La paix en Ukraine est-elle possible ? A quelles conditions ?

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Carte de la zone tampon établie par le mémorandum de suivi du Protocole de Minsk - CC BY-SA 4.0

La recherche des conditions d’un cessez-le-feu, puis d’une paix durable entre l’Ukraine et la Russie n’entraîne aucune remise en cause des responsabilités de la Russie comme envahisseur. Elle n’exonère pas non plus les deux belligérants d’avoir préparé cette guerre depuis plusieurs années. Elle n’exonère ni Poutine de sa phobie de « l’Occident » et de sa volonté de conquête, ni l’OTAN sous la coupe des USA d’avoir « encerclé » la Russie malgré les promesses de ne pas le faire. Notons que les accords de Minsk I et II, signés sous le parrainage de la France et de l’Allemagne, qui prévoyaient un cessez-le-feu immédiat en septembre 2014, puis en février 2015 un processus de paix en treize points dont le retrait des armements lourds, la libération et l’échange des prisonniers, des réformes constitutionnelles en Ukraine reconnaissant un statut spécial et des élections dans les zones séparatistes, n’ont jamais été appliqués, sans que les « parrains » s’en émeuvent.

L’analyse de ce processus, la mise à plat des responsabilités de chaque camp qui ont conduit à la guerre font partie des impératifs pour aboutir à la paix. Elle demandera beaucoup d’efforts, de courage et de lucidité de part et d’autre afin de surmonter les antagonismes. Ce sera d’autant plus difficile que le conflit ne concerne pas seulement deux pays, l’un ayant envahi l’autre. Comme nous l’avons souligné, il s’agit de deux impérialismes qui se disputent l’hégémonie. Pour la Russie, il s’agit de reprendre le contrôle sur les parties russophones de l’Ukraine avec la récupération de ressources économiques essentielles. Pour l’OTAN, c’est la destruction de la puissance de la Russie, avec en vue l’affrontement avec la Chine, l’appropriation également des ressources ukrainiennes. L’aide n’est pas désintéressée. En effet, l’économie et l’agriculture sont entre les mains de grands groupes américains.

L’Union européenne, dont la présidente de la Commission est fortement atlantiste, se trouve en situation de vassalisation volontaire vis-à-vis des USA, ce qui lui permet de vendre aux pays européens son gaz de schiste au-dessus du prix du marché, et de « refourguer » ses armes à la Pologne et l’Allemagne, alors que les armes françaises sont au moins aussi performantes voire supérieures, comme par exemple l’avion rafale. Le risque de déflagration mondiale ou nucléaire est bien réel si la folie dominatrice n’est pas contenue. Le rôle et l’intérêt des Européens, qui sont aux premières loges, ne sont pas de mettre de l’huile sur le feu, mais bien de tout faire pour faire cesser cette guerre. Or, pour l’instant, sous la pression de l’OTAN et des USA, les dirigeants européens sont divisés et manquent de courage politique pour aller dans cette direction.

L’autre difficulté résulte du fait que cette guerre revêt un caractère existentiel pour la Russie et les États-Unis. Pour la Russie, il s’agit de briser la mainmise américaine sur le monde grâce au dollar et à son système financier qui lui permettent de faire payer par les autres pays son déficit abyssal, qui s’élève à 1 000 milliards de dollars dans les relations commerciales. Pour les États-Unis, il s’agit de pérenniser son leadership mondial qui, depuis plusieurs décennies, s’étiole et décline avec en parallèle la montée en puissance de la Chine, et de casser une montée du rouble par rapport à la monnaie états-unienne. Tout cela semble indiquer que des deux côtés, avec leurs faiblesses, aucun ne peut céder et que nous risquons d’aller vers une amplification du conflit dont nul ne connaît l’issue. Dépasser cet antagonisme mortifère pour les peuples russes et ukrainiens dans l’immédiat et, dans une moindre mesure, pour les peuples européens qui paient le prix fort en termes d’inflations, de hausse du coût de l’énergie et de l’alimentation, exige des dirigeants européens de conduire une politique internationale indépendante des impérialismes russe, américains et chinois, une politique non alignée pour trouver le chemin de la paix.

Il est évident que la sécurité de chacun passe en priorité par des accords entre voisins, plutôt que par des « boucliers » lointains mettant la sécurité de tous en danger.

