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Grands patrons, gros actionnaires : les liaisons juteuses !

Le cadeau de départ du PDG d’Alcatel Lucent soulève en général une forte indignation. Indignation quant au montant gigantesque du cadeau, quant à la durée réduite de présence du PDG, moins de 3 ans, quant aux résultats obtenus, discutables : Alcatel-Lucent, en fait d’être sauvée, est liquidée avec ses brevets dans une autre entreprise Nokia, et ce PDG s’en va alors que ce processus est loin d’être achevé.

Cadeaux de départ, cadeaux de bienvenue, bonus, retraites chapeaux et salaires fixes ou variables mirobolants pour les dirigeants de grandes entreprises, sont désormais des sujets récurrents dans les médias. Et les récriminations de toutes natures, les chartes éthiques et autres ne sont que de peu d’importance . Ce PDG est en effet venu pour obéir aux ordres du CA des actionnaires, pour servir les gros actionnaires. Il doit agir dans ce but et uniquement dans ce but. Il en est récompensé si il a bien travaillé dans le sens : protéger, voir valoriser au mieux dans le présent et dans le court terme les intérêts des gros actionnaires.

Il n’est pas forcement facile pour un « dirigeant d’entreprise » de rejeter toute idée d’intérêt de « l’entreprise » vue comme une entité globale, sur le long terme en particulier, de rejeter toute idée de l’intérêt des salariés de l’entreprise, de l’intérêt économique du pays, de l’intérêt général, voire de l’intérêt stratégique pour le pays.

On voit quelquefois un ministre de l’économie essayer alors de faire valoir tel ou tel point de vue en se servant de ses moyens de pression -aujourd’hui bien maigres-. Il subit illico les foudres immédiates des milieux d’affaires l’accusant de « patriotisme suranné » ou de ne « rien connaître de l’entreprise »…(toujours amusant de lire de telles choses écrites par des « journalistes » qui ne connaissent de l’entreprise que les dirigeants aux services desquels ils se mettent et qui, pour un large part, sont rémunérés justement par des patrons de ces grosses entreprises..)

Cette conduite des actionnaires et des dirigeants est un défaut visible du capitalisme et notamment du capitalisme financier. Pour de la « valeur » sauvegardée, voire augmentée pour les gros actionnaires, que de « valeur » perdue pour les salariés, pour l’économie de la nation, pour l’économie en général d’ailleurs.

Le capitalisme a des limites économiques bien vite atteintes et le court-termisme est une de ces limites.

Il serait bon que les électeurs perçoivent bien cet aspect : Alcatel Lucent repris par Nokia, Alstom démembrée au profit de General Electric et d’autres, Peugeot sauvée en partie par l’Etat, sont (ou étaient) des entreprises capitalistes privées, strictement privées. Ce type d’entreprise rejette toujours la « faute » de sa déconfiture sur les trop hauts salaires des salariés alors même que l’on connaît la mauvaise gestion de nombre de ces entreprises. (Toyota à Valenciennes qui marchait fort correctement rigolait bien des déboires de Peugeot, déboires que Peugeot rejetait sans honte sur ses salariés…).

Le temps n’est plus où des entreprises comme Saint-Gobain, Péchiney, etc. étaient au moins gérées comme entreprises « globales », pour l’ « entreprise » autant que pour les salariés ou les actionnaires et toujours avec une vue de long terme. Aujourd’hui, une entreprise capitalistique ne sert qu’à ses actionnaires (gros) et ses dirigeants ne doivent penser qu’à la satisfaction à court terme de ses actionnaires.

Le capitalisme et notamment le capitalisme financier est très loin de représenter un modèle économique optimal.

Commentaire de la Rédaction

Ce petit texte de P. Mascomère frappe juste, en mettant l’accent sur un point faible du capitalisme financiarisé, les comportements prédateurs des hauts dirigeants de grandes entreprises. Il oppose ces comportements à celui du patronat industriel des Trente glorieuses, dont les objectifs n’étaient pas d’abord financiers.
Ces comportements nouveaux – se servir, et non plus servir – qui font s’interroger sur la capacité du capitalisme à porter le progrès social, s’expliquent par la crise structurelle du profit capitaliste. Au temps du capitalisme industriel, le profit du capitaliste individuel était normé par le taux de profit moyen, c’est-à-dire par la quantité de plus-value globale produite rapportée au capital total engagé. Quand la baisse tendancielle du taux de profit grippe le mécanisme, le capital cherche une échappatoire dans la multinationalisation, puis dans la financiarisation, où le profit n’est plus obtenu à partir de la richesse produite, mais capté sur la richesse produite ailleurs, dans les pays à bas salaires. Dès lors, il n’y a plus de norme au taux de profit exigible, la seule limite c’est le maximum. Le fait que la « valeur » financière soit désormais première et que le profit purement financier se capte sur les marchés financiers, explique la gestion court-termiste : quand le capital échoue à créer de la richesse réelle, il n’y a plus d’horizon de moyen ou long terme, celui de l’investissement matériel, qui vaille.
C’est ainsi que s’est constituée une couche de dirigeants experts dans la gestion financière des sociétés par actions, qui vont gérer les affaires des propriétaires du capital au profit de ceux qui sont dans les conseils d’administration (et qui les promeuvent en toute consanguinité) et s’en mettre plein les poches au passage. Marx avait parfaitement anticipé ce phénomène dès les années 1850-60, quand il expliquait, dans le Livre III du Capital, que les sociétés par actions allaient être l’occasion de voir se développer des couches parasites d’aigrefins et autres dupeurs de bourgeois. Les économistes modernes, largement intégrés à ces couches, ont théorisé la « création de valeur pour l’actionnaire », selon le principe général de la théorie dite « de l’agence » développée dans les années 70 : pour être certain qu’un agent vous serve dans votre intérêt, il faut le rémunérer à la juste valeur de son service.
Si la gestion managériale d’aujourd’hui n’associe plus le travail au capital, c’est qu’il n’y a plus de grain à moudre, plus de richesse réelle à redistribuer au travail. S’il y a « valeur perdue pour les salariés », c’est à cause de la crise de sa production, pas à cause de la finance, qui ne peut que jouer le profit en créant de la valeur fictive. Le capitalisme financier n’est pas un système optimal parce qu’il le visage d’un système en soin palliatifs.

Michel Zerbato

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