Chronique d'Evariste
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Que faire ? Révolution ou révélation, il va falloir choisir !

par Évariste
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« Ils ne cherchent pas une révolution, mais une révélation » disait Saul Alinsky, dans Rules for radicals, des militants qui veulent des changements rapides et spectaculaires via leur passion pour les grands leaders charismatiques, le romantisme révolutionnaire et les dogmes messianiques.
Bien sûr, pour ceux qui souhaitent la transformation culturelle, sociale et politique, il faut étudier sérieusement Condorcet et la Révolution française, Karl Marx, Friedrich Engels, la rupture sociale et politique du XIXe siècle, Jean Jaurès et la République sociale, Antonio Gramsci et la bataille pour l’hégémonie culturelle, Jean Moulin et le Conseil national de la Résistance. Mais, sans dresser de parallèles abusifs entre la situation des Etats-Unis à la fin des années 60 et celle d’ici et d’aujourd’hui, il faut aussi lire Saul Alinsky pour comprendre ce qu’il ne faut pas faire et ce que nous pouvons faire d’efficace. Et pour comprendre les possibilités ouvertes par une refondation de l’éducation populaire.
L’occasion d’aller au coeur de cet ouvrage de 1971 peu accessible en français nous est donnée par l’association grenobloise des Renseignements généreux qui en a publié la présentation et le résumé abondamment cité en italiques ci-après.1
Ce qui suit n’est qu’un complément aux analyses que nous avons l’habitude de présenter dans ReSpublica. Cette chronique vise à dire que les débats sur la ligne sont insuffisants si on n’aborde pas la réflexion stratégique et les modes d’action. Nous en voulons pour preuve la victoire municipale de Grenoble en mars dernier et son analyse. Commençons par dire l’erreur des communistes grenoblois, qui ont dès le premier tour présenté une liste commune avec les pires néolibéraux socialo-solfériniens (au prétexte qu’ils étaient sortants) et qui ont refusé avec eux de fusionner avec la liste de gauche arrivée en tête au soir du premier tour. Continuons par souligner que certains dirigeants nationaux du PG ont été un peu vite en besogne en disant que cette victoire validait des alliances EELV-PG en omettant d’analyser les causes de la victoire. En fait, le point de départ est la floraison de réseaux citoyens grenoblois depuis de nombreuses années. Ne pas oublier l’action citoyenne qui a conduit le député-maire UMP Carignon en prison. Et enfin, la création de l’Association démocratie écologie solidarité (ADES). C’est en étudiant cet ensemble de faits que l’on peut comprendre la victoire grenobloise. Il ne faudrait donc pas conclure de cette dernière qu’il suffirait de faire une alliance quelques mois avant l’échéance pour obtenir la même ailleurs. Et ces réseaux citoyens et l’ADES ont promu des formes d’action méconnues dans la plupart des partis. Ils ont certes été soutenus par de nombreux militants d’EELV et du PG, mais c’est bien dans leur pratique singulière qu’il faut chercher les causes de la victoire
Alors allons-y ! D’abord combattre les 5 plaies du militantisme occidental pour engager une réflexion stratégique de grande ampleur :

Combattre le morcellement des luttes

« Les mouvements radicaux ont de grandes difficultés à s’unir et s’élargir. En plus de la répression gouvernementale, ils semblent dévorés de l’intérieur par les querelles idéologiques, les carences organisationnelles, les ambitions personnelles ou les rivalités narcissiques. Trop souvent, ils ont tendance à se fragmenter en groupuscules en concurrence les uns avec les autres. ».

Combattre les méthodes médiocres de communication

« Les textes radicaux sont souvent illisibles, truffés de théories complexes, coupées de la réalité et trop éloignées des préoccupations concrètes de la population. On retrouve ici l’un des leitmotivs de Saul Alinsky : ‘Partir de là où en sont les gens’, c’est-à-dire s’intéresser au quotidien de la population avant de diffuser de grandes analyses sur la société de consommation, la démocratie représentative ou l’écologie libertaire. »

Combattre la tendance à l’entre-soi

« Prôner une rupture radicale avec l’ordre établi conduit de nombreux militants à fuir les contacts avec les ‘gens normaux’, jugés toujours trop matérialistes, pollueurs, sexistes, racistes, soumis et conformistes. Une culture de l’entre-soi se met progressivement en place, marquée par des attitudes, des expressions et des codes vestimentaires communs, doublée parfois d’attitudes hautaines et méprisantes vis-à-vis du reste de la société. Alinsky s’insurge contre cette tendance à consacrer davantage de temps et d’énergie à célébrer la radicalité et la ‘pureté’ d’un groupe militant plutôt que de réfléchir aux stratégies pour réellement transformer la société. Rules for radicals insiste au contraire sur l’importance, pour les révolutionnaires, de s’intégrer au plus près de la population. Cette démarche politique suppose de respecter la dignité des personnes que l’on côtoie, de ne pas faire de jugement moral hâtif sur leurs idées ou sur leurs modes de vie, ou encore de savoir remettre en question ses apparences :  ‘S’il s’aperçoit que ses cheveux longs sont un handicap, une barrière psychologique pour communiquer et s’organiser avec les gens, un authentique révolutionnaire les fait couper.’ »

