Dans ce focus sur le syndicalisme, nous lierons l’analyse des récentes élections dans la fonction publique et la bataille sur les retraites qui s’amorce. Nous reproduisons en fin d’article les réponses à nos questions de deux responsables syndicaux qui ont bien voulu y répondre.
Les élections dans la fonction publique
Les élections de décembre 2022 sont riches d’enseignements. Tout d’abord, il faut noter un grave recul de la participation électorale qui baisse de 6,1 points par rapport à 2018 pour arriver à 43,7 %. A noter la dégringolade de la participation (près de 11 %) depuis une douzaine d’années pour l’ensemble de la fonction publique. Mais la participation la plus basse des trois versants de la fonction publique se trouve dans la fonction publique hospitalière (37,8 %).
Pour les gros bastions de fonctionnaires, l’école (1 057 733 salariés) vote à 39,8 %, l’enseignement supérieur (270 877) à 19,2 %, mais les 192 000 salariés du ministère de l’Intérieur votent à 75,9 % !
A noter encore que 2,1 millions d’agents publics ont voté pour un syndicat et 100 000 ont voté blanc ou nul, sur 5,1 millions au global. Bien que les directions de certaines organisations syndicales aient montré leur désapprobation sur le passage du vote à l’urne au vote électronique, nous estimons que cette baisse est principalement concomitante de l’accroissement de l’abstention aux élections du champ politique(1)Sous ses quatre formes : absence de vote, blanc, nul, non inscription sur les listes.
Les causes du désengagement
Nous en tirons un premier enseignement : les organisations syndicales comme les organisations politiques feraient bien de se poser la question des causes de ce désengagement massif. Et comme l’oligarchie capitaliste — dirigeants patronaux et politiques — continuera à modifier les règles de vie dans les collectivités publiques et les entreprises pour contrecarrer la force des citoyens et des salariés, et répondre à la crise économique selon ses intérêts, il ne reste qu’un changement de pratique syndicale et politique pour prendre la mesure de changements sociaux qui ne feront que s’accélérer. Nous y reviendrons ci-dessous.
Si on regarde les rapports des forces des différents syndicats de la fonction publique par affiliation dans l’ensemble de la fonction publique, on peut dire que les syndicats qui progressent depuis 2018 sont la CGC qui passe de 3,4 % à 3,7 %, FO qui passe de 18,1 % à 18,7 %, la FSU de 8,6 % à 9,2 %, l’Unsa de 11,2 % à 11,7 % et les petits syndicats locaux de 4,7 % à 5,5 %.
En ce qui concerne le classement des syndicats de la fonction publique, la CGT reste en tête avec 20,8 % (-1 %) devant FO 18,7 % et la CFDT 18,5 % (-0,5 %). A noter la baisse de Solidaires qui passe de 6,4 % à 5,7 %.
A noter aussi que les trois syndicats CGT, FSU, Solidaires souvent ensemble dans le mouvement social reculent, si on les additionne, de 1,1 %. Même en y rajoutant FO, les syndicats revendicatifs sont en recul de 0,5 %.
- Pour la fonction publique hospitalière, il faut noter que le trio majeur reste le même, CGT, FO, CFDT, mais avec un recul de la CGT et de la CFDT et une légère poussée de FO.
- Pour la fonction publique territoriale, le trio majeur reste le même — CGT, CFDT, FO — avec un recul des trois syndicats et un petit gonflement des petits syndicats de ce secteur (Autonomes, Unsa, FSU).
- Pour la fonction publique de l’Etat, le trio de tête est sans changement FO, FSU, Unsa, avec une poussée de ces trois syndicats et un recul de la CFDT et de la CGT. A noter la poussée de la FSU (notamment à Pôle emploi) malgré un recul d’1 % au niveau des enseignants du premier et deuxième degré.
Macron et les retraites : entre hypocrisie et politique anti-sociale
Macron a reporté la présentation de la contre-réforme des retraites au 10 janvier. D’une part pour ne pas gêner les fêtes de fin d’année et d’autre part pour prendre le temps d’une proposition de calage avec le nouveau président des LR, Eric Ciotti. Donc, si cela marche, en présentant cette réforme comme complément de la loi de financement de la Sécurité sociale, il aura le droit d’actionner le 49.3.
Comme nous assistons à chaque séminaire du Conseil d’orientation des retraites (COR), nous avons pu voir lors du dernier, et sur la base même des études du COR, que différents arguments du gouvernement pour cette contre-réforme sont faux.
Prenons des exemples. « Le système est en danger », faux ! « On vit plus longtemps donc il faut travailler plus », faux ! « Le problème des retraites est un problème démographique entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités », faux ! » Il faut allonger la durée de cotisation », faux ! « C’est la faute du coût du travail », faux ! « Les retraités sont riches », faux ! « Les fonctionnaires sont privilégiés », faux !(2)Les intervenants du Réseau Éducation Populaire en tournée sur invitation font toutes ces démonstrations lors de leurs interventions.
