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Approfondir un nouveau discours critique « gauche de gauche »

La salle Ambroise Croisat de la Bourse du travail (Paris)

La salle Ambroise Croisat de la Bourse du travail (Paris)

Venant après la crise du coronavirus, le colloque du 19 février 2022 nous a aidés à débattre sur ce qui constitue le cœur doctrinal de notre réseau(1)ReSPUBLICA, Réseau Education Populaire, Appel “Combat laïque Combat social – Fédérer le peuple”, à savoir l’articulation entre République sociale et laïcité, mais aussi d’engager pour la première fois à notre connaissance un discours critique « gauche de gauche » cohérent sur l’analyse de la gauche identitaire en forte progression en France et ses implications sur tous les autres domaines (féminisme, combat antiraciste, lutte démocratique, stratégie, etc.).
Comme les poupées russes, le colloque du 25 juin est venu s’emboîter sur celui du 19 février. Il a décliné la discussion sur la nouvelle séquence politique à partir de trois éclairages et d’un nouvel outil, celui de cercles militants. On trouvera en quatre parties principales, dans la suite de cet article, le résumé de ces moments de la journée du 25 (les vidéos correspondantes devraient être prochainement disponibles).

Le premier éclairage, largement abordé déjà dans ReSPUBLICA, est celui d’une nouvelle préfiguration géopolitique qui va impacter l’économie, les formes du néolibéralisme, et bien sûr les idéologies et les rapports de force à tous niveaux.
Le deuxième éclairage esquisse un début de contre-offensive gauche de gauche contre le primat de l’identitaire à partir du cas des Etats-Unis – alors que la gauche identitaire progresse en France.
Le troisième éclairage a permis de tirer les enseignements des élections françaises de 2022, au-delà des divers focus privilégiés par les médias dominants.
Après ces analyses, il fallait créer un nouvel outil permettant à terme d’effectuer le bouclage entre les événements, la réflexion politique et la réalité matérielle des rapports de force dans notre pays. Ce fut la proposition des cercles militants, durant l’après-midi, qui est un des éléments manquants pour produire un discours contre-hégémonique dans la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle.
L’enjeu est déterminant pour la gauche de gauche, bien que nous soyons aujourd’hui largement dominés. Dominés mais bien plus autonomes, rationnels et déterminés que d’autres, davantage médiatisés mais très fragiles devant les échéances à venir.
Plus de 50 personnes ont suivi l’ensemble des colloques, plus de 80 ont participé au colloque du 25 juin 2022. Mais beaucoup de têtes de réseaux de province avaient fait les deux déplacements. Du solide pour la suite.
Pour ceux qui ne regardent que le nombre, sachez que le premier congrès du PC chinois en 1921 n’avait réuni que 13 congressistes, dont deux seulement ont vécu 1949… Nous pourrions faire le même constat pour la gauche zimmerwaldienne et d’une façon générale pour tous les débuts de grands changements politiques et sociaux, y compris la Révolution française et celles qui ont suivi . Dans la mesure où ce sont les événements (et non les idées) qui déterminent le schéma des possibilités, c’est la stratégie qui permet d’anticiper – ou pas – les bifurcations nécessaires.


EVARISTE (nous contacter : evariste@gaucherepublicaine.org)

Compte rendu du colloque du samedi 25 juin 2022

Les travaux de la matinée sont introduits par Riva Gherchanoc, présidente de Clcs-flp qui présente les intervenants ainsi que l’organisation en deux temps des travaux : le matin trois interventions thématiques, l’après-midi la présentation de l’initiative des cercles militants d’éducation populaire de Clcs/REP.