Faire de la réflexion stratégique un impératif catégorique

« La plupart des radicaux veulent ‘tout, ici et maintenant’. Ils ont du mal à inscrire leurs luttes dans la durée, à prendre en compte la nécessité de transitions, à imaginer des étapes sur plusieurs années. Ce désir d’un changement rapide et spectaculaire s’accompagne généralement d’une passion pour les grands leaders charismatiques, le romantisme révolutionnaire ou les dogmes messianiques marxistes et maoïstes, autant d’indices qui, pour Alinsky, semblent le signe d’une ‘recherche de révélation plutôt que de révolution’. A l’inverse, Rules for radicals envisage la révolution comme un processus lent et progressif, nécessitant un long effort d’organisation, en partant du niveau local. »

Combattre le nihilisme désespéré

« Une grande partie des jeunes générations ne semble nourrir aucun espoir dans un réel changement de société par l’action politique, elle envisage l’avenir du monde sous l’angle du désastre inévitable. C’est pourquoi, à la protestation désespérée, elle a tendance préférer des ‘stratégies de fuite’. Certains se replient dans des communautés coupées de la société, d’autres dans un nomadisme permanent, dans la drogue, le développement personnel ou l’ésotérisme, autant de voies qui, le plus souvent, aboutissent à des échecs personnels, à la solitude, au désespoir, à l’égocentrisme ou à la dépression. Pour Alinsky, la lutte armée s’inscrit dans cette tendance nihiliste : il s’agit d’un combat perdu d’avance qui ne peut aboutir qu’à un suicide politique. Non seulement la répression gouvernementale, féroce et disproportionnée, finit inexorablement par disloquer ou décourager les luttes clandestines, mais cette répression est acceptée par la majorité de la population qui, face à la violence, prend peur et préfère ‘un mauvais système qu’une bande de fous violents’ ».

Si vous combattez ces 5 plaies, et si vous estimez que les principales causes de la criminalité, des injustices, de la pauvreté, de la misère sont les mauvaises conditions de vie, le chômage, l’exploitation, la domination, l’expropriation, la discrimination , et que tout cela nous ramène, en général, à l’organisation capitaliste de la société, alors vous pouvez continuer la lecture de ce texte. Dans le cas contraire, la société de consommation vous propose toutes les drogues possibles et inimaginables!
Ne serait-il pas alors prioritaire d’aider les personnes opprimées,  exploitées, dominées à s’organiser, à construire des luttes autogérées, radicales et efficaces ? Comment  ? Grâce au contact entre ces personnes et des intervenants en éducation populaire !
Mais encore ? En s’intégrant à la vie du quartier, en tissant des liens amicaux, en  identifiant les rapports de force, en cernant les principaux problèmes et les solutions possibles. En encourageant les uns et les autres à prendre la parole, à exprimer leur colère face aux propriétaires, aux autorités ou aux patrons locaux, puis à définir des revendications et imaginer des stratégies de victoire. En privilégiant les propositions d’actions directes non violentes et ludiques, et participant activement à leur organisation: sit-in festif , boycott, manifestations, pétitions… De luttes en luttes, les succès s’accumulent, la participation des habitants s’intensifie, les actions prennent de l’ampleur.
Partir du principe que ceux qui ont intérêt à la transformation sociale et politique sont piégées dans un quotidien de survie. Ils vivent le plus souvent au jour le jour, sans grande perspective, sans assez de temps, de recul et d’énergie pour s’organiser politiquement, pour s’engager dans des stratégies de luttes, encore moins pour imaginer un bouleversement radical du système capitaliste. Le but des intervenants en éducation populaire n’est pas de diriger des luttes, mais de stimuler leur essor, d’accompagner la création d’organisations populaires, les plus autogérées, radicales et indépendantes (y compris des intervenants en éducation populaire !) possibles vis-à-vis des pouvoirs publics, des propriétaires et des patrons.
Vous luttez déjà contre les 5 plaies notés ci-dessus, alors voilà une adaptation de ce que pourraient être les 5 principes à appliquer dans la méthode Alinsky :