La raison cachée est bien le désir de faire diminuer le taux de remplacement (montant de la retraite divisé par le dernier salaire) pour baisser les retraites (voir la démonstration de l’économiste Michaël Zemmour dans Le Monde Diplomatique de novembre 2022).
Déjà, avec les seules réformes passées, le niveau de vie relatif des retraités par rapport à la population entière, aujourd’hui pratiquement équivalent en moyenne, baissera d’un quart dans le scénario de productivité le plus élevé et de 13 % dans le scénario de productivité le plus faible.
Le taux de remplacement fut de 0,71 % au siècle dernier, il était en moyenne de 50,3 % en 2021 ; il tomberait à 39,4 % en 2070 dans le scénario de productivité le plus faible et à 32,6 % dans le scénario le plus fort. Basta ! Pour le gouvernement, il faut faire payer les salariés pour financer les cadeaux aux patrons et aux CSP+ au-dessus de 4 000 euros mensuels((Plafond de cotisation des retraites : 3 666 euros au 1er janvier 2023.).
Si on laisse faire, les classes sociales ne sont pas égales devant la mort. Les 40 % d’hommes des catégories socioprofessionnelles les plus modestes dans la tranche des 48-55 ans ont un risque de l’ordre de 30 % supérieur d’avoir une retraite de moins de dix ans (et un risque d’environ 15 % plus élevé de ne pas atteindre la retraite). Pour ces personnes-là en particulier, le décalage de la retraite d’un, deux ou trois ans constitue un recul énorme.
Bruno Le Maire n’en fait pas mystère lorsqu’il enjoint au patronat de soutenir la réforme quand il propose, sans le dire clairement que la baisse des retraites financerait les cadeaux aux patrons des entreprises, quand il les appelle à le soutenir « avec enthousiasme, avec détermination. C’est 8 à 9 milliards d’euros d’économies au bout du quinquennat ! » (France Inter, 27 septembre 2022). C’est la contrepartie de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) à partir de 2024 !
Et last but not the least, cela permettra d’augmenter le chômage, qui est comme l’a analysé Karl Marx « l’armée industrielle de réserve » pour faire pression sur les salaires et pensions.
Conclusion provisoire avant la rentrée sociale de 2023
Les organisations syndicales revendicatives (CGT, FSU, Solidaires, FO) ont engagé par voie électronique la campagne des retraites. C’est bien, mais malheureusement insuffisant. Le manque de formation économique et politique proposé dans les syndicats et les partis et le fait qu’ils ont abandonné la bataille, aujourd’hui nécessairement refondatrice, de l’éducation populaire, affaiblissent la « deuxième jambe » qui doit fonctionner en même temps que la première, celle des luttes sociales. Cela empêche les militants de répercuter auprès des salariés et des citoyens les arguments nécessaires.
Par ailleurs, le manque de convergence entre l’intersyndicale unitaire et les partis et associations opposés à cette contre-réforme nuit à cette bataille. La marche du 21 janvier de la Nupes décidée hors champ syndical n’aide pas à la convergence. Toutes et tous doivent former, pratiquer l’éducation populaire, mobiliser principalement autour de l’intersyndicale, argumenter sous toutes les formes unitaires contre l’oligarchie capitaliste qui organise la régression des conquis sociaux.
Deux secrétaires généraux de syndicats de la fonction publique répondent à ReSPUBLICA
Benoît Teste est secrétaire général de la FSU, et Christophe Delecourt, secrétaire général de l’Union fédérale des syndicats de l’Etat-CGT (UFSE-CGT)
Question 1 — Quelle est votre analyse sur les résultats des élections qui viennent d’avoir lieu au sein de la fonction publique ?
Benoît Teste (BT) : La baisse de la participation est un phénomène inquiétant. Il est d’une part liée aux modalités de vote : au-delà des difficultés techniques et il ne faut pas les négliger, le vote est de ce fait beaucoup moins un acte collectif, sur le lieu de travail, il n’y a plus, avec le vote électronique, l’effet d’entraînement. Mais d’autre part, il y a des causes profondes à cette désaffection, qui a partie liée à la crise démocratique plus générale, et qui est particulièrement importante dans le monde professionnel : l’atomisation des collectifs de travail, le sentiment de ne plus « faire corps », de ne plus donner sens aux solidarités de métiers, sont des freins puissants à la participation.
En termes de rapport de forces, les grands équilibres sont maintenus avec cependant une alerte sur la petite baisse de nos trois organisations, CGT, FSU et Solidaires, et une baisse lente, mais continue depuis trois élections des syndicats majoritaires menés par une de nos trois fédérations : à l’Education nationale, la FSU se maintient bien, à 34 %, mais la dynamique de baisse lente se poursuit. C’est le cas aussi pour Solidaires Finances publiques, ou pour beaucoup de syndicats CGT. Ce n’est pas une règle cependant, mais il y a ces dynamiques.