1. La nouvelle donne politique

Par Philippe Hervé, président des Amis de ReSPUBLICA

P. Hervé appuie son intervention sur des données tirées du site d’Infobae Argentine, un media argentin de référence. Lors de la réunion des chefs d’États d’Amérique latine, Joe Biden a distribué des fiches qui exploraient l’hypothèse d’une 3e Guerre Mondiale qui frapperait l’Europe et/ou l’Asie. P. Hervé rappelle que sauf à Pearl Harbor, les habitants des USA n’ont pas été touchés sur leur sol pendant la Seconde  Guerre mondiale.
A cause de la crise de 2008-2009 et de ses conséquences sociales et économiques, les États-Unis ont doublement intérêt à la guerre. D’abord pour défendre leurs intérêts géopolitiques de puissance impérialiste : s’il n’y a pas de guerre, c’est la Chine qui deviendra la première puissance mondiale. Mais aussi pour faire face aux divers conflits sociaux et politiques qui travaillent les USA : une guerre gèlerait les contradictions internes.
Actuellement la guerre entre l’État russe et l’État ukrainien sert les intérêts des USA : les États européens se placent sous la protection de l’OTAN qui en ressort renforcé. P. Hervé souligne que si la guerre Russie-Ukraine se prolonge, elle finira par s’étendre aux autres nations européennes. Que faire ? En premier lieu, faire débattre de cette situation. D’autre part, définir un discours de paix. P. Hervé fait remarquer que les partis de la NUPES n’ont pas parlé. Et que le PCF évite la question. On est loin de la perspective d’un mouvement social qui agirait pour mettre en place une conférence internationale pour la paix en Europe, seule sortie raisonnable de cette guerre.

2. L’antiracisme bourgeois et la contre-attaque de la gauche sociale américaine contre la gauche identitaire

Par Ghassan Deloire

S’appuyant sur les études et les écrits de Gérard Noiriel, l’intervenant indique préférer le terme d’« antiracisme bourgeois » à celui d’«antiracisme identitaire ». Il s’agit de théories et de discours, mais aussi d’un projet de transformation sociale. Les tenants de l’antiracisme bourgeois n’admettent pas de séparation entre le scientifique et le politique, ce qui explique qu’ils ne mobilisent que rarement d’arguments rationnels pour défendre leurs positionnements, d’où la controverse virulente autour de l’ouvrage de Beaud et Noiriel.

Il distingue deux variantes de l’antiracisme bourgeois, toutes deux en harmonie avec l’ordre socio-économique bourgeois. On a d’abord une forme d’antiracisme porté par la petite-bourgeoisie intellectuelle issue de l’immigration ; militants et/ou universitaires, ils se prévalent de leurs origines pour parler au nom des minorités discriminées, et pour tenir des discours qui assignent les membres de des discriminées à leur « identité d’origine » et, ce faisant,  contribuent à une minorisation de la question sociale.

On a également un antiracisme de la bourgeoisie libérale qui se focalise sur l’origine et les « racines », et qui reprend la thèse du « simplisme marxiste » ou du « réductionnisme » pour éviter la question sociale et faire diversion sur la question « culturelle » de l’identité. Pas étonnant, dans ces conditions, d’apprendre que les propagandistes français de cet « antiracisme » trouvent des fondations pour les financer, et que les célébrités de ces courants, qu’elles soient essayistes ou universitaires, soient souvent invitées dans nos grands médias. Ghassan Deloire relève enfin qu’en France, on continue à faire le silence sur les travaux universitaires et les interventions des intellectuels de gauche américains « issus des minorités », qui produisent des analyses critiques de gauche de cette « gauche » identitaire transnationale, dite antiraciste, intersectionnelle. En particulier, il n’est pas montré au public que les discours sur l’intersectionnalité sont essentiellement émis contre la gauche.
Chez nous, les tenants de l’antiracisme bourgeois s’en prennent à « la gauche », sans jamais préciser exactement de qui il est question. Or, ne pas être clair sur ceux qu’on critique participe de fait à un brouillage du clivage droite/gauche, extrêmement préjudiciable. 

Il rappelle aussi qu’au commencement, la notion d’intersectionnalité était une réponse par une avocate à une situation juridique spécifique au droit américain. Ainsi il n’était pas possible en droit, aux États-Unis, qu’une victime de plusieurs discriminations ne soit indemnisée pour chacune : elle devait faire le choix de l’une d’entre elle comme fondement à sa demande en dommage et intérêts(2)La situation en France est différente puisque les causes de dommages s’ajoutent et que le préjudice est considéré dans sa globalité. Ainsi quelqu’un victime de discrimination en fonction de son sexe, de son apparence, de son ethnie réelle ou supposée pourrait faire condamner le commettant pour tous ces différents aspects et en cas de procédure indemnitaire, le dommage serait calculé pour l’ensemble des causes. En droit français, il n’y a pas de raisons juridiques à mettre en avant ce concept d’intersectionnalité puisque le besoin n’existe pas. – ce qui à l’évidence est une injustice. Cette notion qui essayait de répondre à une situation juridique spécifique a été étendue aux questions sociales et certains en ont tiré des conséquences politiques la fois dans les combats qu’ils décident de mener mais aussi dans la manière, les formes à utiliser.