1/ S’intégrer et observer

 Une fois choisi un quartier ou un secteur de la ville particulièrement sinistré, les intervenants en éducation populaire [NDLR : nous préférons ce terme à celui d'organizers conservé en anglais dans le texte des Renseignements généreux] s’y installent à plein temps, en se finançant par des petits boulots ou par du mécénat. Dans un premier temps, leur tâche est de s’intégrer lentement à la vie du quartier, de fréquenter les lieux publics, d’engager des discussions, d’écouter, d’observer, de tisser des liens amicaux. Il s’agit de comprendre les principales oppressions vécues par la population, d’identifier leurs causes et d’imaginer des solutions. Les intervenants en éducation populaire doivent également repérer des appuis locaux possibles en se rapprochant des organisations et des personnes-clés du quartier : églises, clubs, syndics, responsables de communautés, etc.
Par cet effort d’observation active, les intervenants en éducation populaire doivent en particulier déchiffrer les intérêts personnels des différents acteurs en présence. Cette notion d’intérêt personnel est récurrente dans la pensée stratégique de Saul Alinsky, pour qui l’intérêt constitue le principal moteur de l’action individuelle et collective, bien plus que les idéaux ou les utopies. Pour favoriser l’émergence de luttes sociales, 
Rules for radicals conseille aux intervenants en éducation populaire de concentrer leurs efforts sur les questions de logement, de salaire, d’hygiène ou de reconnaissance sociale, et voir dans quelle mesure ces problèmes peuvent faire émerger des communautés d’intérêts à l’échelle du quartier. Dans la vision d’Alinsky, les réflexions globales sur la société de consommation, sur le capitalisme ou sur le socialisme naissent dans un second temps, lorsque les personnes ne sont plus piégées dans un quotidien de survie, lorsqu’elles ont atteint un meilleur niveau d’organisation et de sécurité matérielle. »

2/ Faire émerger collectivement les problèmes

« Lorsque les intervenants en éducation populaire ont suffisamment intégré la vie du quartier et compris ses enjeux, leur tâche est de susciter, petit à petit, des cadres propices à la discussion collective. Cette démarche peut commencer très lentement : un échange improvisé entre quelques habitants dans une cage d’escalier, au détour du marché, dans un bar… Les intervenants en éducation populaire doivent saisir toutes les occasions de créer du lien entre les habitants, et les amplifier. Il s’agit de permettre aux exaspérations, aux colères et aux déceptions de s’exprimer collectivement, afin que les habitants réalisent combien, au-delà de leurs divergences, ils partagent des préoccupations, des problèmes et des oppresseurs communs.
Tout au long de ce processus, s’ils sont interrogés, les intervenants en éducation populaire ne doivent pas cacher leurs intentions. Ils doivent se présenter tels qu’ils sont, avec sincérité, expliquer qu’ils souhaitent soutenir la population, qu’ils sont révoltés par les injustices et les oppressions subies dans le quartier, qu’ils ont des idées pour contribuer au changement. Dans l’idéal, les intervenants en éducation populaire ont tissé suffisamment de liens avec des organisations locales, des églises, des syndics ou des communautés, pour être soutenues voire recommandées par elles.
Cette phase d’expression et d’indignation collective doit rapidement s’accompagner de perspectives d’action concrètes. Si celles-ci n’émergent pas directement de la population, les intervenants en éducation 
populaire peuvent faire des propositions. Par contre, ils ne doivent pas prendre des décisions à la place des habitants. »

3/ Commencer par une victoire facile

« Dans l’idéal, la première action collective suggérée ou soutenue par les intervenants en éducation populaire doit être particulièrement facile, un combat gagné d’avance permettant de faire prendre conscience à la population de son pouvoir potentiel. Dans la pensée de Saul Alinsky, la recherche du pouvoir populaire est centrale : quand des personnes se sentent impuissantes, quand elles ne voient pas comment changer le cours des choses, elles ont tendance à se détourner des problèmes, à se replier sur elles-mêmes, à s’enfermer dans le fatalisme et l’indifférence. A l’inverse, quand des personnes ont du pouvoir, quand elles ont le sentiment qu’elles peuvent modifier leurs conditions de vie, elles commencent à s’intéresser aux changements possibles, à s’ouvrir au monde, à se projeter dans l’avenir. ‘Le pouvoir d’abord, le programme ensuite !’ est l’une des devises récurrentes de Rules for radicals. Créer une première victoire collective, même minime comme l’installation d’un nouveau point de collecte des déchets ou l’amélioration d’une cage d’escalier, permet d’amorcer une passion du changement, une première bouffée d’oxygène dans des vies asphyxiées de résignation. Les intervenants en éducation populaire doivent par conséquent consacrer un maximum de soins aux premières petites victoires, ce sont celles qui conditionnent les suivantes. »

