs et compétences » (être capable de) au profit d’une pédagogie de programme (avoir compris pourquoi, avoir pris possession de…).

Sur l’autonomie des savoirs et l’autonomie des esprits, elle précise (pourvu que nos élus lisent ce passage !) que l’association politique ne doit pas relever d’un « acte de confiance » ou d’un « enthousiasme, d’un contrat mais d’un « fonctionnement critique et raisonné » !

Lumineuse encore, son analyse de la liberté de culte comme droit-liberté et non droit-créance.

Lumineux, son rappel de la distinction du cultuel et du culturel.

Lumineuse aussi, son analyse sur la crèche Baby Loup où elle défend avec brio la thèse complexe suivante :
- la cour de Cassation a eu raison dans les deux arrêts du 19 mars 2013 (Baby Loup et une caisse de sécurité sociale) qui peuvent apparaître contradictoires lorsque l’on a pas étudié le problème au fond,
- le principe de laïcité ne s’applique pas dans ce cas (voir plus haut),
- mais l’inégalité paradoxale entre des entreprises privées confessionnelles (qui ont le droit d’obliger au respect des obligations confessionnelles) et des entreprises privées (une association relève du droit privé) qui n’auraient pas le droit de demander la neutralité religieuse est choquante.
Voilà pourquoi elle justifie le choix de la Cour d’appel du 27 novembre 2013, tentant un règlement jurisprudentiel de l’affaire Baby Loup avec le concept d’« entreprise de conviction ».
Notre point de vue est que l’on ne fera sans doute pas l’économie d’un article de loi sur ce sujet.

Déjà dans son livre  Qu’est-ce que la laïcité ? (éditions Vrin, 2007), elle avait brillamment démonté la thèse de Régis Debray (nécessaire étude du « fait religieux » ou pas ?) en montrant que ce qui devait être étudié, ce ne sont pas les faits religieux, qui ne relèvent pas de l’encyclopédie, mais les « humanités » fabriquées par l’homme (et qui donc relèvent de l’encyclopédie) ce qui incluait toutes les œuvres littéraires et artistiques sans exception, dont bien sûr la littérature et l’art religieux. Dans ce nouveau livre Penser la laïcité, elle se livre à une nouvelle avancée conceptuelle avec une notion élargie des humanités.

C. Kintzler nous permettra cependant de rester fidèle à la pensée de Condorcet, alors qu’elle est en désaccord sur la préférence de celui-ci pour l’exemplarité des sciences - qui nous paraît toujours nécessaire au 21e siècle. Ce qui ne nous empêche pas de considérer en même temps, comme sans doute Condorcet le pensait, que les « humanités littéraires » (liées à une contingence historique) aient une caractéristique propre à mettre en valeur. Pour nous, ce ne sont pas pour les mêmes raisons qu’au 18e siècle, où ces « humanités littéraires » ont été instrumentalisées par les hommes d’Église, mais parce que l’instrumentalisation n’a toujours pas cessé, même si aujourd’hui ce n’est plus le clergé religieux qui est à la manœuvre. Mais n’y a-t-il que des clergés religieux ?

Sur la morale, nous sommes restés sur notre faim et nous référons à un texte merveilleux d’Henri Pena Ruiz (qui je l’espère pourra être mis sur le net) où il critiquait l’idée d’une « morale laïque » pour lui préférer une « conception laïque de la morale ».

Nous pourrions aussi dire que, contrairement à ce que dit l’auteure au début du chapitre 2, les difficultés n’ont pas démarré par l’affaire de Creil en 1989  qui aurait abouti à une « solution » avec la loi du 15 mars 2004. Il faut de ce point de vue remonter aux circulaires de Jean Zay en 1937, au moment du Front populaire, qui avait interdit les signes religieux et politiques dans l’école publique. Circulaire bien sûr annulée par le régime collaborationniste de Vichy mais aussi par l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989 d’un ministre de l’Éducation nommé… Lionel Jospin !

Il conviendrait  de pouvoir débattre avec l’auteur de différents autres points. Par exemple, si nous partageons avec elle le point de vue selon lequel la finalité prioritaire de l’école reste l’instruction du futur citoyen, nous estimons que l’école a aussi, aujourd’hui, secondairement un rôle éducatif.

