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Les livres sont évidemment essentiels

Avant-hier c’étaient le Traité sur la tolérance de Voltaire et Paris est une fête d’Hemingway, hier Notre-Dame de Paris d’Hugo, aujourd’hui c’est La peste d’Albert Camus : à chaque crise, un livre classique est spontanément lu ou revisité, pour nous consoler ou nous aider à appréhender l’événement tragique. Oui, le livre est un refuge. Et la lecture nous aide à vivre.

En ces temps troublés par l’incertitude de l’évolution de la crise sanitaire et par ses futures retombées économiques et sociales, nous avons plus que jamais besoin des livres. Les libraires l’ont constaté cet été au cours duquel plusieurs librairies ont enregistré des ventes exceptionnelles[1] (cela avait déjà été le cas en 2015, année durant laquelle la vente d’essais sur l’Islam ou le terrorisme avait permis au secteur de renouer avec la croissance) : les lecteurs étaient au rendez-vous. « Lisez, retrouvez aussi ce sens de l’essentiel » avait d’ailleurs conseillé le président Macron dans son allocution du 16 mars dernier. C’est pourquoi la réouvertures des librairies samedi 28 novembre dernier aurait du intervenir bien avant et les livres ne pas être relégués au statuts de produits « inessentiels », mais au-delà de la question des librairies, ce sont tous les acteurs du livre qui doivent être soutenus.

Photographie de la bibliothèque de Holland House, prise le 22 (ou 23) octobre 1940 par M. Harrison (de la Fox Photo Agency), un mois après l’un des raids aériens de la Luftwaffe sur Londres.

Pourquoi les livres et la lecture sont-ils essentiels ?

À ReSPUBLICA, nous attachons une importance toute particulière à l’éducation populaire, élément pour nous indispensable au combat politique et le livre est bien évidemment un vecteur important de l’éducation populaire et de l’éducation tout court (c’est pourquoi notre site comporte aussi une librairie militante). Le livre permet d’analyser, de comprendre le réel et de trouver des ressources pour faire advenir une société meilleure. « La lecture nourrit l’âme, comme le pain nourrit le corps » pour reprendre les mots de l’écrivain Antoine  Albalat. Mais outre cet aspect, la lecture est bénéfique à bien des égards : plusieurs études scientifiques ont montré les bienfaits de la lecture pour notre santé mentale et notre santé en générale. En effet, lire diminue le stress. Selon une étude de l’Université de Sussex, la lecture, en nous permettant de concentrer notre attention sur un autre objet que nos soucis, est un moyen très efficace de se calmer. De plus, en faisant travailler notre mémoire, elle permet de maintenir plus longtemps nos capacités cérébrales et de prévenir le vieillissement du cerveau.
Outre ces effets positifs sur notre santé, lire améliore aussi nos relations avec les autres : la lecture d’œuvres de fiction augmente notre capacité d’empathie et notre compréhension d’autrui grâce à l’identification aux personnages. Comme le montrent si bien ces mots de Paul Valéry : « Mais enfin le temps vient que l’on sait lire – événement capital – le troisième événement capital de notre vie. Le premier fut d’apprendre à voir ; le second d’apprendre à marcher ; le troisième est celui-ci, la lecture, et nous voici en possession du trésor de l’esprit universel. Bientôt nous sommes captifs de la lecture, enchaînés par la facilité qu’elle nous offre de connaître, d’épouser sans efforts quantité de destins extraordinaires, d’éprouver des sensations puissantes par l’esprit, de courir des aventures prodigieuses et sans conséquences, d’agir sans agir, de former enfin des pensées plus belles et plus profondes que les nôtres et qui ne coûtent presque rien ; et, en somme, d’ajouter une infinité d’émotions, d’expériences fictives, de remarques qui ne sont pas de nous, à ce que nous sommes et à ce que nous pouvons être. »
En somme, lire nous fait bénéficier de l’expérience d’autrui, nous enrichit et permet de nous évader de notre quotidien. Dans cette période où la santé mentale de nombre de nos concitoyens s’aggrave du fait des conséquences de la pandémie – faisant craindre aux professionnels une « vague psychiatrique » – il faut se souvenir qu’il existe un remède sans aucun effet secondaire néfaste : le livre.