4/ Organiser et intensifier les luttes

« Une fois quelques victoires remportées, le but des intervenants en éducation populaire est d’encourager et d’accompagner la création de collectifs populaires permanents, afin d’élargir et d’intensifier les actions de lutte. La préparation des actions doit être particulièrement soignée et soutenue par les intervenants en éducation populaire. Les recettes d’une mobilisation réussie ? Élaborer des revendications claires et crédibles ; imaginer des stratégies inattendues, ludiques, capables de mettre les rieurs du côté de la population ; savoir jouer avec les limites de la légalité, ne pas hésiter à tourner les lois en ridicule, mais toujours de manière non-violente afin de donner le moins de prise possible à la répression ; mettre en priorité la pression sur des cibles personnalisées, aisément identifiables et localisables, un patron plutôt qu’une firme, des responsables municipaux plutôt que la mairie, un propriétaire plutôt qu’une agence immobilière ; tenir un rythme soutenu, maintenir une émulation collective ; anticiper les réactions des autorités, prévoir notamment des compromis possibles ; et, enfin, savoir célébrer les victoires par des fêtes de quartier mémorables !
Dans les premières étapes de ce processus, la radicalité des revendications ne doit pas être l’obsession première des intervenants en éducation populaire. Par expérience, Alinsky constate que la radicalisation des luttes découle généralement des politiques répressives des autorités, qui supportent très mal les contestations, aussi minimes et partielles soient-elles. Les réactions de l’État, des patrons et des propriétaires, parce qu’elles dévoilent au grand jour les rapports de domination et d’injustice, durcissent et éduquent davantage la population que les grands discours militants. Par ailleurs, Alinsky constate que la majorité des personnes a, dans son for intérieur, une grande soif d’aventures collectives, une envie de bousculer l’ordre existant, de maîtriser ses conditions de vie et son destin. Une fois la première brèche ouverte dans une vie de résignation et d’impuissance, l’ardeur révolutionnaire peut se propager bien plus vite qu’on ne l’imaginait.
Tout au long de cette présentation stratégique, on voit combien les intervenants en éducation populaire doivent faire preuve de qualités assez exceptionnelles : curiosité et empathie, pour comprendre la dynamique d’un quartier et tisser des liens de sympathie avec de nombreuses personnes ; ténacité et optimisme, pour ne pas se décourager face aux multiples obstacles, considérer son action sur la durée et cultiver une assurance communicative ; humilité et conviction autogestionnaire, pour savoir se mettre en retrait, ne pas prendre la tête des luttes, accepter de vivre chichement et sans grande gratification politique ; humour et imagination, pour inventer des actions ludiques et surprendre l’adversaire ; organisation et rigueur, pour savoir tenir des délais et gérer des informations multiples ; et, enfin, un talent de communication. Rules for radicals insiste longuement sur ce dernier point, qui constitue, selon Alinsky, l’un des piliers de l’activité révolutionnaire : savoir communiquer. S’exprimer clairement, utiliser un vocabulaire approprié, faire appel aux expériences et au vécu de ses interlocuteurs, être attentif aux réactions, savoir écouter, fonctionner davantage par questions que par affirmations, éviter tout moralisme, toujours respecter la dignité de l’autre, ne jamais humilier… A l’inverse, certains défauts sont éliminatoires : l’arrogance, l’impatience, le mépris des personnes jugées trop peu ‘radicales’, le pessimisme, le manque de rigueur et autres comportements rapidement sanctionnés par la population. De fait, pour intervenir dans un quartier pauvre, Alinsky constate que les meilleurs intervenants en éducation populaire sont souvent ceux qui, ayant grandi dans des milieux populaires, en maîtrisent spontanément les codes de communication. »

5/ Se rendre inutile et partir

« La méthode proposée par Saul Alinsky, répétons-le, ne vise pas à prendre la tête des luttes d’un quartier, mais à les servir, à créer de l’autonomie et de la souveraineté populaire. En conséquence, les intervenants en éducation populaire doivent savoir s’effacer à temps, transmettre leurs compétences, se rendre progressivement inutiles, puis quitter le quartier afin de rejoindre d’autres aventures politiques… »

Si nous nous posons des questions du genre: « Comment lutter plus efficacement ? »,  » Comment surmonter le climat de passivité, de divisions fratricides et de fatalisme qui règne la plupart du temps tant dans les milieux sociaux les plus exploités que chez les militants? » « Comment réduire l’asymétrie entre, d’un côté, une population pressurisée, précarisée et inorganisée, et, de l’autre, des autorités, une administration et des organisations patronales solidement structurées ? » « Comment rompre avec les stratégies perdantes d’avance ? »… c’étaient quelques pistes de réflexion à confronter à nos pratiques.