Venons-en alors à notre critique principale. Elle apparaît quand l’auteur aborde les conditions intellectuelles et historiques de l’émergence du principe de laïcité. Elle en développe, très bien selon nous, les conditions intellectuelles mais elle s’arrête au milieu du gué sur les autres conditions sociales, économiques et historiques. Pourtant, elle engage le chemin à la fin de la page 47 où elle fait un lien avec le combat social. Mais sans aller aussi loin que Jean Jaurès (également agrégé de philosophie…) dans la liaison entre les combats et notamment entre le combat laïque et le combat social. D’où vient qu’elle ne peut pas expliciter pourquoi, dans une analyse matérialiste, existe aujourd’hui sur l’ensemble de la planète le paradoxe de la concomitance d’une avancée de la sécularisation et d’une poussée du communautarisme et de l’intégrisme.
Voilà pourquoi l’analyse de ce livre n’est pas suffisante pour comprendre par exemple pourquoi le combat laïque se développe aujourd’hui dans le monde entier et pourquoi il y ici des avancées (Suède, Bolivie, etc.) et là des avancées puis des reculs (suites du “printemps arabe”). Cela n’est pas dû (v. p. 43) à l’ignorance de la laïcité par les « politiques » mais au fait que la majorité des élus, depuis des décennies, suivent une ligne politique qui s’appuie sur le développement du communautarisme et ont besoin de substituer un régime de tolérance au régime de laïcité, là où il existe.

L’auteure a raison de dire que la République laïque est une classe paradoxale. Mais toute République instituée est aussi traversée par la lutte des classes qui se superpose donc à cette classe paradoxale. Voilà pourquoi là aussi, il ne faut pas isoler le combat de la laïcité du combat général comme le font nombre de petites organisations laïques, dont le confort que cela leur procure est inversement proportionnel à leur influence. De la matière pour un livre publié en 2014 ?

Reste que ce livre de Catherine Kintzler restera très longtemps un livre incontournable.

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Théâtre : « Bienvenue dans l'angle Alpha » - Texte et mise en scène de J. Bernard

par Marie-Thérèse Estivill

 

Comment se porte votre conatus ? Et l’angle alpha qui en découle ? Est-il cosinus 1, 0 ou mieux -1 ? Pour faire simple, quel salarié êtes-vous dans ce monde néolibéral ? Pour répondre à cette question, deux voies s’ouvrent à vous : lire Capitalisme, désir et servitude – Marx et Spinoza de Frédéric Lordon (La Fabrique éditions, septembre 2010) ou aller voir la pièce Bienvenue dans l’angle alpha que Judith Bernard a tirée de cet essai. Dans le premier cas, vous risquez la noyade, qui plus est, assumée par l’auteur : son ouvrage est celui d’un universitaire, destiné à des universitaires. De son travail sur Spinoza, au moment de la parution de son essai, il en était seulement au stade de l’exploration dans son laboratoire de concepts, ce n’était pas encore le moment, pour lui, de passer à la vulgarisation, à moins de proposer de la « sous-pensée » façon BHL. Voilà ce que l’auteur expliquait à Judith Bernard dans un entretien donné pour Arrêt sur images, en septembre 2010 (D@ns le texte). C’est sans doute là d’ailleurs que la metteur en scène a eu l’idée d’adapter ce texte pour le théâtre – quand on l’écoute mener la conversation, on comprend en effet qu’elle s’est déjà « approprié » la pensée « lordonienne » et qu’elle a dépassé la noyade.

Pari osé donc de proposer ce texte, on l’aura compris, compliqué, sur une scène de théâtre, pari réussi – et il ne s’agit pas ici d’une expression convenue. Si cette adaptation fonctionne aussi bien, sans tomber dans la lourdeur didactique d’une conférence théâtralisée sur les ravages du néolibéralisme dans le monde du travail, c’est dû en premier lieu à une trouvaille : une échelle, unique accessoire, mais de taille, de la représentation. Cette échelle, la metteur en scène l’a voulue rouge, couleur lyrique et politique. Elle est « un objet magique », « un signe multifonctionnel ». Le spectateur comprend ainsi aisément ce que Lordon appelle « l’angle alpha », c’est-à-dire la représentation trigonométrique de nos désirs, cet angle correspondant à l’écart entre le désir-maître du patron et le désir de ceux qu’il cherche à enrôler dans son entreprise. Les tenants du néolibéralisme veulent réduire cet angle à zéro degré, incitant les salariés à épouser le désir-maître par tous les moyens, y compris en cherchant à remodeler de l’intérieur leurs propres affects – c’est donc ici que l’économiste fait intervenir Spinoza et son conatus, cet élan de faire, cette puissance d’agir propre à chacun car, selon lui, cette anthropologie des passions fait défaut à la pensée de Marx. C’est cette volonté du capitalisme de s’approprier totalement le conatus de chacun qui amène Lordon à affirmer que le néolibéralisme est un totalitarisme. Sur la scène, l’échelle, par son caractère modulable, permet de se représenter la tension qui s’exerce entre tous ces désirs. Grâce à elle, on voit mieux également la confusion de la hiérarchie sociale dans les entreprises « modernes ». Barreaux de la prison dans laquelle les salariés sont enfermés ou se sont enfermés, support au bout duquel le salarié finit par se pendre… : l’échelle joue un rôle central.