L’intervention se termine sur la nécessité de défendre une ligne antiraciste à gauche, mais un antiracisme fondé sur la solidarité, et sur celle d’encourager une solidarité au sein des classes populaires, hantise de l’antiracisme bourgeois.

3. La nouvelle séquence politique après les élections de 2022 

Par Bernard Teper, intervenant du REP

B. Teper dégage plusieurs enseignements des dernières élections législatives. Si l’on compte les 6 % de non-inscrits on obtient pour finir moins de 30 % de votants. Ainsi seulement 11,2 % des électeurs potentiels ont voté pour la NUPES.

C’est l’abandon de la lutte des classes et le déplacement pour les luttes identitaires qui expliquent ces résultats et permet de comprendre pourquoi la NUPES recueille si peu de voix dans les zones rurales, et pourquoi le RN a augmenté le nombre des siennes dans les milieux populaires. Seul François Ruffin a mis l’accent sur la question et les luttes sociales. Dans un cadre théorique gramscien, l’enjeu est de constituer un bloc historique qui articule la lutte sociale et l’Éducation populaire, en intégrant la défense de la laïcité dans la perspective d’un universalisme concret. Il est essentiel d’engager des actions de temps long pour repolitiser nos concitoyens et redonner sens aux mots et concepts essentiels de la République sociale tant la confusion sur le sens des termes dans une logique selon laquelle chacun apporte son sens, est à la fois destructeur de l’action collective et de la compréhension des réalités sociale, économique, politique, institutionnelle. L’enjeu est de rendre possible la réforme révolutionnaire.

4. QUELLE ORGANISATION ET QUELLES PERSPECTIVES MILITANTES ?

Par Riva Gherchanoc, présidente de Clcs-flp, Franck Boissier, président du REP, et Arnaud de Morgny, membre du comité de rédaction de ReSPUBLICA.

F. Boissier décrit l’organisation des cercles militants d’éducation populaire et R. Gherchanoc rappelle quelques principes et quelques conditions :

Chaque cercle est animé par un binôme qui est chargé de l’aspect matériel de l’organisation des réunions (envoi des convocations par ex). Les membres du binôme d’organisation ne sont surtout pas les dirigeants du cercle, car il n’y en a pas.
Le premier temps d’une réunion d’un cercle est un exposé qui peut être fondé sur les livrets que le REP rédigera et mettra à disposition des membres des cercles.
Le deuxième temps est une discussion sur un sujet d’actualité choisis par les membres eux-mêmes lors de la réunion précédente. Les participants se forment mutuellement en abordant une thématique et des problèmes qu’ils analysent et qu’ils théorisent afin d’aboutir à des solutions concrètes et des actions pratiques au terme de la séance (le troisième temps).
Les échanges s’appuient sur un cahier de formation et des documents d’accompagnement envoyés aux membres du cercle 15 jours avant la réunion, afin de susciter des questions et des propositions de leur part.

Les réunions sont fondées sur un principe démocratique et d’auto-formation ; elles visent à créer une dynamique qui articule les interventions individuelles à la réflexion, à l’élaboration et aux actions collectives.

Une illustration d’une réunion d’un cercle est aussi projetée :

En guise de conclusion temporaire, il est indiqué que d’autres réunions davantage thématiques seront organisées et un appel général à la constitution de cercles militants d’éducation populaire est lancé.

 

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 ReSPUBLICA, Réseau Education Populaire, Appel “Combat laïque Combat social – Fédérer le peuple”
2 La situation en France est différente puisque les causes de dommages s’ajoutent et que le préjudice est considéré dans sa globalité. Ainsi quelqu’un victime de discrimination en fonction de son sexe, de son apparence, de son ethnie réelle ou supposée pourrait faire condamner le commettant pour tous ces différents aspects et en cas de procédure indemnitaire, le dommage serait calculé pour l’ensemble des causes. En droit français, il n’y a pas de raisons juridiques à mettre en avant ce concept d’intersectionnalité puisque le besoin n’existe pas.
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