 

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Le 16 octobre, une grande journée d'action d'action de la CGT pour la défense de notre système de santé et de protection sociale

par Christophe Prudhomme
Médecin urgentiste. Commission exécutive de la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale. Porte-parole de l'Association des médecins urgentistes et co-auteur du livre "Contre les prédateurs de la santé".

 

Depuis plusieurs années les lois de financement de la sécurité sociale ont instauré une politique d’austérité qui met à mal notre système de santé et de protection sociale. Le virage idéologique du gouvernement avec la mise en place du gouvernement Valls II va amplifier et aggraver cette situation. Depuis des années les professionnels de santé se mobilisent pour protester et essayer d’infléchir ces choix, avec des résultats non négligeables dont le plus emblématique est le coup d’arrêt à la fermeture de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu de Paris et la validation par le nouveau directeur général de l’AP-HP, Martin Hirsch, du projet alternatif proposé par la CGT et le comité de soutien très large mis en place pour animer la lutte.

Cependant les enjeux dépassent ceux des seuls professionnels et sans l’implication de tous les salariés et plus largement de la population, il est difficile de créer un rapport de forces suffisant pour infléchir la politique du gouvernement. C’est la raison qui a motivé la décision de la confédération CGT d’organiser une journée d’action interprofessionnelle le 16 octobre pour essayer d’infléchir le projet de loi de financement de la sécurité sociale et mettre en avant des propositions alternatives.

Nous sommes effectivement dans un contexte particulier avec des résultats des politiques d’austérité qui sont sans appel. Une activité économique à l’électroencéphalogramme plat, une déflation qui s’annonce, une poursuite de la destruction de l’industrie française et une diminution de l’emploi salarié. Ce dernier point est particulièrement inquiétant puisque l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS) annonce 100 000 emplois perdus en 2013. Par ailleurs, les conditions d’emploi se dégradent avec un taux record de 84 % des embauches en CDD. Notons que les fonctions publiques ne sont pas en reste, avec un taux de précaires qui a tendance à se reconstituer malgré la loi Sauvadet de résorption de l’emploi précaire. Tout cela s’accompagne d’une persistance du travail dissimulé que les services de l’inspection du travail n’ont plus les moyens de sanctionner, ce qui entraîne un manque de recettes pour la sécurité sociale (20 à 24 milliards selon l’ACOSS). Il semble que pour les autorités européennes, ce phénomène semble « normal » et qu’il est nécessaire de chiffrer les activités illégales pour qu’elles soient prises en compte dans le PIB.

Dans le domaine de la santé, après les multiples réunions autour du « pacte de confiance » de Marisol Touraine et de la future loi santé, la Fédération CGT de la santé et de l’action sociale a pris la décision début juillet de refuser de poursuivre le simulacre de concertation autour de la future loi de santé. En effet, loin des promesses de campagne, la loi HPST demeure et les quelques aménagements cosmétiques annoncés sont très éloignés de nos propositions d’un grand service public de la santé et de l’action sociale. Le rôle et la place des ARS dans leur format autoritaire laissant peu de place à la démocratie sont notamment renforcés avec le maintien d’une quasi exclusion des représentants syndicaux des différentes instances. Les quelques strapontins octroyés aux associations de patients – dont la représentativité peut parfois interroger – ne répondent qu’à des objectifs démagogiques et ne modifieront en rien le pouvoir sans partage des « préfets sanitaires » que sont leurs directeurs généraux. Une des mesures les plus dangereuses est la suppression des CHT (communautés hospitalières de territoires) au profit de GHT (groupements hospitaliers de territoire). En effet, tous les établissements publics de santé devront obligatoirement adhérer à un GHT qui aura en charge plusieurs activités mutualisées (systèmes d’information et DIM, formation initiale et continue des professionnels de santé, politique d’’achats) et devra porter un projet médical commun. Chaque établissement public de santé devra adhérer à un GHT avant le 31 décembre 2015. Il est clair que l’objectif poursuivi est celui de l’accélération des restructurations et des fermetures d’établissements, ce d’autant que toute liberté est laissé au secteur d’hospitalisation privée lucrative de se restructurer en privilégiant les créneaux d’activité les plus rentables.