Il fallait rouvrir les librairies plus tôt

Malgré une importante mobilisation du secteur (avec une pétition en ligne qui a atteint plus de 200 000 signatures : https://www.change.org/p/monsieur-le-pr%C3%A9sident-de-la-r%C3%A9publique-monsieur-le-pr%C3%A9sident-faisons-le-choix-de-la-culture-en-rouvrant-les-librairies), le gouvernement a une nouvelle fois effectué un choix qui manquait cruellement de bon sens en ne permettant pas aux librairies de figurer dans la liste des commerces autorisés à être ouverts lors de la première période de reconfinement (alors que les quincailleries ou que les enseignes qui vendent du matériel électronique comme la Fnac figuraient dans cette liste !). Cette décision était d’autant plus regrettable que par rapport à la situation du premier confinement, les librairies avaient fait de gros efforts pour s’adapter aux contraintes sanitaires. Pour rajouter à l’absurde, la concession du gouvernement a été de faire fermer les rayons de produits culturels dans les grandes surfaces, ouvrant un boulevard à Amazon durant cette période… Ces dernières représentent effectivement une concurrence aux librairies indépendantes et ont grignoté depuis les années 1990 des parts de marché à nos librairies de quartier[2].
Notre pays ne compte plus que 3200 librairies (il en a compté au maximum 6000, c’était en 1878), ce qui en fait néanmoins de la France l’un des pays au monde les mieux dotés en la matière. Or, nous avons besoin de ces passeurs de culture : ce sont les libraires qui, en défendant des auteurs, permettent à ces derniers et à leurs maisons d’édition d’exister à côté des mastodontes du métier. En  misant sur leur expérience et la relation avec leurs clients, les libraires accompagnent les lecteurs et transmettent leur passion de la lecture.
Ainsi, pour rappeler l’importance des libraires comme acteurs essentiels de la vie culturelle, le Conseil de Paris a voté le 19 novembre la pose d’une plaque en l’honneur d’Adrienne Monnier. Cette libraire a ouvert La Maison des Amis des Livres en 1915 : un lieu où vont se croiser de nombreux écrivains prestigieux, tels Aragon, Simone de Beauvoir, Walter Benjamin, Fitzgerald, Gide, Jacques Prévert… Compagne de Sylvia Beach, la libraire de Shakespeare and Compagny (librairie toujours située dans le Ve arrondissement) qui a publié l’édition originale d’Ulysse de James Joyce, Adrienne Monnier en a publié la version originale française.

En plus des librairies qui doivent être soutenues car le secteur est fragile depuis plusieurs années, n’oublions pas non plus un autre acteur incontournable pour favoriser la lecture : les bibliothèques. Celles-ci sont un pilier du service public pour la culture. Grâce à des professionnels engagés et à des projets municipaux ou nationaux ambitieux, une part toujours plus importante de la population fréquente les bibliothèques : en 2016, 91 % des Français s’étaient déjà rendus dans une bibliothèque, contre 84,8 % en 2005. De même, entre 2005 et 2016, le nombre d’usages des bibliothèques municipales a augmenté de 23 % (soit une hausse 4 millions d’usagers)[3]. Alors que s’est amorcée depuis quelques années une réflexion pour l’élargissement des horaires d’ouvertures des bibliothèques, il serait bon que dans cette période aussi un maximum d’entre elles puissent assurer leur rôle de service public de la lecture (les bibliothèques parisiennes ont par exemple conservé un service de retrait de documents).

Pour finir, il nous paraît évident que la lecture est aujourd’hui toujours indispensable et essentielle et qu’il faut soutenir vigoureusement les librairies indépendantes. Mais plus largement, outre un investissement dans le réseau de bibliothèques qui ne doit pas se démentir, il faudrait aussi que le futur plan de relance accorde une place importante aux artistes et aux écrivains, comme ce fut le cas durant le New Deal. Entre 1935 et 1943, quatre à six mille personnes par an – romanciers, dramaturges, poètes mais aussi journalistes et chercheurs – ont bénéficié du programme Federal Writer’s Projet, parmi lesquels John Steinbeck ou John Dos Passos. Il n’est pas inutile de rappeler que la profession d’écrivains est pour la majorité d’entre eux précaire et que cette précarité est davantage exacerbée par les conséquences de la pandémie. Alors soutenons les librairies et éditeurs indépendants, mais avant tout : les écrivains !
Et terminons par les mots de François Cheng tenus en avril dernier qui résument parfaitement un de leurs rôles aujourd’hui : « Si on est écrivain, si on est digne de ce nom, il faut porter, dans la mesure du possible toute la douleur du monde. Et essayer de la transformer, de les transfigurer en une sorte de lumière qui nous aide à vivre. »

NOTES

[1]Lire à ce sujet « “Le livre est un refuge” : en librairie, le sursaut des ventes et la solidarité des clients », Jean Binrbaum, Zoé Courtois, Le Monde, 6/08/2020 [en ligne : https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/08/06/le-livre-est-un-refuge-en-librairie-le-sursaut-des-ventes-et-la-solidarite-des-clients_6048267_3246.html].

[2]Voir à ce sujet l’article très instructif de Franck Gintrand « Amazon fait peur mais ce sont les grandes surfaces qui font mal aux librairies » sur Slate.fr [en ligne : http://www.slate.fr/story/196753/librairies-amazon-grande-distribution-concurrence-vente-livres-menace-disparition-fnac-cultura-leclerc].

[3]Chiffres du rapport du ministère de la Culture « Publics et usages des bibliothèques municipales en 2016 ».

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