Pour la FSU, nous avons cependant de grandes satisfactions, d’abord la progression globale du taux de votants, l’entrée au conseil supérieur de la territoriale, et globalement une reconnaissance du travail militant. Le communiqué est ici : https://fsu.fr/elections-professionnelles-dans-la-fonction-publique-la-fsu-confortee/
Christophe Delecourt (CD) : En 2018, moins d’un agent sur deux avait participé aux élections. Comme le dit Benoît, non seulement la chute se poursuit, mais elle est encore plus conséquente. Le recours au vote électronique par les employeurs publics avec des dysfonctionnements multiples et divers a rendu le vote difficile. Plus fondamentalement nos organisations syndicales sont interrogées sur le fait que ce vote confirme la crise de la démocratie tant dans ses dimensions sociales (démocratie au travail) que politique (démocratie dans la cité), de pertinentes interrogations sur le pouvoir du syndicalisme à changer et améliorer les conditions de travail et de vie des agents, la nécessaire reconquête des pouvoirs des institutions représentatives des personnels. Néanmoins, même si elle recule, la première place de la CGT dans la fonction publique est confirmée. Ce vote, conjugué à d’autres dont ceux exprimés pour la FSU et Solidaires, est significatif à un moment où nous sommes en train de construire d’importants processus de mobilisation.
Question 2 : Quelle est votre analyse sur l’état actuel du mouvement social en préparation sur les retraites ?
BT : L’unité intersyndicale, clé de la réussite, me semble solide, c’est un bon point d’appui dans la période. Un mouvement social ne se décrète pas, et j’ai le sentiment que toutes les organisations syndicales en ont conscience et ont bien l’intention de « rythmer” au niveau national ce qui va se construire sur le terrain. Cela étant, tout dépend de notre capacité à convaincre nos collègues que cela vaut le coup de se mobiliser. C’est difficile de faire grève, surtout sur plusieurs journées. Mais la grève reste un outil majeur pour installer le rapport de forces. Nous devrons être inventifs sur les modalités d’action pour les diversifier aussi.
La relation au politique n’est pas des plus simples : nous voyons bien que nous aurons besoin des politiques pour être les relais des luttes, reste à trouver une manière de mener le mouvement qui permette que le combat contre la réforme ne soit pas associé à celui d’un “clan”, au service d’un parti politique pour qui il s’agirait de “rouler”. Et il y aura de toute façon, dans l’intersyndicale, des réticences encore plus fortes de la part d’organisations syndicales comme FO et la CFDT à mener des actions communes avec le politique.
CD : il y a besoin de construire une mobilisation unitaire dans le champ syndical et au-delà avec toutes les organisations qui le souhaiteront. Il nous faudra être inventifs en construisant des actions multiformes : grèves, manifestations, meetings, marches, mais aussi un mouvement d’éducation populaire et festif, à l’image de ce qui s’était déroulé au moment du Traité constitutionnel européen de 2005. Au monde du travail de débattre et de s’approprier les enjeux et de porter des propositions et des revendications alternatives aux politiques du Medef et de la Macronie. C’est une bataille conséquente, un nouvel affrontement de classe d’appropriation de la valeur ajoutée et des richesses produites pour développer et financer notre Sécurité sociale.
Question 3 : Que représente pour vous le rendez-vous de Lure (70) des 12 au 14 mai 2023 pour la promotion des services publics ?
BT : Lure va nous permettre de donner un élan au nécessaire combat pour les services publics. Combat, car il s’agit bien, avec les services publics, de défendre un modèle de société qui est aujourd’hui attaqué, d’où l’aspect revendicatif, avec la manifestation. Débats de fond et analyse sont nécessaires, car il faut tenir de nombreux équilibres : bien sûr il nous faut mettre au jour avec précision les dégradations du service public, résultat de l’austérité, mais nous devons « en même temps » montrer les immenses réussites du service public, montrer que même dégradé, les agentes et les agents ont tellement leurs métiers à cœur qu’ils et elles se mettent en quatre pour rendre le service public dans des conditions difficiles.
Du point de vue syndical et donc en se plaçant du point de vue des agents, c’est ce point d’appui là que nous devons travailler, cette souffrance de ne pas pouvoir faire un métier qu’on considère pourtant comme utile, cette fierté néanmoins d’être au service du public, tout cela doit être manié ensemble pour faire retrouver aux agents le chemin des luttes pour le service public.
CD : Pour le Medef et la macronie, le changement de la société passe aussi par la destruction des politiques publiques, des services publics et de la fonction publique. Lure se doit d’être un moment de défense, de reconquête et de développement d’outils publics au service de la satisfaction des besoins de la reconquête des activités et de l’emploi industriels articulé avec la nécessaire transition écologique. Lure sera aussi un moment important de démonstration des possibilités de financer de tels outils. Ce sera aussi un grand moment de convergence entre citoyens, citoyennes, usagères, usagers, syndicalistes, militantes et militants associatifs, politiques et élus.