Ce positionnement s’est décidé dans la continuité de celui adopté par la confédération CGT vis-à-vis de la conférence sociale. Les annonces faites par le Premier Ministre quelques jours avant sa tenue ont été le déclencheur du départ de la CGT, rejointe par FO et la FSU. Le report partiel du compte pénibilité, pourtant très loin de nos revendications et excluant les agents de la fonction publique, est assez emblématique du mépris du gouvernement pour les salariés. Les derniers chiffres publiés récemment montrent l’aggravation de ce phénomène sur un des critères incontournables de pénibilité contenus dans le code du travail, à savoir le travail de nuit. En 2012, 3,5 millions de salariés travaillaient la nuit, soit un million de plus qu’en 1991. La fonction publique est dans une situation défavorable par rapport au privé, puisque 30 % des agents sont concernés contre 22 % des salariés du privé. Dans champ de la santé, la question est encore plus prégnante avec 42 % des infirmières et des sages-femmes concernées, 22 % des aides-soignantes et 44 % des médecins. Les attaques qui se multiplient pour exclure de plus en plus de salariés de la catégorie active, à l’instar de ce que nous constatons ces derniers mois pour les auxiliaires de puériculture, constituent donc une véritable provocation.

La journée d’action du 16 octobre vise donc à opposer une résistance, mais aussi à montrer que d’autres choix sont possibles. La logique de réduction des dépenses publiques vise à basculer sur l’individuel ce qui est aujourd’hui collectif et repose sur le principe de la solidarité. Il ne s’agit pas de réduire globalement l’offre de services mais bien de réduire ceux qui sont financés pas la sécurité sociale et l’impôt. La première étape déjà en cours est celle de la fameuse « complémentaire pour tous » de l’ANI qui va obliger ceux qui le peuvent à souscrire une surcomplémentaire pour être correctement couverts.

Pourtant les emplois dans le secteur de la santé créent de la richesse et ne constituent pas un « coût » qu’il faudrait réduire : alors que les dépenses de santé représentent 11,2 % du PIB, l’activité dans ce secteur génère 13 % de la richesse nationale. Il est donc urgent d’obtenir une autre logique financière. L’argent existe pour financer la protection sociale. En effet, l’addition des différentes prélevées par l’État (taxes sur les salaires, TVA…), les frais financiers exorbitants prélevés par les banques dans le cadre des emprunts toxiques (jusqu’à 17 % de taux d’intérêt !), les dividendes versés dans le secteur privé lucratif d’hospitalisation et de prise en charge des personnes âgées ainsi que les profits vertigineux de l’industrie pharmaceutique est supérieur au déficit annoncé de l’assurance maladie.

Tout cela se fait par ailleurs dans un contexte de blocage des salaires et de suppression massive d’emplois qualifiés sous statut, tant dans les hôpitaux que dans les organismes de sécurité sociale. Dans le secteur de la santé, la précarisation est la règle et les créations d’emplois dans le secteur des structures pour personnes âgées ou de l’aide à la personne sont loin de compenser les pertes dans les établissements de santé, tant en terme de qualification que de statut et de rémunération. Au niveau de la sécurité sociale, la saignée est particulièrement sévère avec 16.000 suppressions entre 2007 et 2013 et elle va se poursuivre d’ici 2017 au rythme de 4 900 pour la branche maladie, 1 000 pour la branche famille, 740 pour le recouvrement et en toute hypothèse un peu moins de 800 pour la branche vieillesse (soit pour la période 1 860 emplois par an toutes branches confondues). Tout cela alors que la seule gabegie du dossier médical partagé a coûté près de 800 millions d’euros pour un résultat inexistant, mais qui a permis à un certains nombreuses d’officines informatiques de se sucrer au passage.

Il est donc important que cette journée d’action puisse rassembler le plus largement possible, tant au niveau syndical qu’associatif et des simples citoyens pour exprimer clairement le fait que nous refusons que la santé devienne un service marchand soumis à la concurrence et que nous exigeons un financement de la sécurité sociale au niveau des besoins de notre système de solidarité nationale qui constitue un des éléments majeurs du pacte social.

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H. Rol-Tanguy : "mon expérience syndicale"

par Pierre Nicolas

 

Henri Rol-Tanguy, issu d’une famille de marins bretons, commença à travailler comme ouvrier à l’âge de 14 ans. En 1936, il était sécretaire du syndicat CGT de la métallurgie de la région parisienne. En 1944, chef des FFI de la région parisienne, il dirigea l’insurrection d’Août 1944 qui aboutit à la capitulation de l’armée allemande du général Von Choltitz et la libération de Paris.

Dans le texte ci-dessous, il explique ce qui a permis ce succès. L’expérience syndicale dont parle  Rol-Tanguy, la sienne comme celles des FTP parisiens, c’est l’expérience ouvrière du rapport de force entre les salariés et le patronat, et la leçon des échecs et des succès.