Dans la recherche de la paix entre deux ennemis en guerre, il faut toujours passer par une phase de cessez-le-feu, afin de pouvoir créer les conditions d’une négociation pour la paix. Il convient donc de distinguer ces deux phases, l’une, le cessez-le-feu, étant urgente, l’autre, les négociations de paix, prenant plus de temps, parfois beaucoup plus de temps (cf. la Corée, ou, historiquement, l’Allemagne et les alliés).

Le cessez-le-feu comme étape immédiate exige lui-même un certain nombre de conditions qui, pour l’instant, ne semblent pas encore réunies, bien que des prémisses puissent apparaître. En premier lieu, les deux camps doivent le souhaiter ou y avoir intérêt. Plusieurs considérations sont à prendre en compte, d’abord la réalité du front. De fait, il est bien difficile aujourd’hui pour un citoyen de se faire une idée précise de l’état réel du front, en raison de la propagande de guerre des deux belligérants et de leurs alliés, abondamment relayée et amplifiée pour le camp ukrainien par les médias dominants dans notre pays. Il semble toutefois, même si l’armée ukrainienne obtient des succès d’estime, qu’aucun des deux camps ne soit en mesure de l’emporter militairement à court terme. Le maintien de cet équilibre relatif dépend essentiellement pour les Ukrainiens du soutien militaire, financier et économique des États-Unis d’Amérique, qui jusqu’à présent ont poussé à l’affrontement. Mais ce soutien semble en partie discuté et remis en cause aux États-Unis, où de plus en plus de voix s’interrogent sur le coût de ce soutien, alors que le pays traverse une crise économique grave, et commencent à parler de paix. Sans ce soutien, l’Ukraine ne peut tenir longtemps, elle n’en a pas les moyens matériels.

Du côté russe, l’armée s’avère bien moins efficace que le croyait Poutine. La Russie, comme nous l’avions prévu au début du conflit, s’enlise. C’est le lot inévitable de tout envahisseur depuis des décennies, et ce d’autant plus que le peuple russe ne semble pas enthousiaste à aller se faire tuer dans une guerre quasi civile, dont beaucoup ne voient pas l’utilité et les raisons. Les fuites à l’étranger de nombreux hommes en âge d’être mobilisés en sont la démonstration évidente.

Il y a donc des raisons objectives dans les deux camps à un début de réflexion afin d’engager des négociations pour un cessez-le-feu, si la raison peut l’emporter sur les aspects psychologiques, la folie meurtrière et les objectifs hégémoniques. Le rôle des alliés doit être de pousser dans ce sens, plutôt que d’encourager le conflit jusqu’au dernier ukrainien.

Nous ne contestons pas le droit et la volonté des Ukrainiens de se défendre face à cette agression. Tout peuple agressé a toute légitimité pour défendre son intégrité territoriale. Après huit mois de guerre, de destructions massives et un enlisement, la seule solution rationnelle et réaliste est d’abandonner les rhétoriques guerrières, de rechercher immédiatement un cessez-le-feu et d’engager des négociations de paix. Pour cela, il faut évidemment que les deux belligérants le souhaitent ou y soient contraints par les évènements et soient convaincus que c’est leur intérêt.

Le cessez-le-feu doit impérativement aboutir à des négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie et à une négociation plus large dans le cadre de l’OSCE (1)OSCE, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, comprend 57 pays, dont les USA , entre l’Union européenne, la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine sur la paix, mais aussi sur les conditions de sécurité réciproque à long terme, en prenant en compte l’histoire et le droit international. Pour cela les Européens, au sein de l’Union européenne, doivent clarifier leur système de défense commun, leur volonté et objectif de souveraineté, afin que les pays les plus portés vers l’OTAN (Pologne, Pays Baltes en priorité) soient persuadés que leur sécurité et leurs frontières sont garanties sans avoir besoin d’être assujettis aux États-Unis. La géographie est un élément incontournable, leurs frontières avec la Russie ne s’effaceront pas et leurs craintes liées à leurs histoires ne seront pas levées sans de fortes garanties. Il est indispensable que chaque État membre de l’UE comprenne que les intérêts européens ne sont pas toujours conformes à ceux des USA, qu’ils peuvent être divergents, que le monde évolue et que ces différences d’intérêts n’empêchent pas des alliances ou des amitiés.

Il est évident que la sécurité de chacun passe en priorité par des accords entre voisins, plutôt que par des « boucliers » lointains mettant la sécurité de tous en danger.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 OSCE, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, comprend 57 pays, dont les USA