Si ce spectacle échappe à la lourdeur didactique, la fluidité de sa construction y est pour beaucoup. Les cinq comédiens ne sont pas figés dans un rôle définitif : tour à tour, ils sont le candide qui pose les questions, le conférencier pour de rares adresses directes explicatives. Des moments graves alternent avec des moments plus légers, voire comiques, avec une ingénieuse utilisation d’un rétroprojecteur, si prisé des cadres sup. Tension des corps ; jeu des voix, tel un choeur antique : le théâtre est bien là.

On sort de cette représentation avec le sentiment d’être plus intelligent, en se disant qu’on comprend mieux les mécanismes du néolibéralisme et avec des questions aussi, une en particulier : quelle « chose commune » peut-on trouver pour échapper à ce totalitarisme ? La réponse, on le pressent, est du côté de la danseuse, qui, durant presque toute la pièce, se tient à l’écart du groupe des comédiens : elle danse, semble heureuse. Son angle alpha est cosinus (-1), à 180 degrés du désir maître. On l’envie et on se dit qu’on ferait bien comme elle. En attendant de trouver comment, on se plonge, enfin, une bonne fois pour toutes dans la langue de Lordon : on sait désormais nager !

Théâtre de Ménilmontant (Paris 20ème) – jusqu’au 26 février – Réservations : resa@menilmontant.info

Bienvenue dans l’angle alpha – Texte et mise en scène de Judith Bernard, d’après Frédéric Lordon
Avec : Judith Bernard – Maggie Boogaart – Renan Carteaux - Gilbert Edelin – David Nazarenko -Fabrice Nicot – Aurélie Talec

Laïcité
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Laïcitad, colonie de vacances laïque européenne

par l'UFAL (Union des FAmilles Laïques)
www.ufal.info
http://www.ufal.org

 

Inscrivez vos ados à la colonie de vacances européenne LAÏCITAD !

Cette année encore, l’UFAL participe à l’organisation de « Laïcitad, terres de libertés », un voyage d’échanges et de rencontres entre adolescents issus de différents pays. Ce séjour interculturel, qui s’adresse aux jeunes âgés de 13 à 15 ans, se déroulera du 17 au 31 juillet 2014 dans les Pyrénées (non loin de la commune de Saint-Lary-Soulan).

Pour plus de renseignements : 

http://www.ufal.org/laicitad-2014

Lors de ce voyage, différentes activités sportives et culturelles seront proposées aux jeunes : ils pourront s’adonner aux joies de la randonnée, aux plaisirs des parcs d’aventures, mais aussi pratiquer différents sports (tennis, natation, volley, etc.) ou encore partir à la découverte des villes et richesses environnantes. Des « ateliers » d’initiation aux premiers secours, de sensibilisation aux assuétudes, de réflexions sur la vie affective et le « vivre-ensemble » ou encore de découverte de la botanique et du photo-montage, etc. seront également organisés.

Grâce aux liens tissés et aux réflexions menées durant ces 10 jours, ce voyage permettra d’aboutir à la construction d’un projet commun sur la place à donner dans leur vie à la solidarité.

Au niveau du coût, le prix du voyage s’élève 350 euros par enfant et comprend l’intégralité des frais inhérents à l’organisation. (Un système d’aide en fonction des revenus des parents est mis en place par l’UFAL pour ses adhérents.)

Agenda

mercredi 5 février 2014, 19:00
8 Rue du Général Renault\n75011 Paris
 
mercredi 5 février 2014, 19:30
Salle des mariages de la mairie de Gisors(95)
 
jeudi 6 février 2014, 19:00
Antenne MJC,12-14 place du Moulin à Vent, à Ris-Orangis(91)
 
vendredi 7 février 2014, 19:00
10 Impasse Crozatier\n75012 Paris
 
mardi 11 février 2014, 18:00
Mairie du 12e M° Dugommier ou Montgallet - Bus 29 - Vélib’ 12109 (rue de Charenton) - Salle des Mariages
130, avenue Daumesnil-Paris
 
mardi 11 février 2014, 19:00
Chilly-Mazarin(91)
 
mercredi 12 février 2014, 19:00
MJC-CS Aimé-Césaire, 13, Avenue Jean Mermoz, Viry-Châtillon, 91, France
 
jeudi 13 février 2014, 19:00
Antenne MJC,12-14 place du Moulin à Vent, à Ris-Orangis(91)