Cette leçon, c’est de baser l’action politique sur l’analyse du rapport de force et sur sa construction. C’est une compétence et une pratique clé, pour ne pas le sous estimer ni le surestimer. Pour cela, il faut que l’organisation et sa direction écoute, s’imprègne en permanence de l’état d’esprit du peuple comme de ses adversaires. C’est l’expérience de la classe ouvrière acquise par ses luttes. A une époque où beaucoup de militants, en particulier ceux issus de cette « petite bourgeoisie intellectuelle » qui a progressivement évincé la  classe ouvrière des institutions républicaines et des partis politiques, ont souvent une pratique qui consiste à chercher à « évangéliser » les masses pour changer la société, et à porter leur bonne parole dans des monologues avec le peuple, comme des maîtres (d’école) à leurs élèves, à une époque où des dirigeants croient pouvoir transformer la société par des meetings, des discours volontaristes, des petites phrases acerbes pour dénoncer leurs concurrents, il n’est pas inutile de rappeler ces quelques vérités fondamentales, et leur filiation avec les valeurs républicaines soulignées par le secrétaire de la CGT.

« Mon expérience syndicale m’avait appris à ne jamais engager d’action sans l’étude préalable de la situation, de l’état du rapport de force dans l’entreprise : forces morales, forces matérielles, plan de travail, état d’esprit des travailleurs, mais également état d’esprit du patronat. C’était pour moi une mise en garde constante contre les tentatives de mots d’ordre et d’actions détachés de la réalité du terrain, un appel à analyser toute situation avec un sens aigu des responsabilités. »

Henri ROL-TANGUY (1908 – 2002), chef des FFI d’Ile de France

« Henri Rol-Tanguy était un de ces hommes d’exception. Il est un de ces militants qui personnifie les traits essentiels du syndicalisme français historiquement inséparable de l’adoption militante par le mouvement ouvrier des valeurs de la Révolution française. La lutte syndicale exprime la révolte contre le non-respect des promesses inscrites dans la devise de la République, elle incarne le refus de la domination du plus grand nombre par des oligarchies économiques et sociales et leurs instruments politiques. Matrice de toutes les résistances à l’exploitation, à l’oppression, à la discrimination et à l’injustice, elle fonde la légitimité des luttes sociales pour conquérir des droits et les faire respecter, contribuant à tresser le fil rouge de l’émancipation humaine. »

Bernard THIBAULT, secrétaire de la CGT, hommage à Henri Rol-Tanguy, 2002

Humeur
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D'un Conseil à l'autre, se moque-t-on des femmes ?

par Monique Vézinet
Union des Familles Laïques, Réseau Education Populaire

 

Les « haut conseil » ou « conseil supérieur » de quelque chose sont paraît-il une spécialité française, en nombre presque égal à celui de nos fromages. Penchons-nous sur ce type d’organismes sur un cas précis : celui de l’égalité femmes-hommes (ordre des termes devenu politiquement correct).

Nous trouvons ainsi le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), créé en 1983 avec un rôle consultatif sur la législation et des politiques gouvernementales en la matière ; il est placé sous l’autorité du ministère des Affaires sociales et depuis le décret du 30 avril 2013, le champ de ses travaux s’est élargi à « l’articulation des temps, les modes de garde, les congés familiaux, les systèmes de représentation dans l’entreprise, le harcèlement sexuel et moral, la formation initiale et continue et la diversification des choix professionnels des filles et des garçons, la création et la reprise d’entreprises par les femmes ».

Pour coordonner l’activité du CSEP et des autres instances nationales en charge des questions d’égalité entre les femmes et les hommes (les délégations aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, du Sénat, du Conseil économique, social et environnemental, la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences, le Haut Conseil de la famille…), il manquait encore un Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCEfh), qui fut créé par décret du 3 janvier 2013 et rattaché au Premier ministre. Présidé par Danielle Bousquet, il s’attache principalement aux violences de genre, à la santé sexuelle et reproductive, à la parité et à la lutte contre les stéréotypes. De l’aveu de sa présidente, l’absence du domaine professionnel dans les missions du Haut Conseil est constitutif de sa création, quoi qu’elle en ait.1

Car, hélas, cette pléthore d’instances et la liste de leurs attributions masque un vide béant : la question de l’égalité salariale. Où se niche donc cet intitulé s’il est absent du paysage institutionnel qu’on vient décrire ? Ne cherchez pas : au ministère du Travail, encadré par des lois successives non appliquées et placé à l’horizon des négociations entre partenaires sociaux que prévoient les accords nationaux interprofessionnels (13 janvier 2013 pour le dernier). La réduction des différences de salaires n’est pas pour demain puisqu’elle dépend essentiellement du patronat et que la discrimination, faute de moyens de contrôle, est rarement sanctionnée. Quant aux questions de temps partiel, de taux de chômage supérieur chez les femmes, ainsi que l’impact de tout ceci sur leurs retraites, aucune vue d’ensemble.

Ne soyons pas naïf/ves, le social d’un côté, l’économie de l’autre et les vaches seront bien gardées !

Que les droits des femmes relèvent d’un ministère ou d’un secrétariat d’État fait certes une différence mais, malgré toute l’ardeur dont elle a pu faire preuve dans son précédent portefeuille, Najat Vallaud-Belkacem affrontait la même règle d’airain : le texte qu’elle a porté, la loi du 4 août dernier pour l’égalité « réelle » des femmes et des hommes, s’interdisait de toucher à l’égalité professionnelle. Voilà pourquoi, si les mouvements féministes n’intègrent pas la dimension « lutte de classe » et s’ils ne pénètrent pas les milieux du travail, les avancées resteront décevantes.

 

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Dans le programme de rentrée

 

27-28 septembre (Arcueil) : Festival Femmes en résistance

Violences faites aux femmes, obscurantisme en expansion, extrémisme vainqueur, menaces sur nos droits, 2014 n’amène pas que des bonnes nouvelles pour les femmes. Il est parfois difficile de ne pas sentir désespérées par tous ces retours en arrière. Mais nous ne nous laissons pas abattre et  les femmes du monde entier non plus  ! Luttes individuelles ou collectives, politiques ou artistiques, elles ne baissent jamais les bras. Mieux, elles chantent, elles dansent et rient et font rire  ! Cette année, l’équipe de Femmes en résistance a décidé de combattre résolument la morosité par l’humour, l’énergie, la joie, parce que les femmes créent, inventent, et toujours, résistent  !

http://resistancesdefemmes.wordpress.com/respubl

10 octobre (Paris) : Laïcité et services publics

Voir le programme sur http://www.elunet.org/spip.php?article55717=&utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter

Il est impératif de s’inscrire à l’avance.  :
Académie des banlieues : riou.claire@orange.fr – Claire Riou : 06 86 85 44 72
Cidefe : cidefe@elunet.org – Jean-Marc Deschamps : 01 48 51 78 78

10-12 octobre (Londres) :  Conférence internationale sur la Droite religieuse, la Laïcité et les Droits civils

Cette conférence de deux jours abordera entre autres le Printemps Arabe, la « sharia » et les lois religieuses, les limites du rôle de la religion sur la société, la libre expression, les crimes d’honneur, les lois sur l’apostasie et le blasphème, les écoles religieuses, les droits des femmes, les valeurs laïques.

Voir le programme sur http://www.siawi.org/article8041.html
Inscription sur www.secularconference.com

11 octobre (Paris) : Repenser la filiation, un enjeu de progrès

Organisé par l’Union des Familles Laïques et Les Enfants d’Arc-en-ciel

Programme et inscription sur :
http://www.ufal.org/colloque-repenser-la-filiation-un-enjeu-de-progres

 

 

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Une expérience d'éducation populaire à Ivry-sur-Seine

par Zohra Ramdane

 

« Education populaire », formule autant galvaudé que liberté, égalité, fraternité, laïcité, socialisme, etc. Dans ce système néolibéral, la majorité des organisations qui se réclament de ces principes ou de ces pratiques, ou même qui en parlent, sont en fait des adversaires de dits principes ou pratiques. Il en est donc de même des organisations dites d’éducation populaire.

Alors que l’éducation populaire est un ensemble de pratiques culturelles visant à la transformation sociale et politique pour que chaque citoyen, chaque salarié, devienne acteur et auteur de sa propre vie tout en comprenant le monde qui l’entoure et dans lequel il vit, la majorité des organisations qui se réclament, la plupart du temps à tort, de l’éducation populaire ne sont que des structures bureaucratisés pratiquant soit la propagande dogmatique descendante de leur organisation soit de l’animation socioculturelle de consommation pour occuper les « djeuns » et les « moins djeuns » pour qu’ils ne gênent pas la quiétude des couches dominantes de la société.

Voilà pourquoi une refondation de l’éducation populaire est nécessaire et urgente et voilà pourquoi, en paraphrasant Albert Einstein, on ne peut pas résoudre les problèmes de la société et de ces citoyens et salariés avec les idées et les organisations qui les ont accompagnés et développés.

Mais si nous ne pouvons pas compter sur tous ceux qui se réclament de l’éducation populaire, rien ne doit nous empêcher de participer à la promotion de pratiques qui elles font honneur au projet de l’éducation populaire.

C’est ce que nous faisons en vous conviant à participer à l’expérience suivante :
http://www.envie-de-lire.fr/index.html
http://www.enpremiereligne.sitew.fr/#Le_festival.E

​A bientôt (les 20-21 septembre) si vous le voulez bien !